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Date : 20170213


Dossier : IMM-2992-16

Référence : 2017 CF 175

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

QASIM MOHAMMED AL KHAYYAT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 27 juin 2016, par laquelle elle a conclu que le demandeur est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), pour avoir commis, à l’extérieur du Canada, une infraction visée aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24.

Résumé des faits

[2]  Le demandeur, Qasim Mohammed Al Khayyat, est un citoyen iraquien. Il soutient avoir été menacé en 2003 par des extrémistes chiites en Iraq en raison de son appartenance à la branche sunnite de l’islam et de son travail informel en qualité d’imam. Par conséquent, il a fui l’Iraq en juillet 2003 pour rejoindre les Émirats arabes unis, où il est demeuré à titre de résident temporaire avec un permis de travail jusqu’en mars 2014.

[3]  Le demandeur travaillait comme imam aux Émirats arabes unis. En novembre 2004, il a été nommé à un poste de gestionnaire des messages-guides au sein du ministère des Affaires de l’éducation du gouvernement de Sharjah, aux Émirats arabes unis. En 2009, il a été promu à la tête du ministère et était responsable des centres privés où les gens venaient s’entraîner à mémoriser le Coran. Après sa promotion, il a été approché par l’Agence de sécurité des Émirats arabes unis (l’Agence de sécurité) et a été invité à fournir des renseignements sur des personnes concernant leurs activités politiques et organisationnelles, en particulier sur toute implication dans des organisations extrémistes, dont les Frères musulmans. Le demandeur soutient qu’il était très mal à l’aise avec ces demandes et a subséquemment démissionné de son poste en novembre 2012.

[4]  Cependant, après sa démission, il a fait l’objet de pressions constantes de la part de l’Agence de sécurité, qui communiquait avec lui par téléphone pour lui demander des renseignements et cherchait à le rencontrer. Il a assisté à quelques rencontres informelles, la dernière étant en mars 2014, soit deux semaines avant son départ des Émirats arabes unis. À cette réunion, on l’a informé qu’il devait coopérer et rédiger des rapports contenant les renseignements demandés. Il affirme qu’il craignait que son permis de travail ne soit pas renouvelé s’il ne coopérait pas et qu’il soit déporté en Iraq avec sa famille, où leurs vies seraient menacées. Il a décidé de s’enfuir au Canada.

[5]  Le demandeur a rempli son formulaire de fondement de la demande d’asile (FDA) le 22 avril 2014, dans lequel il a décrit son implication avec l’Agence de sécurité. Le 4 juin 2015, un rapport d’interdiction de territoire a été préparé, en application du paragraphe 44(1) de la LIPR. L’auteur du rapport y affirme qu’à son avis, le demandeur est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, parce qu’il a été complice de crimes contre l’humanité perpétrés par des fonctionnaires du ministère de la sécurité d’État des Émirats arabes unis. Plus particulièrement, l’auteur affirme que le demandeur a agi en qualité d’informateur de 2009 à mars 2014. En application du paragraphe 44(2) de la LIPR, le ministre a déféré l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête. La Section de l’immigration a conclu que le demandeur était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, pour avoir sciemment, volontairement et de façon significative contribué à des crimes contre l’humanité perpétrés par l’Agence de sécurité. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La Section de l’immigration a analysé deux questions. D’abord, elle s’est demandé si les activités contestées de l’Agence de sécurité constituaient des crimes contre l’humanité, et ensuite, si le demandeur a été complice de ces activités.

[7]  Concernant la première question, la Section de l’immigration a conclu que d’importants éléments de preuve documentaire montraient que l’Agence de sécurité se livrait à des violations des droits de la personne, comme la torture, les mauvais traitements et l’emprisonnement, depuis longtemps, y compris au cours de la période pendant laquelle le demandeur a agi en qualité d’informateur. De plus, des extrémistes islamistes ou des membres des Frères musulmans étaient les cibles de ces violences. La Section de l’immigration a fait référence aux sections des éléments de preuve documentaire appuyant cette conclusion.

[8]  La Section de l’immigration a souligné que l’avocat du demandeur n’a pas nié que l’Agence de sécurité était responsable de ces violences; cependant, il a aussi affirmé qu’il existait également des rapports montrant que les Émirats arabes unis ont offert un procès juste et équitable à des hommes accusés d’épouser les idéologies extrémistes ou de soutenir les Frères musulmans, ce qui selon l’avocat soutient la réelle croyance du demandeur, selon laquelle des non-citoyens des Émirats arabes unis soupçonnés d’entretenir des liens avec des extrémistes ne seraient pas victimes de violations de droits de la personne. Cependant, après un examen des éléments de preuve documentaire, la Section de l’immigration a conclu que cet argument ne permettait pas d’appuyer le fait que les personnes ciblées étaient des extrémistes islamistes ou des membres des Frères musulmans et qu’ils n’étaient pas victimes de crimes contre l’humanité. De plus, tous ceux qui avaient eu un procès ont été condamnés et emprisonnés, et les ressortissants étrangers ont été déportés aussitôt après la fin de leur sentence.

