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Date : 20170127


Dossier : T-1650-15

Référence : 2017 CF 110

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

UNIFOR et UNIFOR,

SECTION LOCALE VCTA

demandeurs

et

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER-FRASER

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par l’Administration portuaire Vancouver Fraser d’adopter les exigences concernant l’âge des camions porte-conteneurs ayant été autorisés à être exploités dans le port de Vancouver.

I.  Résumé des faits

[2]  Les demandeurs, Unifor, et sa section locale, Unifor VCTA, représentent les camionneurs participant au transport de conteneurs d’expédition en direction et en provenance du port de Vancouver (le port). Un certain nombre d’organisations syndicales et non syndicales représentent les chauffeurs de camion porte-conteneurs qui travaillent au port; la section locale VCTA d’Unifor est le syndicat ayant le plus grand nombre de membres légalement certifiés exploitant des camions porte-conteneurs au port.

[3]  La défenderesse, l’Administration portuaire Vancouver Fraser, laquelle exploite sous le nom de Port Metro Vancouver (PMV), est responsable de la gestion et du contrôle des terrains sur lesquels se trouve le port. Elle est établie aux termes de la Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10 (la LMC), et est régie par cette dernière, et elle mène ses activités conformément à des lettres patentes délivrées aux termes de l’article 8 de la LMC. Les paragraphes 28(2) et 28(4) fixent les limites à l’autorité de PMV :

28 (2) L’autorisation donnée à une administration portuaire d’exploiter un port est restreinte aux activités suivantes :

28 (2) The power of a port authority to operate a port is limited to the power to engage in

a) les activités portuaires liées à la navigation, au transport des passagers et des marchandises, et à la manutention et l’entreposage des marchandises, dans la mesure prévue par les lettres patentes;

(a) port activities related to shipping, navigation, transportation of passengers and goods, handling of goods and storage of goods, to the extent that those activities are specified in the letters patent; and

b) les autres activités qui sont désignées dans les lettres patentes comme étant nécessaires aux opérations portuaires.

(b) other activities that are deemed in the letters patent to be necessary to support port operations.

...

...

(4) L’administration portuaire n’exerce que les pouvoirs et activités prévus par ses lettres patentes; elle ne peut les exercer d’une façon incompatible avec ces dernières ou avec la présente loi.

(4) A port authority shall not carry on any activity or exercise any power that it is restricted by its letters patent from carrying on or exercising, nor shall it carry on any activity or exercise any power in a manner contrary to its letters patent or this Act.

[4]  Le port est le plus grand au Canada, avec quatre terminaux principaux pour conteneurs, et traite environ 2,8 millions de blocs de conteneurs annuellement. Environ la moitié de ces conteneurs arrivent ou partent par camion. Le processus de transport des conteneurs en direction et en provenance des terminaux pour conteneurs est appelé « factage » dans le secteur du transport. PMV réglemente le secteur du factage dans le port au moyen d’un système de délivrance de licences pour camions (SDLC). Le SDLC exige que les camions répondent à certaines conditions afin d’entrer sur les terrains du port.

[5]  Comme l’a souligné mon collègue le juge Barnes dans Goodrich Transport Ltd c Administration Portuaire Vancouver Fraser, 2015 CF 520, au paragraphe 4, 479 FTR 130 [Goodrich Transport], PMV est « confronté à des problèmes de relations de travail liés au secteur du factage ». Des arrêts de travail importants sont survenus au port en 1999, en 2005, et, plus récemment, en 2014. Les arrêts de travail avaient en commun des causes fondamentales semblables comme les faibles taux de rémunération pour les camionneurs et des pratiques opérationnelles problématiques. Le milieu de travail volatile pendant l’arrêt de travail en 2014 a poussé le ministre des Transports fédéral à demander un examen indépendant des causes sous‑jacentes du mécontentement des chauffeurs; le 6 mars 2014, Vince Ready a été nommé pour examiner ces causes et proposer des recommandations au gouvernement de la Colombie‑Britannique et au gouvernement fédéral.

[6]  Le 26 mars 2014, le gouvernement fédéral, le gouvernement de la Colombie-Britannique, PMV, la United Truckers Association et Unifor ont accepté un plan d’action conjoint (le plan) qui a mis fin à l’arrêt de travail de 28 jours. Un élément du plan nécessitait que PMV entame des consultations avec les intervenants sur la restructuration du SDLC afin d’accroître la stabilité du secteur du factage. Pour atteindre cette stabilité, le plan proposait, entre autres choses, des mesures pour contrôler le nombre de camions porte-conteneurs titulaires de licences afin d’éviter le surplus de camions qui avait contribué à une pratique généralisée de nivellement des tarifs vers le bas.

[7]  Après l’arrêt de travail en 2014, PMV a entamé un processus de consultation en deux étapes. En avril 2014, pendant la première phase de consultation, PMV a tenu douze réunions dans lesquelles des douzaines de personnes, représentant un vaste éventail d’intervenants du secteur du factage, y compris des représentants d’Unifor, les Teamsters, et la United Trucking Association, y ont assisté et fourni des commentaires.

[8]  M. Ready, ainsi que Corinn Bell, a également consulté divers intervenants pendant l’arrêt de travail en 2014. Leur rapport (le rapport Ready) recommandait fortement que le SDLC soit révisé au moyen de consultations véritables auprès de PMV et de tous les intervenants. La raison et la nécessité de la réforme du SDLC ont été décrites comme suit dans le rapport Ready :

[traduction]

De l’avis général, en raison des faibles restrictions pour faire partie du secteur du factage de conteneurs et malgré la diminution actuelle du nombre de propriétaires-exploitants, il y a une offre excédentaire de camions. Environ 2 000 camions et licences sont inscrits au système, ce qui fait dire à plusieurs qu’il y a une offre très excédentaire de camions. Avant le récent arrêt de travail, les chauffeurs rémunérés au voyage travaillaient de plus longues heures et étaient moins bien payés que ceux rémunérés à l’heure. Toutefois, il nous semble clair que grâce à une fluidité améliorée de la circulation aux ports et aux terminaux, les chauffeurs rémunérés au voyage ont une plus grande possibilité d’améliorer leur revenu, à la condition que la congestion dans les ports soit éliminée. Comme nous le mentionnons ci-dessus, il faudrait réduire considérablement le nombre d’entreprises de camionnage et de camions. Une des façons d’y arriver est d’imposer des exigences aux personnes qui s’inscrivent au SDLC, comme les dépôts de garantie ou les cautionnements d’exécution, en plus de mettre en place des normes raisonnables et légitimes de rendement des transporteurs routiers ainsi que des objectifs d’efficacité.

[9]  Après le rapport Ready, PMV a commencé la deuxième étape du processus de consultation en novembre 2014. Plus de 150 personnes ont assisté aux réunions des intervenants de PMV et PMV a reçu plus de 700 formulaires de rétroaction, y compris 343 formulaires de chauffeurs affiliés à Unifor. Pendant la deuxième étape, PMV a distribué un guide de discussion qui exposait son intention de mettre en œuvre une politique d’âge de route de dix ans pour les camions (la Politique).

