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Date : 20161219


Dossier : T-636-16

Référence : 2016 CF 1394

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 19 décembre 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

GREGORY S. PYLATUIK

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre du Revenu national (le ministre), rendue par sa déléguée Mme S. Desautels, chef d’équipe du Centre d’expertise d’allègement pour les contribuables de la Direction générale des appels de l’Agence du revenu du Canada (la déléguée du ministre), en date du 22 mars 2016, concernant une demande d’allègement pour les contribuables présentée par le demandeur le 19 mai 2015 en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl.) (la LIR).

Résumé des faits

[2]  La présente demande concerne une requête en vue d’obtenir une réparation équitable visant l’arriéré d’intérêts et la pénalité pour production tardive relatifs à l’année d’imposition 2006 du demandeur. Le demandeur a initialement fait l’objet de cotisations établies concernant les années d’imposition 2004, 2005 et 2006 indiquées dans des avis datés respectivement du 21 avril 2005, du 5 juillet 2006 et du 19 juillet 2007. Le 11 juin 2009, l’Agence du revenu du Canada (Agence) a donné des avis de nouvelle cotisation qui indiquaient que le demandeur avait un revenu imposable pour ces années de 1 478 608 $. Le demandeur a prétendu que l’Agence n’avait pas communiqué avec lui au sujet de la vérification des années d’imposition 2004, 2005 et 2006 et qu’il n’était pas au courant de ses obligations fiscales non acquittées avant de recevoir les avis de nouvelle cotisation. Cela s’expliquait du fait que son père, à l’insu du demandeur et sans son consentement, s’était servi du numéro d’assurance sociale (NAS) du demandeur et d’autres éléments de son identité pour effectuer des opérations et pour signer des documents. Son père était abusif, tyrannique et craint du demandeur. Le père avait exigé que le demandeur fournisse ses dossiers d’impôt au comptable du père, qui a préparé la déclaration de revenu du demandeur, y compris sa déclaration pour l’année 2006, que le demandeur n’a pas eu la possibilité d’examiner et de signer. Le père du demandeur et son comptable, sans le consentement du demandeur, ont aussi fait des énoncés au nom du demandeur concernant ses déclarations de revenu pour les années 2004, 2005 et 2006.

[3]  Le total de l’impôt et des pénalités établis à l’encontre du demandeur dans les avis de nouvelle cotisation pour ses années d’imposition 2004, 2005 et 2006 s’élevait à 1 072 307,97 $, ce qui comprenait les pénalités pour faute lourde. L’Agence a conclu que le demandeur et son père étaient des associés d’une exploitation piscicole désignée sous le nom de G&G Pylatuke Farms (G&G Farms) et que le demandeur était actionnaire de Wimmer Brook Enterprises, une société par actions de la Saskatchewan.

[4]  Le demandeur a produit des avis d’opposition aux avis de nouvelle cotisation le 9 septembre 2009 et des avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt le 23 avril 2012 concernant ses déclarations de revenu pour les années 2004, 2005 et 2006. Un règlement a été conclu avec l’Agence aux termes duquel le demandeur n’a été tenu responsable d’aucun montant au titre de l’impôt cotisé à l’égard de prêts aux actionnaires consentis par Wimmer Brook Enterprises. Bien qu’il insiste pour dire qu’il n’a jamais été un associé de G&G Farms, il prétend avoir consenti, pour régler les dossiers, à accepter une proposition dans laquelle il était décrit comme ayant assumé la moitié de l’impôt à payer au nom de G&G Farms. Le demandeur prétend qu’il est d’avis que le ministère de la Justice n’a pas pu faire annuler cette partie des nouvelles cotisations concernant le revenu de G&G Farms parce qu’il avait reçu, à son insu, le bénéfice des pertes liées à la prétendue qualité d’associé des années antérieures.

[5]  Le 22 septembre 2014, l’Agence a établi une seconde nouvelle cotisation conformément au jugement sur consentement. Ce second avis infirmait complètement le premier avis concernant les années d’imposition 2004 et 2005 et infirmait en partie la nouvelle cotisation établie à l’égard de l’année d’imposition 2006. Le demandeur prétend que la seconde nouvelle cotisation a eu pour effet d’ajouter 156 739 $ à son revenu imposable pour l’année 2006. Selon le dossier, le demandeur s’est acquitté intégralement, le 22 décembre 2015, de la pénalité et des intérêts exigibles sur sa déclaration pour l’année 2006.

[6]  Le 19 mai 2015, le demandeur a produit une demande aux termes du paragraphe 220(3.1) de la LIR en vue d’obtenir une réparation équitable à l’égard de la pénalité et des intérêts découlant de l’arriéré établi concernant son année d’imposition 2006. En réponse à cette demande, Mme Darlene Magas a rendu, le 1er décembre 2015, la décision au premier palier (la décision au premier palier) dans laquelle elle a décidé que l’arriéré d’intérêts imposé pour la période du 11 juin 2009 au 22 septembre 2014 serait annulé pour l’année d’imposition 2006. Ces dates correspondaient aux dates d’établissement de la première nouvelle cotisation découlant d’une vérification le 11 juin 2009 et d’établissement de la nouvelle cotisation définitive le 22 septembre 2014 après l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Elle a refusé d’accorder d’autres mesures d’allègement.

