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Date : 20170126


Dossier : IMM-1833-16

Référence : 2017 CF 98

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 26 janvier 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

DANIEL AUGUST MACK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire du demandeur d’une décision d’un agent de l’immigration (l’agent) datée du 22 avril 2016 (la décision) rejetant sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs humanitaires. Cette demande est déposée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]               Le demandeur est un citoyen américain et homosexuel âgé de 30 ans. Il est arrivé au Canada en 2004, tout juste après avoir terminé son éducation secondaire. Son affidavit précise qu’il savait, à son arrivée, qu’il devait avoir un statut de résident permanent. Il n’a toutefois fait aucun effort pour régulariser sa situation avant 2012.

[3]               Le demandeur a vécu d’abord à Montréal, puis s’est installé à Toronto en 2011. Il a eu plusieurs emplois au Canada, comme dans le domaine du jardinage, de la réparation de bicyclettes, du travail du bois et des ateliers et expositions. Il n’a toutefois obtenu un permis de travail que pour une période de deux ans, soit de 2014 à 2016. Il n’a jamais été prestataire de l’aide sociale.

[4]               En décembre 2012, le conjoint du demandeur a présenté une demande pour le parrainer pour qu’il obtienne sa résidence permanente. Ils se sont toutefois séparés par la suite et environ deux ans plus tard, la demande de parrainage a été retirée.

[5]               L’affidavit du demandeur démontre qu’il a eu plusieurs modes de vie alors qu’il résidait au Canada. Il a développé plusieurs amitiés profondes et a enrichi la vie de ses amis en les aidant à progresser dans leur carrière. Il a également contribué au bien-être de jeunes de la communauté LGBT. Ses lettres de soutien sont impressionnantes. Alors qu’il vivait à Toronto, le demandeur est devenu très proche de deux mères célibataires (les mères) et de leurs jeunes fils (les fils). Le demandeur prend soin d’eux sans demander de contrepartie, tout en n’étant pas leur aidant principal ou même secondaire et en ne leur offrant pas de soutien financier direct.

[6]               Sa demande de résidence permanente pour des motifs humanitaires a été présentée en 2015 et est principalement fondée sur son établissement au Canada et sur le meilleur intérêt des enfants.

I.                    La décision : rejet de la demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire

[7]               L’agent a noté que le demandeur a déclaré [traduction] « des antécédents professionnels relativement continus », mais qu’il n’a pas déposé de preuve documentaire pour valider ses antécédents de travail ou sa stabilité financière. L’agent a apprécié l’importance du travail bénévole du demandeur, y compris de son travail avec les enfants et ses nombreuses attestations concernant sa personnalité. Toutefois, l’agent était préoccupé par le fait que l’établissement du demandeur était [traduction] « fondé sur un mépris volontaire des lois canadiennes sur l’immigration puisqu’il est demeuré au Canada et y a travaillé sans autorisation pendant 10 ans. »

[8]               L’agent a reconnu les liens forts existant entre le demandeur et la « famille qu’il s’est choisi », qui comprend des membres de la communauté LGBT, les mères et leurs fils. L’agent a également reconnu que cette famille choisie est [traduction] « de la même nature que des membres d’une famille de fait » et que le renvoi du demandeur serait [traduction] « dérangeant émotionnellement » pour eux. L’agent a toutefois conclu que cette séparation constituait une conséquence inhérente au renvoi du demandeur. Il a par ailleurs noté que les fils et les autres enfants que le demandeur connaissait continueraient de vivre avec leurs principaux gardiens et qu’aucun d’eux ne dépendait uniquement du demandeur.

II.                 Questions en litige

A.                 Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

B.                 La décision est-elle raisonnable?

III.               Norme de contrôle

[9]               La décision de l’agent d’accorder ou non une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Les questions relatives à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la « décision correcte ».

IV.              Analyse et conclusions

A.                 Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale?

[10]           Le demandeur fait valoir que l’observation de l’agent selon laquelle il n’y a pas de preuve confirmant les gains d’emplois constitue une conclusion de non-crédibilité et que le défaut de l’agent d’aviser le demandeur de cette préoccupation constitue un manquement à l’équité procédurale.

[11]           En fait, ce n’est pas que l’agent a cru ou n’a pas cru le demandeur. Il a simplement affirmé qu’il n’y avait pas de preuve documentaire permettant de valider les gains d’emploi. Par conséquent, à mon avis, l’agent n’a pas rendu de conclusion relative à la crédibilité et aucune question d’équité procédurale n’est donc soulevée.

B.                 La décision est-elle raisonnable?

[12]           Le demandeur allègue que l’analyse de l’agent concernant son établissement au Canada et le meilleur intérêt des enfants était déraisonnable.