[10]  PMV avait envisagé une politique sur l’âge des camions avant l’arrêt de travail de 2014. Tout au long de 2012, PMV a participé à des discussions internes avec les intervenants du secteur au sujet d’une politique sur l’âge des camions. Par exemple, en mai 2012, PMV a tenu des réunions avec divers intervenants au sujet des réformes au SDLC, y compris une limite d’âge sur les camions. Un groupe de travail interne à PMV a recommandé de proposer une politique sur l’âge des camions de sept ans avec une période de transition de trois ans. En mai 2013, PMV a publié un communiqué sur le SDLC au sujet d’une proposition de politique d’âge des camions de sept ans en vue de sensibiliser les intervenants du secteur. PMV a également retenu les services du cabinet comptable KPMG afin de préparer un rapport sur la façon de maintenir un secteur du factage efficient et durable. Dans son rapport de mars 2014, KPMG a comparé la proposition de politique d’âge des camions de sept ans à une politique d’âge de dix ans; le rapport a conclu que, bien qu’une politique d’âge des camions de sept ans et de dix ans ait des avantages d’exploitation comparables, le coût net à l’échelle du secteur pour une politique d’âge des camions de sept ans était de 15,1 millions de dollars par rapport à 4,9 millions de dollars pour une politique d’âge des camions de dix ans. PMV a finalement décidé qu’une politique d’âge de route de dix ans pour les camions serait mise en œuvre.

[11]  En décembre 2014, après la fin du processus de consultation, PMV a communiqué le Guide du SDLC local du factage (le Guide) lequel exposait le SDLC réformé. Le Guide tenait compte des commentaires reçus pendant le processus de consultation, des commentaires du gouvernement fédéral et du gouvernement de la Colombie-Britannique, du plan et du rapport Ready. Le Guide indiquait les critères obligatoires pour qu’un camion porte-conteneurs accède aux installations du port. En ce qui concerne l’âge des camions, le Guide déclare :

[traduction]

Le nouveau SDLC établit l’année de modèle des camions à 2007 ou à une année plus récente s’il s’agit d’un nouvel ajout ou d’un remplacement au parc. Les camions plus anciens qui sont approuvés pour utilisation dans le SDLC existant pourraient être acceptés pendant la période de transition. Si vous possédez un camion de 2005 ou plus ancien, vous devez fournir des preuves qu’il a été mis à niveau avec un catalyseur d’oxydation diesel (COD) avant la demande de la demande, conformément aux exigences environnementales existantes. Il est à noter que, d’ici 2019, tous les camions doivent avoir au maximum dix ans pour l’approbation annuelle.

[12]  Le Guide décrivait également le plan de transition pour les camions porte-conteneurs existants menant des activités au port. En 2015, tous les camions dont l’année de modèle était de 2005 ou avant nécessitaient un catalyseur d’oxydation diesel (COD). En 2016, tous les camions dont l’année de modèle était de 2006 ou avant nécessitaient un COD. En 2017 et en 2018, tous les camions dont l’année de modèle est de 2005 ou 2006 auront besoin d’un filtre à particules diesel (FPD), tandis que les camions dont l’année de modèle est 2004 ou avant n’auront plus le droit d’accéder au port. À partir de 2019, aucun camion ayant plus de dix ans ne sera permis, peu importe si le camion a été mis à niveau avec un COD ou un FPD. Selon l’affidavit de M. Greg Rogge, directeur des opérations terrestres de PMV, le retard dans la mise en œuvre de la Politique jusqu’en 2019 servait à fournir au secteur du factage un avis adéquat des changements. Dans l’état actuel des choses, la Politique, une fois entièrement mise en œuvre, remplacera les exigences de renouvellement environnemental des camions du SDLC qui ont été mises en œuvre en 2008.

[13]  En janvier 2015, PMV a consulté divers intervenants du factage, y compris Unifor et la United Truckers Association, afin de discuter de la Politique. Ces consultations ont donné lieu à l’avis du SDLC du 30 janvier 2015, lequel reportait la mise en œuvre complète de la Politique de 2019 à 2022. Cet avis déclarait ce qui suit dans la partie pertinente :

[traduction]

Au cours de la consultation à l’automne dernier, Port Metro Vancouver a présenté une proposition visant à établir une politique d’âge de dix ans pour les modèles de camion. Cette politique devait être graduellement mise en œuvre de 2015 à 2019 et, d’ici 2019, tous les camions du SDLC ne devraient pas avoir plus de dix ans.

En consultation avec des représentants du secteur, Port Metro Vancouver a réexaminé le plan de transition de la politique d’âge pour les modèles de camions. Port Metro Vancouver a accepté de prolonger la période de transition pour cette politique. L’exigence d’âge de dix ans pour les modèles de camions sera maintenant graduellement mise en œuvre sur une période de sept ans. Cela signifie que, d’ici 2022, tous les camions dans le SDLC n’auront pas plus de dix ans.

[14]  Cet avis a également modifié le plan de transition initial compris dans le Guide. Selon le nouveau plan de transition révisé, en 2015 et en 2016, tous les camions dont l’année de modèle est de 2006 ou avant nécessiteront un COD. De 2017 à 2021, tous les camions dont l’année de modèle est de 2005 ou de 2006 auront besoin d’un FPD, tandis que les camions dont l’année de modèle est de 2004 ou avant seront exclus du SDLC. À partir de 2022, aucun camion ayant plus de dix ans ne sera permis, peu importe si le camion a été mis à niveau avec un COD ou un FPD.

[15]  Le 1er février 2015, le pouvoir de délivrance de licences dans le cadre du SDLC est passé de PMV au commissaire en matière de transport des conteneurs par camion de la Colombie‑Britannique, un fonctionnaire provincial nommé aux termes de l’article 2 de la Container Trucking Act, SBC 2014, c 28, dont le bureau a été établi par suite de l’arrêt de travail de 2014. PMV, toutefois, a conservé le pouvoir d’accorder l’accès aux terrains du port au moyen d’accords d’accès avec les propriétaires de camions. La forme actuelle d’accord d’accès permet seulement aux [traduction] « véhicules approuvés » d’entrer sur les terrains du port et PMV se réserve le pouvoir de définir et de déterminer ce qui constitue un véhicule approuvé. Le SDLC exige maintenant une licence de services de transport de conteneurs de la C.-B. décernée par le Office of the British Columbia Container Trucking Commissioner et un accord d’accès de PMV.

[16]  Le 29 septembre 2015, les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire et, après avoir examiné la demande, PMV croyait qu’il pourrait y avoir une certaine confusion au sujet de la Politique. Par conséquent, le 8 octobre 2015, PMV a émis un avis aux titulaires de l’accord d’accès du SDLC, lequel précisait la période de transition de la Politique et la politique d’âge de dix ans pour les camions. L’avis a retiré l’exigence d’âge maximal de camion pendant la période de transition pour les camions actuellement inscrits dans le SDLC, dans la mesure où un COD ou un FPD avait été installé. En particulier, en 2015 et en 2016, les camions enregistrés dans le SDLC dont l’âge de modèle était de dix ans ou plus seraient seulement permis s’ils étaient munis d’un COD, tandis que, durant les années 2017 à 2021, les camions enregistrés dans le SDLC ayant une année de modèle de 2006 ou avant seraient permis s’ils étaient munis d’un FPD. Pour les camions de remplacement ou les camions existants, le camion devait avoir une année de modèle de 2007 ou plus récente en 2015, et une année de modèle de 2010 ou plus récente dans les années 2016 à 2021.

