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Date : 20170131


Dossier : T-956-16

Référence : 2017 CF 119

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

THOMAS GORDON GERARD LESLIE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  À son retour au Canada, le demandeur – un résident canadien qui était aux États-Unis pour une journée – a omis de déclarer des marchandises qu’il avait achetées ce jour-là aux États-Unis. Les marchandises non déclarées ont été saisies et confisquées aux termes des dispositions applicables de la Loi sur les douanes, LRC (1985), c 1 (2e suppl.). Leur valeur est de 220,45 $ US. Le demandeur a dû payer 155,20 $ CA pour les récupérer après leur saisie. En outre, sa participation au programme NEXUS a été annulée après cet incident.

[2]  Le demandeur demande à la Cour d’examiner les mesures prises le 26 mai 2016 par la Direction des recours de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), agissant au nom du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeur ou ministre), qui devait restituer le montant de 155,20 $ CA payé par le demandeur pour le retour des marchandises saisies. Le demandeur demande à la Cour d’annuler cette décision par un bref de certiorari. En outre, le demandeur demande à la Cour d’ordonner au défendeur d’effectuer un examen externe de la conduite des agents des douanes, qui établit, selon lui, l’existence de partialité et qui constitue une violation de l’équité procédurale.

Preuve inadmissible

[3]  Le demandeur a présenté avec son affidavit des lettres de recommandation de ses pairs afin de prouver sa bonne conduite en tant que citoyen (des lettres de recommandation pour la nomination du demandeur au prix de l’ancien élève de l’année à l’Université Wilfrid Laurier et pour la médaille du jubilé de diamant de la Reine Elizabeth II). Quoi qu’il en soit, le défendeur demande à la Cour d’exclure ces lettres étant donné que ces documents ne faisaient pas partie du dossier dont le délégué était saisi.

[4]  L’objection du défendeur est bien fondée. Normalement, un demandeur ne peut s’appuyer sur des éléments de preuve extrinsèques qui n’avaient pas été présentés au décideur administratif (Toney c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 904, [2009] ACF no 1128, au paragraphe 63, citant Asafov c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 713, au paragraphe 2; Turnusbayev c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 532, [2012] ACF no 1700, aux paragraphes 47 et 51). Les documents en question ne relèvent pas des exceptions reconnues (par exemple, une preuve qui établit une crainte de partialité) (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, [2012] ACF no 93, aux paragraphes 19 et 20; Bernard c Canada (Agence du Revenu), 2015 CAF 263, [2015] ACF no 1396, au paragraphe 25). Par conséquent, les lettres présentées par le demandeur auraient dû être exclues du dossier de la Cour; elles ne seront donc pas examinées par la Cour.

[5]  La présente demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

Contexte

[6]  Le 31 janvier 2016, le demandeur et sa conjointe de fait ont entrepris une excursion d’une journée à Burlington. Durant leur séjour, le demandeur a dû acheter de nouveaux vêtements afin de remplacer son pantalon qui s’était accidentellement déchiré pendant leur voyage. À 15 h 56 le même jour, le demandeur est arrivé au poste frontalier de Saint-Armand et a traversé par la voie NEXUS. Le programme NEXUS est conçu pour accélérer le passage à la frontière pour des voyageurs préautorisés à faible risque entre le Canada et les États-Unis. Il est géré conjointement par l’ASFC et la Customs and Border Protection des États-Unis.

