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Date : 20160830


Dossier : T-927-16

Référence : 2016 CF 990

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 30 août 2016

En présence de monsieur le protonotaire Kevin R. Aalto

ENTRE :

DWIGHT THOMPSON BEY

NICOLE THOMPSON BEY

demandeurs

et

SRIRAM H. IYER [SRIRAM H. IYER]
ET SON ÉPOUSE

BRYAN DEVRIES [BRYAN DEVRIES]
ET SON ÉPOUSE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le débiteur hypothécaire a manqué à son obligation. La banque du créancier hypothécaire (ICICI Bank) a eu recours à son pouvoir de vente. Un jugement de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a été rendu quant à la propriété du bien grevé d’une hypothèque et au solde dû à l’égard de la dette hypothécaire. Les débiteurs hypothécaires, soit les demandeurs (qui s’appellent Dwight Thompson et Nicole Thompson, mais qui utilisent maintenant les noms de Dwight Thompson Bey et Nicole Thompson Bey) font valoir qu’aucun document hypothécaire original n’a été produit pour appuyer la réalisation des droits hypothécaires. Ils font valoir que l’application régulière de la loi n’a pas été respectée lors de la réalisation des droits hypothécaires.

[2]               Par conséquent, les demandeurs ont intenté trois actions devant la Cour : 1) dossier de la Cour no T-954-16, action contre les avocats chargés de la réalisation des droits hypothécaires pour le compte d’ICICI Bank; 2) dossier de la Cour no T-1040-16, action contre le juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario qui a rendu le jugement en faveur d’ICICI Bank; 3) dossier de la Cour no T-927-16, action contre Sriram H. Iyer, président-directeur général d’ICICI Bank, et Bryan Devries, vice-président du service des prêts hypothécaires d’ICICI Bank.

[3]               La première action a été radiée sans autorisation de la modifier aux termes d’une ordonnance de la Cour datée du 11 août 2016. En ce qui concerne la deuxième action, une requête en radiation au titre de l’article 369 a été présentée. La requête présentée à la Cour traite de la troisième action contre les représentants d’ICICI Bank. La requête vise l’obtention d’une ordonnance de radiation de la déclaration dans sa totalité sans autorisation de la modifier, de même qu’une ordonnance déclarant les demandeurs plaideurs quérulents afin de les empêcher d’intenter d’autres actions devant la Cour sans autorisation.

[4]               Dans l’ordonnance datée du 11 août 2016 relative à l’affaire Dwight Thompson Bey et al. v. Joseph Agueci et al. (dossier de la Cour fédérale no T-954-16), la Cour a noté que les demandeurs de ce type sont des plaideurs présentant « argumentation commerciale pseudojuridique organisée » par excellence, une expression inventée par le juge en chef adjoint Rooke de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. L’ordonnance du 11 août 2016 contient le passage suivant :

[traduction

En outre, ce type de litige dénué de sens porté devant la Cour par ce type de plaideur quérulent a été décrit de façon détaillée dans un long jugement du juge en chef adjoint Rooke de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans la décision Meads v Meads, 2012 ABQB 571. Dans ce jugement, le juge en chef adjoint Rooke qualifie ce type de plaideurs de plaideurs présentant une « argumentation commerciale pseudojuridique organisée » (« ACPO »). En l’espèce, les demandeurs correspondent parfaitement à cette catégorie.

[5]               La situation est la même en l’espèce. Les demandeurs sont des plaideurs présentant une « ACPO ».

[6]               En ce qui concerne la radiation de la déclaration, il est difficile de savoir par où commencer pour décrire l’absurdité des allégations et des causes d’action. Il suffit de dire que la déclaration repose essentiellement sur le fait qu’ICICI Bank n’a pas présenté de contrat hypothécaire signé aux demandeurs et qu’elle leur a envoyé des lettres sans affranchissement adéquat puisqu’elles ne portaient pas de timbres-poste. Cela a, d’une manière ou d’une autre, donné lieu à [traduction] « un défaut dans l’application régulière de la loi, provoquant ainsi une violation de la confiance et de l’honneur (sic) de la part de Sriram H. Iyer et de Bryan Devries, agissant pour le compte d’ICICI Bank Canada et de ses représentants désignés » [affidavit des demandeurs, page 1]. Une requête en dommages-intérêts compensatoires de 1 750 000 $ et en dommages-intérêts punitifs 750 000 $ a été présentée à l’encontre de chacun des défendeurs et de leurs épouses. Rien n’explique pourquoi la mention [traduction] « et son épouse » a été ajoutée. La déclaration s’étend ensuite verbeusement sur la distinction entre [traduction] « citoyen à part entière » et [traduction] « citoyen de naissance ». En voici des exemples :

