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Date : 20170119


Dossier : IMM-2856-16

Référence : 2017 CF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 19 janvier 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

LY CHHOUM

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Ly Chhoum (la « demanderesse ») a déposé une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 9 juin 2016 (la « décision ») par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la « SAI ») a rejeté son appel contre une décision défavorable concernant une demande de parrainage. La présente demande est déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »).

[2]               La demanderesse, âgée de 55 ans, est originaire du Cambodge. Elle est arrivée au Canada en 2004 et a été parrainée par son second époux, Kim Seng. Elle a aujourd’hui la citoyenneté canadienne. Elle a deux enfants, issus de son premier mariage, qui l’ont accompagnée au Canada : son fils Sereyvath Mean, né le 23 janvier 1988, et sa fille Sokchia Mean, née le 20 décembre 1989.

[3]               Après l’arrivée de la demanderesse au Canada, son mariage avec M. Seng a échoué, et ils ont divorcé en 2006.

[4]               La demanderesse a connu M. Sorn Ra au Cambodge, à l’époque où ils étaient enfants et fréquentaient l’école primaire mais, par la suite, ils se sont perdus de vue. En 2007, elle est allée au Cambodge pour rendre visite à sa sœur. Lors de cette visite, elle a renoué avec Sorn Ra, après que celui-ci l’eut reconnue au marché.

[5]               La demanderesse soutient qu’ils sont tombés amoureux au cours de cette visite et que, après sept jours de fréquentations, Sorn Ra lui a fait une proposition de mariage (la « proposition »). La demanderesse a attendu d’être revenue au Canada pour accepter la proposition parce que, à cause de son divorce, elle restait prudente à l’idée d’un nouveau mariage.

[6]               Le couple s’est marié au Cambodge le 10 août 2008 dans le cadre d’une cérémonie bouddhiste. Environ 150 personnes ont assisté au mariage, dont la fille de la demanderesse (la « fille »), qui l’avait accompagnée depuis le Canada. Des membres des deux familles étaient présents. Après le mariage, le couple est parti en voyage de noces.

[7]               Plus de deux ans plus tard, soit le 25 septembre 2010, le mariage a été enregistré au Cambodge.

[8]               Après le mariage, la demanderesse est revenue au Canada. Par la suite, elle est allée rendre visite à son époux au Cambodge pendant quatre semaines en 2010, et quatre autres semaines en 2013. Elle avait aussi prévu d’y retourner en 2012, mais elle a dû annuler le voyage parce que sa fille devait subir une intervention chirurgicale. Le 23 décembre 2013, la demanderesse a eu un accident de la route. Elle a déclaré ne pas être retournée au Cambodge depuis ce temps parce qu’elle est malade et souffre de douleurs.

[9]               La demanderesse envoie régulièrement de l’argent à Sorn Ra au Cambodge et, en février 2011, le couple a acheté une exploitation agricole dans ce pays, en tant qu’associés à égalité de parts. La demanderesse a dit qu’elle a contribué la somme de 4 000 $ à cet achat.

[10]           La demanderesse a rempli une demande de parrainage concernant Sorn Ra, afin qu’il vienne au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Cette demande est datée du 17 novembre 2010, mais elle n’a pas été déposée avant le mois de mars 2011. Elle a été rejetée le 18 juillet 2013.

[11]           La demanderesse a interjeté appel de la décision auprès de la SAI, et une audience a eu lieu le 15 mars 2016. La demanderesse et sa fille ont témoigné en personne, et Sorn Ra a témoigné par téléphone. Le 9 juin 2016, la SAI a rendu la décision défavorable en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le « Règlement »).

I.                   Décision

[12]           La SAI a conclu que ni la demanderesse ni Sorn Ra n’avaient témoigné de manière crédible et que, selon la prépondérance des probabilités, le mariage avait été contracté dans le but de faciliter l’immigration et n’était pas authentique. La SAI a exprimé les doutes suivants :

                     La reconnaissance de la demanderesse n’a pas été expliquée

Sorn Ra a dit avoir reconnu la demanderesse au marché parce qu’il l’avait connue à l’école. Cependant, il ne l’avait pas vue depuis qu’elle était une enfant, inscrite en 4e ou en 5e année. Cela signifie qu’il ne l’avait pas vue depuis 45 ans environ. Quand on lui a demandé comment il avait fait pour la reconnaître, il n’a pas pu le dire.

                     La proposition a été faite à la hâte

Sorn Ra a déclaré que deux jours après leur première rencontre, il a dit à la demanderesse qu’il l’aimait et il a fait la proposition sept jours après leur première rencontre.

                     Le lieu de la proposition a changé

La demanderesse a dit tout d’abord que la proposition avait été faite au domicile de sa sœur mais, peu après, elle a dit qu’elle avait eu lieu lors d’un repas au marché. Enfin, elle a dit que Sorn Ra l’avait demandée en mariage aux deux endroits.

