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Date : 20170123


Dossier : IMM-2560-16

Référence : 2017 CF 82

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 janvier 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

SEEMA ALIA, JAMILA ALIA, SANAD ALIA, MOHAMMED ALIA et JIANA ALIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision en date du 27 mai 2016 par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) a maintenu la conclusion d’un agent des visas (l’agent) que les demandeurs étaient interdits de territoire au Canada parce qu’ils ne s’étaient pas conformés à leur obligation de résidence en tant que résidents permanents en vertu de l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la LIPR). La présente demande a été présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

[2]               Les demandeurs sont une mère, trois enfants adultes et un enfant mineur. Seema Alia est âgée de 46 ans. Ses fils Sanad et Mohammed ont 21 ans et 14 ans, tandis que ses filles Jiana et Jamila sont âgées de 25 et de 27 ans respectivement. Les demandeurs détiennent des passeports délivrés par l’Autorité palestinienne (AP). Ils sont arrivés au Canada comme résidents permanents le 11 juillet 2007. Walid Alia est le père de cette famille. Il détient une carte de résident permanent valide jusqu’en décembre 2017. En conséquence, il n’est pas partie à la présente instance. Cependant, il a témoigné devant la Section d’appel de l’immigration.

I.                    Décision de l’agent

[3]               L’ambassade du Canada à Tel Aviv a reçu les demandes de titres de voyage des demandeurs le 23 septembre 2013.  En vertu de l’article 28 de la LIPR, les demandeurs devaient avoir été effectivement présents au Canada pendant 730 jours au cours des cinq années précédant cette date. L’agent a conclu qu’ils l’avaient été pendant seulement 302 jours. Il a par conséquent conclu que les demandeurs étaient interdits de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 41b) de la LIPR.

II.                 La Section d’appel de l’immigration

[4]               Lorsqu’ils ont comparu devant la Section d’appel de l’immigration, les demandeurs ont reconnu qu’ils ne satisfaisaient pas les exigences en matière de résidence; cependant, ils ont soutenu que des motifs d’ordre humanitaire justifiaient la prise de mesures spéciales, aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[5]               La Section d’appel de l’immigration avait des réserves quant à la crédibilité des demandeurs et, en conséquence, elle a conclu que ceux-ci demandaient un redressement en equity « alors que leur conduite n’était pas irréprochable ». Elle a jugé que ni l’un ni l’autre des facteurs CH ni l’intérêt supérieur de son fils mineur ne justifiaient un redressement.

[6]               Les éléments de preuve des demandeurs concernant leur présence au Canada étaient incohérents. Dans leurs demandes de titres de voyage (les demandes), ils ont tous incorrectement déclaré qu’ils avaient été présents pendant 629 des 730 jours requis. Lors de l’audience de la Section d’appel de l’immigration, Seema Alia a répété ce qu’elle avait déclaré dans sa demande. Plus précisément, elle a affirmé qu’ils avaient continuellement séjourné au Canada entre juillet 2011 et août 2012. Or, cela était faux. Sur des photos prises au cours de cette période, elle apparaît sur le pont Allenby entre la Jordanie et la Cisjordanie. De plus, son témoignage ne correspondait pas au témoignage de son mari. Walid Alia a déclaré que sa famille avait séjourné à l’extérieur du Canada pendant seulement une partie de cette période, soit d’octobre 2011 à janvier 2012. Il a expliqué que son épouse était « confuse » lorsqu’elle a fourni un témoignage incohérent.

[7]               En ce qui concerne les considérations d’ordre humanitaire, Seema Alia a déclaré dans son témoignage que la famille était retournée en Cisjordanie en 2007 à cause de problèmes d’établissement au Canada et de difficultés concernant l’éducation des enfants. Elle a ajouté que les problèmes de santé qu’éprouvait son mari en 2010 étaient la principale raison pour laquelle ils ne s’étaient pas conformés à leur obligation de résidence. Le commissaire a conclu que ce témoignage ne concordait pas avec la preuve médicale, laquelle montrait que Walid Alia avait été malade pendant seulement trois mois. Il avait été victime d’un accident vasculaire en août 2010, puis il avait eu des problèmes cardiaques. Toutefois, il avait obtenu son congé de l’hôpital en octobre 2010. Aucun élément de preuve n’a été fourni au sujet des mesures prises pour revenir au Canada en 2010, avant son accident vasculaire cérébral ou après qu’il ait obtenu son congé de l’hôpital en octobre.

[8]               Dans son témoignage, Seema Alia a déclaré qu’en août 2012 la famille était allée en vacances en Cisjordanie. Plusieurs de leurs cartes de résident permanent ont expiré immédiatement après leur départ, mais ils n’ont soumis une demande de titres de voyage de résident permanent qu’en septembre 2013. Jamila Alia a déclaré qu’elle avait quitté le Canada en août 2012 afin de « changer de décor » malgré le fait que sa carte de résidente permanente n’avait pas encore été renouvelée.