[7]  Le demandeur a présenté une demande d’allègement pour les contribuables au second palier le 28 janvier 2016. Un rapport relatif à l’allègement pour les contribuables rédigé au second palier indiquait que la demande avait été examinée par les agentes d’allègement pour les contribuables, Mme Lorraine Leclerc et Mme Mildred Lewis, et par la déléguée du ministre qui a rendu la décision au second palier le 22 mars 2016 (la décision au second palier). C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

La décision faisant l’objet du contrôle

[8]  La déléguée du ministre a conclu qu’aucun autre allègement n’était justifié. Sa décision a été communiquée au demandeur dans une lettre du 22 mars 2016, dans laquelle il est déclaré notamment ce qui suit :

[traduction]

Les pénalités pour négligence lourde ont déjà été annulées et l’arriéré d’intérêts a été rajusté en raison du retard causé par l’Agence et d’autres circonstances. Comme il a été indiqué dans le cadre du premier examen, le montant de l’arriéré d’intérêts qu’il reste à payer correspond aux intérêts accumulés sur le remboursement injustifié, au montant fixé par la Cour canadienne de l’impôt au titre de l’impôt à payer pour la période allant du 30 avril 2007 à la date de la première nouvelle cotisation établie après la vérification, et aux intérêts accumulés sur le solde après l’établissement de la nouvelle cotisation définitive. Selon mon examen, aucun autre allègement n’est justifié.

Législation et lignes directrices applicables

Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl.) :

220 (1) Le ministre assure l’application et l’exécution de la présente loi. Le commissaire du revenu peut exercer les pouvoirs et fonctions conférés au ministre en vertu de la présente loi.

220 (1) The Minister shall administer and enforce this Act and the Commissioner of Revenue may exercise all the powers and perform the duties of the Minister under this Act.

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

Circulaire d’information IC07-1 intitulée « Dispositions d’allègement pour les contribuables »

Situations qui peuvent justifier un allègement des pénalités et des intérêts

23.  Le ministre du Revenu national peut accorder un allègement des pénalités et des intérêts dans les situations suivantes si elles justifient l’incapacité du contribuable à respecter une obligation ou une exigence fiscale :

a)  Circonstances exceptionnelles;

b)  Actions de l’ARC;

c)  Incapacité de payer ou difficultés financières.

24.  Un fonctionnaire délégué du ministre peut accorder un allègement même si la situation du contribuable ne correspond pas à celles mentionnées au paragraphe 23.

Circonstances exceptionnelles

25.  Les pénalités et les intérêts peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation, en tout ou en partie, si elles découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. Les circonstances exceptionnelles qui peuvent avoir empêché un contribuable d’effectuer un paiement lorsqu’il était dû, de produire une déclaration à temps ou de s’acquitter de toute autre obligation que lui impose la Loi comprennent, sans en exclure d’autres, les suivantes :

a)  Catastrophes naturelles ou d’origine humaine, telles qu’une inondation ou un incendie;

b)  Troubles publics ou interruption de services, tels qu’une grève des postes;

c)  Maladies ou accidents graves;

d)  Troubles émotifs sévères ou souffrances morales graves, tels qu’un décès dans la famille immédiate.

Présenter une demande

[...]

32.  Les contribuables doivent indiquer toutes les circonstances (décrites aux paragraphes 23 et 24) qu’ils ont l’intention d’invoquer dans leur première demande. Il est important que les contribuables fournissent à l’ARC une description complète et exacte de ces circonstances afin d’expliquer en quoi leur situation justifie un allègement. Pour appuyer une demande, les contribuables devraient fournir tous les renseignements pertinents, y compris les suivants, s’il y a lieu :

a)  Nom, adresse, numéro de téléphone, numéros d’assurance sociale, de compte, de compte de fiducie et d’entreprise ou un autre numéro d’identification-impôt qu’a attribué l’ARC au contribuable;

b)  Années d’imposition ou exercices visés;

c)  Faits et raisons qui indiquent que les intérêts ou les pénalités découlent principalement de facteurs indépendants de la volonté du contribuable ou qu’ils résultent d’actions de l’ARC;

d)  Explication de la façon dont les circonstances ont eu une incidence sur la capacité du contribuable à respecter ses obligations fiscales;

e)  Faits et raisons à l’appui de l’incapacité du contribuable à payer les intérêts ou les pénalités;

f)  Documents pertinents, tels que des certificats de décès, des certificats médicaux ou des rapports d’assurance, pour appuyer les faits et les raisons de la demande;

g)  Dans les cas de difficultés financières (ou d’incapacité de payer), une entente de paiement significative qui s’applique au moins à l’impôt et à la pénalité et une divulgation financière complète, y compris un état des revenus et des dépenses, ainsi qu’un état des actifs et des passifs;

h)  Preuves des renseignements inexacts qu’a fournis l’ARC sous forme de réponses écrites, de renseignements publiés ou d’autres documents;

i)  Dans le cas de renseignements inexacts qu’a fournis l’ARC de vive voix, le contribuable doit fournir tous les détails recueillis au sujet de la conversation, tels que la date et l’heure, le nom et le numéro d’identification du fonctionnaire de l’ARC à qui il a parlé et tout autre détail;

j)  Historique complet des événements, y compris les mesures prises (par exemple, les paiements et ententes de paiement) et le moment où elles ont été prises afin de respecter les lois.

Facteurs de décision

33.  Lorsque des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, des actions de l’ARC, une incapacité de payer ou des difficultés financières ont empêché un contribuable de respecter la Loi, les facteurs suivants serviront à déterminer si un fonctionnaire délégué du ministre du Revenu national annulera les pénalités et les intérêts ou y renoncera. On évaluera si le contribuable a :

a)  respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

b)  en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c)  fait des efforts raisonnables et géré de façon responsable ses affaires selon le régime d’autocotisation;

d)  agi rapidement pour remédier à tout retard ou à toute omission.