[17]  L’avis du 8 octobre 2015 expliquait également la Politique pour les années postérieures à 2022, déclarant ce qui suit dans la partie pertinente :

[traduction]

Mise en œuvre de l’âge maximal de dix ans des camions

En plus des normes environnementales existantes et de la Stratégie sur la salubrité de l’air des ports du Nord-Ouest, Port Metro Vancouver a instauré en janvier 2015 une exigence concernant la limite d’âge de dix ans pour les camions qui entrera en vigueur le 1er janvier 2022. Cela signifie que tous les camions enregistrés dans le système de délivrance de licences pour camions ne devraient pas avoir plus de dix ans à compter de 2022.

Dans des circonstances exceptionnelles et à la condition que tous les coûts connexes soient assumés par le demandeur, Port Metro Vancouver examinera au cas par cas les demandes d’exemption à la politique sur l’âge maximal de dix ans des camions, pourvu que ces demandes visent une exemption pour un camion qui respecte ou dépasse tous les facteurs contribuant à la politique. Plus de détails seront disponibles lorsque la date d’entrée en vigueur de la politique approchera.

La nouvelle exigence appuie l’accent mis par l’administration portuaire sur la sécurité, le professionnalisme, la fiabilité et la stabilité du secteur de factage et sur la nécessité d’exercer des activités responsables sur le plan économique, environnemental et social.

[18]  Après l’avis du 8 octobre 2015, les demandeurs ont modifié leur demande pour alléguer que leur [traduction] « préoccupation centrale demeure le type d’équipement et l’âge plutôt que les objectifs d’émissions » et que [traduction] « un important fardeau financier » a été placé sur ceux qui possèdent des camions dont l’année de modèle est antérieure à 2007 parce que, en date du 1er janvier 2017, les camions nécessiteraient un COD ou un FPD.

[19]  Le 16 février 2016, PMV a émis un autre avis du SDLC qui fournissait des mises à jour sur la Politique. Cet avis déclarait que la mise en œuvre des exigences environnementales pour les camions ayant un moteur antérieur à 2007 serait retardée en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire. L’avis comprenait également une foire aux questions et une liste de réponses, dont l’une fournissait des renseignements détaillés quant aux exemptions à la Politique :

[traduction]

Permettrez-vous des exemptions pour l’âge des camions lorsque la politique d’âge de route de dix ans pour les camions entrera en vigueur?

Port Metro Vancouver peut confirmer qu’il y aura un processus d’exemption qui, s’il est approuvé, permettra aux propriétaires de camions de plus de dix ans de continuer à desservir le port. Il sera nécessaire de prouver à la satisfaction de Port Metro Vancouver que le camion est comparable ou meilleur qu’un camion de dix ans bien entretenu et de qualité raisonnable, compte tenu des facteurs suivants : l’investissement financier, y compris, mais sans s’y limiter, la juste valeur marchande du camion, l’impact environnemental, y compris, sans s’y limiter, les taux d’émission, la sécurité, la fiabilité et l’esthétique. À l’heure actuelle, les détails sur la façon de demander une exemption et le moment de le faire n’ont pas été mis au point. Lorsqu’ils le seront, d’autres renseignements seront fournis. Il est prévu que les exemptions ne seront pas publiées fréquemment ou couramment.

II.  Raison d’être de la politique de PMV

[20]  L’affidavit non contredit de M. Rogge offre des renseignements généraux sur la raison d’être de l’adoption de la politique par PMV. Actuellement, il y a plus de 1 700 camions porte‑conteneurs détenteurs de licences du SDLC. La majorité de ces camions ont été achetés d’occasion après avoir été retirés du service long-courrier. Ces camions ont habituellement un kilométrage élevé et ne conviennent plus pour le transport long-courrier. En date du 8 décembre 2014, l’âge moyen des camions dans le SDLC était de 10,4 ans. En 2008, PMV a adopté les exigences de renouvellement environnemental des camions du SDLC qui exigent que les camions porte-conteneurs exploités dans le port respectent certaines normes environnementales. Ces exigences seront remplacées une fois que la Politique sera pleinement mise en œuvre.

[21]  PMV considère que l’âge d’un camion porte-conteneurs est important en raison de son [traduction] « lien à la sécurité, aux normes environnementales, à l’esthétique, au reflet de l’investissement et à la fiabilité des camions ». Depuis 2007, il y a eu d’importantes avancées dans la conception des camions et dans les technologies afin de réduire l’impact environnemental associé au secteur du factage, et PMV prévoit que les avancées technologiques s’amélioreront continuellement afin d’aborder les préoccupations environnementales sans cesse grandissantes. Selon M. Rogge, la Politique fera en sorte que les camions porte-conteneurs exploités dans le port seront munis des technologies les plus récentes et qu’ils seront conformes aux objectifs environnementaux de PMV. M. Rogge affirme que PMV croit que la Politique est bénéfique pour le secteur du factage puisqu’elle assure l’efficience et la fiabilité, et qu’elle évite le nivellement des tarifs vers le bas causé par l’excédent de camions plus anciens et moins chers.

[22]  Dans une note d’information interne de PMV datée du 21 janvier 2015, M. Rogge explique pourquoi PMV considère que l’âge du camion est un facteur important, en soulignant ceci :

[traduction]

  Plus de 43 % du parc actuel des OSC (opérateur de service complet) du SDLC a plus de dix ans et fonctionne bien au-delà de son âge de remplacement optimal; 18 % du parc a plus de 15 ans.

  PMV prévoit qu’un réinvestissement continu approprié dans l’équipement (camions) est nécessaire pour assurer un service de factage efficient et fiable pour la passerelle et est essentiel pour contribuer à protéger contre l’érosion des taux du secteur du factage.

  À l’heure actuelle, un pourcentage important de camions (exploitant dans le secteur du factage) proviennent d’une exploitation routière long-courrier avec un kilométrage élevé et atteignent ou dépassent leur âge optimal de remplacement.

  De longs cycles de vie d’exploitation entraînent l’accumulation de kilométrage et d’usure excessifs, ce qui fait que ces camions sont de plus en plus assujettis au risque de panne et d’entretien imprévu, tout en augmentant le temps d’arrêt en raison d’une plus grande dépendance à l’entretien habituel.

  Après le carburant et l’amortissement, l’entretien est la troisième plus grande dépense. L’entretien a une incidence directe sur la fiabilité, qui peut dissimuler des coûts « cachés » ou « accessoires » tels que les temps d’arrêt, les pertes de revenus, les entreprises perdues, la productivité réduite, les réparations majeures imprévues, les pannes et le remorquage.

  La proposition modifiée d’âge de route de dix ans pour les camions, présentée après consultation en novembre 2014, a permis à 361 propriétaires de camions de continuer à exploiter leurs camions dans l’environnement SDLC nouvellement réformé pour deux années supplémentaires, avant de devoir prendre des décisions en matière d’investissement.

