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Date : 20170127


Dossiers : T-901-11

T-1149-12

Référence : 2017 CF 105

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Harrington

Dossier : T-901-11

COUR FÉDÉRALE

ACTION PERSONNELLE

ENTRE :

ADVENTURER OWNER LTD

DOCKENDALE HOUSE, WEST BAY STREET

CASE POSTALE CB-13048, NASSAU, BAHAMAS

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF

CANADA

défenderesse

Dossier : T-1149-12

COUR FÉDÉRALE

ACTION PERSONNELLE ET RÉELLE

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF

CANADA

demanderesse

et

ADVENTURER OWNER LTD, PROPRIÉTAIRE, ET TOUTES AUTRES PERSONNES INTÉRESSÉES DANS LE NAVIRE M/V CLIPPER ADVENTURER

défenderesses en matière personnelle

et

LE NAVIRE M/V CLIPPER ADVENTURER

défendeur en matière réelle

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  C’était une belle soirée d’été dans l’Arctique canadien. Le soleil était levé et la mer était calme dans le golfe Coronation. On était le 27 août 2010, journée où le Clipper Adventurer s’est hasardé à toute vapeur dans un haut-fond inexploré et submergé. Ainsi, une croisière d’expédition de quatorze jours dans les eaux du Groenland et du Canada s’est terminée le 13e jour à 18 h 32, heure locale, au 67° 58,26’ N, 112° 40,3’ O. Le Clipper Adventurer était au Nunavut en provenance du port Epworth en direction de Kugluktuk.

[2]  Heureusement, aucun de ses 128 passagers et de ses 69 membres d’équipage n’a été blessé. Au cours des jours suivants, les passagers et les membres d’équipage qui n’étaient pas nécessaires pour la navigation ont été secourus par le brise-glace canadien Amundsen et transportés à Kugluktuk.

[3]  Le Clipper Adventurer a heurté un haut-fond avec une telle force que plus de la moitié de sa longueur y a été fermement encastrée. Une société de relevage, à l’aide de quatre remorqueurs, a réussi à le renflouer le 14 septembre. Même si un certain nombre de ses citernes de ballast ont été percées, la pollution était minime et maîtrisée. Comme il n’y avait aucune installation de réparation et l’hiver approchait, des réparations temporaires ont été effectuées sur le navire au Canada et au Groenland. À la suite d’une autre inspection en Islande, il a été autorisé à naviguer dans son état non navigable en longeant la côte dans la mesure du possible. Enfin, après un voyage long et tortueux jusqu’en Pologne, des réparations permanentes ont été effectuées sur le navire.

[4]  Les propriétaires du Clipper Adventurer ont poursuivi le gouvernement du Canada pour une somme de 13 498 431,19 $ US au titre des coûts des réparations temporaires et permanentes, du paiement des sauveteurs, de l’interruption commerciale et de questions connexes.

[5]  L’action est fondée sur l’argument selon lequel Sa Majesté la Reine, plus particulièrement, la Garde côtière canadienne et le Service hydrographique du Canada, étaient au courant de la présence du haut-fond et avaient une obligation de mise en garde et ont omis de le faire. Si une mise en garde appropriée avait été donnée, cette perte ne serait pas survenue.

[6]  Sa Majesté nie la responsabilité. Elle admet que la Garde côtière canadienne et le Service hydrographique du Canada étaient tous les deux au courant du haut-fond environ trois ans avant l’échouage. Elle nie l’existence d’une obligation envers le Clipper Adventurer de lui donner une mise en garde. Néanmoins, une mise en garde a été donnée au moyen d’un avis à la navigation et d’une mise en garde de zone de navigation. La perte a été causée par l’omission du Clipper Adventurer de mettre à jour la carte hydrographique canadienne 7777.

[7]  Sa Majesté a déposé sa propre action contre le navire et ses propriétaires pour une somme de 468 801,72 $ CA au titre des frais et des dépenses engagés concernant les mesures prises pour prévenir, réparer, rectifier ou réduire au minimum les dommages causés par la pollution, le tout conformément aux diverses dispositions de la Loi sur la responsabilité en matière maritime et la Convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute, ci-jointes.

Décision

[8]  À mon avis, la seule cause de la perte découlait de l’omission de la part des personnes intéressées dans le Clipper Adventurer de tenir à jour la carte hydrographique canadienne 7777.

[9]  Plus particulièrement, l’article 7 du Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques (1995) dispose ce qui suit :

Le capitaine d’un navire doit s’assurer que les cartes, documents et publications que le présent règlement exige sont, avant d’être utilisés pour la navigation, exacts et à jour d’après les renseignements que contiennent les Avis aux navigateurs, les Avis à la navigation ou les messages radio sur les dangers pour la navigation. [je souligne]

The master of a ship shall ensure that the charts, documents and publications required by these Regulations are, before being used for navigation, correct and up-to-date, based on information that is contained in the Notices to Mariners, Notices to Shipping or radio navigational warnings. [my emphasis]

[10]  La présence du haut-fond avait été signalée en 2007 dans l’avis à la navigation A102/07 qui était encore en vigueur au moment de l’échouage. Le maître pilote ne s’était pas assuré que la carte utilisée aux fins de navigation tenait compte de cet avis. Dans les circonstances, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de décider si la publication d’une mise en garde de zone de navigation constitue également un avis suffisant.

[11]  L’action intentée par les propriétaires du Clipper Adventurer, Adventurer Owner Ltd, sera rejetée et les actions en matière réelle et personnelle intentées par Sa Majesté seront accueillies.

[12]  Mes motifs sont répartis selon les sujets suivants :

No de l’en‑tête

[En blanc]

No du paragraphe

I

Golfe Coronation

13 à 16

II

Découverte du haut-fond

17 à 20

III

Avis à la navigation A102/07

21 à 32

IV

Avis aux navigateurs et avertissements NAVAREA

33 à 43

V

Le voyage du Clipper Adventurer

44 à 59

VI

Arguments de la demanderesse

60 à 71

VII

Moyen de défense de la Couronne

72 à 81

VIII

Discussion

82

a)

Obligation de mise en garde

82 à 88

b)

Exécution de l’obligation de mise en garde

89 à 102

IX

Dommages-intérêts

103

a)

La Couronne

103 à 105

b)

Adventurer Owner Ltd.

106

X

Opération de change

107 à 116

XI

Intérêts

117 à 127

I.  Golfe Coronation

[13]  La zone où l’échouage a eu lieu était visée par la carte hydrographique canadienne 7777 intitulée « Golfe Coronation, Partie Ouest ». À l’exception d’un encart concernant Kugluktuk, antérieurement Coppermine, l’échelle de la carte correspond à 1:150,000, projection de Mercator, système de référence géodésique nord-américain 1983 (NAD83). Beaucoup de renseignements à l’intention des navigateurs figurent sur cette carte, ainsi que dans plusieurs publications marines canadiennes qui doivent être transportées à bord des navires, comme la Carte 1 (Symboles, abréviations et autres termes), les Instructions nautiques, ainsi que les documents Navigation dans les glaces en eaux canadiennes et Aides à la navigation maritime.

[14]  La carte comprend un « Diagramme de classification des sources » qui divise cette partie du golfe en cinq zones. Les quatre premières zones, a), b), c) et d) sont toutes au nord d’une ligne tiretée magenta. Il était indiqué que ces zones avaient fait l’objet d’un levé plus approfondi par rapport aux zones du reste de la carte. Le port Epworth se situait plus au sud de la zone e) qui n’indique que les levés en route et les sondages ponctuels. La date de ces levés en route et sondages ponctuels n’était pas indiquée.

[15]  Il convient particulièrement de noter une série d’îles de l’est à l’ouest, au nord-ouest du port Epworth, qui faisait partie de la route choisie par le Clipper Adventurer en direction de Kugluktuk. Elles sont connues sous le nom îles Home et îles Lawford.

[16]  Il y a de nombreux hauts-fonds submergés émergeant d’un fond très rocheux. Les îles qui sont visibles ont une pente douce sur le côté nord, mais la pente est abrupte sur le côté sud. Par exemple, le Arctic Pilot (R.-U.), en décrivant les îles, déclare [traduction] « seuls quelques levés sont disponibles dans leurs environs et il faut y naviguer avec prudence ».

II.  Découverte du haut-fond

[17]  Le haut-fond a été découvert le 13 septembre 2007 par le capitaine Mark Taylor, le maître pilote du brise-glace canadien, le Sir Wilfrid Laurier. Le capitaine Taylor a commencé à naviguer dans l’Arctique canadien en 1993 et est le maître pilote du Sir Wilfrid Laurier depuis 2000. Néanmoins, il ne s’était jamais rendu au port Epworth auparavant. Ce nom constitue quelque peu une fausse appellation puisque le port Epworth n’est pas du tout un port, mais plutôt un ruisseau. À l’époque, le Sir Wilfrid Laurier réalisait une expédition scientifique puisqu’un scientifique à bord s’intéressait beaucoup à la Tree River qui se jette dans le port Epworth et nuit à la salinité de l’eau.

