Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170203


Dossier : IMM-3147-16

Référence : 2017 CF 133

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 février 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

RAFAEL ASLANYAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 13 juillet 2016 par laquelle un agent d’immigration du service des visas de l’ambassade du Canada à Moscou, en Russie, a rejeté la demande de permis de travail ouvert présentée par le demandeur.

[2]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

[3]  Le demandeur est un citoyen de la Russie. Le 7 juillet 2016, il a déposé une demande de permis de travail ouvert en tant qu’époux accompagnant une titulaire de permis d’études. L’agent a communiqué sa décision de rejeter la demande dans une lettre type indiquant qu’il n’avait pas été convaincu que le demandeur quitterait le Canada à l’expiration de la période de séjour autorisée. L’agent précisait que deux critères avaient été pris en considération à cet égard : les liens familiaux au Canada et dans le pays de résidence, ainsi que la durée du séjour envisagé au Canada.

[4]  Par suite d’une demande présentée en application de l’article 15 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, les notes consignées au Système mondial de gestion des cas (SMGC) ont été fournies. Ces notes font partie intégrante de la décision (De Hoedt Daniel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1391, au paragraphe 51; Afridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 193, au paragraphe 20). Voici les passages pertinents de ces notes :

[Traduction]

Le demandeur principal souhaite obtenir un permis de travail ouvert pour visiter son épouse, qui a un permis d’études, et son fils au Canada. L’épouse vit au Canada depuis 2011 (permis de travail, demande de visa, visa de résidente temporaire et permis d’études). Elle vit chez sa sœur, au sous-sol de sa maison. Le demandeur principal a l’intention de vivre au même endroit. Il occupe un emploi de directeur adjoint depuis 2009. La lettre d’emploi indique qu’il a obtenu un congé rémunéré de 28 jours à compter du 1er septembre 2016. J’en déduis que l’employeur n’est pas au courant de l’intention du demandeur principal de venir vivre au Canada pendant les deux prochaines années. Il a de fortes raisons de vouloir rester au Canada puisque son épouse s’y trouve depuis 2011. Je ne suis pas convaincu que le demandeur principal quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé. La demande est refusée.

[5]  À mon avis, la seule question à trancher est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable. Par conséquent, la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent et à ses conclusions de fait est celle de la décision raisonnable (Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1083, au paragraphe 21; Maxim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1029, au paragraphe 19; Momi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 162, au paragraphe 14).

[6]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur de fait manifeste en lui prêtant l’intention de vouloir vivre au Canada à temps plein au cours des deux années suivantes, alors qu’il ressort clairement de ses observations qu’il demande l’autorisation de venir au Canada seulement pendant le congé que lui a accordé son employeur et qu’il projette d’y travailler seulement pendant ses visites. Le demandeur fait aussi valoir que l’agent le taxe d’avoir voulu tromper son employeur et, de ce fait, de ne pas avoir été honnête quant à ses intentions. Le défendeur soutient que l’affirmation du demandeur comme quoi il n’a jamais eu l’intention de vivre au Canada à temps plein pendant deux ans est démentie dans sa demande, où il a inscrit que la durée de l’emploi prévu s’étend du 2 septembre 2016 au 20 juillet 2018. Le défendeur juge aussi que l’agent a raisonnablement conclu que les liens étroits du demandeur au Canada rendent peu probable son départ à l’expiration d’une période autorisée.

[7]  L’extrait précédent des notes du SMGC donne une bonne idée de leur concision. N’empêche, il en ressort clairement que l’agent était convaincu de l’intention du demandeur de rester au Canada pendant les deux années suivantes. Cette conclusion indique soit que l’agent n’a pas tenu compte des documents au dossier, soit qu’il les a mal interprétés.

[8]  À sa défense, la lettre du représentant que le demandeur a jointe à sa demande manquait de précision sur ce point. Il y est indiqué que le demandeur occupait un poste de [traduction] « directeur adjoint au sein de la Science and Production Association, LLC, région de Moscou », où il réside de façon permanente avec sa mère à charge, et qu’il soumet la demande [traduction] « non seulement pour rendre visite à son épouse qui étudie au Canada, mais aussi pour y travailler pendant ses courts séjours autorisés ». Il est demandé ensuite de prendre en compte les études de l’épouse dans un programme de deux ans d’un collège public et d’autoriser le demandeur à travailler au Canada [traduction] « chaque fois qu’il rend visite à sa famille ».