[7]  L’agente des douanes principale (l’agente principale) a interrogé le demandeur et sa conjointe sur l’objectif de leur visite aux États-Unis. Le demandeur a déclaré avoir passé la journée à Burlington et qu’ils n’ont dépensé que 60 $ pour l’épicerie. L’agente principale a trouvé bizarre le fait de voyager si loin uniquement pour faire des achats à l’épicerie, et elle a soupçonné la présence de marchandises non déclarées, puis a renvoyé le demandeur et sa conjointe à une ligne d’inspection secondaire (dossier certifié à l’onglet 5). Lors de la fouille du véhicule, les agents des douanes ont trouvé des éléments de preuve selon lesquels des marchandises n’avaient pas été déclarées d’après un reçu de pharmacie et un reçu de produits pour chiens. Ils ont également trouvé un nouveau pantalon, une paire de gants et un manteau dans le coffre de la voiture, sans aucune étiquette. En outre, les agents des douanes ont trouvé un sac en plastique vide de MACY’s soigneusement plié dans l’une des poches du sac de la conjointe du demandeur. Lorsqu’il a été interrogé sur ces articles, le demandeur a d’abord expliqué que les vêtements étaient un échange de MACY’s. Toutefois, le demandeur n’était pas capable de trouver son reçu papier pour le démontrer. L’agente principale l’a informé que, sans reçu ou une preuve d’échange, elle serait obligée de supposer que ces articles avaient été achetés le même jour. Ayant entendu cette information, le demandeur a tenté de trouver des éléments de preuve à l’appui de sa position. Le demandeur a montré alors un reçu électronique qui montrait l’achat de deux pantalons, une paire de gants et un manteau chez MACY’s au montant total de 220,45 US (dossier certifié à l’onglet 5). La conjointe du demandeur s’est alors disputée avec les agents des douanes, soutenant que ces vêtements, surtout le pantalon que le demandeur portait à ce moment-là, ne pouvaient être considérés comme neufs étant donné qu’il les avait portés pendant la journée.

[8]  Avec toutes ces allégations et les éléments de preuve trouvés dans le véhicule, les agents des douanes ont conclu que le demandeur et sa conjointe se sont efforcés de cacher des marchandises non déclarées, même s’ils étaient conscients des règles et des conditions strictes imposées par leur participation au programme NEXUS. Par conséquent, les agents des douanes ont procédé à la saisie des vêtements et des cartes NEXUS du demandeur ainsi que de sa conjointe, qu’ils ont considérée comme une co-contrevenante. Étant donné que les membres du programme NEXUS sont tenus à un niveau de confiance plus élevé, la saisie des marchandises du demandeur a été effectuée au niveau 2, plutôt qu’au niveau 1. Le demandeur a alors payé 155,20 $ CA, ce qui revient à 50 % de la valeur des marchandises non déclarées, afin de récupérer les vêtements saisis.

[9]  À la suite de cet événement, le demandeur a été informé que son adhésion au programme NEXUS avait été annulée en raison de sa violation de la Loi sur les douanes et du Règlement (dossier certifié à l’onglet 18). Par conséquent, le demandeur n’est pas admissible à présenter une nouvelle demande avant un délai de six ans, à moins d’obtenir une décision favorable lors d’un appel officiel contre la mesure d’exécution des douanes ou un rejet officiel de l’accusation contre lui (rapport certifié à l’onglet 19). Quoi qu’il en soit, à l’audience, la Cour a été informée par le demandeur qu’il a par la suite présenté des observations aux personnes responsables du programme NEXUS et il avait été informé en octobre 2016 que l’affaire était mise en suspens en attendant que la présente demande de contrôle judiciaire fasse l’objet d’une décision définitive.

[10]  Entre-temps, le 17 février 2016, conformément à l’article 129 de la Loi sur les douanes, le demandeur a déposé une lettre auprès de l’ASFC demandant au ministre d’examiner la mesure d’exécution prise contre lui et sa conjointe, surtout concernant la saisie de leurs cartes NEXUS. Le demandeur a soutenu qu’au moment de l’incident, il avait un problème de santé qui affaiblissait ses capacités cognitives. Le demandeur a « accepté » le fait qu’il a fait preuve de négligence, mais étant donné [traduction] « la nature accidentelle de son omission », il a demandé au ministre d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour annuler la suspension de sa carte NEXUS (dossier certifié à l’onglet 15).