[18]  Le Sir Wilfrid Laurier voyageait de Kugluktuk le long d’un levé très fréquenté à une vitesse de croisière d’environ 13 nœuds. Le levé suivait environ le nord-est dans des zones sécuritaires au-dessus de la ligne magenta indiquée sur la carte. Le navire devait ensuite se diriger vers le sud et l’est dans une zone sans aucun levé ni aucun sondage. Vu que l’eau était en blanc sur la charte, pendant le procès, j’ai nommé cette zone « Big White ».

[19]  Le Sir Wilfrid Laurier s’est dirigé plus ou moins vers le sud à une vitesse réduite d’environ 4 nœuds. Sa route laissait les îles Lawford sur tribord et les îles Home sur bâbord. Le capitaine Taylor se préoccupait de la présence de hauts-fonds, car il en avait découvert plusieurs pendant sa carrière. Ses préoccupations ont été renforcées par le fait qu’il y avait une île très petite à tribord qui n’était qu’à quelques mètres au-dessus de la ligne de flottaison.

[20]  Il a réduit davantage sa vitesse à 2 nœuds. Son échosondeur fonctionnait. Le transpondeur, comme sur la plupart des navires, se situait à environ un tiers vers l’arrière. Soudainement, il s’est retrouvé dans un creux de seulement 10 mètres. Réalisant qu’il pourrait avoir encore moins d’eau en dessous de l’étrave, il a reculé immédiatement. Il a envoyé un officier et un membre d’équipage en avant dans un canot pneumatique. En utilisant un échosondeur portatif, ils ont découvert le haut-fond qui était également un rocher isolé. Ils ont ensuite constaté que l’eau était profonde à l’est de la roche et qu’il était donc possible d’accéder au port Epworth. Le scientifique à bord souhaitait effectuer des travaux dans le golfe, au nord du port Epworth, mais le capitaine Taylor a décidé que c’était trop dangereux.

III.  Avis à la navigation A102/07

[21]  Le Règlement sur les abordages prévoit la définition suivante d’un avis à la navigation : « Communiqué urgent du ministère des Pêches et des Océans destiné à fournir des renseignements relatifs à la navigation ». La Garde côtière canadienne et le Service hydrographique du Canada relèvent du ministère des Pêches et des Océans. Les deux peuvent publier des avis à la navigation, communément appelés des NOTSHIP. Le capitaine Taylor a signalé la présence du haut-fond au Service hydrographique et a personnellement été à l’origine de la publication de l’avis à la navigation A101/07. Il a ensuite remplacé cet avis par l’avis A102/07, puisque l’avis A101/07 ne comportait aucune mention de l’avertissement NAD83.

[22]  Le NOTSHIP A102/07 publié le 16 septembre 2007 indique ce qui suit :

[traduction]

A102/07 – Arctique de l’Ouest – golfe Coronation – le 16 septembre 2007

ARCTIQUE DE L’OUEST

UN HAUT-FOND A ÉTÉ DÉCOUVERT ENTRE LES ÎLES LAWSON ET LES ÎLES HOME DANS LA PARTIE SUD DU GOLFE CORONATION PAR 67° 58,25′ N ET 112

40,39′ O. PROFONDEUR PORTÉE SUR LES CARTES DANS LE SECTEUR, 29 M. DERNIÈRE PROFONDEUR MESURÉE, 3,3 M. ROCHER ISOLÉ.

CONSULTER LE SYSTÈME DE RÉFÉRENCE NAD83

ANNULE LE NOTSHIP A101/07

Le terme « A102/07 » est un sigle désignatif alphanumérique dont le « A » signifie « Arctique ».

[23]  Le NOTSHIP A102/07 a fait l’objet d’une radiodiffusion pendant 14 jours. Il est ensuite devenu un NOTSHIP écrit.

[24]  À ce moment-là, à la fin de chaque NOTSHIP radiodiffusé, un renvoi était fait aux anciens avis à la navigation qui étaient encore en vigueur. Les déclarations suivantes ont été faites :

[traduction]

En ce qui concerne les avis à la navigation publiés avant les 14 derniers jours, veuillez communiquer avec le centre ou consulter le site Web des avis à la navigation à l’adresse www.ccg-gcc.gc.ca/notship.

Le centre concerné était le SCTM Iqaluit (Services de communications et de trafic maritime de la Garde côtière canadienne).

[25]  Le document Aides radio à la navigation maritime (Pacifique et l’Arctique de l’Ouest), publié par la Garde côtière canadienne et qui devait être à bord du Clipper Adventurer, indique ce qui suit :

[traduction]

Certains avis à la navigation demeurent en vigueur pendant de longues périodes. Afin de réduire la longueur des horaires de radiodiffusion, ces avis sont diffusés par écrit et seront identifiés par le même numéro de référence que celui qu’ils portaient alors qu’ils étaient radiodiffusés.

[26]  En outre, ces NOTSHIP sont imprimés et distribués hebdomadairement par télécopieur et par courriel à la demande des parties intéressées. Il ne ressort aucunement de la preuve que le Clipper Adventurer, ou ses gestionnaires, étaient abonnés à ce service.

[27]  Pendant la période visée, de 2007 à 2010, les NOTSHIP datant de plus de 14 jours ont fait l’objet d’une exception afin d’être transformés en format écrit. Il s’agissait de NOTSHIP en matière de sécurité, qui continuaient d’être radiodiffusés. L’avis A102/07 n’était pas considéré comme un NOTSHIP en matière de sécurité parce qu’il ne visait pas une route fréquentée souvent ou une zone adjacente à une telle route. En fait, au cours des 18 ans avant l’échouage, un seul autre navire de toute taille, soit l’Akademik Ioffe, avait appelé le port Epworth.

[28]  Au cours des mois suivants, le capitaine Taylor a communiqué avec Andrew Leyzack, un hydrographe situé à Burlington, en Ontario, qui couvre le Canada central et l’Arctique canadien. Ils se connaissaient en raison de voyages antérieurs. Le capitaine Taylor avait recueilli une quantité assez importante de données pendant son voyage en 2007, mais à l’exception de l’avis A102/07, M. Leyzack ne souhaitait publier aucun renseignement supplémentaire à ce moment-là. Un hydrographe professionnel n’était pas à bord du Sir Wilfrid Laurier et l’équipement utilisé ne répondait pas aux normes hydrographiques. M. Leyzack, qui a témoigné au procès, était un perfectionniste.

[29]  Il ne serait pas pratique de publier à nouveau des cartes hydrographiques sur papier chaque année. Ce n’est pas le cas pour les cartes électroniques modernes, mais le Sir Wilfrid Laurier et le Clipper Adventurer utilisaient tous les deux des cartes sur papier. Aucun des navires n’avait des cartes électroniques autorisées comme telles, mais ils avaient tous les deux des copies balayées de la carte sur papier à leur disposition et ils les ont utilisées. Ces copies balayées étaient utiles pour tracer leur route.

[30]  La plupart des activités de sondage effectuées dans l’Arctique sont de nature opportuniste. Le Service hydrographique du Canada n’a pas sa propre capacité à briser la glace et il s’en remet donc à la Garde côtière canadienne. Moins de 10 % des eaux vastes de l’Arctique ont été sondées selon les normes modernes. Le rôle principal des brise-glaces canadiens pendant la courte saison de navigation estivale est, comme le nom l’indique, d’agir en tant que brise-glaces et d’exécuter des missions de recherche et de sauvetage. Les hydrographes sont invités à bord, mais leurs sondages ne sont pas prioritaires. Par exemple, en 2008, une équipe d’hydrographes était à bord d’un brise-glace dans le golfe Coronation. Toutefois, le brise-glace a été appelé à exécuter d’autres fonctions et, par conséquent, aucun sondage exact du haut-fond n’a été effectué.

[31]  En 2009, une équipe d’hydrographes menée par M. Leyzack était à bord du Sir Wilfrid Laurier. À l’aide d’équipement hydrographique professionnel, ils ont découvert que le plus haut sommet du rocher n’était que de 2,3 mètres en dessous de la ligne de flottaison et à environ une encablure à l’ouest de la position signalée dans l’avis A102/07.

[32]  M. Leyzack et le capitaine Taylor ont discuté afin de savoir si un nouvel avis NOTSHIP devrait être publié en vue de remplacer l’avis A102/07, mais le capitaine Taylor s’est opposé à cette idée. Aucun argument n’a été présenté selon lequel cette décision a eu une incidence sur le sort du Clipper Adventurer. Selon le plan, le NOTSHIP A102/07 devait être remplacé par un avis aux navigateurs.

