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Date : 20170208


Dossier : IMM-3102-16

Référence : 2017 CF 144

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

EJIMOFOR NWAFIDELIE

CHINONSO SUSIE NWAFIDELIE

CHIOMA ELSIE NWAFIDELIE

CHINONSO FAVOUR NWAFIDELIE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Ejimofor Nwafidelie (le demandeur principal), son épouse (la demanderesse) et ses deux enfants, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision rendue par un représentant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le représentant du ministre), datée du 30 juin 2016, par laquelle a été rejetée la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (la demande CH), présentée au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR (la décision). Les deux adultes ont une fille née au Canada. La demande d’autorisation a été accueillie le 4 novembre 2016.

[2]  Au cours de l’audience, on m’a aussi demandé sur consentement de modifier l’intitulé pour corriger l’orthographe du nom du quatrième demandeur pour le remplacer par Chinonso Favour Nwafidelie, requête qui est accueillie.

II.  Exposé des faits

[3]  Le demandeur principal est un citoyen du Kosovo âgé de 36 ans. Il est marié à la demanderesse avec qui il a trois enfants. La cadette de ces enfants, sa fille âgée d’un an, est citoyenne canadienne. Ses deux autres enfants sont âgés de 5 ans et de 3 ans. L’un est actuellement inscrit à la maternelle, et l’autre attend d’être admis dans une école. Les parents des deux demandeurs adultes, ainsi que plusieurs de leurs frères et sœurs vivent au Nigéria. Ils ont un parent qui vit au Canada. Au moment de la décision relative à la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, les demandeurs vivaient au Canada depuis plus d’un an et demi.

[4]  Les demandeurs sont arrivés au Canada le 30 novembre 2014. Ils ont présenté leur demande d’asile le même jour. Le 25 mars 2015, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) a décidé que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. La Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel des demandeurs le 25 juin 2015. La Cour a rejeté leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration le 5 octobre 2015.

[5]  La conclusion de la Section de la protection des réfugiés était fondée sur [traduction« [d]’importantes préoccupations en matière de crédibilité en ce qui concerne les mesures prises par les demandeurs et des questions soulevées par leurs allégations ». Plus particulièrement, la Section de la protection des réfugiés a conclu que : [traduction] « bien que les demandeurs puissent avoir été victimes de crimes au Nigéria, le tribunal ne croit pas que, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs aient personnellement été ciblés ou victimes comme ils le soutiennent ».

[6]  Le fondement de la revendication des demandeurs est qu’ils ont été victimes de plusieurs vols à main armée et d’une tentative d’enlèvement lorsqu’ils étaient au Nigéria. Le demandeur principal a affirmé qu’il était personnellement visé par des [traduction] « bandits » parce qu’il était un homme d’affaires prospère. Il a affirmé qu’il avait subi des blessures et avait été cambriolé à plusieurs reprises. Il a aussi affirmé qu’immédiatement après avoir essayé de trouver un endroit où sa famille pourrait déménager, il a reçu un appel (d’un numéro inconnu) au cours duquel on lui a dit : [traduction] « Peu importe où tu vas, on vous a à l’œil, toi et ta famille ». Les demandeurs ont appelé la police concernant l’un de ces incidents, particulièrement lorsque les [traduction] « bandits » ont tenté de pénétrer dans leur maison au Nigéria, mais affirment que la police n’a rien fait de plus pour les aider que de rédiger un rapport d’incident après avoir répondu à l’appel. Les demandeurs ont fait une demande de visas pour les États-Unis en août 2014, laquelle a été acceptée, mais n’ont pas pu quitter le Nigéria en raison de la fausse couche de la demanderesse à ce moment-là.