[11]  Le 11 mars 2016, l’arbitre nommée au dossier (arbitre) a envoyé un avis de motifs d’exécution au demandeur, avec une copie du rapport descriptif des agents des douanes qui avaient traité cette affaire. Dans son avis de motifs d’exécution, l’arbitre a explicitement souligné que la portée du contrôle aux termes de l’article 129 de la Loi sur les douanes ne comprend pas un examen de l’adhésion au programme NEXUS ni un examen de ses préoccupations concernant la conduite des agents des douanes.

[12]  Le 22 mars 2016, le demandeur a fourni d’autres renseignements concernant l’incident et a soulevé quelques préoccupations au sujet du comportement de l’agente principale pendant la procédure de la saisie, étant donné qu’elle ne s’est pas préoccupée du bien-être de son chien, a fait des déclarations qui n’étaient pas véridiques, et a porté atteinte à sa vie privée, protection à laquelle il pouvait s’attendre, en lui demandant le mot de passe de son téléphone cellulaire. En outre, le demandeur a remis en question le délai entre les différents rapports descriptifs des agents des douanes et a interjeté appel contre le niveau de saisie qui lui a été imposé.

[13]  Le 8 avril 2016, l’arbitre a présenté un avis de motifs d’exécution supplémentaire afin de répondre aux préoccupations du demandeur (dossier certifié à l’onglet 42). Premièrement, elle lui a rappelé qu’en application de la Loi sur les douanes, toutes les marchandises amenées au Canada devaient être déclarées, qu’elles soient neuves ou d’occasion. Deuxièmement, bien que les circonstances de la saisie garantissent normalement une saisie au niveau 1, il y a un degré de tolérance zéro pour les membres d’un programme de mainlevée accélérée qui ne s’y conforment pas. En outre, la procédure NEXUS ordonne aux agents des douanes de prendre la carte du membre lors de l’exécution d’une saisie. Troisièmement, l’arbitre a conclu que le demandeur a donné volontairement le mot de passe de son téléphone cellulaire aux agents des douanes. Il a été établi plus tard dans le processus que les agents des douanes soupçonnaient qu’ils pourraient trouver un élément de preuve concernant des marchandises non déclarées dans le téléphone cellulaire. Par conséquent, les agents des douanes avaient un motif raisonnable de rechercher des éléments de preuve supplémentaires dans son téléphone cellulaire. Enfin, malgré toutes les plaintes du demandeur concernant le processus de saisie, l’arbitre a affirmé que les nombreuses allégations du type « la parole de l’un contre la parole de l’autre » ne changeaient rien au simple fait qu’il avait violé l’article 12 de la Loi sur les douanes.

[14]  Le 25 mai 2016, l’arbitre a présenté ses recommandations définitives, dans lesquelles elle a confirmé que le demandeur avait violé l’article 12 de la Loi sur les douanes en ne déclarant pas tous les achats qu’il avait faits aux États-Unis. Qu’il s’agisse d’un simple oubli ou d’un effet secondaire d’un médicament, l’arbitre a conclu que le demandeur n’était pas dispensé de remplir son obligation en matière de déclaration, ce qui justifie la saisie. Enfin, l’arbitre a recommandé de maintenir cette saisie. Bien que le demandeur se soit plaint à plusieurs reprises du processus de saisie, l’arbitre souligne que la portée de l’examen se limite à la mesure d’exécution, pour laquelle il y avait bien assez d’éléments de preuve pour confirmer l’infraction.

Règlement définitif de l’appel par le délégué

[15]  Le 26 mai 2016, le délégué à la Division des appels de la Direction des recours (délégué) a écrit une lettre pour informer le demandeur de [traduction] « la décision ministérielle concernant l’appel susmentionné » : a) premièrement, le délégué a décidé, conformément à l’article 131 de la Loi sur les douanes, qu’il y a bien eu une violation de la Loi sur les douanes ou de son Règlement concernant les marchandises saisies (décision sur la contravention); b) deuxièmement, le délégué a également conclu que le montant de 155,20 $ devrait demeurer confisqué conformément à l’article 133 de la Loi sur les douanes (décision concernant la pénalité).