  Avant le 31 décembre 2016, les exploitants indépendants (351) et les exploitants de parc OSC de camions d’entreprise (333) devront prendre des décisions stratégiques à savoir s’ils doivent investir dans les unités FPD ou refinancer leurs nouveaux camions en raison des normes environnementales qui prévalent.

[23]  En plus de l’affidavit de M. Rogge, la défenderesse a déposé un affidavit de Christine Rigby, spécialiste environnementale, Émissions de l’air, qui est responsable des initiatives de PMV liées à la qualité de l’air et aux changements climatiques. Elle déclare que PMV a établi divers programmes environnementaux au fil des ans et que, en 2008, PMV a adopté les exigences de renouvellement environnemental des camions du SDLC qui visent à ce que tous les camions de factage au port respectent, ou dépassent, les normes d’émissions fédérales pour la matière particulaire pour les camions dont le modèle de moteur date de 2007. Selon Mme Rigby, la Politique est préférable à la pratique d’établir périodiquement des exigences environnementales, quelque chose qui est difficile à mettre en œuvre puisqu’il faut des connaissances techniques et une gestion de programmes importantes, et qu’elles sont vulnérables aux abus en l’absence de mesures d’exécution importante. Mme Rigby ajoute que la Politique fournira une certitude au secteur du factage puisque les camionneurs sauront maintenant quand leurs camions doivent être remplacés; ce niveau de certitude n’est pas atteint lorsque la communauté de transport des conteneurs ne sait pas quand ou comment les exigences environnementales existantes seront modifiées. En plus des exigences environnementales pour les camions de factage, PMV a également mis en œuvre des politiques et des programmes environnementaux pour les navires et les véhicules diesel non routiers comme les grues, les chariots élévateurs et les chargeuses frontales. Bien que PMV n’impose pas d’exigences strictes en matière d’âge sur les navires utilisant le port, il impose des frais supérieurs aux navires qui ne respectent pas les normes minimales internationales en matière d’émissions. De même, PMV impose des frais sur les véhicules diesel non routiers ayant de l’équipement plus ancien produisant plus d’émissions en fonction du niveau du moteur.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[24]  La décision précise faisant l’objet du contrôle est en quelque sorte une cible mouvante. La Politique n’a pas encore entièrement été mise en œuvre ou, d’ailleurs, mise au point, dans la mesure où le processus d’exemption demeure ouvert afin d’ajouter des détails. La Politique est énoncée et contenue dans le Guide et dans les avis de PMV datés du 30 janvier 2015, du 8 octobre 2015 et du 16 février 2016. L’avis de PMV daté du 30 janvier 2015 décrit la Politique à ce jour jusqu’en 2021. L’avis daté du 8 octobre 2015 précise la Politique à ce jour jusqu’en 2021, tout en décrivant la Politique à partir de 2022. Enfin, l’avis daté du 16 février 2016 explique plus en détail la Politique à compter de 2022. Ces deux derniers avis déclarent que plus de détails sur [traduction] « les demandes d’exemption à la politique sur l’âge maximal de dix ans des camions [...] seront disponibles quand la date d’entrée en vigueur de la politique approchera » et que [traduction] les « détails sur la façon de demander une exemption et le moment de le faire n’ont pas été mis au point ».

[25]  Aux termes de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en principe, une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule décision, sauf ordonnance contraire de la Cour (voir l’arrêt Canada (Premier ministre) c Khadr, 2009 CAF 246, au paragraphe 36, [2010] 1 RCF 73, inf. pour d’autres motifs 2010 CSC 3, [2010] 1 RCS 44). En réponse aux questions à l’audience tenue à ce sujet, l’avocat de PMV a invoqué l’avis de PMV daté du 8 octobre 2015 comme étant la décision faisant l’objet du contrôle en l’espèce. À mon avis, la Politique, tel qu’il est dit dans cet avis, est la décision pertinente faisant l’objet du contrôle, et non la décision de prolonger la date de mise en œuvre de la Politique à 2022, ni la décision telle qu’il est dit dans le Guide selon laquelle [traduction] « tous les camions doivent avoir au maximum dix ans pour l’approbation annuelle ». Malgré certaines modifications de la Politique depuis la publication du Guide, la décision faisant l’objet du contrôle est la décision de PMV d’adopter une exigence d’âge de route de dix ans pour les camions qui pourrait être assujettie à des exemptions dans certains cas qui ne sont pas encore définis.

IV.  Questions en litige

[26]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Les demandeurs n’ont-ils pas qualité pour demander le contrôle judiciaire de la Politique?

  2. La demande de contrôle judiciaire de la Politique est-elle prématurée?

  3. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  4. La Politique est-elle raisonnable?

V.  Discussion

A.  Les demandeurs n’ont-ils pas qualité pour demander le contrôle judiciaire de la Politique?

[27]  Même si les demandeurs n’ont pas abordé cette question dans leurs observations écrites, ils l’ont fait à l’audience de la présente affaire où ils ont, essentiellement, soutenu qu’ils avaient un [traduction] « intérêt direct » dans la Politique et que, de toute façon, ils devraient bénéficier de la qualité pour agir dans l’intérêt public puisqu’ils soulèvent une question importante qui touche leurs membres. Les demandeurs affirment qu’ils ont la qualité préalable pour contester la Politique en raison de la nature unique des négociations collectives pour les chauffeurs de camion porte-conteneurs syndiqués au port et parce qu’ils ont contribué à effectuer le plan, dont ils font partie, et pour lequel ils ont donc un intérêt direct dans les réformes découlant du plan et du rapport Ready. Selon les demandeurs, ils ne sont pas des [traduction] « intrus externes » ou des [traduction] « fouineurs » et il ne serait pas pratique pour un chauffeur individuel de contester la Politique en raison des coûts et parce qu’un chauffeur aurait moins de connaissances que les demandeurs au sujet du processus de réforme du SDLC.

[28]  La défenderesse soutient que les demandeurs n’ont pas la qualité pour agir puisqu’ils ne sont pas « quiconque est directement touché par l’objet de la demande » conformément au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les cours fédérales, LRC (1985), c F-7 (la LCF). La défenderesse invoque le jugement rendu dans l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245, au paragraphe 30, [2015] 4 RCF 75 [Forest Ethics Advocacy], dans lequel la Cour d’appel fédérale conclut qu’une partie n’est pas « directement touchée » si les décisions n’ont « aucune incidence sur ses droits, elles ne lui imposent aucune obligation en droit, et elles ne lui causent aucun préjudice ». La défenderesse affirme qu’il n’y a aucune preuve que la Politique aura une incidence sur les droits des demandeurs, qu’elle leur imposera des obligations légales, ou qu’elle les touchera de façon préjudiciable de quelconque façon. Selon la défenderesse, le lien qu’ont les demandeurs avec la Politique est ténu et indirect. La défenderesse affirme que les demandeurs n’ont pas présenté de témoignages de chauffeurs de camion individuel touché par la Politique et qu’ils ont également omis de fournir des éléments de preuve quant à savoir si leurs membres sont propriétaires ou locataires des camions, le statut et l’âge de tels camions, et si l’accès au port a été refusé à ces camions en raison de la Politique.