Actions de tiers

35.  Les contribuables sont généralement considérés comme responsables des erreurs commises ou des retards causés par des tiers qui agissent en leur nom pour leurs affaires fiscales. Les tiers qui perçoivent des honoraires et qui fournissent des conseils inexacts ou qui font des erreurs de calcul ou de comptabilité sont généralement considérés comme responsables face à leur client si le contribuable s’est vu imposer des pénalités et des intérêts en raison des actions de ce tiers. Cependant, dans certaines situations exceptionnelles, il pourrait être indiqué d’accorder un allègement à un contribuable en raison d’erreurs ou de retards attribuables à un tiers.

Questions en litige

[9]  À mon avis, les questions soulevées par les parties peuvent être formulées ainsi :

  i.  La décision du ministre était-elle déraisonnable?

  ii.  Le ministre a-t-il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en l’espèce?

Norme de contrôle

[10]  Les parties soutiennent, et je suis du même avis, que la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires du ministre est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 et 53 (Dunsmuir)). Plus précisément, la Cour d’appel fédérale a plutôt conclu que la norme de contrôle de la décision raisonnable est celle qui s’applique à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre aux termes du paragraphe 220(3.1) de la LIR (Canada (Agence du revenu) c Telfer, 2009 CAF 23, aux paragraphes 2 et 24 à 26, permission d’interjeter appel à la CSC refusée à 399 NR 391(CSC); Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 20 (Stemijon)).

[11]  En ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la question de l’entrave au pouvoir discrétionnaire, les parties reconnaissent que, depuis Dunsmuir, cette question doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, mais font remarquer que la Cour d’appel fédérale a pris soin de mentionner que l’entrave au pouvoir discrétionnaire n’appartient jamais aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et est donc en elle-même déraisonnable (Stemijon, aux paragraphes 23 à 25). La juge Mactavish a récemment résumé les principes juridiques applicables à cette question dans Gordon c Canada (Procureur général), 2016 CF 643 (Gordon) et a tiré la conclusion suivante :

[28]  En l’espèce, il suffit de déclarer que l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire est une erreur susceptible de révision en vertu de l’une ou l’autre des normes de contrôle, et l’issue sera la même, soit l’annulation de la décision : JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, aux paragraphes 71 à 73, 450 N.R. 91; voir aussi Stemijon Investments, précité, au paragraphe 23. Autrement dit, si la déléguée du ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la décision qu’elle a prise devrait être annulée, quelle que soit la norme de contrôle appliquée.

(Voir aussi Ouedraogo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 810, au paragraphe 12.) Je suis d’accord pour dire que tel est l’état actuel du droit.

Première question en litige : la décision du ministre était-elle déraisonnable?

Observations du demandeur

[12]  Le demandeur soutient que la déléguée du ministre n’a pas appliqué les faits de manière uniforme dans la mesure où ils se rapportent aux circonstances exceptionnelles qui sont indépendantes de la volonté du demandeur. Plus précisément, le demandeur soutient que la déléguée du ministre a retenu la prétention du demandeur selon laquelle il avait été victime d’une fraude perpétrée par son père, qui s’était servi de l’identité du demandeur à ses propres fins et avait préparé et produit la déclaration de revenu du demandeur pour l’année 2006 à l’insu du demandeur et sans son consentement, et n’a pas appliqué ensuite ces faits de manière uniforme à l’octroi d’un allègement pour toute la période. La conclusion de la déléguée du ministre selon laquelle la circonstance exceptionnelle ne s’appliquait pas également avant le 11 juin 2009 et après le 22 septembre 2014 concernant l’année d’imposition 2006 du demandeur était arbitraire et déraisonnable. De plus, le demandeur soutient que la déléguée du ministre n’a pas reconnu les conséquences à long terme de la circonstance exceptionnelle propre au demandeur (Guerra c Canada (Agence du revenu), 2009 CF 459, aux paragraphes 25 et 26 (Guerra)).

Observations du défendeur

[13]  Le défendeur soutient que la décision au second palier était déraisonnable parce que le demandeur avait admis s’être déchargé de la responsabilité de préparer et d’examiner ses déclarations de revenu en la confiant à un tiers, ce qui ne constitue pas une circonstance exceptionnelle qui l’empêchait de produire des déclarations exactes dans les délais. De plus, la seule allégation de fraude qui a été retenue en tant que circonstance exceptionnelle concernait la participation du père du demandeur à la préparation de sa déclaration de revenu, et il n’a jamais été retenu que le demandeur n’était pas un associé de G&G Farms. Il ne conviendrait pas que le demandeur ait recours à la procédure de contrôle judiciaire pour échapper à son obligation à l’égard du revenu de la société de personnes, qui avait déjà été admise dans le cadre de l’appel à la Cour canadienne de l’impôt.

Discussion

[14]  D’abord, je ferais remarquer que le demandeur, à l’audience tenue devant moi, a abandonné et n’a pas commenté ses observations écrites concernant une lettre de la Dre Judy Moench, traitant de son anxiété, et une lettre de la Lobstick Literacy & Learning Society, au sujet de sa compréhension de lecture, pour étayer sa prétention selon laquelle une circonstance exceptionnelle justifiait qu’un allègement fiscal soit accordé. En conséquence, l’intimé n’a pas commenté ces observations lors des débats, et je ne les commente pas non plus dans les présents motifs.

[15]  Deuxièmement, pour faciliter la référence, l’allègement accordé et l’allègement refusé se résument ainsi :

  1. 1er mai 2007 au 31 juillet 2008

  • Cette période représente la date d’échéance de paiement applicable à la déclaration pour l’année d’imposition 2006 lorsque l’Agence a accordé une dispense des intérêts et des pénalités en raison de retards causés par elle.