Questions de procédure et de compétence

[16]  Bien que les conclusions du délégué concernant la violation commise par le demandeur et la décision concernant la pénalité imposée au demandeur soient étroitement liées, d’un point de vue juridique, elles doivent être traitées comme des décisions séparées. En outre, elles suivent des procédures bien différentes en cas de contestation.

[17]  Les paragraphes 131(1) et (3), qui doivent être interprétés conjointement avec l’article 135 de la Loi sur les douanes, régissent la décision sur la violation :

131(1) Après l’expiration des trente jours visés au paragraphe 130(2), le ministre étudie, dans les meilleurs délais possibles en l’espèce, les circonstances de l’affaire et décide si c’est valablement qu’a été retenu, selon le cas :

131(1) After the expiration of the thirty days referred to in subsection 130(2), the Minister shall, as soon as is reasonably possible having regard to the circumstances, consider and weigh the circumstances of the case and decide

 

a) le motif d’infraction à la présente loi ou à ses règlements pour justifier soit la saisie des marchandises ou des moyens de transport en cause, soit la signification à leur sujet de l’avis prévu à l’article 124;

(a) in the case of goods or a conveyance seized or with respect to which a notice was served under section 124 on the ground that this Act or the regulations were contravened in respect of the goods or the conveyance, whether the Act or the regulations were so contravened;

 

[...]

 

[...]

 

(3) La décision rendue par le ministre en vertu du paragraphe (1) n’est susceptible d’appel, de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues au paragraphe 135(1).

 

(3) The Minister’s decision under subsection (1) is not subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by subsection 135(1).

 

[...]

 

[...]

 

135(1) Toute personne qui a demandé que soit rendue une décision en vertu de l’article 131 peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de cette décision, en appeler par voie d’action devant la Cour fédérale, à titre de demandeur, le ministre étant le défendeur.

 

135(1) A person who requests a decision of the Minister under section 131 may, within ninety days after being notified of the decision, appeal the decision by way of an action in the Federal Court in which that person is the plaintiff and the Minister is the defendant.

 

(2) La Loi sur les Cours fédérales et les règles prises aux termes de cette loi applicables aux actions ordinaires s’appliquent aux actions intentées en vertu du paragraphe (1), sous réserve des adaptations occasionnées par les règles particulières à ces actions.

(2) The Federal Courts Act and the rules made under that Act applicable to ordinary actions apply in respect of actions instituted under subsection (1) except as varied by special rules made in respect of such actions.

[Je souligne]

[Emphasis added]

 

[18]  D’autre part, le paragraphe 133(1) de la Loi sur les douanes régit la décision concernant la pénalité :

133(1) Le ministre, s’il décide, en vertu des alinéas 131(1)a) ou b), que les motifs d’infraction et, dans le cas des moyens de transport visés à l’alinéa 131(1)b), que les motifs d’utilisation ont été valablement retenus, peut, aux conditions qu’il fixe :

133(1) Where the Minister decides, under paragraph 131(1)(a) or (b), that there has been a contravention of this Act or the regulations in respect of the goods or conveyance referred to in that paragraph, and, in the case of a conveyance referred to in paragraph 131(1)(b), that it was used in the manner described in that paragraph, the Minister may, subject to such terms and conditions as the Minister may determine,

a) restituer les marchandises ou les moyens de transport sur réception du montant déterminé conformément au paragraphe (2) ou (3), selon le cas;

(a) return the goods or conveyance on receipt of an amount of money of a value equal to an amount determined under subsection (2) or (3), as the case may be;

 

b) restituer toute fraction des montants ou garanties reçus;

(b) remit any portion of any money or security taken; and

 

c) réclamer, si nul montant n’a été versé ou nulle garantie donnée, ou s’il estime ces montant ou garantie insuffisants, le montant qu’il juge suffisant, à concurrence de celui déterminé conformément au paragraphe (4) ou (5), selon le cas.

(c) where the Minister considers that insufficient money or security was taken or where no money or security was received, demand such amount of money as he considers sufficient, not exceeding an amount determined under subsection (4) or (5), as the case may be.