[29]  Une partie a qualité pour demander le contrôle judiciaire seulement si elle peut établir qu’elle est « quiconque est directement touché par l’objet de la demande » aux termes du paragraphe 18.1(1) de la LCF. Bien que la Cour ait précédemment décidé qu’il ne faut pas accorder de signification limitée aux mots « directement touché » (voir, par exemple : Première Nation Denesuline de Fond du Lac c Canada (Procureur général), 2010 CF 948, au paragraphe 172, 377 FTR 50 [Denesuline de Fond du Lac]; Alberta c Commission canadienne du blé, [1997] ACF no 1484, au paragraphe 26, 138 FTR 186 [Alberta]; Friends of the Island Inc c Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] ACF no 233, [1993] 2 CF 229, inf. pour d’autres motifs [1995] ACF no 948, 97 FTR 160), un demandeur doit toujours présenter des éléments de preuve suffisants afin d’établir une incidence directe; les éléments de preuve qui ne font qu’indiquer un intérêt du demandeur dans la matière ne suffisent pas pour justifier une demande de qualité (voir la décision Alberta, au paragraphe 31).

[30]  Dans la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c Canada (Conseil du Trésor), 2001 CFPI 568, au paragraphe 47, 205 FTR 270, la Cour a décidé qu’une organisation d’employés aux termes de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LRC (1985), c P-35 (LRTSPF), maintenant abrogée, n’avait pas la qualité pour représenter ses membres dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire parce qu’elle [traduction] « n’était pas directement touchée par la décision des défendeurs de mettre les “employés d’exploitation” en “situation d’inactivité” » et que la décision appartenait aux affaires visées par la procédure de griefs en application de la LRTSPF et des conventions collectives. De même, dans la décision Construction and Specialized Workers’ Union, Local 1611 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1353, [2012] ACF no 1459 [Construction and Specialized Workers’ Union], la Cour a conclu qu’il y avait des éléments de preuve insuffisants d’« incidence directe » aux termes de l’article 18.1 de la LCF pour accorder aux deux demandeurs syndicaux la qualité pour contester une décision permettant à une entreprise d’embaucher environ 200 travailleurs étrangers temporaires; la Cour a toutefois accordé, après avoir examiné les exigences d’intérêt public établis dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 RCS 524 [Downtown Eastside], la qualité pour agir dans l’intérêt public des demandeurs pour contester la décision parce, finalement, aucun autre moyen réaliste n’existait pour entamer une responsabilité judiciaire en ce qui concerne la décision.

[31]  Dans United Steel Workers c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 496, 432 FTR 225, le syndicat demandeur, comme dans la décision Construction and Specialized Workers’ Union, a sollicité le contrôle judiciaire d’une décision afin de permettre à un employeur d’embaucher un travailleur étranger temporaire. Le syndicat a reconnu qu’il n’était pas « directement touché » par la décision dans la mesure où il ne représentait aucun travailleur à la banque qui n’était pas syndiqué. Le syndicat a toutefois soutenu que la qualité pour agir dans l’intérêt public devrait lui être accordée, mais l’argument a été rejeté par la Cour, non seulement parce qu’il n’avait pas représenté longtemps les travailleurs dans le secteur visé, comme c’était le cas dans la décision Construction and Specialized Workers Union, mais aussi parce que les personnes visées par la décision n’étaient pas intéressées à présenter une demande.

[32]  Dans la décision Denesuline de Fond du Lac, la Cour a observé ce qui suit :

[172]  Notre Cour a posé en principe qu’il ne convient pas d’interpréter dans un sens restreint l’expression « quiconque est directement touché par l’objet de la demande ». Voir Alberta c. Commission canadienne du blé, [1998] 2 C.F. 156 (Alberta). Cependant, elle a aussi formulé la conclusion suivante dans Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229, 102 D.L.R. (4th) 696, page 737 (Friends, citée d’après D.L.R.) :

[...] le libellé du paragraphe 18.1(1) attribue à la Cour le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir quand elle est convaincue que les circonstances particulières de l’espèce et le type d’intérêt qu’a le requérant justifient cette reconnaissance. (À supposer bien sûr qu’il y ait une question réglable par les voies de justice et qu’il n’existe aucun autre moyen efficace et pratique de soumettre la question aux tribunaux.)

[...]

[176]  La jurisprudence d’autres tribunaux se révèle également utile pour délimiter la portée de l’expression « directement touché ». Par exemple, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta fait observer dans Athabasca Environmental Assn. (Friends of) c. Alberta (Public Health Advisory and Appeal Board), (1993), 24 Admin. L.R. (2d) 156, [1994] A.J. No. 296 (Athabasca) [QL], que l’expression « directement touché » a un sens différent du mot « touché » employé seul, parce que [traduction] « l’adverbe “directement” vient restreindre la signification du terme “touché” ».

[177]  Le Conseil privé éclaire aussi cette question à la page 483 de Re Endowed Schools Act, [1898] A.C. 477 (C.P.), où il note que l’expression « directement touché » évoque [traduction] « un intérêt personnel et individuel, par opposition à un intérêt général, appartenant à l’ensemble de la collectivité ».

[33]  Dans la présente demande, les demandeurs n’ont pas établi que la Politique porte atteinte à leurs droits légaux, qu’elle leur impose des obligations légales, ou qu’elle leur porte atteinte de quelconque façon (Forest Ethics Advocacy, au paragraphe 30; League for Human Rights of B’Nai Brith Canada c Odynsky, 2010 CAF 307, au paragraphe 58, [2012] 2 RCF 312). En l’espèce, les demandeurs, comme ceux dans la décision Construction and Specialized Workers’ Union, ont fourni des éléments de preuve insuffisants pour démontrer comment ils sont « directement touchés » par la Politique d’une façon telle qu’il faut leur accorder un intérêt direct pour la contester. En l’absence de preuve pour indiquer de quelle façon leurs intérêts sont directement touchés par la Politique, ils n’ont pas la qualité pour la contester. Le fait est que les demandeurs ont participé aux discussions et que des consultations au sujet de la Politique n’élèvent pas leur position à celle d’une partie qui est directement touchée par la Politique.

[34]  De plus, il n’y a pas de fondement selon lequel les demandeurs devraient se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public pour contester la Politique. Même si l’on peut dire que les demandeurs ont soulevé une question sérieuse au sujet de la Politique et qu’ils ont un intérêt véritable, leur demande de contrôle judiciaire n’est pas une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour (voir l’arrêt Downtown Eastside, au paragraphe 2). Contrairement à la décision Construction and Specialized Workers’ Union, où la Cour a décidé qu’il n’y avait pas de moyen réaliste pour procéder au contrôle judiciaire de la décision examinée dans cette affaire, en l’espèce, la Politique a clairement et directement une incidence sur les membres des demandeurs et ce sont eux, ou du moins l’un deux, qui devraient saisir la Cour pour contester la Politique. À la lumière du rapport de KPMG, on peut déduire que la Politique a eu, et qu’elle aura, des conséquences financières pour les membres des demandeurs qui sont propriétaires de camions porte-conteneurs. Toutefois, les demandeurs ont fourni peu d’éléments de preuve au nom de leurs membres quant à la portée de telles incidences, autres que de noter les coûts d’installation d’un COD ou d’un FPD et de suggérer qu’ils font face à une incertitude dans la prise de décisions financières concernant l’acquisition de nouveaux camions ou la mise à niveau des camions existants en l’absence de détails au sujet des exemptions à la Politique.