  • L’allègement a été refusé dans la décision au second palier.

  1. 1er août 2008 au 6 janvier 2009

  • Avant que le demandeur présente sa demande d’allègement pour les contribuables, l’Agence a affirmé dans une lettre du 25 mai 2009, en application du paragraphe 220(3.1) de la LIR et en raison du retard de traitement causé par l’Agence, qu’une dispense des intérêts serait accordée pour la période allant du 1er août 2008 au 6 janvier 2009. Les intérêts de 212 739 $ qui étaient par ailleurs payables ont ainsi été réduits à 25 848 $ concernant les années d’imposition 2004, 2005 et 2006.

  1. 7 janvier 2009 au 10 juin 2009

  • L’allègement a été refusé dans la décision au second palier.

  1. 11 juin 2009 au 22 septembre 2014

  • En raison du règlement de l’appel interjeté à la Cour canadienne de l’impôt et de la seconde nouvelle cotisation, la première nouvelle cotisation concernant les années d’imposition 2004 et 2005 a été entièrement infirmée et la nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 a été infirmée en partie. Quant à l’année d’imposition 2006, les intérêts pour la période du 11 juin 2009 au 22 septembre 2014 ont été annulés. Cette période correspond à la période allant de la date d’établissement de la première nouvelle cotisation à la date d’établissement de la seconde nouvelle cotisation.

  • Un allègement a été accordé dans la décision au premier palier et confirmé dans la décision au second palier.

  1. 23 septembre 2014 au 22 décembre 2015

  • Cette période correspond à la période allant de la date d’établissement de la seconde nouvelle cotisation à la date du paiement intégral effectué par le demandeur.

  • L’allègement a été refusé dans la décision au second palier.

[16]  Quant à l’allègement demandé à l’égard de l’arriéré d’intérêts exigible, il était déclaré dans la décision au second palier :

[traduction]

Les pénalités pour négligence lourde ont déjà été annulées et l’arriéré d’intérêts a été rajusté en raison du retard causé par l’Agence et d’autres circonstances. Comme il a été indiqué dans le cadre du premier examen, le montant de l’arriéré d’intérêts qu’il reste à payer correspond aux intérêts accumulés sur le remboursement injustifié, au montant fixé par la Cour canadienne de l’impôt au titre de l’impôt à payer pour la période allant du 30 avril 2007 à la date de la première nouvelle cotisation établie après la vérification, et aux intérêts accumulés sur le solde après l’établissement de la nouvelle cotisation définitive. Selon mon examen, aucun autre allègement n’est justifié.

[Non souligné dans l’original.]

[17]  Mme Lewis a été contre-interrogée au sujet de son affidavit. Elle a déclaré qu’elle était l’agente d’allègement pour les contribuables ayant procédé à l’examen au second palier et rédigé la décision au second palier que la déléguée du ministre a signée. Mme Lewis était d’accord pour dire que, dans le cadre de l’examen au premier palier, les circonstances relatives au père du demandeur étaient admises et qu’une mesure d’adaptation avait été prise pour tenir compte de cette situation par l’annulation partielle de l’arriéré d’intérêts. Elle n’était toutefois pas convaincue que la totalité des intérêts et des pénalités découlait de circonstances indépendantes de sa volonté. Mme Lewis a été interrogée quant à savoir ce qu’elle entendait par les [traduction] « autres circonstances » mentionnées dans sa décision. Selon son témoignage, la mention d’[traduction] « autres circonstances » dans le cadre de l’examen au second palier concernait des [traduction] « circonstances découlant des actes de son père et de la situation qui – qui s’[était] produite en raison de la participation de son père à ses déclarations de revenu, et – oui, c’est ce que je voulais dire par “autres circonstances” ». Questionnée davantage quant à savoir si elle croyait que ces [traduction] « autres circonstances » avaient eu une incidence sur la déclaration du demandeur pour l’année 2006, Mme Lewis a déclaré ceci :

[traduction]

Oui, c’est ce que je croyais, au départ. C’était l’arriéré d’intérêts qui s’était accumulé – les – les intérêts accumulés – l’arriéré d’intérêts accumulé après cela en ce qui concerne l’arriéré d’intérêts encore à payer, comme la décision le dit, qui s’était accumulé en raison du remboursement injustifié, du montant fixé par la Cour canadienne de l’impôt au titre de l’impôt à payer, et pour – et les intérêts accumulés sur le solde après l’établissement de la nouvelle cotisation définitive.

Je croyais que ces autres circonstances avaient – avaient été examinées bien auparavant, lors de l’annulation antérieure et qu’aucun autre – à – à un moment donné, l’obligation du contribuable était en cause.

[18]  Le demandeur soutient que, dès lors que la déléguée du ministre avait retenu la prétention du demandeur selon laquelle il avait été victime d’une fraude perpétrée par son père et conclu qu’elle pouvait constituer une circonstance exceptionnelle, il était déraisonnable de n’appliquer l’allègement qu’à la période allant du 11 juin 2009 au 22 septembre 2014.

[19]  En revanche, le défendeur soutient que la déléguée du ministre a retenu que le demandeur avait été victime d’actes frauduleux relatifs à la préparation de ses déclarations de revenu, mais n’a pas retenu qu’il avait été victime de fraude concernant le revenu de la société de personnes. Le défendeur soutient de plus que, même si on accepte la falsification par le père du demandeur de sa déclaration de revenu pour l’année 2006, il n’en demeure pas moins qu’il devait examiner cette déclaration et veiller à sa production dans les délais.