                     La fille n’a pas été prise en considération

La fille de la demanderesse vivait avec cette dernière au Canada; il n’y avait pourtant aucune preuve que la demanderesse ou Sorn Ra avait parlé du mariage avec la fille avant que la proposition soit faite ou acceptée.

                     Une preuve incohérente au sujet du voyage de noces

La demanderesse a déclaré que Sorn Ra et elle sont partis seuls en voyage de noces. Cependant, Sorn Ra a déclaré que la fille de la demanderesse les avait accompagnés.

                     Une preuve incohérente au sujet des plans envisagés

La demanderesse a déclaré qu’avant le mariage, Sorn Ra et elle n’avaient pas parlé de parrainage, ni de l’endroit où ils vivraient après leur mariage. Cependant, Sorn Ra a déclaré qu’ils avaient parlé de la question avant le mariage, et que la demanderesse voulait qu’ils vivent au Canada.

                     Sorn Ra savait peu de choses

Sorn Ra était fort peu au courant des antécédents matrimoniaux de la demanderesse. Il ignorait combien de temps son deuxième mariage avait duré ou pourquoi il avait échoué.

                     L’achat de l’exploitation agricole n’a pas été expliqué

Pour ce qui était de l’achat d’une exploitation agricole au Cambodge en février 2011, la demanderesse ignorait pourquoi il s’agissait d’un bon placement. Elle n’a pas pu dire non plus pourquoi elle avait investi dans un bien au Cambodge en février 2011, tout en parrainant Sorn Ra pour qu’il vienne au Canada. Elle a seulement dit que c’était à sa demande qu’elle avait acheté la propriété.

                     Les visites ont été rares

La demanderesse n’a rendu visite à Sorn Ra qu’à deux occasions. Elle a séjourné au Cambodge pendant quatre semaines en 2010 et, de nouveau, en 2013. Elle n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas fait d’autres visites durant les deux années qui avaient suivi le mariage ou en 2011.

                     Le mariage n’a pas été enregistré rapidement

Le mariage, célébré le 10 août 2008, n’a pas été enregistré au Cambodge avant le 25 septembre 2010. La demanderesse a expliqué que ce délai de plus de deux ans était un choix de leur part.

                     Le parrainage a duré trois ans

La demanderesse a attendu trois ans après le mariage pour parrainer Sorn Ra. Elle a expliqué qu’elle n’avait pas confiance en lui et qu’elle voulait observer son comportement.

                     Faibles preuves de communications régulières

La demanderesse et Sorn Ra ont produit des relevés de téléphone et de Skype, qui ne commencent qu’en juin 2013. La SAI a conclu que le couple ne communiquait pas de façon significative, car ni l’un ni l’autre n’ont pu décrire leurs conversations en détail. Ils ont simplement dit qu’ils se parlaient de leurs sentiments.

[13]           Il y a eu des éléments de preuve favorables, dont les suivants, qui dissipaient les doutes :

                    i.                        le mariage célébré en 2008 semblait être une célébration familiale à laquelle de nombreuses personnes avaient assisté;

                  ii.                        le couple avait des antécédents ethniques et religieux semblables et les deux se sentaient seuls;

                iii.                        la demanderesse envoyait régulièrement de l’argent à Sorn Ra. Les paiements ont commencé deux ans après le mariage. Le montant variait généralement entre 200 $ et 500 $. Cependant, il y en a eu un d’environ 1 100 $;

                iv.                        la demanderesse a dit avoir investi la somme de 4 000 $ dans l’exploitation agricole à la demande de son époux. Il n’y avait aucune preuve documentaire du paiement. Toutefois, son nom figurait sur l’acte de propriété.

II.                Questions en litige et analyse

[14]           La demanderesse dit que la décision est déraisonnable parce que la SAI s’est livrée à des conjectures, a fait abstraction des éléments de preuve favorables et a examiné les témoignages à la loupe. Elle ajoute que la SAI a manqué aux principes d’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de dissiper ses doutes.

[15]           Selon la demanderesse, il était déraisonnable que la SAI émette l’hypothèse que le fait d’avoir attendu trois ans avant de parrainer Sorn Ra était dû au fait qu’elle s’inquiétait de ce que dernier l’avait épousée en vue de faciliter son immigration (l’« hypothèse »). À l’audience, on a demandé à la demanderesse d’expliquer ce délai et elle a répondu qu’elle n’avait pas confiance en Sorn Ra et qu’elle voulait observer son comportement. Ni l’avocate de la demanderesse ni la SAI ne lui ont demandé d’expliquer son manque de confiance. Dans ces circonstances, il n’y avait pas assez de preuve pour justifier l’hypothèse, et je conclus donc que celle-ci était déraisonnable. Cependant, cette erreur est peu importante si l’on considère la décision de la SAI dans son ensemble.

[16]           La demanderesse dit aussi que la SAI a fait abstraction des éléments de preuve favorables ou les a atténués. Toutefois, cet argument ne me convainc pas. Tous ces éléments de preuve ont été pris en considération, mais il a été conclu qu’ils ne dénotaient pas l’authenticité du mariage.