[35]  En conséquence, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée parce qu’ils n’ont pas la qualité directe ou la qualité pour agir dans l’intérêt direct pour contester la Politique. Si, toutefois, je commets une erreur dans cette décision, leur demande de contrôle judiciaire doit également être refusée parce qu’elle est prématurée.

B.  La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?

[36]  Les demandeurs mettent l’accent sur la nature prématurée des exemptions à la Politique lesquelles, selon eux, sont [traduction] « non précisées et donc injustes » et ils affirment que la Politique est [traduction] « rigide » et [traduction] « ne prévoit aucune exception » pour le kilométrage, l’âge du moteur, et les mises à niveau pour les émissions. La défenderesse soutient que la présente demande de contrôle judiciaire est prématurée parce que les détails des exemptions à la Politique, y compris le processus visant à les déterminer, n’ont pas encore été établis et que, par conséquent, la Cour ne peut pas examiner la question de savoir si la Politique est rigide. La défenderesse affirme qu’il n’est pas déraisonnable que les exemptions n’aient pas été mises au point parce que la Politique ne sera pas pleinement mise en œuvre avant 2022.

[37]  Une affaire peut être prématurée et ne pas être mûre pour un contrôle judiciaire, [traduction] « à moins qu’il soit évident que la [mesure administrative] ne sera pas cohérente avec l’octroi d’un pouvoir prévu par la loi ou contreviendra aux exigences liées à l’équité procédurale » (voir : Donald JM Brown et John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, [Toronto : Thomson Reuters], ch. 3, page 65). De même, dans l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 RCF 332, la Cour d’appel fédérale a commenté le principe de non-intervention des tribunaux dans les processus administratifs en cours, en déclarant que :

[30]  En principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif. [...]

[31]  La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[32]  On évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l’auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d’obtenir gain de cause au terme du processus administratif [...] De plus, ce n’est qu’à la fin du processus administratif que la cour de révision aura en mains toutes les conclusions du décideur administratif. Or, ces conclusions se caractérisent souvent par le recours à des connaissances spécialisées, par des décisions de principe légitimes et par une précieuse expérience en matière réglementaire [...] Enfin, cette façon de voir s’accorde avec le concept du respect des tribunaux judiciaires envers les décideurs administratifs qui, au même titre que les juges, doivent s’acquitter de certaines responsabilités décisionnelles [...]

[38]  De façon générale, les tribunaux sont réticents à examiner le fond d’une décision administrative tant que cette dernière n’est pas en version finale. Par exemple, dans la décision Shea c Canada (Procureur général), 2006 CF 859, 296 FTR 81, la Cour a rejeté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’un processus d’embauche mis en œuvre par l’Agence du revenu du Canada, parce que le processus n’était pas terminé. Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt EH Industries Ltd c Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2001 CAF 48, 104 ACWS (3d) 5, la Cour d’appel fédérale a conclu, après l’examen d’une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur de ne pas faire enquête sur une plainte, que le Tribunal aurait dû rejeter la plainte au motif qu’elle était prématurée, parce qu’elle renvoyait à des critères qui n’étaient pas définitifs. De même, dans l’arrêt Geophysical Service Inc c Canada (Office national de l’énergie), 2011 CAF 360, 428 NR 237, la Cour d’appel fédérale a rejeté un a appel prévu par la loi et les demandes de contrôle judiciaire du demandeur au motif qu’elles étaient prématurées puisque les questions soulevées par le demandeur n’étaient pas encore mûres pour décision. Ces affaires mettent en évidence le principe voulant qu’un tribunal ne doive pas procéder à un examen d’une décision administrative qui n’est pas encore définitive.

[39]  Dans la présente demande, la défenderesse souligne que la Politique pour 2022 et les années suivantes n’a pas encore été mise au point puisque les processus et les critères d’exemption à la Politique sont encore à l’étude. Selon la défenderesse, la Cour ne peut pas examiner le caractère raisonnable de la Politique ou des exemptions qui en découlent puisqu’elles ne sont pas encore connues.

[40]  À mon avis, les critères d’exemption ne peuvent pas être retranchés d’un contrôle judiciaire de la Politique dans son ensemble. En effet, les observations des demandeurs indiquent que le processus et que les critères d’exemption sont pertinents au contrôle de la Politique. Par exemple, les demandeurs affirment que la Politique est [traduction] « arbitraire et rigide » en raison de [traduction] « l’absence de toute exception clairement reconnue à l’application de la norme d’âge ». Les demandeurs qualifient la Politique [traduction] « d’exigence d’âge rigide relative au modèle de camions sans exceptions ». Les observations des demandeurs selon lesquelles la Politique est déraisonnable sont fondées, en partie, sur le fait que le processus et les critères d’exemption n’ont pas encore été mis au point.

[41]  À la lumière du fait que PMV n’a pas encore mis au point le processus ou les critères d’exemption, et du fait que le processus d’exemption est une composante de la Politique, la présente demande de contrôle judiciaire est prématurée. La Cour ne peut pas procéder au contrôle de la Politique pour l’année 2022 et les années suivantes tant que PMV n’a pas mis au point le processus et les critères d’exemption. Cet aspect de la Politique n’est pas encore [traduction] « mûr » pour un contrôle judiciaire.

[42]  Toutefois, la Cour peut toujours revoir la Politique dans la mesure où elle a trait à la période de transition d’ici 2021. La Politique pour ces années exige que les camions ayant certaines années de modèle installent des technologies réduisant les émissions et, du moins à cet égard, la demande n’est pas prématurée.

C.  Norme de contrôle

[43]  Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique ici est celle de la décision raisonnable, et que celle-ci commande un degré de retenue à l’égard de la décision de PMV d’adopter la Politique et de la mettre en œuvre. Dans la décision Goodrich Transport, le juge Barnes a expliqué le degré de retenue considérable dont il convient de faire preuve à l’égard de PMV dans l’établissement d’un régime de licences pour camions :

[43]  Je suis convaincu que le pouvoir dont dispose PMV pour établir un système de délivrance de licences destin à régir l’accès de camions à ses installations maritimes est très vaste. PMV a le droit, pour des raisons de principe, de déterminer et d’appliquer comme bon lui semble les critères relatifs à la délivrance de licences. La seule limite qui s’appliquerait à cet aspect du pouvoir discrétionnaire de PMV est les situations dans lesquelles il peut être démontré qu’elle a agi avec mauvaise foi ou de manière inéquitable ou celles dans lesquelles elle s’est fiée indûment à des facteurs manifestement peu pertinents et n’ayant rien à voir avec le vaste objet législatif sous-jacent.

[...]

[45]  [...] Quand le législateur laisse aux décideurs le soin de faire des choix parmi un éventail de considérations polycentriques, la retenue judiciaire est clairement de mise.