[20]  Les motifs d’une lettre de décision ne devraient pas être examinés isolément, et il est parfois possible de les comprendre en examinant le dossier présenté au décideur (Stemijon, au paragraphe 37).

[21]  En l’espèce, le dossier confirme que l’Agence n’était pas d’avis que la conduite du père du demandeur constituait une circonstance indépendante de sa volonté. À cet égard, la [traduction] « Fiche d’information sur l’allègement pour les contribuables », sous la rubrique [traduction] « Le contribuable a-t-il fait des efforts raisonnables dans la conduite de ses affaires aux termes du régime d’autocotisation? Fournir les détails » comporte les détails suivants :

[traduction]

Une vérification a été effectuée de la déclaration de revenu du contribuable, et il a été jugé que, en raison de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, le revenu n’avait pas été déclaré avec exactitude et de nouvelles cotisations concernant les années d’imposition 2004, 2005 et 2006, ainsi que des pénalités pour faute lourde, ont été établies par la suite.

[22]  Sous la rubrique [traduction] « Décrire les circonstances qui ont empêché le contribuable de s’acquitter de ses obligations fiscales. Étaient-elles indépendantes de la volonté du contribuable? » Les détails fournis étaient les suivants :

[traduction]

Quant aux circonstances entourant l’activité frauduleuse, elles étaient indépendantes de la volonté du contribuable. La correspondance indique que le père s’est servi des renseignements personnels du contribuable et qu’un revenu inexact a été déclaré dans sa déclaration de revenu. Selon certaines indications, le contribuable n’était pas au courant des déclarations de revenu inexactes.

[23]  Sous la rubrique [traduction] « Les dates et les explications correspondent-elles à l’événement qui fait l’objet de la demande? Fournir une explication » :

[...]

En raison de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, le revenu déclaré dans sa déclaration de revenu pour l’année 2006 était inexact, ce qui a donné lieu à un remboursement. En témoigne le fait que les tribunaux ont annulé toutes les pénalités, puisque le ministre n’avait pas établi de montant précis de revenu non déclaré dans le cas des deux actionnaires. Par conséquent, il n’y avait aucun fondement juridique à l’application de pénalités aux montants établis.

[24]  Sous la rubrique [traduction] « Analyse de tous les faits/facteurs », les données saisies se lisent ainsi :

[traduction]

L’examen des dossiers et des renseignements fournis par l’Agence démontre qu’il existe suffisamment de renseignements qui laissent croire que le contribuable n’était pas au courant du revenu non déclaré. Il s’est opposé aux nouvelles cotisations et en a fait appel par la suite, puisqu’il croyait fermement que l’obligation fiscale créée ne lui incombait pas, et l’appel a eu pour effet d’infirmer la plupart des montants indiqués dans la nouvelle cotisation initiale.

Par conséquent, je recommande l’annulation de l’arriéré d’intérêts imposés pour la période du 11 juin 2009 au mois de septembre 2014. Cette période correspond à la période allant de la date de la première nouvelle cotisation établie après la vérification à l’établissement de la nouvelle cotisation définitive pour l’année 2006 après l’appel.

Les renseignements fournis ne justifient toutefois pas une autre annulation. Finalement, il incombe au contribuable de veiller à ce que ses déclarations de revenu soient préparées avec exactitude et qu’elles soient reçues au plus tard à la date d’échéance. Un remboursement établi à l’égard de la déclaration de revenu initiale du contribuable a été jugé injustifié. Le contribuable a aussi été informé du solde dû après l’établissement de la nouvelle cotisation définitive le 22 septembre 2014, et a permis que des intérêts additionnels s’accumulent sur le solde existant.

L’arriéré d’intérêts encore à payer correspond aux intérêts accumulés sur le remboursement injustifié, au montant fixé par la Cour canadienne de l’impôt au titre de l’impôt à payer pour la période allant du 30 avril 2007 à la date de la première nouvelle cotisation établie après la vérification, et aux intérêts accumulés sur le solde après l’établissement de la nouvelle cotisation définitive.

[...]

[25]  En préparant par la suite l’examen au second palier, Mme Lewis a retenu que les circonstances entourant les actes du père du demandeur étaient admises et qu’elles avaient été prises en compte dans la décision définitive. Il ne ressort pas clairement de la décision au second palier pourquoi, s’il était admis aux deux paliers que, en raison de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable et à son insu, son revenu n’avait pas été déclaré avec exactitude dans sa déclaration de revenu pour l’année 2006, il se verrait accorder un allègement pour la période du 11 juin 2009 au mois de septembre 2014, et non pas pour la période du 1er mai 2007 au 31 juillet 2008. De plus, bien qu’il soit déclaré à l’article 35 de la circulaire d’information IC07-1 de l’Agence (Lignes directrices) que les contribuables sont généralement jugés responsables des erreurs commises par des tiers qui agissent en leur nom pour leurs affaires fiscales, l’article indique ce qui suit : « Cependant, dans certaines situations exceptionnelles, il pourrait être indiqué d’accorder un allègement à un contribuable en raison d’erreurs ou de retards attribuables à un tiers ». Étant donné que la déléguée du ministre a retenu que la déclaration de revenu du demandeur avait été présentée frauduleusement en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, il n’est pas clair pourquoi cette partie de la disposition n’aurait pas été prise en compte.

[26]  Le défendeur soutient que la déléguée du ministre a retenu seulement que le demandeur avait été victime de fraude concernant la participation de son père à la préparation de ses déclarations de revenu, et non pas que le demandeur avait été victime de fraude concernant le revenu de société de personnes de G&G Farms. L’intimé renvoie au témoignage rendu par Mme Lewis lors de son contre-interrogatoire comme établissant ce fait; toutefois, je rejette cette prétention après examen de ce témoignage. Aucun des passages auxquels on l’avait renvoyée ne porte sur cette distinction.