IV.  Avis aux navigateurs et avertissements NAVAREA

[33]  Les avis aux navigateurs sont bien connus au Canada et sur le plan international. Ils servent de mise à jour permanente à la carte hydrographique sur papier. Le Service hydrographique du Canada tient à jour environ 1 000 cartes et publie environ 50 nouvelles cartes chaque année. Il ne serait pas pratique de publier une nouvelle carte chaque fois que la carte existante devait être mise à jour, par exemple pour indiquer l’installation d’une nouvelle lumière ou, en fait, un haut-fond récemment découvert. La carte 7777 était une carte de haute priorité, signifiant que, tous les cinq ans, le Service hydrographique étudiait la question de savoir si une nouvelle carte devait être publiée. La carte utilisée par le Clipper Adventurer avait été achetée par son représentant, Marine Press of Canada. Telle qu’elle est imprimée par le Service hydrographique du Canada, elle constituait la nouvelle version publiée le 30 mai 1997 et a été corrigée par les avis aux navigateurs jusqu’au 4 juin 2004. Marine Press a corrigé elle-même la carte au moyen du dernier avis aux navigateurs qui a été publié en 2008.

[34]  Les avis aux navigateurs sont préparés par le Service hydrographique du Canada et diffusés par la Garde côtière canadienne.

[35]  En plus des avis aux navigateurs en soi, il y a des avis aux navigateurs (NOTMAR) temporaires et préliminaires. Les NOTMAR temporaires et préliminaires sont publiés par de nombreux pays et peuvent souvent constituer la prochaine étape à la suite d’un NOTSHIP en vue d’avertir les navigateurs d’un élément qui ne figure pas sur la carte, mais qui n’a pas encore fait l’objet d’un sondage complet. Le Service hydrographique du Canada publiait auparavant les NOTSHIP temporaires et préliminaires, mais il a cessé cette pratique depuis un certain temps puisqu’il estimait qu’ils pourraient porter à confusion. Par exemple, sur la carte 7777, dans sa version de l’époque, il y a des taches bleues indiquant une position signalée en 1960 qui était considérée comme douteuse, et M. Leyzack a découvert que cette position n’existait pas du tout.

[36]  La Garde côtière canadienne publie des NOTMAR temporaires et préliminaires, mais elle n’indique pas un élément permanent, comme un haut-fond. Les NOTMAR temporaires peuvent être utilisés pour indiquer des travaux à court terme que la Garde côtière exécute tandis que les NOTMAR préliminaires servent de proposition pour apporter un changement permanent à l’égard duquel le public est invité à faire part de ses commentaires.

[37]  Les pays ne publient pas tous des NOTMAR temporaires et préliminaires. En fait, deux autres pays ayant compétence sur les eaux de l’Arctique, soit la Russie et les États-Unis, ne les publient pas.

[38]  Une fois que M. Leyzack est retourné à son bureau à Burlington et a regroupé les données recueillies en 2009, il a préparé quatre avis aux navigateurs. Ils ont été approuvés en février 2010 et, selon la direction interne du Service hydrographique du Canada, ils auraient dû être publiés en juin 2010. Un de ces avis aux navigateurs aurait remplacé l’avis A102/07. Toutefois, aucun des NOTMAR proposés et approuvés de M. Leyzack n’a été publié avant l’échouage.

[39]  La demanderesse a critiqué de manière importante l’ensemble du ministère des Pêches et des Océans, certainement à bon droit en ce qui concerne le Service hydrographique du Canada, mais non pour ce qui est de la Garde côtière canadienne. Les quatre NOTMAR proposés de M. Leyzack, ainsi que deux autres, n’ont jamais été transférés d’un des secteurs internes du Service à un autre. Ils ont été laissés de côté et oubliés. Il n’y avait aucun système en place permettant de suivre les progrès des NOTMAR proposés. Il n’existait aucun système de saisie du tout. Il va sans dire que M. Leyzack, qui était à bord du Sir Wilfrid Laurier dans l’Arctique lorsque le Clipper Adventurer a échoué, était surpris du fait que le NOTMAR qui devait remplacer l’avis A102/07 n’avait pas été publié. Je conclus que chaque membre de la Garde côtière canadienne et du Service hydrographique du Canda était au courant de sa responsabilité collective d’avertir les navigateurs des dangers dont ils avaient connaissance. Il s’agit de décider si le NOTSHIP A102/07 répondait à ce besoin.

[40]  Je suis également convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que, si le NOTMAR avait été publié, tel qu’il devait l’être, la représentante autorisée chargée des cartes de Clipper Adventurer, Marine Press of Canada, aurait communiqué ces renseignements dans son courriel hebdomadaire et que l’échouage ne serait pas survenu. Cet élément est au cœur de l’argumentation de la demanderesse.

[41]  Sauf les NOTMAR, les avertissements NAVAREA faisaient partie du Service mondial d’avertissement de navigation de l’Organisation maritime internationale. En 2010, la Garde côtière canadienne a assumé la responsabilité des avertissements NAVAREA visant les zones XVII et XVIII. Le golfe Coronation est dans la zone XVIII. Les avertissements NAVAREA visant les zones XVII et XVIII devaient être intégrés à la condition opérationnelle initiale à compter du 31 janvier 2010, mais, pour des raisons indépendantes de la volonté du Canada, ils ne sont entrés en vigueur que le 1er juillet 2010. Des avis de l’inauguration et des retards de celle-ci avaient été communiqués par les NOTMAR.

[42]  À compter du 1er juillet 2010 et jusqu’au 20 août 2010, le texte du NOTSHIP A102/07, modifié légèrement aux fins de communication internationale, a été radiodiffusé en tant qu’avertissement NAVAREA 5/10 visant la zone XVIII comme suit :

[traduction]

NAVAREA XVIII 5/10

ÎLE VICTORIA

GOLFE CORRONATION [sic]

CARTE CHS 7777

HAUT-FOND SIGNALÉ À 67 DEGRÉS 58 MINUTES 25 N 112 DEGRÉS 40 MINUTES 39 O

PROFONDEUR LA MOINS ÉLEVÉE 3,3 MÈTRES

[43]  Même si un nombre important d’éléments de preuve a été déposé quant aux capacités de communication du Clipper Adventurer, qui était équipé, entre autres, du Système mondial de détresse et de sécurité en mer, du NAVTEX, du INMARSAT-C avec récepteur de système, ainsi qu’Internet et d’un téléphone satellite, il n’est pas clair si le navire était bien placé pour recevoir l’avertissement NAVAREA XVIII 5/10. Vu les exigences rigoureuses du Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques, adopté en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, je n’estime pas qu’il soit nécessaire d’étudier davantage les avertissements NAVAREA.

V.  Le voyage du Clipper Adventurer

[44]  Ce n’était pas rare que le Clipper Adventurer, appartenant au port de Nassau, dont la longueur générale est de 100 mètres, une largeur générale de 16,22 mètres et un tirant d’eau maximal de 4,65 mètres, se trouve dans les régions polaires, tant dans l’Antarctique que dans l’Arctique. Elle relevait de la commande du capitaine Kenth Grankvist, un maître pilote très chevronné. Le second officier ou l’officier de navigation était David Mora. Il s’agissait de sa première affectation en tant qu’officier, ayant signé l’affectation le 24 juin 2010, et son premier voyage dans l’Arctique canadien.

[45]  Les Instructions nautiques, ARC 400 (canadiennes) et l’Édition annuelle des avis aux navigateurs, rappellent aux navigateurs qu’ils doivent avoir à bord toutes les cartes et publication canadiennes exigées par le Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques (1995) et les utiliser. En fait, toutes les cartes et toutes les publications nautiques canadiennes étaient à bord du navire et il utilisait également des publications anglaises qui sont généralement utilisées sur le plan international.

[46]  Ses cartes et publications canadiennes, anglaises et autres étaient fournies par Marine Press of Canada. Ses cartes et publications mettaient à jour les cartes au moyen des avis aux navigateurs. Ils indiquaient particulièrement qu’il n’y avait aucun NOTMAR temporaire et préliminaire pour la carte 7777 et ils n’indiquaient aucun NOTSHIP.

[47]  Le capitaine Grankvist avait fait environ 60 voyages antérieurs dans l’Arctique canadien, même s’il ne s’était jamais rendu au port Epworth. L’échouage a lieu au cours du deuxième voyage dans l’Arctique canadien de la saison 2010. Le navire avait quitté le Groenland le 23 juillet et, après plusieurs escales le long de l’île de Baffin, il a fait escale à Resolute Bay les 1er et 2 août. Il est ensuite retourné au Groenland. Sa dernière escale à l’île de Baffin était le 8 août.

[48]  Le voyage en question a débuté le 14 août à Kangerlussuaq, au Groenland. Son premier port d’escale canadien était à l’inlet Pond le 19 août. Ensuite, son dernier port d’escale avant le port Epworth était à l’inlet Bathurst. Il s’est ensuite dirigé vers le port Epworth. Cette étape du trajet s’est déroulée sans histoire.

[49]  Le capitaine Grankvist avait comme pratique de naviguer le long des sondages indiqués sur les cartes. Ce qu’il avait fait pendant plus de 20 ans sans incident.