[...]

[47]  En l’absence de restrictions législatives, un décideur qui établit et applique des règles rigoureuses pour l’évaluation de demandes de licence n’agit pas de manière déraisonnable ou n’entrave pas son pouvoir discrétionnaire. Tant que les règles qu’il adopte sont pertinentes à l’égard de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire approprié, il lui est loisible, en agissant de manière équitable, de les appliquer de façon stricte et sans tenir compte d’autres facteurs qui, pourrait-on soutenir, sont pertinents. En bref, ni une partie intéressée ni la Cour ne peuvent imposer au décideur leurs propres normes de pertinence. Mais cela ne veut pas dire que de telles questions débordent toujours le cadre du contrôle judiciaire. Les décisions administratives de cette nature sont susceptibles de contrôle en cas d’abus d’un pouvoir discrétionnaire ou d’iniquité procédurale. Même de prétendus choix stratégiques peuvent être infirmés au regard de la norme de la raisonnabilité lorsqu’un décideur s’écarte clairement d’exigences ou de normes législatives applicables.

[44]  Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour est chargée de déterminer si la décision du décideur est justifiable, transparente et intelligible, et si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]. Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339.

D.  La Politique est-elle raisonnable?

[45]  Les demandeurs affirment que la Politique [traduction] « s’écarte clairement d’exigences ou de normes législatives applicables » et qu’elle est déraisonnable parce qu’elle est contraire aux fins de la LMC et qu’elle excède le pouvoir légal de PMV. Les demandeurs soulignent les objectifs de la loi indiqués à l’article 4 de la LMC, précisant également que le paragraphe 28(4) de la LMC empêche PMV d’exécuter toute activité ou d’exercer tout pouvoir d’une façon qui est contraire à ses lettres patentes ou aux objectifs de la LMC. En particulier, les demandeurs affirment que la Politique ne favorise pas la promotion des règles et des politiques qui protègent la compétitivité du Canada et ses objectifs commerciaux parce qu’elle exige que les propriétaires de camions remplacent leurs camions en se fondant uniquement sur l’âge du modèle, sans exceptions ou incitatifs financiers, qu’elle entraînera des frais de camionnage plus élevés qui seront transmis aux consommateurs et qu’elle aura une incidence sur la compétitivité de PMV avec les ports à proximité.

[46]  Selon les demandeurs, la Politique ne prévoit pas de niveau élevé de sécurité ou de protection environnementale comme l’énonce l’alinéa 4d) de la LMC parce qu’elle est uniquement axée sur l’âge du camion, sans mentionner les objectifs d’émissions ou fournir des exceptions claires, et qu’elle néglige d’autres facteurs qui sont pertinents à l’incidence environnementale des camions porte-conteneurs comme le kilométrage, l’âge du moteur, et les technologies d’émissions. Les demandeurs affirment que la Politique appuie raisonnablement les objectifs de sécurité puisque la corrélation entre l’âge des camions et la sécurité du véhicule est un facteur dans moins de cinq pour cent des collisions mortelles ou avec blessures en Colombie‑Britannique.

[47]  Les demandeurs mentionnent les politiques de PMV en ce qui concerne les véhicules diesel non routiers comme étant plus souples que la Politique parce que ces politiques offrent des incitatifs financiers pour la mise à niveau environnementale plutôt que des interdictions absolues en fonction de l’âge du véhicule. De plus, selon les demandeurs, la Politique contredit les alinéas 4e) et 4f) de la LMC puisqu’elle ne répond pas aux besoins locaux ni aux priorités. Les demandeurs affirment que certains propriétaires de camions et que certaines entreprises ne seront pas en mesure d’acheter des camions de remplacement, ce qui les forcera à quitter le secteur, et, ce faisant, cela aura une incidence sur la subsistance des chauffeurs et de leurs familles.

[48]  La défenderesse soutient que la Politique relève clairement du pouvoir de PMV et qu’elle est raisonnable. Selon la défenderesse, le pouvoir de PMV d’établir un système de délivrance des licences afin de contrôler l’accès au port est clair, non seulement à la lumière de décisions comme Goodrich Transport, PRTI Transport Inc c Administration portuaire de Vancouver, [1999] ACF no 1701, au paragraphe 30, 178 FTR 310, et Pro-West Transport Ltd c Canada (Procureur général), 2006 CF 881, au paragraphe 43, 296 FTR 289, mais également aux termes de diverses dispositions de la LMC, comme l’alinéa 46(1)a) qui permet de « consentir à leur égard des emprises routières, des servitudes, des droits de passage, des permis d’accès ou des permis pour la prestation de services, notamment les services publics ». De plus, la défenderesse invoque le paragraphe 31.1(2) du Règlement sur l’exploitation des administrations portuaires, DORS/2000-55, lequel prévoit que PMV ne permettra pas à un camion d’avoir accès au port « dans le but de transporter un conteneur à moins que [...] le conducteur du camion [soit] un employé du titulaire d’une autorisation valide ou [qu]’il agi[sse], directement ou indirectement, pour le compte de celui-ci ». La défenderesse mentionne également le sous‑alinéa 7.1c)(i) des lettres patentes de PMV autorisant la délivrance de licences de services de transport afin de donner l’accès au port et à ses installations.

[49]  La défenderesse maintient que la Politique est raisonnable puisqu’elle se fonde sur les objectifs à long terme de PMV visant à réduire les émissions nuisibles, à atteindre un approvisionnement stable et efficient en factage, et à maintenir les relations avec les collectivités environnantes. Selon la défenderesse, la Politique fera en sorte que l’ensemble du parc de camions porte-conteneurs est conforme aux normes environnementales imposées aux fabricants de moteurs diesel lourds pour les dix dernières années; les technologies au cours des dix dernières années ont donné lieu à des progrès importants et les mesures environnements actuelles de PMV en plus de la Politique diminueront les émissions de particules, en plus d’autres polluants. La défenderesse précise qu’il est nécessaire de réinvestir dans l’équipement afin d’en assurer l’efficience et la fiabilité, et d’empêcher le nivellement des tarifs vers le bas; l’obstacle précédemment bas pour entrer dans le secteur du factage, en raison de camions plus anciens relativement peu coûteux, rend les propriétaires de camions vulnérables au nivellement des tarifs vers le bas.

[50]  La défenderesse soutient que la Politique n’est pas déraisonnable parce qu’elle n’offre pas d’incitatifs financiers aux propriétaires de camions. Il n’y a pas de loi ou de règlement qui exige des subventions et, selon la défenderesse, il n’est pas possible, ni approprié ou nécessaire de fournir des incitatifs financiers. Cela n’est pas possible, affirme la demanderesse, parce que PMV devrait fournir des ressources importantes pour s’assurer que les camions subventionnés demeurent dans le SDLC et qu’ils continuent de mener leurs activités au port. Et ce n’est pas approprié, affirme la défenderesse, parce que ce n’est pas durable à long terme et que le secteur du factage, comme d’autres secteurs, doit être autonome sur le plan financier. Enfin, ce n’est pas nécessaire, selon la défenderesse, parce que les entreprises de camionnage et les conducteurs inscrits dans le SDLC bénéficient déjà des avantages d’un marché protégé, d’une rémunération minimale réglementée et d’une compensation pour les retards au terminal.