[27]  À cet égard, le défendeur mentionne aussi la fiche d’allègement pour les contribuables préparée par Mme Lewis. Cette fiche comporte notamment la déclaration suivante :

[traduction]

Le contribuable a déclaré qu’il n’était ni un associé de l’exploitation agricole ni un actionnaire de l’entreprise. Son père et le comptable ont présenté ses déclarations de revenu à son insu et sans son consentement. Le revenu et les pertes d’agriculture étaient déclarés dans les déclarations de revenu du contribuable depuis 2001. Mon examen du dossier a aussi révélé l’existence d’un chèque de 4 781,50 $ en date du 13 juin 2005 libellé au Saskatchewan Wheat Pool pour des produits chimiques. Le contribuable et son père l’avaient tous deux signé. Cela indique que le contribuable était au courant de sa participation à l’exploitation agricole. Je suis aussi d’avis qu’il lui incombait finalement de savoir quel revenu était indiqué dans ses déclarations de revenu et de remettre en question les divergences à la réception des avis de cotisation.

Son rôle d’actionnaire de l’entreprise a été résolu, et ce revenu a été rajusté et établi à 0 $. À l’issue des appels, il restait toutefois une partie du revenu d’agriculture. Le contribuable était responsable de la production tardive de la déclaration pour l’année 2006, et l’arriéré d’intérêts avait déjà fait l’objet de deux réductions en raison du retard de traitement causé par l’Agence et d’autres circonstances. Selon mon examen des renseignements fournis à l’appui des deux demandes, un nouvel allègement n’est pas justifié.

[28]  Sous la rubrique [traduction] « Analyse de tous les faits/facteurs », Mme Lewis a écrit ce qui suit :

[...]

[traduction]

Le contribuable soutient qu’il n’est pas un associé de l’exploitation agricole de son père et qu’il n’était pas au courant de la vérification. Il a déclaré que son père et le comptable avaient agi tous deux à son insu, mais aucun renseignement n’a été fourni en opposition à sa participation à l’exploitation agricole. Sous le régime d’autocotisation, il incombe en définitive au contribuable de produire ses déclarations avec exactitude et dans les délais.

[29]  D’abord, je mentionne que l’affaire porte sur la production frauduleuse des déclarations de revenu du demandeur, qui concernait G&G Farms et Wimmer Brook Enterprises; c’était la circonstance exceptionnelle qui a été jugée indépendante de sa volonté. La fraude se rapportait à la production dans son ensemble, et les éléments de preuve ne permettent pas de conclure que Mme Lewis tirait une conclusion distincte concernant l’absence de fraude et G&G Farms. De plus, dans le cadre du règlement, le demandeur avait accepté d’assumer une obligation fiscale de l’ordre de 156 739 $, pour l’année d’imposition 2006, découlant du revenu de la société de personnes; il ne tente pas maintenant de se soustraire à cette obligation. Étant donné que l’obligation se rapporte à la production frauduleuse, il demande un allègement relatif à l’arriéré d’intérêts pour ce motif.

[30]  Deuxièmement, bien que Mme Lewis ait admis que les déclarations du demandeur selon lesquelles il n’était pas un associé de l’exploitation agricole et que son père et le comptable de son père avaient produit ses déclarations à son insu, elle a conclu, sur la foi du chèque, que le demandeur était au courant de sa participation à l’exploitation agricole et qu’il lui incombait donc d’être au courant du revenu déclaré et de remettre en question les divergences à la réception des avis de cotisation. Peut-être que ceci est vrai, mais Mme Lewis a témoigné avoir retenu que la production des déclarations qui indiquaient un revenu inexact était une circonstance indépendante de la volonté du demandeur et qu’elle a été faite à son insu. À mon avis, il n’est pas possible de rapprocher ce fait de sa conclusion selon laquelle un allègement n’était pas justifié en raison de l’obligation qu’avait le demandeur d’être au courant du revenu déclaré. De plus, cette conclusion ne semble pas tenir compte du fait que, dès que le demandeur a pris connaissance de la nouvelle cotisation en 2009, il a présenté des avis d’opposition et déposé l’appel à la Cour canadienne de l’impôt.

[31]  Comme il a été déclaré dans Dunsmuir, le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (au paragraphe 47). À mon avis, en ce qui concerne la période du 1er mai 2007 au 31 juillet 2008, qui vise les intérêts accumulés de la date d’échéance de production de la décision du 30 avril 2007 à la date de première nouvelle cotisation, la décision est déraisonnable en raison du défaut apparent d’appliquer uniformément la même conclusion de fait, ce qui mène à une décision arbitraire. Les raisons pour lesquelles cette approche différente a été adoptée ne sont pas non plus cohérentes.

[32]  Cela dit, il est déclaré dans la décision au second palier que l’arriéré d’intérêts encore à payer correspond aux intérêts accumulés pour trois motifs distincts : i) le remboursement injustifié, ii) le montant fixé par la Cour canadienne de l’impôt au titre de l’impôt pour la période allant du 30 avril 2007 à la première nouvelle cotisation, et iii) les intérêts accumulés sur le solde après la nouvelle cotisation définitive. Je ne peux pas décider de la date de la réception ou du remboursement injustifié; il résulte toutefois des actes frauduleux du père du demandeur. L’obligation fiscale découlant du jugement par consentement a été prise en compte dans la seconde nouvelle cotisation du 22 septembre 2014. Je suppose que la déléguée du ministre laisse entendre que l’arriéré calculé sur les montants que les parties avaient convenu de juger exigibles au 22 septembre 2014 est exigible pour la période allant de la date d’exigibilité de production de la déclaration (le 30 avril 2007) à la première nouvelle cotisation établie le 11 juin 2009. En raison de circonstances indépendantes de sa volonté, le demandeur n’a toutefois pris connaissance de la déclaration de revenu inexacte qu’à la réception de la première nouvelle cotisation.