[7]  L’allégation de risque des demandeurs devant la Section de la protection des réfugiés était fondée sur les mêmes faits maintenant présentés dans le cadre de leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Les demandeurs ont présenté leur demande le 18 janvier 2016 en invoquant des liens avec le Canada, l’intérêt supérieur des enfants, leur degré d’établissement et le risque auquel ils seraient exposés s’ils faisaient l’objet d’un renvoi. Les deux demandeurs adultes ont déposé des rapports préparés par la Dre Patricia Keith, Ph. D. psychothérapeute. Les entrevues cliniques des deux demandeurs adultes ont eu lieu le même jour. Dans son rapport du 26 juin 2016, la Dre Keith a posé un diagnostic chez la demanderesse de [traduction] « trouble anxieux majeur (300,4 dans le DSM [Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux]), qui pourrait être la cause de son humeur dépressive et de la maladie mentale grave du trouble obsessionnel compulsif (300,3 dans le DSM-IV-TR) », et a indiqué que celle-ci prenait du Cipralex-10 mg pour contrôler son trouble obsessionnel compulsif (TOC). La psychothérapeute a déclaré qu’un tel traitement n’est pas facilement accessible au Nigéria. Dans le rapport sur le demandeur principal daté du 3 février 2016, la psychothérapeute a aussi diagnostiqué chez lui un trouble anxieux majeur.

[8]  Ce dernier occupe un emploi à temps plein comme travailleur de la construction. Les deux demandeurs participent activement à leur communauté chrétienne et se sont fait beaucoup d’amis depuis leur arrivée au Canada. En plus de la criminalité et de la violence au Nigéria, ils affirment que le manque de soins médicaux et les préjugés à l’égard des maladies mentales au Nigéria auront des conséquences négatives pour eux s’ils y sont renvoyés.

III.  Décision

[9]  Le 30 juin 2016, le représentant du ministre a rejeté la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire des demandeurs. Le rejet par le représentant du ministre de la demande présentée par les demandeurs est largement fondé sur l’insuffisance d’éléments de preuve objectifs ou corroborants. Le représentant du ministre a conclu que les éléments de preuve que les demandeurs avaient présentés n’étayaient aucune de leurs affirmations. Le représentant du ministre a refusé d’accorder un poids important à l’établissement ou au temps passé au Canada, jugeant plutôt ces facteurs comme un résultat naturel et auquel on pouvait s’attendre de leur implication dans le processus de demande d’asile. Le représentant du ministre a précisé que les allégations de risque invoquées dans leur demande pour considérations d’ordre humanitaire étaient les mêmes que celles présentées à l’audience de la Section de la protection des réfugiés et il a conclu que les demandeurs pouvaient se prévaloir des possibilités de refuge intérieur proposées, comme l’a décidé la Section de la protection des réfugiés, s’ils étaient renvoyés au Nigéria. En réponse à la déclaration de la psychothérapeute concernant l’accessibilité des médicaments au Nigéria, le représentant du ministre a indiqué que la Dre Keith [traduction] « n’est pas une experte de la situation dans le pays au Nigéria et elle n’a pas expliqué le fondement de cette conclusion ». Le représentant du ministre a aussi indiqué que quatre mois se sont écoulés depuis la réalisation des évaluations sans qu’une mise à jour à l’égard du traitement ait été déposée. De plus, l’insuffisance d’éléments corroborant que l’état de la demanderesse peut requérir une médication plus élaborée, que les demandeurs adultes ont participé à d’autres séances de thérapie au Canada ou qu’ils ont accès ou non à un traitement ou à des consultations au Nigéria ne milite pas en leur faveur. Le représentant du ministre cite des renseignements de sources ouvertes recueillis au moyen d’une recherche indépendante sur la situation au Nigéria.

[10]  Le représentant du ministre a conclu que l’intérêt supérieur des enfants serait satisfait s’ils continuaient de [traduction] « recevoir les soins personnels et l’appui de leur famille ». Tout en reconnaissant la prévalence de la criminalité et de la violence au Nigéria, le représentant du ministre a conclu que les demandeurs pouvaient solliciter l’aide de [traduction] « la police, du système judiciaire ou d’une organisation non gouvernementale » s’ils rencontraient des problèmes. Le représentant du ministre a aussi précisé que [traduction] « les liens familiaux des demandeurs au Nigéria sont très solides » et que la réunification de la famille aurait lieu à leur retour. En indiquant que les normes différentes en matière d’éducation et de conditions sociales ne justifient pas une exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le représentant du ministre a conclu que : [traduction] « la preuve est insuffisante pour conclure que les besoins fondamentaux [des enfants] ne seraient pas satisfaits au Nigéria ».