[9]  Le demandeur a fourni une autre lettre à l’appui de sa demande, dans laquelle il sollicitait l’autorisation de rendre visite aux membres de sa famille [traduction] « de temps à autre (soit chaque fois que mon employeur m’accordera officiellement un congé) durant leurs études au Canada », et d’y travailler afin de contribuer au revenu familial. Le demandeur a expliqué qu’après le refus de sa demande de permis de travail, il a été conseillé à la famille de fournir d’autres documents à l’appui, et c’est pourquoi il a présenté les deux lettres susmentionnées. Il a affirmé qu’il n’avait aucune intention de vivre au Canada, notamment parce qu’il devait retourner auprès de sa mère à charge en Russie. Il a joint à sa demande la déclaration d’une personne qui s’était engagée à rendre visite à sa mère trois fois par semaine, à raison de trois heures par visite, afin de lui fournir des services d’aide ménagère et des soins médicaux du 1er au 28 septembre 2016, ainsi qu’une note d’hôpital indiquant que sa mère prenait des médicaments et était suivie par un médecin pour ses problèmes de santé.

[10]  Le demandeur a aussi fourni une lettre d’emploi confirmant qu’il travaillait à temps plein pour la Science and Production Association depuis le 1er août 2009, où il occupait un poste de directeur adjoint, qu’on lui avait officiellement accordé un congé payé de 28 jours entre le 1er et le 28 septembre 2016, et qu’il pourrait réintégrer son poste ensuite.

[11]  Dans une autre lettre, l’épouse du demandeur explique que ses études la tenant fort occupée, elle ne pouvait pas aller visiter sa famille en Russie, et que son fils et elle souhaitaient que le demandeur soit autorisé à leur rendre visite de temps à autre et à travailler légalement au Canada [traduction] « chaque fois qu’il pourrait obtenir un congé de travail de courte durée ». Il est précisé dans cette lettre que le salaire de directeur adjoint à temps plein du demandeur lui permettait de s’offrir des vacances de courte durée.

[12]  Dans une lettre d’appui, Arman Navasardyan affirme qu’il connaissait le demandeur depuis six ans, que celui-ci n’avait aucune intention de rester au Canada et qu’il voulait [traduction] « tout simplement rendre visite à sa famille de temps à autre ». Une autre lettre d’appui de Sarkis Anjrkouchian et de Haroutioun Kalaydjian confirme que la famille du demandeur avait pris la décision, des années auparavant, de donner la possibilité à son fils d’être éduqué au Canada, et que l’épouse viendrait vivre avec l’enfant mineur au Canada à cette fin. Il est en outre confirmé dans cette lettre que la famille du demandeur avait accepté de sacrifier son bien-être pour que le fils unique puisse recevoir une bonne éducation, ce qui supposait une séparation et des visites occasionnelles : [traduction] « Pendant trois ans, Yulia et Leonid ont vécu au Canada pendant que Rafael travaillait à Moscou pour subvenir aux besoins de la famille. Il assure seul la subsistance de sa famille et de sa mère à charge ».

[13]  En somme, toutes les observations du demandeur et tous les éléments de preuve documentaire présentés à l’appui concourent à établir qu’il sollicite un permis de travail qui lui permettra de rendre visite à sa famille et de travailler au Canada, mais que son emploi et son lieu de résidence sont en Russie, où vit sa mère à charge. L’agent ne mentionne aucun de ces éléments de preuve dans ses motifs.

[14]  Le défendeur soutient que la conclusion de l’agent est corroborée par la déclaration du demandeur selon laquelle il entend occuper un emploi du 2 septembre 2016 au 20 juillet 2018 au Canada. Effectivement, ces dates figurent dans la partie de la formule sur la durée de l’emploi prévu. Toutefois, elles ont été inscrites parce qu’elles correspondent à la période visée par la demande de permis de travail, qui s’étend de la date de présentation de la demande jusqu’à l’expiration du permis d’études de l’épouse, le 20 juillet 2018, dont l’agent avait aussi une copie.

[15]  À mon avis, compte tenu du contexte général de la demande, y compris les documents présentés à l’appui, ces dates correspondent à la durée globale du permis de travail sollicité par le demandeur. Il a pris la peine de préciser qu’il demandait un permis de travail seulement pour les périodes durant lesquelles il sera en visite au Canada, c’est-à-dire quand il aura des congés de son emploi permanent en Russie, où il a sa résidence permanente. La totale absence de référence aux éléments de preuve produits par le demandeur à ce propos dans la décision de l’agent soulève l’épineuse question de savoir si elle a été rendue sans égard aux éléments de preuve. Par surcroît, contrairement à ce que l’agent avance, rien dans les éléments de preuve ne permet de penser que l’employeur n’avait pas été mis au courant de [traduction] « l’intention du demandeur principal de venir vivre au Canada pendant les deux prochaines années ».

[16]  En l’espèce, la décision de l’agent est déraisonnable parce que, puisqu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve à sa disposition, il a tiré une conclusion de fait erronée quant à la durée du séjour envisagé par le demandeur au Canada, laquelle a eu une incidence déterminante sur la décision (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 72; Banful c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1321, au paragraphe 19). Par conséquent, la décision n’était pas justifiée, transparente et intelligible, et elle n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.

  3. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3147-16

 

INTITULÉ :

RAFAEL ASLANYAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Aleksei Grachev

 

Pour le demandeur

 

Tamrat Gebeyehu

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aleksei Grachev

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.