[9]               La Section d’appel de l’immigration a conclu que la preuve offerte [traduction] « ne démontrait pas un désir marqué de s’établir au Canada ». En 2008, après être devenu résident permanent, Walid Alia a fait l’acquisition d’une entreprise en Cisjordanie. Il n’a jamais vendu son entreprise et sa résidence en Cisjordanie et il n’a pas non plus présenté de preuve de ses recherches d’emploi au Canada. Jamila Alia est maintenant mariée et mère d’un enfant en Cisjordanie. Elle a déclaré avoir suivi des cours d’anglais langue seconde au Canada entre octobre 2011 et août 2012, mais cela était également faux puisqu’elle a été photographiée sur le pont Allenby au cours de cette période. Jiana Alia travaille en Cisjordanie et elle n’a pas tenté de trouver du travail au Canada. Sanad et Mohammed Alia étudient à l’université et dans une école secondaire en Cisjordanie.

[10]           La Section d’appel de l’immigration a conclu que les demandeurs avaient quitté le Canada après avoir obtenu leur statut de résident permanent en 2007, mais qu’ils ne sont pas revenus en 2008, 2009 ou 2010. Elle a également conclu qu’ils n’avaient pas expliqué pourquoi ils n’étaient pas revenus au Canada dès que possible et qu’ils n’avaient déployé aucun effort pour s’établir au Canada.

[11]           Le facteur concernant le « degré d’établissement » a été traité comme un élément négatif, parce que les demandeurs ne possédaient aucun bien au Canada, alors qu’ils possédaient une résidence et une entreprise en Cisjordanie. Ils travaillent ou font des études en Cisjordanie.

[12]           Le fait qu’ils n’aient pas de liens familiaux au Canada a également été traité comme un élément négatif.

[13]           Mohammed Alia, leur fils mineur, semble réussir très bien en Cisjordanie. Par conséquent, le facteur lié à « l’intérêt supérieur de l’enfant » ne justifie pas un redressement.

[14]           Enfin, les demandeurs n’ont pas démontré que les conditions en Cisjordanie leur causeraient des difficultés personnelles. Jamila Alia a déclaré qu’elle bénéficie d’une moins grande liberté en Cisjordanie, mais qu’elle choisit d’y passer ses vacances. Les demandeurs se sont souvent rendus en Israël et en Jordanie; de plus, Walid Alia est soigné dans un hôpital israélien.

III.               La transcription

[15]           L’audience qui s’est étendue sur deux jours et qui a été menée au téléphone a duré sept heures. Il manque l’équivalent de cinq heures de transcription. Seema, Jamila, Mohammed et Walid Alia ont témoigné, mais on ne dispose que de la preuve ci-après :

        [traduction] Première journée : Seema Alia a été interrogée par son avocat et par l’avocat du ministre (le témoignage de Seema).

        Deuxième journée : La fin de l’interrogatoire principal de Walid Alia est enregistrée (le témoignage de Walid).

[16]           Le témoignage de Seema Alia inclut un interrogatoire concernant la période pendant laquelle elle affirme avoir été au Canada, alors qu’elle a été photographiée sur le pont menant en Jordanie. Celui-ci porte aussi sur l’ampleur de la maladie de Walid Alia et sur les raisons pour lesquelles sa famille n’est pas revenue au Canada en 2010.

[17]           Dans son témoignage, Walid Alia explique que son épouse était « confuse ». Il décrit aussi l’étendue de sa maladie en 2010, mais il n’a produit aucun document justificatif. On l’a interrogé sur les motifs pour lesquels les membres de sa famille n’avaient pas renouvelé leurs cartes de résidents permanents avant leur départ du Canada en août 2012.

[18]           Enfin, il a déclaré qu’il avait vendu sa résidence au Canada en janvier 2013 et que plus tard, soit en septembre de la même année, il avait soumis une demande de titres de voyage.

[19]           À mon avis, la transcription qui est disponible, plus précisément le témoignage de Seema Alia concernant ses allées et venues et le fait que les membres de sa famille ne soient pas revenus au Canada en 2010, justifient les réserves importantes de la Section d’appel de l’immigration concernant la crédibilité des demandeurs.

IV.              Les questions en litige

i.         Y a-t-il eu violation des règles de justice naturelle en raison de la transcription manquante?

ii.       La décision contenait-elle des erreurs de fait, de sorte qu’elle serait déraisonnable?