[11]  C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

IV.  Questions en litige

[12]  La présente affaire soulève les questions suivantes :

  1. Le représentant du ministre a-t-il déraisonnablement transposé l’analyse des risques de la Section de la protection des réfugiés au titre de l’article 97 de la LIPR à l’analyse de la demande pour considérations d’ordre humanitaire, au lieu de tenir compte des allégations de risque des demandeurs de façon distincte à la lumière des difficultés?

  2. La décision de l’agent concernant la demande pour considérations d’ordre humanitaire était-elle déraisonnable, surtout en ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants?

V.  Norme de contrôle

[13]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi, aux paragraphes 57 et 62, qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». L’examen de la décision d’un agent à l’égard d’une demande pour considérations d’ordre humanitaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44. La décision d’accueillir ou de rejeter une demande d’exemption fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est [traduction« exceptionnelle et repose sur un pouvoir hautement discrétionnaire, et nécessite par conséquent une déférence considérable de la Cour » (Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 335, au paragraphe 30 (juge Zinn). La nature hautement discrétionnaire des décisions relatives aux évaluations des demandes pour considérations d’ordre humanitaire donne lieu à une [traduction] « gamme plus vaste d’issues raisonnables possibles » (Holder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 337, au paragraphe 18 (juge Near); Inneh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 108, au paragraphe 13, (juge Phelan).

[14]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[15]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

VI.  Analyse

[16]  Les demandeurs prétendent que le représentant du ministre a agi déraisonnablement en tenant compte principalement de l’accessibilité aux soins de santé mentale pour les demandeurs adultes au Nigéria et en omettant de tenir compte de la mesure dans laquelle l’intérêt supérieur des enfants serait touché par cette possible absence de traitement sur la capacité des demandeurs adultes d’assumer leur rôle de parents.

[17]  En ce qui a trait à la première question, les demandeurs ont indiqué que la demanderesse était traitée grâce à un médicament en particulier pour son trouble obsessionnel compulsif (TOC), à savoir, le Cipralex-10 mg. Ce médicament ne figure pas à la liste des médicaments disponibles pour traiter les maladies mentales au Nigéria que le représentant du ministre a produite. Les demandeurs affirment que l’absence de ce même médicament sur la liste des médicaments disponibles signifiait que la demanderesse connaîtrait des difficultés si elle était renvoyée au Nigéria. Je ne peux pas retenir cet argument puisqu’il incombe aux demandeurs de prouver les difficultés. Il leur incombait donc de produire les éléments de preuve démontrant que le médicament ou ses équivalents n’étaient pas disponibles au Nigéria. Les seuls éléments de preuve de cette nature émanent d’une psychothérapeute dont l’expertise en la matière n’a pas été établie. À cet égard, la psychothérapeute n’était pas qualifiée. Il était donc loisible au représentant du ministre d’écarter cette opinion de la psychothérapeute dans le présent dossier.

[18]  Il est également soutenu que la conclusion du représentant du ministre contrevenait à l’arrêt Kanthasamy, aux paragraphes 47 et 48 en particulier qui enseignent ce qui suit :

[47]  On comprend mal que, après avoir fait droit au diagnostic psychologique, l’agente exige quand même de Jeyakannan Kanthasamy une preuve supplémentaire quant à savoir s’il a ou non cherché à obtenir des soins ou si de tels soins étaient même offerts, ou quant aux soins qui existaient ou non au Sri Lanka. Une fois reconnu qu’il souffre d’un trouble de stress post‑traumatique, d’un trouble d’adaptation et de dépression en raison de ce qu’il a vécu au Sri Lanka, exiger en sus la preuve de l’existence de soins au Canada ou au Sri Lanka met à mal le diagnostic et a l’effet discutable d’en faire un facteur conditionnel plutôt qu’important.