 

[Je souligne]

[Emphasis added]

 

[19]  La jurisprudence a clairement établi que la décision sur la violation et la décision concernant la pénalité sont distinctes et doivent être contestées séparément par voie d’action ou de demande, selon le cas (Pounall c Canada (Agence des services frontaliers), 2013 CF 1260 (CanLII), [2013] ACF no 1390, au paragraphe 15; Conseil des Mohawks d’Akwesasne c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1442, [2012] ACF no 1685, au paragraphe 21; Akinwande c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2012 CF 963, [2012] ACF no 1025, aux paragraphes 10 et 11; Nguyen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 724, [2009] ACF no 8844, aux paragraphes 19 à 22 [Nguyen]; Hamod c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 937, [2015] ACF no 952, aux paragraphes 16 à 19).

[20]  La lettre du 26 mai 2016 aurait pu donner davantage de détails, mais il demeure vrai qu’elle informe au moins le demandeur que la décision rendue en application de l’article 131 de la Loi sur les douanes peut faire l’objet d’un appel au moyen d’une action devant la Cour fédérale dans un délai de 90 jours, alors que la décision concernant la pénalité en application de l’article 133 de la Loi sur les douanes peut à son tour faire l’objet d’un appel au moyen d’une demande de contrôle judiciaire devant la même Cour dans un délai de 30 jours.

Observations des parties

[21]  Pour résumer, le demandeur ne conteste pas les conclusions précédentes, faites par les agents des douanes et confirmées lors de l’appel par le délégué, selon lesquelles il avait omis de déclarer les marchandises saisies et que, ce faisant, il avait violé l’article 12 de la Loi sur les douanes (infraction). Toutefois, il soutient que le délégué a commis une erreur lors de l’appel en refusant d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour alléger sa pénalité. Ainsi, le demandeur allègue qu’un nombre important d’éléments dans l’affaire auraient été favorables à une sanction moins élevée, tels que l’inconduite des agents des douanes, sa coopération lors de la saisie, et son bon comportement. En effet, le demandeur souligne que les agents des douanes n’avaient aucun droit de demander le mot de passe de son téléphone cellulaire ni de déverrouiller son téléphone afin d’en extraire des renseignements personnels. Le demandeur soutient que, selon le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, la question de l’attente raisonnable concernant la vie privée en ce qui concerne les appareils téléphoniques cellulaires à la frontière demeure sans définition dans la jurisprudence. Par conséquent, le délégué aurait dû accorder plus de poids à ce facteur dans son appréciation globale de la saisie. En outre, le demandeur soutient que son omission de demander des clarifications à l’agent des services frontaliers était influencée par son problème de santé (pièce jointe A du demandeur). Bien qu’il ne conteste pas son omission, le demandeur soutient respectueusement devant la Cour qu’il n’avait pas l’intention de cacher ses achats ni de tromper les agents des douanes. Au moment de la déclaration, il avait l’impression erronée qu’il n’était pas nécessaire qu’il déclare ces marchandises puisque c’étaient des achats nécessaires. Par conséquent, la seule conclusion raisonnable que le délégué aurait dû tirer aurait été de réduire sa confiscation à zéro et de supprimer son dossier auprès de l’ASFC, afin qu’il puisse récupérer ses privilèges liés à NEXUS.

[22]  Le demandeur soutient que la décision du délégué était déraisonnable. Le demandeur a admis à plusieurs occasions avoir violé la Loi sur les douanes et a reconnu qu’il devait les 155,20 $ en raison de sa négligence de déclarer ses marchandises. Le délégué a donc correctement évalué le niveau de saisie en fonction de l’adhésion du demandeur au programme NEXUS. Le délégué a ensuite considéré que le montant demandé par les agents des douanes était raisonnable et il a choisi de maintenir la confiscation dudit montant, étant donné qu’il représente 50 % de la valeur des marchandises saisies. Par conséquent, le défendeur allègue que, lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il était saisi et de la nature de la tâche que lui confie la loi, les motifs du délégué expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 18). De plus, les arguments du demandeur ne sont pas convaincants. Le demandeur soutient plutôt que l’incidence de sa contravention à la Loi sur les douanes, qu’il avait admise, était trop sévère étant donné qu’elle lui a indirectement coûté son adhésion au programme NEXUS pour les six prochaines années. Ainsi, le demandeur demande essentiellement à la Cour de faire ce que le ministre n’a pas pu faire, à savoir, de [traduction] « restituer la pénalité et préparer le terrain pour qu’il récupère sa carte NEXUS ». Le défendeur invite la Cour à faire fi de toute observation du demandeur concernant son adhésion au programme NEXUS étant donné que son admissibilité est sans pertinence à la portée du contrôle judiciaire de la saisie.