[traduction

Je, (Nicole Thompson Bey, Dwight Thompson Bey), demande que la Cour fédérale fasse référence au présent requérant/demandeur (en l’occurrence moi-même) en tant qu’Américain d’origine maure (citoyen né dans le pays) et non en utilisant des termes comme NÈGRE (terme générique), PERSONNE NOIRE, PERSONNE DE COULEUR, AFRO-AMÉRICAIN ou tout autre TITRE D’ESCLAVE ou « nom de guerre » qui me sont imposés en raison de fausses déclarations ou d’autres actes de non-révélation qu’une société mal informée pourrait « croire » vrais.

Je, (Nicole Thompson Bey, Dwight Thompson Bey), ne renonce, sous aucune condition ou circonstance, par la menace, la contrainte ou la coercition, à aucun droit inaliénable ou garanti par la Constitution ou un traité et, par la présente, je demande à la Cour fédérale de remplir son obligation de préserver les droits du présent requérant (un Américain d’origine maure) et d’exercer sa fonction judiciaire de « bonne foi » en ordonnant que les défendeurs soient traduits devant les tribunaux pour répondre de leurs actes de nature criminelle et injuste.

[7]               La déclaration contient ensuite des affirmations concernant la « République nationale maure », la mise en application de la constitution divine et des règlements administratifs du Moorish Science Temple of America et d’autres absurdités du même genre. Aucune des affirmations faites ne constitue, de quelque façon que ce soit, une cause d’action reconnue par le droit canadien. Une copie intégrale de la déclaration est jointe à l’annexe A afin de permettre aux lecteurs de la présente décision de prendre toute la mesure de l’absurdité dont font preuve les plaideurs en présentant une ACPO qui encombre les tribunaux.

[8]               Les litiges de ce type encombrent les tribunaux et nécessitent l’utilisation d’importantes ressources judiciaires : un registraire doit engager l’action; un autre agent du greffe doit inscrire l’action dans la base de données de la Cour; lorsqu’une requête en radiation est présentée, un employé du greffe doit déposer la requête et l’inscrire dans le système; un employé du greffe doit ensuite préparer la requête pour l’audience; une salle d’audience doit être réservée et des membres du personnel de la Cour doivent être désignés; l’officier de justice qui préside doit étudier les documents de la requête; la Cour doit être convoquée; puis une décision doit être rendue. Ces procédures nécessitent du temps et de l’argent, en plus du temps, des efforts et de l’argent que doivent engager les plaideurs concernés par ces poursuites insensées auxquelles ils doivent répondre.

[9]               Les tribunaux ont le devoir de contrôler l’accès de ces types de plaideurs au système judiciaire. Indépendamment de la possibilité d’annuler ces poursuites vexatoires, les tribunaux peuvent accorder des indemnisations complètes aux malheureux plaideurs qui font l’objet de ces poursuites. La présente poursuite est un excellent exemple de situation dans laquelle une indemnisation complète devrait être accordée. Les observations formulées récemment par l’honorable juge Jamie Campbell de la Cour suprême de Nouvelle-Écosse dans l’arrêt Cram c. Nova Veterinary Clinic Ltd., 2016 NSSC 18, sont pertinentes :

[traduction

[11]      L’accès à la justice est une question importante. Les tribunaux prennent de plus en plus conscience de l’importance de rendre le processus judiciaire plus facilement accessible au public en utilisant des formulaires et des procédures plus simples et plus conviviaux, ainsi que des documents rédigés en langage clair. Un plaideur ne peut accéder librement au système judiciaire si les objectifs qu’il poursuit ne sont aucunement liés à une cause d’action légitime et s’il ne vise qu’à nuire le plus possible aux autres parties en abusant du processus de façon éhontée. Les tribunaux ont pour objectif la résolution contrôlée et retenue des conflits juridiques. Ils ne sont pas à la disposition des plaideurs qui paralysent les procédures judiciaires dans le seul but d’infliger une peine maximale à leurs adversaires.

[...]

[51]      Les tribunaux doivent demeurer ouverts aux personnes difficiles, récalcitrantes, désagréables, déraisonnables, insensées, irrationnelles, inefficaces et mesquines. Les recours de ces personnes ne se limitent pas à rédiger des blogues et à publier des billets sur des sites Web de nouvelles. Dans une certaine mesure, le système juridique peut devenir une tribune pour les personnes en colère. Toutefois, lorsqu’une personne en vient à utiliser de nombreux processus judiciaires comme moyen d’assouvir une vengeance contre un adversaire, le tribunal a le devoir de restreindre ses actions.