[48] De plus, en s’attachant uniquement à la possibilité que Jeyakannan Kanthasamy soit traité au Sri Lanka, l’agente passe sous silence les répercussions de son renvoi du Canada sur sa santé mentale. Comme l’indiquent les Lignes directrices, les facteurs relatifs à la santé, de même que l’impossibilité d’obtenir des soins médicaux dans le pays d’origine, peuvent se révéler pertinents (Traitement des demandes au Canada, section 5.11). Par conséquent, le fait même que Jeyakannan Kanthasamy verrait, selon toute vraisemblance, sa santé mentale se détériorer s’il était renvoyé au Sri Lanka constitue une considération pertinente qui doit être retenue puis soupesée, peu importe la possibilité d’obtenir au Sri Lanka des soins susceptibles d’améliorer son état (Davis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 97; Martinez . Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1295). Rappelons que Jeyakannan Kanthasamy a été arrêté, détenu et battu par la police sri‑lankaise, ce qui lui a laissé des séquelles psychologiques. Pourtant, malgré la preuve claire et non contredite de ce préjudice dans le rapport d’évaluation psychologique, lorsqu’elle applique le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » au facteur individuel de l’accessibilité de soins médicaux au Sri Lanka – et conclut que requérir de tels soins ne satisferait pas à ce critère –, l’agente minimise les problèmes de santé de Jeyakannan Kanthasamy.

[19]  Dans ce cas, et à mon avis, les options de traitement au Nigéria se rapportaient à la question des difficultés découlant du renvoi du Canada. Le représentant du ministre a retenu le diagnostic de trouble anxieux majeur. La question des options de traitement était par conséquent pertinente avec le fait d’examiner si le fait de retourner au Nigéria améliorerait ou empirerait l’état de santé mentale des demandeurs adultes. Dans le cas présent, je ne suis pas en mesure de comprendre, en fonction de ces faits, comment ces diagnostics ont été minés ou rendus conditionnels, surtout compte tenu de la différence marquée de la matrice factuelle par rapport aux faits menant à l’arrêt Kanthasamy, où le risque lié à la situation dans le pays avait changé. Contrairement aux circonstances menant à l’arrêt Kanthasamy, le risque allégué par les demandeurs devant le représentant du ministre était le même risque qu’ils ont allégué en vain devant la Section de la protection des réfugiés. Ce fait n’est pas contesté. La Section de la protection des réfugiés, qui a eu la chance d’entendre directement les demandeurs, a mis ces mêmes allégations de risque en défaut en raison de sérieuses préoccupations en matière de crédibilité et a écarté l’affirmation des demandeurs en trouvant une possibilité de refuge intérieur au Nigéria. En plus de tenir compte de ces facteurs, qui ne figuraient pas dans l’arrêt Kanthasamy, le représentant du ministre a bel et bien examiné les services de santé mentale disponibles et a soulevé l’absence de preuve appuyant l’affirmation des demandeurs quant au fait qu’ils seraient incapables d’obtenir de l’assistance au Nigéria. De plus, le représentant du ministre a conclu que les éléments de preuve n’appuyaient pas l’allégation selon laquelle les demandeurs seraient ostracisés en raison de l’état de santé de la demanderesse. En résumé, le représentant du ministre a tenu compte de bien plus que l’accessibilité du traitement pour décider que les demandeurs n’ont pas pu démontrer le bien-fondé de leur demande d’ordre humanitaire.

[20]  De la même manière, je ne suis pas en mesure de conclure que l’accent a été exclusivement mis sur le traitement au Nigéria pour permettre de prétendre que le représentant du ministre a pu [traduction] « ignorer ce que l’expulsion du Canada aurait comme conséquence sur leur santé mentale », encore une fois contrairement à la situation menant à l’arrêt Kanthasamy. Les deux affaires sont différentes.

[21]  Quant à l’allégation concernant l’accent excessif porté sur le risque, encore une fois, je ne suis pas convaincu. Bien que je sois d’accord qu’une conclusion par la Section de la protection des réfugiés ou la Section d’appel de l’immigration voulant qu’un demandeur n’ait pas prouvé les risques énoncés aux articles 96 et 97 de la LIPR n’équivaut pas à une conclusion selon laquelle l’expulsion des mêmes demandeurs vers le pays en question n’entraîne aucune difficulté si on leur refuse une dispense pour motifs d’ordre humanitaire, le représentant du ministère n’a pas tiré une telle conclusion. On demande plutôt à la Cour de déduire à partir des motifs que l’accent était mis sur les risques énoncés aux articles 96 et 97 et non sur les considérations d’ordre humanitaire dans l’ensemble, comme dans l’affaire Kanthasamy. À cet égard, il est essentiel de garder à l’esprit que des difficultés seront inévitablement associées à l’obligation de quitter le Canada. À ce sujet, toutefois, les cours ont à maintes reprises répété qu’elles ne seront généralement pas suffisantes à elles seules pour justifier une dispense pour motifs d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 25(1). L’arrêt Kanthasamy même l’affirme lorsque la Cour suprême du Canada a déclaré que les motifs d’ordre humanitaire ne constituent pas un régime d’immigration de rechange :

