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Date : 20170127


Dossier : IMM-2443-16

Référence : 2017 CF 108

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MA. THERESA MADERA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Résumé

[1]               Mme Madera, la demanderesse, est une citoyenne des Philippines qui est arrivée au Canada en octobre 2010 pour travailler dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants. Son permis de travail exigeait qu’elle travaille pour l’employeur identifié dans le permis. Cependant, elle ne l’a pas fait. Elle a ultérieurement changé d’employeurs et, en 2012, a présenté une demande en vue d’obtenir un nouveau permis de travail pour refléter son employeur actuel. Sa demande de 2012 a été rejetée en raison de la non-divulgation des accusations criminelles, des renseignements qui étaient requis sur le formulaire de demande. En mai 2013, elle a encore présenté une autre demande et à ce moment-là, elle a reçu l’ordre de quitter le Canada. Elle n’a pas quitté le Canada comme cela lui a été ordonné. En mai 2014, elle a présenté une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire depuis le Canada.

[2]               Sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire a d’abord été rejetée, mais avec le consentement des parties, la demande a été renvoyée aux fins d’un nouvel examen. En mai 2016, la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire a été rejetée de nouveau. C’est cette deuxième décision de rejet que vise la demande dont je suis saisie.

[3]               Mme Madera prétend que la décision devrait être annulée et l’affaire renvoyée pour qu’un nouvel examen soit effectué. Elle soutient que l’évaluation par l’agent d’immigration (l’agent) de son degré d’établissement au Canada était déraisonnable et soutient que l’agent n’a pas procédé à l’analyse de l’intérêt supérieur de la fille de sa sœur aux Philippines.

[4]               La demande exige que je tranche les questions suivantes :

A.   L’analyse de l’établissement était-elle déraisonnable?

B.   Les conclusions tirées contredisaient-elles directement la preuve?

C.   L’agent a-t-il omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[5]               Ayant pris en considération les observations orales et écrites des parties, je ne vois aucun motif me permettant d’intervenir. Je suis d’avis que la décision de l’agent était raisonnable. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.                 Norme de contrôle applicable

[6]               Une décision d’un agent rendue en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Walker c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 447, aux paragraphes 31-32 et Kisana c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18). Une cour de révision doit reconnaître que la décision est de nature hautement discrétionnaire et appelle une retenue (Ngyuen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 27, au paragraphe 17).

III.               Analyse

A.                 L’analyse de l’établissement était-elle déraisonnable?

[7]               En examinant l’établissement de Mme Madera au Canada, l’agent a reconnu son emploi et le fait qu’elle avait déclaré des revenus entre 2010 et 2014. L’agent était empathique au fait que Mme Mandera avait peut-être été submergée par les exigences administratives à son arrivée au Canada, mais a souligné qu’elle n’avait jamais travaillé légalement au Canada. L’agent a également souligné que Mme Madera avait plaidé coupable aux chefs d’accusation pour vol, qu’elle n’avait pas mentionné ces accusations dans sa demande de permis de 2012, et qu’elle prétendait maintenant qu’elle n’était pas coupable de vol, mais qu’elle avait plaidé coupable aux accusations sur la recommandation de son avocat. L’agent a aussi noté que Mme Madera n’avait pas respecté l’ordonnance de 2013 lui enjoignant de quitter le Canada. L’agent a reconnu qu’elle avait certains membres de la famille au Canada, qu’elle avait tissé des liens d’amitié et qu’elle était active au sein de l’église et des organismes communautaires. L’agent a ensuite conclu que l’établissement de Mme Madera était sapé par son défaut de se conformer aux lois canadiennes. L’agent a conclu que Mme Madera avait agi de mauvaise foi en omettant de déployer les efforts nécessaires pour régulariser son statut dans un délai raisonnable.

[8]               La demanderesse fait valoir qu’en tirant cette conclusion, l’agent était préoccupé par son absence de statut au Canada et a conclu de manière déraisonnable que ce fait mettait en échec les facteurs positifs prouvant son établissement. Elle soutient que l’agent n’a pas tenu compte de ses tentatives d’obtenir un permis de travail, mais s’est concentré sur le retard qu’elle accusait dans sa démarche pour régulariser son statut au Canada dans un délai raisonnable. Elle s’appuie sur l’affaire Fidel Baeza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 362 [Fidel Bazea], aux paragraphes 16 à 18 pour soutenir que le fait de travailler sans permis de travail est une violation mineure qui ne justifie pas une abstraction totale de l’établissement d’une personne qui présente une demande pour des considérations d’ordre humanitaire. Elle prétend que l’agent n’a pas procédé à une analyse pour déterminer si son degré d’établissement était suffisant pour justifier une prise en compte des considérations d’ordre humanitaire. Je ne suis pas convaincu.

[9]               Mme Madera s’élève contre le fait que l’agent a tiré des inférences négatives de son absence continue d’un statut valide au Canada. Toutefois, la jurisprudence a reconnu que « … les demandeurs ne peuvent ni ne doivent être « récompensés » pour avoir passé du temps au Canada alors qu’en fait, ils n’avaient pas le droit de le faire. Dans le même ordre d’idée, on doit légalement chercher à être autonome, et un demandeur ne doit pas pouvoir invoquer ses actes illégaux pour revendiquer par la suite un avantage comme une dispense ministérielle. » (Tartchinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF n° 373 (CF), au paragraphe 22).