[33]  Pour ce qui est de la période du 22 septembre 2014 au 22 décembre 2015, elle s’applique aux intérêts accumulés sur le solde après l’établissement de la nouvelle cotisation définitive. Bien que le demandeur renvoie à Guerra pour faire valoir qu’une décision est déraisonnable si elle ne tient pas compte de l’effet à long terme d’une circonstance exceptionnelle, le montant exigible ne faisait plus l’objet d’un différend après la conclusion du règlement et l’établissement d’une seconde nouvelle cotisation. Les actes frauduleux du père du demandeur n’ont eu aucune incidence sur les intérêts accumulés à partir de cette période jusqu’au paiement du solde et des intérêts.

[34]  Le défendeur soutient qu’aucune incohérence ne découle du fait d’avoir limité l’allègement aux années 2009 à 2014 parce que le fait que le père du demandeur ait [traduction] « falsifié » sa déclaration de revenu pour l’année 2006 n’empêchait pas la nécessité pour le demandeur d’examiner la déclaration et de veiller à son exactitude, surtout puisqu’il produisait des déclarations pour sa propre entreprise. À mon avis, cela ne tient pas compte de l’allégation incontestée du demandeur selon laquelle son père l’avait obligé à fournir ses renseignements fiscaux, utilisé son NAS et fait en sorte que son comptable produise la déclaration que le demandeur n’avait pas vue, et que son père et le comptable, à l’insu du demandeur, avaient ensuite fait des observations à l’Agence concernant les années d’imposition 2004, 2005 et 2006 – facteurs qui semblent tous être entrés en jeu dans le règlement à l’amiable. Ainsi, il ne s’agit pas ici d’un simple cas d’erreur comptable commise par un comptable dont les services ont été retenus par le demandeur et à qui le demandeur a confié la tâche de produire les déclarations. La déléguée du ministre avait déjà retenu que les actes frauduleux du père du demandeur constituaient une circonstance exceptionnelle indépendante de sa volonté, mais ne semble pas avoir examiné le défaut du comptable de produire une déclaration exacte dans ce contexte.

[35]  Je suis d’accord avec le défendeur que la déléguée du ministre avait le droit d’évaluer les critères pour parvenir à sa décision. Dans le cadre de l’exercice qui consiste à évaluer les critères en l’espèce, la déléguée du ministre a omis d’évaluer de façon uniforme les circonstances exceptionnelles retenues, et ce, sans fournir une explication intelligible de cette omission. Pour cette raison, la décision au second palier est déraisonnable.

Deuxième question en litige : Le ministre a-t-il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en l’espèce?

[36]  Comme il a été déclaré dans Gordon, même si un décideur peut examiner les lignes directrices administratives et, en effet, fonder ses décisions sur celles-ci, il entravera l’exercice de son pouvoir discrétionnaire s’il considère qu’une ligne directrice est contraignante. Les lignes directrices administratives n’ont pas force de loi, et on ne peut donc pas s’appuyer sur celles-ci de sorte qu’elles limitent le pouvoir discrétionnaire d’un décideur qui lui est conféré par la loi (Gordon, au paragraphe 29). Le demandeur soutient que la déléguée du ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire comme en fait foi le témoignage de Mme Lewis, qui confirmait qu’elle avait fondé sa décision exclusivement sur les lignes directrices, qu’elle jugeait contraignante et dont elle ne s’est pas écartée. À cet égard, le demandeur renvoie au passage suivant :

[traduction]

Q.  En ce qui concerne la ligne directrice, si un critère n’est pas mentionné dans la ligne directrice comme étant pertinent pour examiner une demande d’allègement pour les contribuables, vous êtes d’accord pour dire qu’il ne conviendrait pas que vous examiniez ce critère pour rendre votre décision concernant un dossier?

R.  Oui. Oui – oui, il serait – il ne serait pas [...]

Q.  Merci. Pour ce qui est de la demande d’allègement pour les contribuables présentée par M. Pylatuik, vous confirmez que vous avez fondé votre décision exclusivement sur la ligne directrice et que vous ne vous en êtes pas écartée?

R.  Oui.

[37]  Je ne peux pas conclure que la déléguée du ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sur le fondement de cet échange. Même si son témoignage est considéré à première vue comme constituant la reconnaissance qu’elle a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en observant strictement les lignes directrices, lorsque son témoignage est examiné au regard du libellé des lignes directrices, je ne peux souscrire à l’argument du demandeur. Les lignes directrices permettent la prise en compte de situations autres que celles mentionnées. Plus précisément, les lignes directrices donnent des exemples de circonstances exceptionnelles qui peuvent être examinées, mais précisent que ces circonstances ne se limitent pas à ces cas. Je constate aussi que la déléguée du ministre avait véritablement procédé à un examen des éléments de preuve du demandeur concernant ses problèmes de santé, son niveau de lecture et la production frauduleuse.