[23] L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait toutefois généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire comme le prescrit le par. 25(1) (voir Rizvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 463, par. 13 (CanLII); Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16640 (C.F. 1re inst.), par. 12). De plus, ce paragraphe n’est pas censé constituer un régime d’immigration parallèle (Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Témoignages, no 19, 3e sess., 40e lég., 27 mai 2010, 15 h 40 (Peter MacDougall); voir également Témoignages, no 3, 1re sess., 37e lég., 13 mars 2001, 9 h 55 à 10 h (Joan Atkinson)).

[22]  À mon humble avis, les demandeurs ont déformé les motifs du représentant du ministre. Les difficultés ont bien entendu été prises en considération, tout comme l’expose la décision de la Section de la protection des réfugiés. Par contre, bien que la prise en compte des difficultés soit exigée par les Lignes directrices et, en effet, par l’arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 30, la décision de la Section de la protection des réfugiés ne peut pas simplement être ignorée, surtout lorsqu’elle concerne les difficultés présumées et qu’elle souligne de sérieuses préoccupations quant à la crédibilité des allégations des demandeurs. Un demandeur dont l’affirmation de risque est rejetée en raison de préoccupations en matière de crédibilité par l’une ou l’autre des sections de la CISR (ou les deux, comme c’est le cas ici, à l’égard de laquelle les décisions de la Cour ont rejeté l’autorisation au préalable) ne peut pas faire demi-tour et s’attendre à ce que ces mêmes allégations soient admises sans plus d’éléments lorsqu’elles sont répétées au représentant du ministre dans le cadre d’une demande pour motifs d’ordre humanitaire.

[23]  Le demandeur conteste aussi la décision du représentant du ministre quant à l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants. À mon humble avis, cette affirmation est sans fondement. Le représentant du ministre a été, à mon avis, [traduction] « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants. Les allégations des demandeurs déforment les motifs du représentant du ministre. Le représentant du ministre a tenu compte du jeune âge des enfants, de leur situation à l’école, de leur résilience et de leur capacité d’adaptation au changement, au fait qu’ils retourneront avec leurs parents, le soutien que leurs parents leur accordera, leur intérêt supérieur à demeurer ensemble pour bénéficier des soins et du soutien de la famille, du fait qu’ils ont une famille élargie au Nigéria comprenant leurs grands-parents, oncles et tantes ainsi que des éléments de preuve concernant la volonté et la capacité de la famille élargie à aider les enfants. L’agent a aussi tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants individuellement et a fait la distinction entre les deux enfants cadets qui n’ont pas encore commencé l’école ni tissé de liens d’amitié ici au Canada, et la fille de cinq ans, qui a un réseau d’amis. Dans l’ensemble et encore à ce sujet, l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants était raisonnable.

[24]  Un contrôle judiciaire implique le fait de tenir compte de la décision dans son ensemble. Il ne s’agit pas d’une chasse au trésor à la recherche d’erreurs. À mon humble avis, la décision fait partie des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit comme énoncé dans l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.

VII.  Question certifiée

[25]  Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.

VIII.  Conclusions

[26]  Le nom du quatrième demandeur est par la présente modifié pour se lire Chinonso Favour Nwafidelie. La demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. L’orthographe du nom du quatrième demandeur est immédiatement modifiée pour Chinonso Favour Nwafidelie.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question n’est certifiée.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3102-16

 

INTITULÉ :

EJIMOFOR NWAFIDELIE, CHINONSO SUSIE NWAFIDELIE, CHIOMA ELSIE NWAFIDELIE, CHINONSO FAVOUR NWAFIDELIE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Rui Chen

 

Pour les demandeurs

 

Laoura Christodoulides

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orange LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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