V.                 La norme de contrôle applicable

[20]           Les décisions de la Section d’appel de l’immigration d’accorder ou non une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire sont examinées selon la norme de la décision raisonnable. Les questions relatives à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

Question I : Examen et conclusions

[21]           Dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville) [1997], 1 R.C.S. 793, au paragraphe 81, la Cour Suprême du Canada déclare :

En l’absence d’un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d’appel ou de révision. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. Cependant, lorsque la loi exige un enregistrement, la justice naturelle peut nécessiter la production d’une transcription. Étant donné que cet enregistrement n’a pas à être parfait pour garantir l’équité des délibérations, il faut, pour obtenir une nouvelle audience, montrer que certains défauts ou certaines omissions dans la transcription font surgir une « possibilité sérieuse » de négation d’un moyen d’appel ou de révision. Ces principes garantissent l’équité du processus administratif de prise de décision et s’accommodent d’une application souple dans le contexte administratif.

[22]           L’article 174 de la LIPR indique que la Section d’appel de l’immigration est une cour d’archives; cet article ne fait cependant aucune mention des transcriptions. On ne m’a cité aucune loi qui exige une transcription; en outre, on ne m’a présenté aucun cas de jurisprudence indiquant qu’une cour d’archives doit produire des transcriptions de ses procédures. De plus, les règles de la Section d’appel de l’immigration n’exigent pas de transcription. Néanmoins, même si une transcription avait été demandée, la Cour suprême a estimé que la justice naturelle n’exigeait pas nécessairement une transcription. La question qui se pose est de savoir si les demandeurs ont démontré qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit impossible de présenter un motif de contrôle judiciaire sans transcription.

[23]           Les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve que l’absence d’une transcription empêche l’exercice d’un recours en contrôle judiciaire. Ils n’ont soulevé aucune question concernant les conclusions de fait de la Section d’appel de l’immigration qui nécessite une référence à la transcription manquante. Ils ne prétendent pas qu’un témoignage a été écarté ou mal interprété. Leurs observations sont de nature générale. Ils ont simplement déclaré que, parce que leur crédibilité est mise en question, l’absence d’une transcription enfreint automatiquement les règles de la justice naturelle. Ils n’indiquent pas de conclusions spécifiques concernant la crédibilité qui sont déraisonnables.

[24]           Dans ces circonstances, les demandeurs n’ont pas démontré qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit impossible de présenter un motif de contrôle judiciaire sans transcription.

Question II : La décision contenait-elle des erreurs de fait de sorte qu’elle serait déraisonnable?

[25]           Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur factuelle (l’erreur) au paragraphe 14 de sa décision, lorsqu’elle a déclaré : [traduction« Lorsque l’époux de la demanderesse principale, Walid Alia, a été interrogé, il a confirmé que la famille n’avait pas séjourné au Canada entre octobre 2011 et juillet 2012 ». En fait, la transcription disponible montre que Walid Alia a déclaré dans son témoignage qu’ils n’avaient pas séjourné au Canada jusqu’en janvier 2012 et qu’ils l’avaient fait entre janvier et août 2012, lorsqu’ils sont partis en vacances en Cisjordanie.

[26]           La première question est de savoir si la Section d’appel de l’immigration a mal compris les faits ou simplement fait une erreur typographique. Vu le témoignage clair de Walid Alia et le fait que ces dates étaient contestées en raison des déclarations incohérentes de Seema Alia, il est raisonnable de conclure que la Section d’appel de l’immigration a compris que la famille se trouvait au Canada entre janvier et août 2012.

[27]           Cependant, en supposant qu’il s’agissait d’une erreur de fond, la question qui se pose est de savoir si cette erreur est importante. Les demandeurs soutiennent que l’erreur montre que la Section d’appel de l’immigration n’a pas accordé de poids aux nouvelles tentatives déployées par les demandeurs pour s’établir au Canada, ni au fait qu’ils y avaient acheté une résidence au cours du premier semestre de 2012. Ils affirment qu’il s’agit d’un fait important qui aurait pu donner lieu à une conclusion favorable.

[28]           Je n’ai pas été convaincue. La Section d’appel de l’immigration a souligné à juste titre que tous les demandeurs avaient quitté le Canada en août 2012 pour aller passer des vacances en Cisjordanie sans se préoccuper de s’assurer qu’ils auraient le droit de revenir au Canada. Ce fait, jumelé à leur degré d’établissement en Cisjordanie, à leurs demandes et témoignages non véridiques et à leur défaut de s’établir au Canada, signifie à mon avis que l’erreur n’aurait pas eu d’incidence sur la décision.

VI.              Question en vue de la certification

[29]           Aucune question n’a été posée aux fins de certification.

VII.            Conclusion

[30]           Pour l’ensemble de ces motifs, j’ai conclu que la décision est raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2560-16

 

INTITULÉ :

SEEMA ALIA, JAMILA ALIA, SANAD ALIA, MOHAMMED ALIA et JIANA ALIA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

 

Pour les demandeurs

 

James Todd

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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