[10]           Même si un agent peut agir de façon déraisonnable lorsque la question du statut juridique conduit à l’omission d’un agent de tenir compte des difficultés inhabituelles ou excessives (Klein c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1004) ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. L’analyse de l’agent ne s’est pas arrêtée avec la détermination que Mme Madera avait omis de régulariser son statut juridique. En revanche, en déterminant qu’il n’y avait aucune difficulté inhabituelle ou excessive justifiant une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a entrepris une analyse de la situation économique aux Philippines, a répondu à la prétention de Mme Madera selon laquelle elle soutenait ses parents, sa sœur et sa nièce aux Philippines et a tenu compte de ses possibilités d’emploi aux Philippines.

[11]           L’analyse du degré d’établissement effectuée par l’agent a été influencée par un certain nombre de facteurs notamment le déni par Mme Madera de responsabilité pour sa conduite criminelle précédemment reconnue et son omission de divulguer cette conduite aux agents des services d’immigration. Cette affaire diffère des circonstances de l’affaire Fidel Bazea où la Cour a conclu que les conclusions de l’agent n’étaient pas étayées par les éléments de preuve et qu’une légère contradiction ayant trait aux antécédents professionnels reflétait une erreur d’écriture, et non une tentative d’induire en erreur. C’est dans ce contexte que la Cour a établi que le fait de travailler pendant certaines périodes sans permis de travail était une « violation relativement mineure ».

[12]           Dans la présente affaire, je ne suis pas convaincu que l’agent a mal interprété la preuve ou est parvenu à des conclusions non étayées par la preuve. L’agent a plutôt permis [traduction] « … une certaine flexibilité concernant les déviances juridiques de la demanderesse … » mais a conclu que l’absence de bonne foi était déterminante dans toutes les circonstances. La conclusion n’était pas déraisonnable et les raisons données reflètent les exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité.

B.                 L’agent a-t-il tiré des conclusions qui contredisent directement la preuve?

[13]           Mme Madera affirme que l’agent a fait fi de la preuve des difficultés auxquelles elle sera confrontée après son renvoi au motif qu’elle n’avait pas pu établir le soutien continu offert à sa famille. Elle prétend que cette conclusion est contraire à son témoignage sous serment et aux lettres de ses parents et de sa sœur. Je ne suis pas d’accord.

[14]           L’agent relève de la preuve de Mme Madera qu’elle [traduction« …répond actuellement aux besoins de ses parents et des enfants de sa sœur. » En évaluant ces éléments de preuve, l’agent a aussi constaté qu’elle avait fourni des preuves sous forme de transferts d’argent effectués en 2011 et en 2012, mais qu’elle n’avait fourni aucun élément de preuve supplémentaire pour établir que ce soutien a continué après 2012.

[15]           Mme Madera s’élève contre le fait que l’agent ait omis de mentionner les lettres de juin et de juillet de ses parents et de sa sœur indiquant qu’un soutien financier leur avait été fourni. Bien que les lettres fassent référence au soutien financier, elles ne fournissent aucun détail de ce soutien et ne contredisent pas la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’a pas établi un soutien continu après 2012. Même si j’aurais préféré que l’agent traite expressément de cet élément de preuve, les déclarations générales de soutien ne contredisent pas directement la conclusion de l’agent. Il convient de noter qu’un décideur n’est pas obligé de traiter de la totalité des éléments de preuve et des arguments soumis par un demandeur (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16).

[16]           La conclusion de l’agent était que Mme Madera n’avait pas versé suffisamment d’éléments de preuve au dossier pour établir un soutien financier continu aux membres de sa famille aux Philippines. Cette conclusion ne contredisait pas directement la preuve présentée à l’agent et lui était normalement accessible.

C.                 L’agent a-t-il omis de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant?

[17]           Mme Madera affirme que l’agent n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de sa nièce à qui elle prétendait fournir du soutien financier pour lui permettre de poursuivre ses études aux Philippines. Je ne suis pas d’accord.

[18]           Mme Madera a fourni peu d’éléments de preuve de l’impact de son retour aux Philippines sur sa nièce. Les éléments de preuve soumis parlaient du soutien financier pour aller à l’école, mais étaient incohérents relativement au nombre de nièces et au degré, s’il y a lieu, de soutien fourni à ces nièces. La preuve ne démontre pas non plus la fourniture d’un soutien financier après 2012. L’examen par l’agent de l’intérêt supérieur de l’enfant était raisonnable compte tenu des circonstances de l’espèce.

IV.              Conclusion

[19]           Je conclus que les conclusions de l’agent étaient raisonnables et qu’il n’y a aucune raison de modifier la conclusion selon laquelle les motifs d’ordre humanitaire présentés par Mme Madera ne justifient pas une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[20]           Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2443-16

 

INTITULÉ :

MA. THERESA MADERA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JANVIER 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Jean Marie Vecina

Pour la demanderesse

 

Margherita Braccio

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vecina & Sekhar

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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