[50]  Il incombait à M. Mora, en tant qu’officier de navigation, de planifier chaque étape du voyage. Il indiquait les changements à la route (points de cheminement) sur les cartes sur papier et il les saisissait dans les cartes électroniques. C’est lui qui aurait planifié l’étape de Port Epworth/Kugluktuk le 2 ou 3 août. Le capitaine Grankvist aurait discuté des routes avec M. Mora, et aurait en fait joué un rôle actif, puisque M. Mora ne connaissait pas bien les cartes canadiennes.

[51]  Le capitaine Grankvist a affirmé qu’il avait trois choix. À l’exception de la route qu’il a choisie, qui l’a mené vers le nord-ouest de Big White, il aurait pu rester au sud en empruntant une route vers l’ouest. Toutefois, cette route les aurait amenés près d’une série d’îles pendant la nuit. Une autre option était de retracer une partie de la route qu’il avait suivie de l’inlet Bathurst afin de se rendre au nord de la ligne magenta. Toutefois, cela aurait pris le double du temps.

[52]  Le capitaine Grankvist ne consultait les publications nautiques que s’il l’estimait nécessaire. Il ne se rappelle pas s’il avait estimé qu’il était nécessaire de consulter d’autres documents en plus de la carte.

[53]  Le capitaine Grankvist était à la passerelle de surface lorsqu’il est parti du port Epworth. Il a quitté temporairement la passerelle de surface, mais il y est revenu avant que le navire ait à passer entre les îles Home et Lawford. Le capitaine en second était l’officier de quart. Il s’est livré à la navigation par repères parallèles, ce qui est considéré comme une pratique exemplaire par les experts.

[54]  Le Clipper Adventurer avançait à la vitesse de croisière de 13 nœuds. Étant donné que la mer était très calme, il est possible que le navire allât un peu plus vite à travers l’eau. Il n’y avait aucune marée. Il n’y avait aucune décoloration ni aucun autre signe sur la surface de l’eau qui pourrait être interprété comme un avertissement de la présente du haut-fond.

[55]  Selon les motifs du capitaine Grankvist, les sondages indiquaient de l’eau profonde. Toutefois, lorsqu’il devait modifier la route pour passer entre les îles Home et Lawford, il y avait certaines variations, mais le creux le plus profond indiqué était toujours de 29 mètres. Puisqu’il avait un tirant d’eau de moins de 5 mètres, il n’estimait pas qu’il était nécessaire de réduire la vitesse ou de continuer par ailleurs de manière prudente. Le navigateur expert cité à témoigner par la demanderesse, le capitaine Paul Whyte, était du même avis. Effectivement, dans sa plainte à l’égard du Service hydrographique, M. Leyzack déclare qu’immédiatement après l’échouage, le navire était échoué solidement sur un haut-fond inadéquatement hydrographié signalé dans un avis à la navigation de 2007, notamment le NOTSHIP A102/07. Il a affirmé [traduction] « Les sondages existants ne donnent aucune indication qu’un tel haut-fond existerait à cet endroit ». Évidemment, cela m’amène à la question de savoir si le capitaine Grankvist avait le droit de se fier uniquement à la carte (qui comportait elle-même un avertissement qu’elle ne comportait que des levés en route et des sondages ponctuels de la zone visée).

[56]  Au cours des jours suivant l’échouage, tous ensemble et chacun en particulier sont venus à bord. Ce n’est qu’à ce moment que le capitaine Grankvist a pris connaissance du NOTSHIP A102/07. Les gestionnaires des propriétaires visés par la plainte Miami soutiennent qu’ils ont tenté sans succès de trouver l’avis A102/07 sur le site Web de la Garde côtière canadienne.

[57]  M. Mora, dont le témoignage a été enregistré avant le procès puisqu’il ne pouvait pas quitter son emploi au Panama, a témoigné par vidéo en direct que j’ai regardé à Ottawa. Même s’il a consulté de nombreux sites Web et de nombreuses publications, il était extrêmement vague quant à ce qu’il effectuait véritablement. Surtout, il a indiqué que, même s’il avait entendu quelque chose au sujet d’avis à la navigation d’un autre officier, il n’avait aucune idée de quoi il en retournait. Il avait supposé par erreur que Marine Press of Canada leur avait donné tous les renseignements dont ils avaient besoin. Il n’y avait eu aucune communication avec le SCTM, sauf pour signaler leurs emplacements, au besoin. Aucune demande n’a été faite quant aux NOTSHIP non communiqués.

[58]  Il va sans dire que le temps n’a pas été gaspillé pour tenir à jour les navigateurs. Le NOTSHIP A99/10 suivant a été publié le 5 septembre 2010 :

[traduction]

HAUT-FOND INADÉQUATEMENT HYDROGRAPHIÉ, PARTIE SUD DU GOLFE CORRONATION [sic]

CARTE : 7777

UN HAUT-FOND A ÉTÉ DÉCOUVERT ENTRE LES ÎLES LAWSON ET LES ÎLES HOME DANS LA PARTIE SUD DU GOLFE CORRONONATION [sic] PAR :

67° 58, 2716’ N, 112° 48,3400’ O

DONT LA PROFONDEUR LA MOINS ÉLEVÉE EST DE 2,3 MÈTRES

LES NAVIGATEURS SONT INVITÉS À FAIRE PREUVE DE PRUDENCE LORSQU’ILS NAVIGUENT DANS CETTE ZONE.

ANNULE L’AVIS À LA NAVIGATION A102/07

SOURCE : SERVICE HYDROGRAPHIQUE DU CANADA

PERSONNE-RESSOURCE : NGCC SIR WILFRID LAURIER

[59]  Ce NOTSHIP a été suivi par un NOTMAR le 8 octobre 2010 et une nouvelle version de la carte 7777 a ensuite été publiée.

VI.  Arguments de la demanderesse

[60]  Les arguments contre Sa Majesté reposent sur la négligence. À une certaine époque, la Couronne ne pouvait causer de tort. Toutefois, en 1952, le Parlement a adopté la Loi sur la responsabilité de la Couronne, LC 1952-53, c 30. Cette Loi imposait une responsabilité du fait d’autrui à l’égard d’un délit civil commis par un préposé de la Couronne et à l’égard d’un manquement à l’obligation ayant trait à « la propriété, à la possession ou à la garde de biens ». La Loi a ensuite été modifiée et renommée la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif. Toutefois, aux fins de l’espèce, les deux principes énoncés ci-dessus demeurent les mêmes.

[61]  Étant donné que la Couronne n’avait, en aucune manière que ce soit, la propriété ou la garde du haut-fond, la responsabilité doit être fondée sur le sous-alinéa 3b)(i) et l’article 10 de la Loi qui prévoit la responsabilité de l’État à l’égard d’un délit civil commis par un préposé de l’État pourvu que l’acte ou l’omission de ce préposé ait pu donner naissance à une cause d’action contre ce préposé.

[62]  La jurisprudence de la Cour est fondée sur l’alinéa 17(2)d) et l’article 22 de la Loi sur les Cours fédérales. L’alinéa 17(2)d) confère à la Cour la compétence concernant les actions intentées contre la Couronne aux termes de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, tandis que l’article 22 confère à la Cour la compétence sur les actions en matière de droit maritime. Le délit civil invoqué est un délit maritime régi par le droit maritime canadien. Toutefois, il n’y a aucune distinction à faire en l’espèce entre un délit civil général et un tort civil régi par le droit maritime canadien puisque les délits maritimes découlent de la common law en matière de responsabilité délictuelle. (Arrêt ITO-Int’l Terminal Operators Ltd c Miida Electronics Inc, [1986] 1 RCS 752 (Buenos Aires Maru)).

[63]  La demanderesse soutient que, ayant pris connaissance de la présence du haut-fond, un nombre quelconque de préposés de la Couronne employés par le Service hydrographique du Canada ou par la Garde côtière canadienne avait une obligation de mise en garde envers le Clipper Adventurer. La publication du NOTSHIP A102/07 presque trois ans avant l’échouage, lorsqu’il a été admis que le Clipper Adventurer n’était pas dans la limite de la portée radio, n’équivalait à aucun avis du tout. La recherche du NOTSHIP A102/07 équivalait à chercher une aiguille dans une botte de foin.

[64]  La demanderesse invoque la décision du juge en chef adjoint Noël dans l’arrêt R. v Nord‑Deutsche Versicherungs Gesellschaft, [1969] 1 RC de l’É 117 (Hermes/Transatlantic), modifié, mais pas sur cette question, par la Cour suprême, [1971] RCS 849. Le Transatlantic et le Hermes se sont heurtés dans une partie du fleuve Saint-Laurent en aval de Montréal connue comme le Lac Saint- Pierre. Une des causes de l’abordage était qu’une bouée indiquant un côté du chenal dragué était mal placée. Même si le ministère des Transports était au courant de ce fait, aucun avertissement n’a été publié.