[51]  Comme il a été déjà mentionné, les demandeurs contestent la décision de PMV d’adopter une exigence d’âge de route de dix ans pour les camions qui pourrait être assujettie à des exemptions dans certains cas qui ne sont pas encore définis. Puisque PMV n’a pas encore mis au point le processus ou les critères d’exemption, il est impossible d’évaluer ou de vérifier si cet aspect de la Politique est raisonnable. Il est toutefois possible d’examiner les autres aspects de la Politique qui s’appliquent pendant la phase de transition d’ici 2021.

[52]  Il est important de souligner que la Politique est une décision de nature non juridictionnelle, discrétionnaire et stratégique. À ce titre, il faut faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard de la décision de PMV d’adopter la Politique et de la mettre en œuvre. Tel que l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, si une question « touch[e] aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée » (au paragraphe 53). En fait, comme la Cour l’a déclaré dans la décision Goodrich Transport :

[43]  [...] le pouvoir dont dispose PMV pour établir un système de délivrance de licences destin à régir l’accès de camions à ses installations maritimes est très vaste. PMV a le droit, pour des raisons de principe, de déterminer et d’appliquer comme bon lui semble les critères relatifs à la délivrance de licences. La seule limite qui s’appliquerait à cet aspect du pouvoir discrétionnaire de PMV est les situations dans lesquelles il peut être démontré qu’elle a agi avec mauvaise foi ou de manière inéquitable ou celles dans lesquelles elle s’est fiée indûment à des facteurs manifestement peu pertinents et n’ayant rien à voir avec le vaste objet législatif sous-jacent.

[53]  La Politique actuelle exige que les camions ayant certaines années de modèle installent des technologies réduisant les émissions. Plus précisément, en 2016, tous les camions enregistrés dans le SDLC ayant une année de modèle de 2006 ou antérieure à 2006 nécessitaient un COD. Dès maintenant, et ce, jusqu’en 2021, tous les camions dont l’année de modèle est de 2006 ou antérieure à cette année-là nécessiteront un FPD et, pour les camions de remplacement ou de retour, l’année de modèle doit être de 2010 ou plus récente. Il est clair que, jusqu’en 2022, la Politique sera dans une phase de transition dans le but de permettre aux propriétaires de camions porte-conteneurs de s’y conformer. Selon l’affidavit de Christine Rigby, un COD réduit les émissions de particules de 20 pour cent, tandis qu’un FPD réduit de telles émissions de 85 pour cent. Compte tenu de ces avantages environnementaux clairs, on ne peut dire que la Politique actuelle est déraisonnable ou que la décision de PMV d’adopter et de mettre en œuvre la Politique « s’écarte clairement d’exigences ou de normes législatives applicables » (Goodrich Transport, au paragraphe 47).

[54]  Les demandeurs soutiennent que la Politique va à l’encontre des objectifs déclarés de la LMC. Toutefois, ils ont offert peu ou pas d’éléments de preuve convaincants selon lesquels la Politique mine la compétitivité de PMV, qu’elle augmente le risque du public quant à la sécurité, qu’elle affaiblit les normes environnementales, ou qu’elle néglige les priorités et les besoins locaux. Le dossier révèle que PMV envisageait une politique sur l’âge des camions depuis au moins 2012, et que la Politique actuelle témoigne de la prise en compte par PMV des divers intérêts concurrents après l’arrêt de travail de 2014. En élaborant la Politique, PMV a consulté des représentants du gouvernement et des intervenants du secteur, y compris les demandeurs, avant de la mettre en œuvre. PMV a envisagé différentes options en matière de politiques, y compris une politique sur l’âge des camions de 7, 12 ou 15 ans. En décidant de rejeter une politique de sept ans, PMV s’est appuyé sur le rapport de KPMG qui concluait qu’une politique de dix ans aurait une incidence financière moindre sur le secteur du factage. PMV croit que toute augmentation des coûts pourrait être bénéfique dans la mesure où la politique permettra d’éviter l’excédent de camions qui représentait auparavant un fléau dans le secteur du factage, en plus de réduire les coûts d’entretien des camions. La décision de PMV d’adopter et de mettre en œuvre la Politique découle d’un vaste procédé de consultations et constitue une décision de nature non juridictionnelle, discrétionnaire et stratégique à laquelle la Cour doit s’en remettre.

[55]  À mon avis, la Politique est un exercice raisonnable des pouvoirs discrétionnaires en matière d’élaboration des politiques de PMV. Elle est également justifiable, transparente et intelligible à la lumière des vastes consultations publiques, des notes d’information et des avis publics de PMV. Les demandeurs n’ont pas démontré de quelle façon PMV dévie clairement des exigences ou des normes législatives applicables. Ni la Cour ni les demandeurs ne peuvent imposer à PMV leurs propres « normes de pertinence » et, tant que celle-ci adopte des politiques « pertinentes à l’égard de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire approprié, il lui [PMV] est loisible, en agissant de manière équitable, de les appliquer de façon stricte et sans tenir compte d’autres facteurs qui, pourrait‑on soutenir, sont pertinents » (Goodrich Transport, au paragraphe 47).

VI.  Conclusions

[56]  La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée pour les motifs énoncés. Les demandeurs n’ont pas la qualité dans cette demande parce qu’ils ne sont pas « directement touchés » par la Politique et qu’il y a un autre moyen réaliste selon lequel la Politique pourrait faire l’objet d’un contrôle judiciaire dans le cadre d’une demande présentée par un ou plusieurs membres individuels des demandeurs. Tout contrôle judiciaire de la Politique pour 2022 et les années suivantes est prématuré. La Politique, dans son libellé actuel, est un exercice raisonnable des pouvoirs discrétionnaires en matière d’élaboration des politiques de PMV, parce qu’elle est justifiable, transparente et intelligible, et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[57]  La défenderesse a demandé ses dépens dans son mémoire des faits et du droit. Étant donné que la demande a été rejetée, la défenderesse a droit au remboursement de ses dépens par les demandeurs, dont les parties pourront convenir du montant. Si les parties sont incapables de s’entendre sur le montant desdits dépens dans les 15 jours suivant la date du présent jugement, il sera par la suite loisible à l’une ou l’autre d’entre elles de demander la taxation des dépens par un officier taxateur, conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : la demande de contrôle judiciaire modifiée des demandeurs est rejetée; les demandeurs doivent rembourser les dépens à la défenderesse; les dépens auxquels la défenderesse a droit lui seront remboursés en fonction du montant convenu par les parties, attendu que, si les parties sont incapables de convenir du montant de ces dépens dans un délai de 15 jours suivant la date du présent jugement, chacune d’elle sera, dès lors, libre de demander une taxation des dépens par un officier taxateur, en conformité avec les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 1er jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1650-15

 

INTITULÉ :

UNIFOR et UNIFOR, SECTION LOCALE VCTA c ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 23 et 24 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Peter R. Shklanka

 

Pour les demandeurs

 

Harley J. Harris

Zachary J. Ansley

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kestrel Workplace Legal Counsel LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

Owen Bird Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

 

 

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