[10]           Dans l’ensemble, la présente demande est dénuée de tout fondement. Elle est radiée en totalité sans autorisation de la modifier et une indemnisation complète est accordée aux défendeurs. Les demandeurs ont présenté une requête au titre de l’article 369 afin qu’un jugement par défaut ne soit rendu contre les défendeurs pour le motif qu’aucune défense n’a été présentée. De toute évidence, aucun jugement par défaut ne peut être rendu puisque l’action à l’égard de laquelle un jugement par défaut est demandé constitue un recours abusif au système judiciaire et est scandaleuse, futile et vexatoire.

[11]           Les défendeurs ont sollicité une ordonnance, en vertu de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, déclarant les demandeurs plaideurs quérulents. Cet article de la Loi sur les Cours fédérales est libellé comme suit :

Poursuites vexatoires

Vexatious proceedings

40 (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

40 (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

Procureur général du Canada

Attorney General of Canada

(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d’être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l’objet de la requête.

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

Requête en levée de l’interdiction ou en autorisation

Application for rescission or leave to proceed

(3) Toute personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) peut, par requête au tribunal saisi de l’affaire, demander soit la levée de l’interdiction qui la frappe, soit l’autorisation d’engager ou de continuer une instance devant le tribunal.

(3) A person against whom a court has made an order under subsection (1) may apply to the court for rescission of the order or for leave to institute or continue a proceeding.

Pouvoirs du tribunal

Court may grant leave

(4) Sur présentation de la requête prévue au paragraphe (3), le tribunal saisi de l’affaire peut, s’il est convaincu que l’instance que l’on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation.

(4) If an application is made to a court under subsection (3) for leave to institute or continue a proceeding, the court may grant leave if it is satisfied that the proceeding is not an abuse of process and that there are reasonable grounds for the proceeding.

Décision définitive et sans appel

No appeal

(5) La décision du tribunal rendue aux termes du paragraphe (4) est définitive et sans appel.

(5) A decision of the court under subsection (4) is final and is not subject to appeal.

[12]           L’approche de la Cour et l’analyse des exigences à respecter pour qu’une ordonnance puisse être délivrée en vertu de l’article 40 ont récemment été abordées par madame la protonotaire Mandy Aylen dans la décision Holmes v Canada, 2016 FC 918. En l’espèce, les demandeurs présentent bon nombre des caractéristiques des plaideurs quérulents dont a fait mention madame la protonotaire Aylen dans la décision Holmes.

[13]           Cependant, il convient de noter qu’aux termes du paragraphe 40(2), le procureur général du Canada doit consentir à la présentation d’une demande d’ordonnance à l’égard d’une instance vexatoire et qu’il a le droit d’être entendu à l’audience de cette requête. Malheureusement, la requête des défendeurs qui sollicitaient une ordonnance en matière d’instances vexatoires doit être rejetée puisque la condition énoncée au paragraphe 40(2) n’a pas été remplie. En revanche, si cette condition avait été remplie, il aurait été approprié qu’une telle ordonnance soit rendue étant donné que trois actions ont été intentées relativement à la réalisation des droits hypothécaires, actions qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour. De plus, compte tenu de la multiplication des actions intentées par des plaideurs présentant une ACPO, ces ordonnances constituent, pour les tribunaux, une autre façon d’empêcher le recours abusif au système judiciaire.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.                  La déclaration est, par les présentes, radiée sans autorisation de la modifier.

2.                  Les défendeurs ont droit à une indemnisation complète dont le montant sera fixé par la Cour. Les défendeurs doivent déposer leurs observations relatives aux dépens au plus tard le 9 septembre 2016. Les demandeurs peuvent déposer des observations complémentaires au plus tard le 23 septembre 2016.

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire


                


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-927-16

INTITULÉ :

DWIGHT THOMPSON BEY, NICOLE THOMPSON BEY c. SRIRAM H. IYER [SRIRAM H. IYER] ET SON ÉPOUSE, BRYAN DEVRIES [BRYAN DEVRIES] ET SON ÉPOUSE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 août 2016

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE PROTONOTAIRE AALTO

DATE DES MOTIFS :

Le 30 août 2016

COMPARUTIONS :

DWIGHT THOMPSON BEY

NICOLE THOMPSON BEY

Pour les demandeurs

CRISTINA INTERNICOLA

Pour les défendeurs

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

DWIGHT THOMPSON BEY

NICOLE THOMPSON BEY

(Plaideurs profanes)

Pour les demandeurs

 

AGUECI & CALABRETTA

Avocats

TORONTO (ONTARIO)

Pour les défendeurs

 

 

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