[65]  Le juge en chef adjoint Noël a déclaré :

[traduction]

135  On peut affirmer, à mon avis, que nous encourageons les navigateurs de tous les pays à utiliser nos rivières et nos lacs navigables et que, même s’ils en tirent profit, les opérations commerciales de tous les navigateurs, canadiens ou étrangers, profitent aussi au commerce et à l’industrie du Canada. Sans les liens créés par les canaux, les chenaux et les chemins de fer, je doute que le Canada en tant que nation ait connu l’expansion industrielle et commerciale actuelle. Nous pouvons donc dire que tous les navires utilisant nos voies navigables sont invités et encouragés à le faire et devraient pouvoir se fier aux moyens mis à leur disposition pour naviguer sans danger dans ces eaux et je pense aussi que la réciproque est vraie pour les navires canadiens en eaux étrangères. Si tel est le cas, la Couronne a une obligation absolue de veiller à ce que ces dispositifs répondent au but envisagé pour les usagers de nos voies navigables, y compris le chenal qui leur permet d’atteindre ou de quitter le port principal de ce pays, Montréal.

[66]  La demanderesse invoque également la décision Rideau St Lawrence Cruise Ships Inc c R, [1988] ACF no 420. Dans cette affaire, la Cour a conclu que la Couronne avait une obligation, non seulement envers les plaisanciers en général, mais envers la demanderesse en particulier, d’entretenir la profondeur draguée du canal Rideau. Les préposés étaient au courant du rocher dans le canal, mais ne l’avaient pas enlevé et n’avaient pas averti les plaisanciers de sa présence.

[67]  La demanderesse soutient en outre que, même en tenant compte du fait que le signalement du haut-fond n’était pas fondé sur des normes hydrographiques professionnelles, un NOTMAR temporaire et préliminaire aurait dû être publié. Le Clipper Adventurer aurait été vigilant.

[68]  On fait valoir que l’omission du Canada de publier cet avertissement constitue une violation du droit international. Le Canada a signé la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) et il est un membre de l’Organisation maritime internationale et de l’Organisation hydrographique internationale. La SOLAS reconnaît les NOTMAR, mais non les NOTSHIP.

[69]  En raison de l’omission de publier un NOTMAR, le NOTSHIP A102/07 aurait dû continuer d’être radiodiffusé en tant que NOTSHIP en matière de sécurité ou, comme il en est maintenant ainsi à la suite de l’échouage, que tous les NOTSHIP en vigueur dans l’Arctique auraient dû faire l’objet d’une radiodiffusion.

[70]  Enfin, le SCTM Iqaluit aurait dû avoir été plus proactif. Le navire aurait dû être expressément averti de la présence du haut-fond puisque le centre était parfaitement conscient de l’itinéraire du navire.

[71]  La demanderesse soutient que, si l’une quelconque de ces mesures avait été prise, l’accident ne serait pas survenu. Les personnes à bord du Clipper Adventurer indiquent n’avoir aucune connaissance du NOTSHIP A102/07 ou de l’avertissement NAVAREA XVIII 5/10.

VII.  Moyen de défense de la Couronne

[72]  La Couronne fait valoir qu’aucun de ses préposés, y compris aucun préposé de la Garde côtière canadienne ou du Service hydrographique du Canada, n’avait une obligation de mise en garde envers le Clipper Adventurer quant à la présence du haut-fond.

[73]  Quoi qu’il en soit, tel que cela a été indiqué auparavant, le Clipper Adventurer avait été suffisamment averti par la publication du NOTSHIP A102/07, et, en outre par la publication de l’avertissement NAVAREA XVIII 5/10 le 1er juillet 2010 qui a été radiodiffusé jusqu’au 20 août 2010. Le Clipper Adventurer avait passé de nombreux jours au Canada pendant cette période.

[74]  Le Clipper Adventurer avait une obligation imposée par la loi de naviguer à l’aide d’une carte à jour, non seulement afin de tenir compte des derniers avis aux navigateurs, mais également des avis à la navigation. C’est cette omission qui a entraîné l’échouage.

[75]  Dans le cas où il est conclu que la Couronne avait une obligation de mise en garde et qu’elle ne s’était pas acquittée de cette obligation, le Clipper Adventurer était l’auteur de son propre malheur parce que le navire voyageait avec insouciance à une vitesse excessive dans des eaux largement inconnues.

[76]  La Couronne se fonde fortement sur la décision du juge Addy dans Warwick Shipping Ltd c Canada, [1982] 2 CF 147, [1981] ACF 197 (Golden Robin). Cette décision a été confirmée en appel, [1983] ACF no 807, (1983), 48 NR 378 (CAF), mais annulée en partie en ce qui concerne l’adjudication des dépens, [1984] 1 CF 998, [1983] ACF 159.

[77]  Selon le juge Addy, la question en litige dans cette affaire était celle de savoir s’il existait une obligation d’avertir de tout danger découvert par la Couronne ou porté à son attention. Il a conclu que les indications sur une carte avaient comme but de faciliter et d’aider la navigation et qu’elles étaient destinées au public en général ou, à tout le moins, à une catégorie particulière de public.

[78]  Au paragraphe 54, il a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[...] Lorsque de telles indications publiques sont données à des fins publiques, et qu’on s’attend que les intéressés se fient à ces indications, il n’est pas nécessaire qu’existe une relation particulière ou spéciale entre celui qui les a faites et ceux qui s’y fient pour qu’il y ait obligation de mettre en garde. En outre, lorsque, comme en l’espèce, de nombreuses vies sont en jeu, qu’il y a un risque sérieux de dommages aux biens et que l’inexécution de l’obligation peut avoir des conséquences fort graves, le degré de prudence à exercer doit, par conséquent, être élevé.

[79]  Même s’il était d’avis que, si la Couronne avait été une défenderesse ordinaire, elle aurait été responsable, l’action a été rejetée puisqu’il a conclu qu’aucun préposé particulier de la Couronne n’avait une obligation envers le Golden Robin.

[80]  En outre, un dragage avait été effectué par des entrepreneurs indépendants qui n’étaient pas des préposés de la Couronne. En conséquence, aucune responsabilité n’était prévue à ce titre. Il a également été conclu que les sondages et la profondeur du contour sur la carte hydrographique n’étaient pas établis exactement lorsqu’elle a été publiée des années avant l’échouage.

[81]  En outre, les Instructions nautiques avaient signalé que les bouées pourraient souvent être forcées à l’extérieur de leur emplacement en raison de dangers naturels, comme les marées.

VIII.  Discussion

A.  Obligation de mise en garde

[82]  Afin d’obtenir gain de cause dans une action en négligence, un demandeur doit établir que le défendeur avait une obligation de diligence envers lui, qu’il a manqué à cette obligation et que le manquement a causé les dommages réclamés. La Cour doit décider d’abord s’il existe un lien suffisant qui donne lieu à une obligation de diligence et, dans l’affirmative, s’il existe des considérations politiques qui écartent l’obligation (Anns v Merton London Borough Council, [1978] AC 728, [1978] 2 All ER 492; et Kamloops c Nielsen, [1984] 2 RCS 2, 10 DLR (4th) 641).

[83]  Même si aucun des préposés de la Couronne n’avait une obligation de chercher et de découvrir des hauts-fonds inadéquatement hydrographiés, mon interprétation des décisions après la décision Golden Robin, comme celles de la Cour suprême dans Just c Colombie‑Britannique, [1989] 2 RCS 1228, Cooper c Hobart, [2001] 3 RCS 537, et la décision de la Cour d’appel fédérale dans Brewer Bros c Canada (Procureur général), [1992] 1 CF 25, [1991] ACF no 456, m’amène à conclure que les divers préposés de la Couronne employés par la Garde côtière canadienne et par le Service hydrographique du Canada, une fois que le haut‑fond a été découvert, avaient une obligation d’avertir les navigateurs, y compris le Clipper Adventurer, de la présence dudit haut‑fond et qu’il n’existait aucune considération politique pour écarter cette obligation.

[84]  L’obligation de mise en garde a également été reconnue dans les réclamations pour perte purement économique (Rivtow Marine Ltd c Washington Ironworks, [1974] RCS 1189, 40 DLR (3d) 530; et Kamloops, précité).

[85]  Dans l’arrêt Brewer Bros c Canada, la Cour d’appel fédérale a conclu que la Commission canadienne des grains était responsable de négligence envers les producteurs pour n’avoir pas agi en temps voulu après avoir été mise au courant des difficultés financières d’un exploitant d’élévateur titulaire de permis. Dans Alberta c Elder Advocates of Alberta Society, 2011 CSC 24, [2011] 2 RCS 261, la Cour suprême a décrit l’arrêt Brewer Bros comme une décision où la loi applicable imposait à une autorité publique une obligation positive d’agir. Je suis d’avis que la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, sinon la Loi sur les océans, impose une telle obligation aux préposés de la Couronne.