[38]  Le demandeur avance aussi que la déléguée du ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en omettant de communiquer avec l’avocat du ministère de la Justice, M. Mark Heseltine (avocat du MDJ), tel que le demandeur l’avait demandé dans sa demande d’allègement pour les contribuables. Le demandeur déclare que l’avocat du MDJ avait une connaissance personnelle du contexte du règlement fiscal. Le demandeur soutient que Mme Lewis a confirmé lors de son contre-interrogatoire qu’elle n’avait pas communiqué avec l’avocat du ministère de la Justice et qu’il est raisonnable de présumer qu’elle ne l’a pas fait parce que cette démarche aurait outrepassé les lignes directrices.

[39]  Cependant, selon le témoignage de Mme Lewis, les agents d’allègement pour les contribuables de l’Agence ne communiquent pas avec les avocats du MDJ pour obtenir des renseignements et fondent plutôt leurs décisions sur tous les renseignements qu’ils peuvent trouver dans le réseau de l’Agence. Lorsqu’on lui a demandé si elle jugeait les lignes directrices contraignantes, elle a répondu qu’elle ne dirait pas qu’elles sont contraignantes, mais qu’elle croyait que suffisamment de renseignements avaient déjà été fournis et qu’il n’était pas nécessaire de communiquer avec l’avocat du MDJ. Interrogée de nouveau quant à savoir si la décision de ne pas communiquer était motivée par les politiques et les lignes directrices de l’Agence relatives à la communication avec les fonctionnaires du ministère de la Justice, elle a répondu que c’était le cas [traduction] « dans l’ensemble », mais a poursuivi en déclarant de façon inquiétante que des renseignements avaient été fournis selon lesquels on avait communiqué avec l’avocat du MDJ en 2013 et il pensait que l’arriéré d’intérêts et les pénalités devaient être annulés en totalité, et que c’était là une autre raison de son défaut de communiquer avec lui. Elle a aussi déclaré qu’elle n’avait jamais connu d’agent d’allègement pour les contribuables qui avait communiqué avec un avocat du MDJ dans de tels cas et que c’était probablement la principale raison pour laquelle elle n’avait pas communiqué avec lui. De plus, elle a affirmé qu’il incombe au contribuable de fournir tous les documents nécessaires, en mentionnant que les agents d’allègement fiscal ne communiquent pas avec les médecins ni avec d’autres personnes pour étayer la demande du contribuable. À mon avis, ces éléments de preuve ne permettent pas de conclure que la déléguée du ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[40]  Selon les lignes directrices, il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve pour corroborer la demande d’allègement. Aucune disposition n’impose à l’Agence de se conformer aux demandes, formulées par un contribuable dans sa demande d’allègement, qu’elle communique avec des tiers pour étayer ses présentations. S’il avait été nécessaire d’obtenir des renseignements sur le contexte du règlement, le demandeur aurait pu fournir un affidavit ou d’autres éléments de preuve de l’avocat du MDJ ou fournir les renseignements pertinents par d’autres moyens. Je ne vois toutefois aucun motif pour le demandeur d’imputer une telle obligation à la déléguée du ministre. Comme la jurisprudence l’indique, il incombe plutôt au demandeur de fournir au ministre tous les renseignements nécessaires pour établir qu’il existait des circonstances indépendantes de sa volonté qui justifient un allègement (Ross c Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2006 CF 294, au paragraphe 22; Lemerise c Canada (Procureur général), 2010 CF 116, au paragraphe 23).

[41]  Le demandeur fait également valoir que la déléguée du ministre a entravé son pouvoir discrétionnaire en tenant pour acquis que la Cour canadienne de l’impôt a compétence pour examiner les demandes d’allègement des intérêts et des pénalités imposés en application de la LIR. Le demandeur déclare que, selon les réponses fournies par la déléguée du ministre (par laquelle il entendait vraisemblablement Mme Lewis), on pourrait raisonnablement présumer que la décision était fondée en partie sur la croyance erronée que la Cour canadienne de l’impôt a jugé qu’il n’y avait aucun motif équitable d’accorder une dispense ou une annulation des intérêts et des pénalités.

[42]  Le demandeur ne précise pas à quelle réponse il se réfère à cet égard. Je constate que la déléguée du ministre mentionne la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans la décision au second palier dans le contexte d’une période précise d’intérêts en souffrance. Elle a déclaré [traduction] « [c]omme il a été indiqué dans le cadre du premier examen, le montant de l’arriéré d’intérêts qu’il reste à payer correspond aux intérêts accumulés sur le remboursement injustifié, au montant fixé par la Cour canadienne de l’impôt au titre de l’impôt à payer pour la période allant du 30 avril 2007 à la date de la première nouvelle cotisation établie après la vérification, et aux intérêts accumulés sur le solde après l’établissement de la nouvelle cotisation définitive ». Ces observations ne laissent pas entendre que la décision de la déléguée du ministre était fondée sur la croyance erronée selon laquelle la Cour canadienne de l’impôt estimait qu’il n’y avait pas de motif équitable d’accorder une dispense ou une annulation des intérêts, pas plus que le demandeur n’a mentionné tout autre élément de preuve pour étayer son affirmation.

[43]  En conclusion, j’estime que le demandeur n’a pas établi que la déléguée du ministre a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en parvenant à sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait droit qu’à un allègement fiscal partiel. La présente demande est toutefois accueillie au motif que la décision au second palier était déraisonnable pour les motifs qui précèdent.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la déléguée du ministre est annulée, et la demande d’allègement du demandeur est renvoyée pour nouvel examen, conformément aux présents motifs du jugement.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour d’avril 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T -636-16

 

INTITULÉ :

GREGORY S. PYLATUIK c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 19 décembre 2016

 

COMPARUTIONS :

Neil T. Mather

 

Pour le demandeur

 

Peter Basta

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Neil T. Mather Professional Corporation

Edmonton (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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