Analyse

[23]  Dans ses observations écrites, et à l’audience devant la Cour, le demandeur a présenté plusieurs questions concernant les fausses déclarations alléguées faites par les agents des douanes dans leurs rapports narratifs et les différentes anomalies dans le processus de saisie. Selon le demandeur, les agents auxiliaires l’ont faussement accusé de tromperie lorsqu’il a soi-disant refusé de donner l’accès à son téléphone cellulaire. Le demandeur soutient également que l’agente principale a fait une fausse déclaration concernant la politique en ce qui concerne les animaux à l’intérieur des locaux, ce qui a fini par causer un stress et un traumatisme excessifs au demandeur et à son unité familiale. Le demandeur soutient que ces allégations démontrent une crainte de partialité pour une partie de la décision du délégué, enfreignant ainsi les règles de justice naturelle et d’équité procédurale. Toutefois, la portée du présent contrôle judiciaire est limitée. Aux termes de l’article 131 de la Loi sur les douanes, le délégué n’avait pas la compétence pour examiner la conduite des agents des douanes, et la Cour ne l’a pas non plus dans la présente demande. De plus, l’arbitre et le délégué ont tous les deux informé le demandeur que leur mandat ne leur permettait pas d’examiner le comportement des agents des douanes, mais seulement de contrôler l’exécution de la saisie selon les circonstances de l’affaire. Néanmoins, le demandeur n’a pas présenté d’arguments ou d’éléments de preuve à l’appui d’un manquement à l’équité procédurale de la part du défendeur, ni aucun élément de preuve qui appuierait une crainte de partialité. Au contraire, tout au long du processus d’arbitrage mené par l’ASFC, des explications complètes ont été données au demandeur et il avait à plusieurs reprises la possibilité de présenter ses observations.

[24]  Une fois que le délégué a confirmé que le demandeur avait violé la Loi sur les douanes, il devait choisir s’il utilisait ou non son pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 133 de la Loi sur les douanes pour restituer une partie du montant payé par le demandeur. Une décision de ce type est discrétionnaire et dépend des faits. En effet, le ministre se voit conférer un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer le montant à verser pour restituer des marchandises (Shin c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2012 CF 1106, [2012] ACF no 1191, au paragraphe 53 [Shin]; United Parcel Service Canada Ltd. c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 204, [2011] ACF no 235, aux paragraphes 40 à 43). Par conséquent, la Cour ne devrait intervenir que si le délégué tire une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, [Dunsmuir]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59 [Khosa]).

[25]  La décision contestée est raisonnable. Le délégué a dûment examiné les arguments du demandeur, y compris toute circonstance atténuante, comme il est ressort de la lecture des motifs suivants :

[TRADUCTION]

Aux termes de l’article 12 de la Loi sur les douanes, toutes les marchandises acquises en dehors du Canada doivent être déclarées à l’importation.

Vous avez contesté cette saisie au motif qu’au moment de la mesure d’exécution, vous preniez des médicaments que vous soupçonniez d’affaiblir vos capacités cognitives. Vous avez également soulevé un grand nombre de préoccupations concernant le comportement de l’agent qui a effectué la saisie à l’égard de votre chien. Vous avez ajouté que les agents concernés ont modifié les dates de leurs rapports afin d’aborder comme il leur convient certains des problèmes soulevés dans votre lettre d’appel et vous avez accusé l’agent qui a effectué la saisie de faire des fausses déclarations concernant votre manteau et vos gants. Étant donné que vous n’avez pas essayé de cacher le reçu et que vous n’avez pas fait de fausses déclarations lors du processus d’examen et de saisie, vous croyez qu’il y avait des motifs d’atténuation et avez demandé que la présente mesure d’exécution soit annulée et que votre carte NEXUS soit restituée.