[86]  Parmi les objectifs de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, on compte ce qui suit :

6 b) de favoriser la sûreté du transport maritime et de la navigation de plaisance;

6 (b) promote safety in marine transportation and recreational boating;

g) de faire en sorte que le Canada honore ses obligations internationales découlant d’accords bilatéraux et multilatéraux en matière de navigation et de transport maritimes;

(g) ensure that Canada can meet its international obligations under bilateral and multilateral agreements with respect to navigation and shipping;

h) d’encourager l’harmonisation des pratiques maritimes;

(h) encourage the harmonization of marine practices;

[87]  L’article 41 de la Loi sur les océans prévoit que les pouvoirs et fonctions du ministre des Pêches et des Océans s’étendent à ce qui suit et comprennent :

a) les services destinés à assurer la sécurité, la rentabilité et l’efficacité du déplacement des navires dans les eaux canadiennes par la fourniture :

(a) services for the safe, economical and efficient movement of ships in Canadian waters through the provision of

(i) de systèmes et de services d’aide à la navigation,

(i) aids to navigation systems and services,

(ii) de services de communication maritime et de gestion du trafic maritime,

(ii) marine communications and traffic management services,

(iii) de services de brise-glace et de surveillance des glaces,

(iii) ice breaking and ice management services, and

(iv) de services d’entretien des chenaux;

(iv) channel maintenance;

[88]  L’article 42 de ladite loi prévoit que le ministre peut, entre autres, effectuer des levés hydrographiques et océanographiques dans les eaux canadiennes et autres, dresser et publier des cartes marines et en autoriser la distribution.

B.  Exécution de l’obligation de mise en garde

[89]  La demanderesse soutient que la publication d’un NOTSHIP, sans mesure de suivi, a créé un risque de préjudice prévisible et déraisonnable qui a donné lieu à l’échouage. La norme de diligence en fonction de laquelle l’obligation de mise en garde doit être évaluée exigeait plus qu’un simple NOTSHIP. Toutefois, cet argument ne tient pas compte de la réciprocité de l’article 7 du Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques (1995). Si un maître pilote doit naviguer en fonction de renseignements contenus dans les avis à la navigation, il s’ensuit que la publication d’un avis à la navigation permet de s’acquitter de l’obligation de mise en garde. Les publications nautiques ont publié un avis selon lequel des NOTSHIP écrits peuvent être en vigueur pendant de longues périodes. Comme je l’ai dit au début, la perte a été causée par la négligence de la part du Clipper Adventurer, et non de la part des préposés de la Couronne.

[90]  La demanderesse met l’accent sur le fait que la radiocommunication dans l’Arctique peut être difficile et que le Clipper Adventurer n’était pas tenu d’être muni d’Internet. Il suscite toutefois la croyance que tous les systèmes de la Garde côtière auraient été en panne pendant une période prolongée. Même s’ils l’étaient, argument que je ne retiens d’aucune façon, comme le capitaine Grankvist l’a déclaré, la réception Internet était excellente au Groenland et le navire n’avait éprouvé aucune difficulté à faire ses comptes-rendus de position au SCTM, si l’officier Mora, sous la supervision du capitaine Grankvist, avait pris note sérieusement des publications qu’il devait connaître, il aurait été parfaitement au courant de l’existence de NOTSHIP écrits, et que, s’il ne pouvait les obtenir en consultant le site Web de la Garde côtière canadienne, tout ce qu’il avait à faire était d’appeler le SCTM Iqaluit. En fait, il aurait pu appeler les gestionnaires de navire à Miami. Quoi qu’il en soit, cette attitude négligente a mis en danger la vie de près de 200 personnes.

[91]  Les gestionnaires des propriétaires, International Shipping Partners Inc., de Miami, ne sont pas sans reproches non plus. Le vice-président, Nick Inglis, était parfaitement au courant que le Canada avait publié des NOTSHIP et que des copies de ceux-ci n’avaient pas été fournies à la flotte par Marine Press of Canada. Toutefois, le capitaine Grankvist et M. Mora ont été abandonnés à leur sort. Les feuilles d’approbation du plan de traversée que les gestionnaires ont fournies renvoyaient aux avertissements NAVAREA, mais non aux NOTSHIP. En outre, si le Clipper Adventurer avait éprouvé des difficultés pour communiquer avec le SCTM Iqaluit, aucun élément à cet effet n’a été déposé, le Clipper Adventurer était également équipé de ce qui est appelé le système Iridium, qui ne fait pas partie du système de sécurité international. Si le navire avait éprouvé des difficultés à obtenir les NOTSHIP, il aurait dû envoyer un message aux gestionnaires à l’aide d’Iridium. Toutefois, comme M. Inglis l’a déclaré [traduction] « mais, s’ils ne savaient pas qu’il existait un problème, ils ne pouvaient pas m’appeler et dire “nous avons un problème” ».

[92]  Le capitaine Grankvist et M. Mora ne savaient pas qu’ils avaient un problème parce qu’ils ne s’étaient pas suffisamment préparés pour le voyage. Ils avaient une obligation légale de mettre à jour la carte 7777 afin de tenir compte des NOTSHIP, mais ils ne se sont pas acquittés de cette obligation. Ils auraient dû s’assurer que tous les NOTSHIP étaient disponibles et consultés. Ils ne l’ont pas fait.

[93]  Même s’il avait été préférable d’avoir une communication plus complète entre le Clipper Adventurer et le SCTM Iqaluit, les lacunes relèvent du navire. La station SCTM de la Garde côtière n’avait aucune obligation d’avertir d’office le Clipper Adventurer de la présence du haut‑fond. Elle ne savait pas quelle route serait empruntée. La situation pourrait être différente si le Clipper Adventurer avait demandé des renseignements et avait obtenu des renseignements erronés.

[94]  Comme le Lord Atkin l’a déclaré dans Evans c Bartlam, [1937] AC 473, (HL), à la page 479 :

[traduction]

Le fait est qu’il n’y a pas, et qu’il n’y a jamais eu, de présomption selon laquelle tout le monde connaît la loi. Il existe une règle selon laquelle l’ignorance de la loi n’est pas une excuse, une maxime ayant une portée et une application fort différentes.

[95]  Même si le Canada a manqué à ses obligations en vertu de la SOLAS, ce dont je doute, ce manquement ne conférerait pas au Clipper Adventurer une cause d’action. L’article 29 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada dispose que les annexes I et II mentionnent les conventions internationales signées par le Canada et auxquels le ministre des Transports ou le ministre des Pêches et des Océans a décidé qu’il devrait être donné force de loi, en tout ou en partie, par règlement. Environ 66 règlements sont énumérés aux annexes, y compris le Règlement sur les cartes marines et les publications nautiques, précité. Même si de nombreux de ces règlements donnent sans doute force de loi à des parties de la SOLAS (voir Berhad c Canada, 2005 CAF 267, 338 NR 75), les modifications apportées à la SOLAS invoquées par la demanderesse n’ont pas reçu force de loi au Canada par voie de règlement.

[96]  La signature du Canada sur un traité ne fait pas de ce traité une partie du droit interne. Les principes de droit international doivent être adoptés dans notre propre droit interne par une mesure législative (Chung Tchi Cheung v The King, [1939] AC 160, Reference as to Powers to Levy Rates on Foreign Legations, [1943] SCR 208).

[97]  Même s’il est vrai que le droit international peut servir de lignes directrices quant au contenu de notre propre droit interne, il ne peut écarter les préceptes clairs d’une loi ou d’un règlement (Kasemi (Succession) c République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 RCS 176, Xela Enterprises Ltd v Castillo, 2016 ONCA 437).

[98]  Il semble que le Canada est le seul pays qui émet des avertissements locaux des avis à la navigation et qui pourrait utiliser de tels avis pour remplacer les avis aux navigateurs. La demanderesse a cité Horst Hecht à témoigner en tant que témoin expert. Même s’il est maintenant à la retraite, il était le représentant allemand au sein de comités importants de l’Organisation hydrographique internationale pendant de nombreuses années, il était le président de la Société hydrographique allemande et le directeur du secteur de l’hydrographie de l’Agence maritime et hydrographique fédérale allemande de 1998 à 2008. Il a participé également à la rédaction du chapitre V de la SOLAS qui traite des questions hydrographiques.

[99]  Ses critiques ne concernaient pas beaucoup la nomenclature utilisée par le Service hydrographique du Canada. De nombreux pays publient des avertissements locaux selon différents noms. Il se plaint du fait que les avis à la navigation et les avis aux navigateurs semblent être utilisés de manière interchangeable, contrairement à la pratique internationale. Il n’aurait pas dû y avoir un avis à l’expédition en vigueur qui datait de trois ans (en fait, il y avait des NOTSHIP plus anciens qui étaient encore en vigueur). Les NOTSHIP qui dataient de plus de 14 jours ont été promulgués de manière inadéquate. La réception radio dans l’Arctique est connue pour être irrégulière. Cela comprend la réception d’Internet. Ces lacunes s’appliqueraient également aux avertissements NAVAREA. La navigation est un domaine international et le Canada a manqué à ses obligations en vertu de la SOLAS.