[13]           La première question est de savoir s’il était loisible à l’agent d’écarter l’établissement du demandeur au Canada parce qu’il avait choisi d’y demeurer sans statut. Les lignes directrices d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada permettent l’évaluation pour des motifs d’ordre humanitaire et l’établissement au Canada suggère qu’il est possible d’écarter l’établissement d’un demandeur au Canada pour ce motif. Dans l’arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[19]      Bref, la Loi sur l’immigration et la politique canadienne en matière d’immigration sont fondées sur la prémisse que quiconque vient au Canada avec l’intention de s’y établir doit être de bonne foi et respecter à la lettre les exigences de fond et de forme qui sont prescrites. Quiconque entre illégalement au Canada contribue à fausser le plan et la politique d’immigration et se donne une priorité sur tous ceux qui, eux, respectent les exigences. Le ministre, qui est responsable de l’application de la politique et de la Loi, est très certainement autorisé à refuser la dispense que demande une personne qui a établi l’existence de raisons d’ordre humanitaire, s’il est d’avis, par exemple, que les circonstances de l’entrée ou du séjour au Canada de cette personne la discréditent ou créent un précédent susceptible d’encourager l’entrée illégale au Canada. En ce sens, il est loisible au ministre de prendre en considération le fait que les raisons d’ordre humanitaire dont une personne se réclame soient le fruit de ses propres agissements. [Non souligné dans l’original.]

[14]           Par conséquent, à mon avis, il était loisible à l’agent d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de minimiser l’établissement du demandeur au Canada en raison de son choix de demeurer au pays sans statut.

[15]           Le demandeur invoque la décision de la juge Mactavish dans Klein c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1004. Dans cette affaire, le demandeur est demeuré au Canada malgré l’expiration de son visa de visiteur depuis 1986. Le fait que monsieur Klein était demeuré illégalement au Canada a été un facteur important motivant la décision de l’agent de refuser la dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. La juge Mactavish a exprimé des préoccupations à l’égard de cette décision et a affirmé ce qui suit en ordonnant une nouvelle détermination :

[9]        L’agent semble également avoir rejeté l’ensemble de la preuve témoignant du rôle important que joue M. Klein au sein de sa collectivité pour le seul motif qu’il est demeuré au Canada sans les autorisations nécessaires en matière d’immigration.

[16]           Le demandeur affirme que cette décision vise exactement sa situation. Toutefois, le contexte de cette dernière décision est tout à fait différent. Le demandeur était invalide en raison de problèmes de santé mentale importants ayant parfois nécessité une hospitalisation. En outre, il n’avait plus de contact avec sa famille en Allemagne et n’y avait ni ami ni système de soutien. La juge Mactavish a conclu que dans ces circonstances exceptionnelles, l’analyse de l’agent était déraisonnable.

[17]           Le demandeur allègue également que l’agent a omis de peser la signification et l’importance de la « famille qu’il s’est choisie » au Canada. Il ajoute que la conclusion de l’agent selon laquelle son renvoi serait « difficile émotionnellement » pour sa famille choisie de fait démontre le défaut de tenir compte de ce qui constituerait [traduction] « une séparation permanente avec les membres de sa famille ».

[18]           Cette observation ne me convainc pas. La décision démontre que l’agent a manifestement reconnu la famille choisie par le demandeur comme étant sa famille de fait et qu’il a tenu compte des conséquences que son renvoi aurait pour elle. Puisque le demandeur ne fournit pas de soutien financier ou de logement à l’un ou l’autre des membres de sa famille choisie, l’agent a tenu compte des sentiments de ses membres et a conclu qu’ils seraient « ébranlés émotivement » par son renvoi. Peut-être que le niveau de détresse de la famille a été sous-estimé, mais cette conclusion n’était pas déraisonnable. Les familles sont souvent dévastées par les renvois, mais cela ne les empêche pas d’avoir lieu.

[19]           La deuxième question à trancher est de déterminer si le meilleur intérêt des enfants a été correctement examiné. Le demandeur fait valoir qu’il est vrai qu’il ne fournit pas de soutien financier direct aux fils, mais il représente malgré tout un modèle et un aidant important pour eux. Il affirme que la déclaration vague de l’agent selon laquelle [traduction] « il n’y a pas suffisamment de preuve objective permettant de penser que son renvoi aux États-Unis serait nuisible à leur développement social et émotionnel » démontre que l’agent n’a pas bien évalué les conséquences qu’aurait son renvoi.

[20]           L’analyse sur le meilleur intérêt des enfants est brève, mais je suis d’avis qu’elle est raisonnable dans les circonstances, considérant que le demandeur n’est pas un parent, qu’il ne demeure pas avec les fils, qu’il n’en prend pas soin à temps plein et qu’il n’est pas une source de soutien financier. Son rôle d’ami et d’aidant périodique est important, mais son renvoi ne crée pas une inquiétude relativement au meilleur intérêt des enfants.

V.                 Conclusion

[21]           Par tous ces motifs, la demande est rejetée.

VI.              Question à certifier

[22]           Aucune question n’a été certifiée aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-1833-16

 

 

INTITULÉ :

DANIEL AUGUST MACK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Jean Marie Vecina

 

Pour le demandeur

 

Maria Burgos

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vecina & Sekhar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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