[17]           La demanderesse soutient que la SAI a commis une erreur quand elle a déclaré qu’aucune preuve n’avait été présentée pour montrer comment Sorn Ra avait fait pour la reconnaître après tant d’années. Elle ajoute avoir déclaré qu’il lui avait dit qu’il se souvenait d’elle, depuis l’époque où elle fréquentait l’école. Manifestement insatisfaite de son témoignage, la SAI a continué de se demander, avec raison selon moi, comment il se faisait que Sorn Ra ait pu reconnaître une femme mûre, d’âge moyen, à partir des souvenirs qu’il avait d’elle en tant qu’enfant.

[18]           La demanderesse a déclaré également que la SAI avait fait abstraction d’éléments de preuve concernant la raison pour laquelle ils étaient tombés amoureux l’un de l’autre et avaient convenu de se marier. La SAI a toutefois déclaré dans sa décision que la demanderesse « n’a fait qu’insister sur le fait qu’ils ont la même origine ethnique » et, elle a ajouté plus tard qu’il « est gentil et doux et qu’il l’aime ». La SAI n’a donc pas fait abstraction de ces éléments de preuve.

[19]           Selon la demanderesse, il était déraisonnable de la part de la SAI de douter que la proposition avait trait à un mariage authentique parce qu’il n’y avait aucune preuve que l’une ou l’autre des parties avait tenu compte des enfants d’âge adulte de la demanderesse. Il est loisible à la SAI de tirer des inférences à partir d’un manque de preuve mais de telles inférences ne doivent être tirées que dans des cas évidents. Dans la présente affaire, la fille a été très malade, n’est pas encore remise sur pied et vit avec la demanderesse. Dans ces circonstances, il était raisonnable de tirer une inférence défavorable du fait que ni la demanderesse ni Sorn Ra n’ont envisagé de discuter de la proposition avec la fille.

[20]           L’une des principales préoccupations de la SAI était le manque de communications significatives (la « conclusion tirée »). La demanderesse dit que les relevés de téléphone et de Skype (collectivement, les « relevés »), qui font état d’échanges réguliers et nombreux, n’ont pas été pris en compte. Il est vrai que la SAI n’a pas mentionné les relevés. Toutefois, on présume qu’ils ont été pris en compte, et la SAI n’était tenue d’y faire référence que si elle contredisait la conclusion tirée. Je les ai donc passés en revue et j’ai conclu qu’ils ne contredisent pas la conclusion tirée. Elles font état d’un minimum d’échanges. Pour cette raison, la SAI n’a pas commis d’erreur en omettant d’y faire référence. Mes raisons incluent les suivantes :

                     pendant les sept mois qui se sont écoulés entre les mois de juin et de décembre 2013, il y a eu des appels téléphoniques d’une durée d’environ 3 heures en tout. De plus, il n’y a aucune preuve qu’au cours de cette période des appels ont été faits en juillet, en août ou en novembre;

                     pendant les quatre mois qui se sont écoulés entre les mois de janvier et d’avril 2014, il y a eu des appels d’une durée d’environ 6 heures en tout. Cependant, il n’y a aucune preuve que des appels téléphoniques ont été faits entre les mois de mai et d’août 2014, date à laquelle les relevés téléphoniques prennent fin;

                     les relevés de Skype commencent en septembre 2014 et ne sont pas clairs pour ce mois-là. Cependant, dans l’année qui s’est écoulée entre les mois d’octobre 2014 et d’octobre 2015, la demanderesse et Sorn Ra ont passé environ 21 heures, soit deux heures par mois seulement, sur Skype. Il n’existe aucune preuve de contacts faits par Skype seulement en août et en septembre 2015.

[21]           Cet examen donne également à penser que la demanderesse n’a pas dit la vérité lorsqu’elle a déclaré que Sorn Ra et elle communiquaient par téléphone et par Skype deux à trois fois par semaine.

[22]           La demanderesse dit aussi que la SAI a manqué aux règles d’équité procédurale quand la commissaire a omis de l’informer que le manque de communications significatives la préoccupait. La demanderesse dit qu’il aurait fallu lui donner la possibilité de répondre à cette préoccupation.

[23]           Cet argument ne me convainc pas. La demanderesse savait que la question des communications significatives serait un problème parce que la décision défavorable au sujet du parrainage, qui avait donné lieu à l’appel, reposait en partie sur un manque de preuve à propos de communications significatives. Dans ces circonstances, la demanderesse ne peut pas se plaindre qu’on ne lui a pas dit que ce sujet préoccuperait la SAI.

[24]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

III.             Question certifiée

[25]           Aucune question à certifier n’a été proposée en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2856-16

INTITULÉ :

LY CHHOUM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 DÉcembrE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DU JUGEMENT :

LE 19 JanVIER 2017

COMPARUTIONS :

Robin L. Seligman

Sandra Dzever

POUR LA DEMANDERESSE

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin L. Seligman

Professional Corporation

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général
du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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