[100]  Même si je devais retenir l’argument selon lequel l’utilisation du Canada des avis à la navigation pour remplacer les avis aux navigateurs contrevient à la règle 9 du chapitre V de la SOLAS qui, en ce qui concerne les services hydrographiques, mentionne les avis aux navigateurs, mais non les avis à la navigation, la règle 9 du chapitre V ne fait pas partie du droit interne canadien puisqu’aucun règlement n’a été pris aux termes de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada pour lui donner force de loi. Je ne retiens pas ledit argument.

[101]  En conséquence, nous ne sommes pas confrontés à deux règlements contradictoires. Le gouvernement fédéral a le pouvoir de conclure des traités. Toutefois, même au sein des catégories législatives fédérales de sujets, il incombe au Parlement de donner effet à ce traité.

[102]  Ayant conclu que la Couronne s’est acquittée de son obligation de mise en garde lorsqu’elle a publié le NOTSHIP A102/07, à proprement parler, il n’est pas nécessaire d’examiner la défense secondaire de la Couronne selon laquelle, quoi qu’il en soit, le Clipper Adventurer était l’auteur de son propre malheur. Toutefois, vu tous les avertissements figurant dans les publications de voyager prudemment, je conclus que les personnes à bord du Clipper Adventurer ont été négligentes. Elles auraient dû savoir qu’il existait des hauts-fonds inadéquatement hydrographiés. Étant donné que le côté sud de tels hauts-fonds était raide, elles auraient dû voyager entre les îles à une vitesse beaucoup moins rapide à la suite d’un canot pneumatique ayant un échosondeur portatif. À cet égard, je souscris à l’opinion du capitaine Louis Rhéaume, cité à témoigner par la défenderesse.

IX.  Dommages-intérêts

A.  La Couronne

[103]  Les parties reconnaissent que le montant de la réclamation de la Couronne est de 445 361,64 $ CA en capital. Si la Couronne a l’occasion de demander une indemnité auprès de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, cette caisse reconnaît que l’aveu la lie également.

[104]  Les articles 69 et 71 et le paragraphe 77(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime prévoient que le propriétaire d’un navire est responsable des frais engagés par le ministre des Pêches et des Océans pour la prise de mesures visant à prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures.

[105]  Le paragraphe 77(3) indique ensuite que la responsabilité n’est pas subordonnée à la preuve d’une négligence. Afin d’échapper à la responsabilité, le propriétaire du navire doit établir que l’événement résulte d’un acte de guerre, d’hostilités, d’insurrection ou d’un phénomène naturel d’un caractère exceptionnel, commis par un tiers qui avait l’intention de causer des dommages ou d’une autre action préjudiciable d’une autorité gouvernementale. En conséquence, s’il existait une responsabilité partagée, et j’estime qu’il s’agit d’une situation où la réponse est l’une ou l’autre, le propriétaire du navire serait encore entièrement responsable malgré toute négligence contributive de la part de la Couronne.

B.  Réclamation d’Adventurer Owner Ltd

[106]  Si j’ai tort en ce qui concerne la question liée à la responsabilité, il convient que j’examine le montant de la réclamation de la demanderesse. Les propriétaires acceptent l’aveu de la Couronne selon lequel sa réclamation, telle qu’elle est exprimée en dollars américains, s’élève à 12 764 194,51 $.

X.  Opération de change

[107]  La Couronne a subi une perte en dollars canadiens; ce n’est pas le cas pour la demanderesse. Le revenu qu’elle a perdu était tout en dollars américains, tout comme la vaste majorité des débours qu’elle a assumés. Elle tient ses registres en dollars américains et, dans la mesure où elle engage des dépenses en d’autres devises, elle les paye en achetant ces devises au moyen de dollars américains. Elle demande le jugement suivant :

[traduction]

D’une telle somme en dollars canadiens qui sera équivalente, à la date du jugement, à la somme de [...] en dollars américains. [...] 

Il s’agit d’une astucieuse disposition finale de l’article 12 de la Loi sur la monnaie qui exige que toute mention de sommes d’argent dans une procédure juridique doive être exprimée en monnaie canadienne. Au Canada, contrairement au Royaume-Uni, une somme d’argent adjugée ne peut être donnée en monnaie étrangère.

[108]  La raison pour laquelle la demanderesse demande une conversion à la date de paiement est simple. Le jour de l’échouage, le dollar américain correspondait à 1,05 $ CA. Le 15 décembre 2016, le jour que la Couronne a fourni le dernier taux de change, le dollar américain correspondait à 1,34 $ CA. La demanderesse soutient que, selon le principe du restitutio in integrum, la Cour ne devrait plus suivre la règle de la date de la faute ou même la règle de la date du jugement, mais plutôt la règle de la date du paiement. Il existe une conjecture énorme concernant cet argument parce que, si la demanderesse a gain de cause, cela découlera d’une décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans quelques années. Qui sait quel sera le taux de change à cette date?

[109]  Selon la Banque du Canada, il y a eu d’importantes fluctuations entre les dollars américains et canadiens au cours des six dernières années. Par exemple, le 8 mai 2013, ils étaient à égalité. Le 11 septembre 2012, le dollar américain ne valait plus que 0,97 $ CA. Le temps nécessaire pour obtenir un procès constitue évidemment une variable, tout comme les politiques de la Banque centrale et les produits intérieurs bruts comparables.

[110]  Depuis des siècles, la règle anglaise (et maritime) est celle de la date de la faute. Cependant, la Chambre des Lords s’en est écartée dans l’arrêt Miliangos v George Frank (Textiles) Ltd, [1976] AC 443 (HL) et The « Despina R », [1979] AC 685, [1979] 1 All ER 421 (HL). L’arrêt Miliangos concernait une rupture de contrat qui exigeait un paiement en monnaie étrangère. L’arrêt The « Despina R » est plus pertinent puisqu’il concernait un délit civil.

[111]  Je suis d’avis que la jurisprudence m’oblige à suivre la règle de la date de la faute. Dans le jugement rendu dans la décision NV Bocimar SA c Century Insurance Co, [1984] ACF no 510, 53 NR 386, une affaire contractuelle générale ordinaire, le juge Hugessen a examiné la question de savoir s’il était lié par la règle de la date de la faute, telle qu’elle a été énoncée par la Cour suprême dans Gatineau Power Company v Crown Life Insurance Company, [1945] SCR 655, et The Custodian v Blucher, [1927] SCR 420. Même si la décision du juge Hugessen a été annulée par la Cour suprême dans [1987] 1 RCS 1247 concernant un autre point, la Cour suprême n’a fait aucune mention de la question liée à la conversion de la monnaie étrangère.

[112]  Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72, [2013] 3 RCS 1101, et dans l’arrêt Carter c Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 RCS 331, la Cour suprême a défini les circonstances étroites dans lesquelles les tribunaux de première instance peuvent déroger des précédents bien établis des tribunaux supérieurs. Il n’existe que deux situations a) lorsqu’une nouvelle question juridique se pose et b) lorsqu’il s’agit d’une situation nouvelle qui « change radicalement la donne ». Aucune de ces situations ne s’applique. Les devises fluctuent à la hausse et à la baisse. C’est ce qui s’est toujours produit et c’est ce qui se produira probablement toujours.

[113]  Le stare decisisis est mis de côté – jusqu’à nouvel ordre, je crois fermement à la règle de la date de la faute (voir Ballantrae Holdings Inc c Phoenix Sun (Navire), 2016 CF 570).

[114]  La demanderesse invoque une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Glyn’s Bank Ltd v Belkin Packaging Ltd, [1979] BCJ no 1426, [1981] BCJ no 617, 108 DLR (3rd) 585. Cette décision a été annulée sur le fond, 128 DLR (3rd) 612. Il n’était pas nécessaire pour la majorité de consulter le taux de conversion. Même si le juge Hutcheon était dissident et avait confirmé la décision du juge de première instance sur le fond, il ne souscrivait pas à son application de la règle de change à la date du jugement. Il aurait suivi la règle de la date de la faute.

[115]  Quelle serait la situation si la monnaie étrangère était inférieure au dollar canadien? Les défendeurs demanderaient donc l’application de la règle de la date du jugement. En outre, nous avons tenu compte des intérêts avant et après jugement. Les devises ne gagnent pas des intérêts selon le même taux.

[116]  J’ai déclaré pendant le procès que je suivrais la règle de la date de la faute, qui est réellement la règle de la date de la perte. Les pertes de la demanderesse se sont étendues sur une période d’un peu plus d’un an. Le Clipper Adventurer était hors fret dès qu’il a été mis à la terre; il a perdu une charte-partie qui était en place pour les mois à venir; la facture du chantier maritime pour les réparations effectuées en janvier 2011 et l’indemnité de sauvetage a été payée plus tard en 2011. Il serait intolérable que les taux d’intérêts et de change soient calculés sur une douzaine d’articles particuliers. J’ai invité les parties à tenter de parvenir à une entente à cet égard. Elles sont parvenues à une entente et je suis heureux de l’approuver. Soixante-dix pour cent (70 %) du montant demandé par la demanderesse sera converti en dollars canadiens au 4 décembre 2010, date à laquelle le dollar américain correspondait à 1,006 $ CA. L’autre 30 % seront convertis le 13 décembre 2011, date à laquelle le dollar canadien correspondait à 1,028 $ CA.