Veuillez noter que la portée de cet examen se limite à l’émission de la mesure d’exécution. Vu votre déclaration principale et ce qui a été conclu au moment de l’examen, on peut clairement établir qu’une infraction a bien eu lieu. En fait, vous avez également admis dans votre lettre datant du 12 février 2016 que vous avez négligé de déclarer l’achat des vêtements. L’omission de déclarer peut être non intentionnelle et, comme vous l’avez indiqué précédemment dans vos observations, il est possible que les médicaments que vous avez pris aient joué un rôle dans votre omission de déclarer les marchandises, mais ces facteurs ne vous exonèrent pas, et en fait n’exonéreraient personne, de l’obligation de respecter la loi. Je souhaite réitérer que l’absence d’intention n’est pas un facteur atténuant lorsqu’il y a contravention à la loi. Pour être équitable à tous les voyageurs, en tant qu’organisme fédéral, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) doit appliquer la loi de la même façon impartiale et cohérente pour tous. Étant donné qu’il y a eu une omission de déclarer les marchandises achetées chez Macy’s, une infraction a bien eu lieu, et donc, la saisie est maintenue.

En ce qui concerne la pénalité évaluée, les modalités de la restitution sont fondées sur la nature de la contravention et du type de marchandise. Étant donné que la politique de l’Agence est d’émettre des sanctions à un niveau plus élevé pour ceux qui participent à un programme de mainlevée accélérée tel que NEXUS, la saisie effectuée au niveau 2 a été évaluée correctement dans les circonstances. Par conséquent, la saisie est maintenue telle qu’elle a été effectuée.

[26]  Il n’incombe pas à la cour de révision de substituer l’issue qui à son avis serait préférable, et il ne rentre pas non plus dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve (Shin, au paragraphe 48, citant Khosa, aux paragraphes 59 et 61). C’est une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’immiscer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire parce qu’elles auraient pu exercer ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé (Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255, [2009] 2 RCF 576, au paragraphe 38 [Sellathurai]. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale, les modalités d’exercice du pouvoir discrétionnaire peuvent être variées, mais dans la mesure où ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon raisonnable, les tribunaux n’ont pas de raison d’intervenir (Sellathurai, au paragraphe 53). En l’espèce, le délégué a bien pris en considération les préoccupations du demandeur, mais a finalement conclu qu’il n’y avait pas de motif valable d’utiliser son pouvoir discrétionnaire concernant la saisie. À ce moment-là, le pouvoir discrétionnaire du délégué est limité uniquement à la saisie ou à la marchandise saisie. Il n’est pas dans son pouvoir de radier le dossier de l’ASFC, ni d’ordonner la restitution de l’adhésion au programme NEXUS. À la lumière des éléments de preuve au dossier et des principes juridiques en jeu, la Cour conclut que la décision contestée appartient aux issues possibles.

Conclusion

[27]  En règle générale, le demandeur n’a pas convaincu la Cour que le délégué a commis une erreur quelconque susceptible de révision qui nécessiterait l’intervention de la Cour. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[28]  Compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, de la valeur peu élevée des marchandises saisies et du faible montant de la pénalité, du fait que cette affaire est assez simple et que le demandeur se représente lui-même, la Cour conclut que l’adjudication des dépens au montant de 700 $ au défendeur est raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR CONCLUT que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens de 700 $ en faveur du défendeur.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de décembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-956-16

 

INTITULÉ :

THOMAS GORDON GERARD LESLIE c LE MINSITRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Thomas Gordon Gerard Leslie

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Maguy Hachem

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thomas Gordon Gerard Leslie

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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