XI.  Intérêts

[117]  Chaque partie demande que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour lui accorder des intérêts avant jugement au taux annuel de cinq pour cent (5 %), non composé, et des intérêts à la date du jugement (montant principal et intérêts avant jugement) au même taux. La Couronne ne s’oppose pas à un jugement en faveur de la demanderesse à cet égard. Toutefois, la demanderesse soutient que les intérêts sur la réclamation de la Couronne sont régis par le paragraphe 116(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime qui ne correspond qu’à environ un pour cent (1 %).

[118]  L’article 31 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et l’article 36 de la Loi sur les Cours fédérales, portent tous les deux sur les intérêts avant jugement; uniquement pour dire que leurs dispositions ne s’appliquent pas dans les cas, comme l’espèce, qui sont régis par le droit maritime canadien.

[119]  Les articles 31.1 et 37 desdites lois prévoient des intérêts après jugement conformément aux lois en vigueur dans la province où un fait générateur est survenu. Toutefois, dans des cas comme en l’espèce, où un fait générateur n’est pas survenu dans une seule province donnée, les articles prévoient ensuite que la Cour peut accorder les intérêts au taux qu’elle estime raisonnable dans les circonstances.

[120]  Des intérêts avant jugement dans des causes en matière maritime ont toujours été considérés comme une partie des dommages subis par un demandeur (voir Bell Telephone Co. of Canada c Mar-Tirenno (The), [1974] 1 CF 294). Les intérêts relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour et, depuis peu, étant donné les faibles taux commerciaux, ils peuvent être accordés au taux de cinq pour cent (5 %) (voir Kuehne+ Nagel Ltd c Agrimax Ltd, 2010 CF 1303, 382 FTR 47). Si j’exerce mon pouvoir discrétionnaire, j’accorderai des intérêts sur la demande de la Couronne et j’aurais accordé des intérêts sur la demande de la demanderesse, au simple taux de cinq pour cent (5 %) par année. L’article 3 de la Loi sur l’intérêt énonce que si l’intérêt est exigible et qu’il n’est pas fixé, le taux de l’intérêt est de cinq pour cent (5 %) par an.

[121]  Ce qui nous amène au paragraphe 116(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime qui dispose :

Aux demandes en recouvrement de créance présentées en vertu de la présente partie contre le propriétaire d’un navire, le garant d’un propriétaire de navire, la Caisse d’indemnisation, le Fonds international ou le Fonds complémentaire s’ajoutent des intérêts calculés au taux en vigueur fixé en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu sur les sommes à verser par le ministre du Revenu national à titre de remboursement de paiements en trop d’impôt en application de cette loi.

Interest accrues on a claim under this Part against an owner of a ship, the owner’s guarantor, the Ship-source Oil Pollution Fund, the International Fund or the Supplementary Fund at the rate prescribed under the Income Tax Act for amounts payable by the Minister of National Revenue as refunds of overpayments of tax under that Act as are in effect from time to time.

[122]  La Couronne souligne que l’article 116 figure à la partie 7 de la Loi qui porte sur la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires. L’obligation imposée au ministre de surveiller la pollution et la responsabilité qui en découle imposée au pollueur sont régies par l’article 69 et suivants de la Loi qui figurent à la partie 6. Il s’ensuit donc que l’article 116 ne s’applique pas. La demanderesse soutient toutefois que les parties 6 et 7 sont étroitement liées. Par exemple, il aurait été loisible à la Couronne de présenter une réclamation directement auprès de la Caisse. L’article 109 de la partie 7 énonce que l’acte introductif d’instance pour des affaires comme en l’espèce doit être signifié à l’administrateur de la Caisse qui, à titre de partie à l’instance, doit comparaître et prendre les mesures qu’il juge à propos.

[123]  La Couronne n’a présenté aucune réclamation auprès de la Caisse. Elle a intenté une action réelle contre le Clipper Adventurer et une action personnelle contre ses propriétaires et elle a obtenu une caution.

[124]  Même si la signification du paragraphe 116(1) n’est pas parfaitement claire et, même s’il mentionne les réclamations prévues à la partie 7 contre un propriétaire de navire, le garant des propriétaires, la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires ou un fonds international, il n’identifie pas le demandeur.

[125]  La Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires n’a pas intenté sa propre action réelle contre le Clipper Adventurer en application de l’article 102 de la Loi. La seule participation de la Caisse en l’espèce est l’avis qui lui a été signifié aux termes de l’article 109 de la Loi.

[126]  La demande de la Couronne est fondée sur la partie 6 et non sur la partie 7. Je n’estime pas que l’article 109 a pour effet de limiter une demande d’intérêts contre un pollueur aux termes de la partie 6 au même taux dérisoire que le ministre du Revenu national accorde sur les remboursements de l’impôt payé en trop.

[127]  En conséquence, j’estime qu’il est équitable et raisonnable d’accorder des intérêts avant jugement sur la demande de la Couronne au simple taux annuel de cinq pour cent (5 %) à compter du 17 septembre 2010 et des intérêts après jugement sur le montant principal du jugement et les intérêts avant jugement au même taux.

[128]  De même, j’aurais accordé à la demanderesse des intérêts avant jugement au même taux légal de cinq pour cent (5 %). Le point de départ sur le soixante-dix pour cent (70 %) de ceux-ci aurait été le 4 décembre 2010 et le 13 décembre 2011 sur l’autre trente pour cent (30 %). Les intérêts après jugement auraient été au même taux.

XII.  Dépens

[129]  Les parties ont demandé que toutes les questions liées aux dépens soient reportées jusqu’à la publication des présents motifs et jugement. L’administratrice de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires n’a pas participé, sauf pour indiquer lors de la première conférence de gestion de l’instruction que sa participation, le cas échéant, dépendra de l’issue du présent litige. Pendant le procès, elle a accepté d’être liée par l’aveu quant aux dommages de la Couronne. Elle n’a pas demandé de dépens et aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT

  1. Pour ces motifs, l’action de la demanderesse dans le dossier T-901-11 est rejetée.

  2. Les actions réelle et personnelle de Sa Majesté la Reine du chef de Canada dans le dossier T-1149-12 sont accueillies pour une somme de 445 361,64 $, avec des intérêts avant jugement au taux annuel de cinq pour cent (5 %) à compter du 17 septembre 2010, avec des intérêts après jugement sur le montant principal du jugement, y compris les intérêts avant jugement au même taux annuel de cinq pour cent (5 %). À défaut de paiement, le Clipper Adventurer sera vendu et le jugement sera acquitté à même le produit de sa vente.

  3. À défaut d’entente, les parties sont libres de présenter des observations concernant les dépens dans un délai de 30 jours.

« Sean Harrington »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-901-11

INTITULÉ :

ADVENTURER OWNER LTD ET AL c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

DOSSIER :

T-1149-12

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA c ADVENTURER OWNER LTD, PROPRIÉTAIRE, ET TOUTES AUTRES PERSONNES INTÉRESSÉES DANS LE NAVIRE M/V CLIPPER ADVENTURER

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (Québec), ET OTTAWA (Ontario)

DATES DE L’AUDITION :

montrÉal, les 14, 15, 16, 21, 22, 23 et 24 novembre 2016

OTTAWA, LES 28, 29 ET 30 NOVEMBRE ET LES 1ER, 5, 6, 7, 8, 14 ET 15 DÉCEMBRE 2016

AUTRES OBSERVATIONS ÉCRITES ET AVEUX, LES 19 ET 24 JANVIER 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

Le 27 janvier 2017

COMPARUTIONS :

Victor DeMarco

Nicholas J. Spillane

Pour la demanderesse dans le dossier T‑901-11

ET POUR LES DÉFENDERESSES DANS LE DOSSIER T-1149-12

Jean-Robert Noiseux

Benoît de Champlain

Pour la défenderesse dans le dossier T‑901-11

ET POUR LA DEMANDERESSE DANS LE DOSSIER T-1149-12

Vanessa Rochester

POUR L’ADMINISTRATRICE DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES DANS LE DOSSIER T-1149-12

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brisset Bishop

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse dans le dossier T‑901-11

ET POUR LES DÉFENDERESSES DANS LE DOSSIER T-1149-12

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour la défenderesse dans le dossier T‑901-11

ET POUR LA DEMANDERESSE DANS LE DOSSIER T-1149-12

Norton Rose Fulbright

Montréal (Québec)

POUR L’ADMINISTRATRICE DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES DANS LE DOSSIER T-1149-12

 

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