[9]  Quant à la deuxième question, la Section de l’immigration a d’abord cherché à savoir si l’Agence de sécurité était une organisation animée d’un dessein circonscrit et brutal, en citant à cet égard la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 (Ezokola), aux paragraphes 94 et 95. La Section de l’immigration a conclu que les éléments de preuve documentaire soutenaient une telle conclusion, selon la prépondérance des probabilités, puisque ses activités se limitent à cibler et surveiller ces groupes et les personnes dites islamistes ou liées aux Frères musulmans.

[10]  La Section de l’immigration a ensuite cherché à savoir s’il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a volontairement apporté une contribution significative et consciente à la perpétration de crimes contre l’humanité, soulignant les six facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola (aux paragraphes 91 et 92) et précisant que la contribution de l’individu au crime ou au dessein criminel doit demeurer au centre de l’analyse.

[11]  La Section de l’immigration a reconnu que le demandeur n’avait jamais été à l’emploi de l’Agence de sécurité, mais a souligné qu’il avait témoigné s’être fait demander des renseignements par trois fonctionnaires de l’Agence de sécurité, et avoir fourni de l’information quand on lui a demandé si telle ou telle personne était une bonne personne, ou s’il connaissait ou non telle ou telle personne. De plus, il a témoigné qu’il craignait être déporté des Émirats arabes unis et que c’est pour cette raison qu’il a coopéré. Les pressions se sont intensifiées après 2012 et c’est pourquoi, au début de 2014, il a identifié M. Ahmadad Youssouf Mmadi comme un membre des Frères musulmans. La Section de l’immigration a souligné l’argument du demandeur, selon lequel la preuve ne démontrait pas que quelqu’un, y compris M. Mmadi, ait pu subir de mauvais traitements à la suite de ses actions. Cependant, la Section de l’immigration a conclu que la preuve l’amenait à croire que parce qu’il a identifié M. Mmadi comme membre des Frères musulmans, il existait des raisons sérieuses de penser que le demandeur a volontairement apporté une contribution significative et consciente au crime ou au dessein criminel de l’Agence de sécurité.

[12]  En ce qui a trait au caractère volontaire de sa participation, la Section de l’immigration n’a pas été convaincue par l’argument du demandeur, selon lequel il a fourni les renseignements et a signalé M. Mmadi à l’Agence de sécurité parce qu’il craignait d’être déporté en Iraq, où il disait craindre d’être persécuté, et que l’on a exercé sur lui des pressions pour qu’il prenne part à ces réunions. La Section de l’immigration a conclu que ces pressions ne constituaient pas un moyen de défense fondé sur la contrainte, tel qu’il est défini par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c Ryan, 2013 CSC 3 (Ryan), lequel exige que des menaces explicites ou implicites de mort ou de lésions corporelles soient proférées contre le demandeur. Le fait que le demandeur ait maintenu cette collaboration pendant cinq ans avant de quitter le pays vient appuyer cette conclusion. La Section de l’immigration a conclu que le demandeur a apporté une contribution volontaire aux crimes de l’organisation.

[13]  Quant à la question de savoir si la contribution était significative, la Section de l’immigration a fait référence au paragraphe 87 de l’arrêt Ezokola. Elle a souligné l’argument du demandeur, selon lequel il n’a pas apporté une contribution significative au crime ou au dessein criminel de l’Agence de sécurité, parce qu’aucun élément de preuve crédible n’a établi que M. Mmadi ou qui que ce soit d’autre aux Émirats arabes unis a été détenu, arrêté, ou maltraité à la suite des actions du demandeur; le demandeur a également produit une lettre fournie par M. Mmadi qui affirmait qu’il n’avait pas été persécuté, arrêté ou déporté des Émirats arabes unis. Cependant, la Section de l’immigration a conclu qu’en identifiant M. Mmadi en tant que membre des Frères musulmans, le demandeur a contribué au dessein criminel de l’Agence de sécurité, puisque sans informateurs, l’Agence de sécurité n’aurait pas fait un flot constant de victimes. La Section de l’immigration a accordé peu de poids à la lettre de M. Mmadi, au motif qu’il ne s’agissait pas d’une déclaration sous serment et qu’elle mettait en cause des renseignements d’un tiers n’ayant pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire. De plus, la lettre n’a pas été remise au demandeur dans le cadre de son enquête; en fait, le demandeur a affirmé dans son témoignage que M. Mmadi a écrit cette lettre en pensant qu’elle serait utilisée pour l’aider à obtenir un visa canadien. La Section de l’immigration a conclu que le demandeur a apporté une contribution significative aux crimes de l’organisation en identifiant une victime potentielle.

[14]  Pour ce qui est de la question de savoir si le demandeur a sciemment contribué au crime, la Section de l’immigration  a fait référence aux paragraphes 89 et 90 de l’arrêt Ezokola, qu’elle a jugé conformes au type de mens rea exigé au paragraphe 30(1), du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, A/CONF 183/9 (ONU), 17 juillet 1998 (Statut de Rome). La Section de l’immigration a souligné l’argument du demandeur, selon lequel il n’a pas consciemment apporté une contribution aux crimes de l’Agence de sécurité, parce qu’au moment où il a fourni ces renseignements, il ne croyait pas que M. Mmadi serait victime de violations des droits humains, puisqu’il n’était pas un dirigeant des Frères musulmans, et pensait que les renseignements empêcheraient uniquement M. Mmadi d’être nommé imam ou, au pire, entraîneraient sa déportation. La Section de l’immigration a rejeté l’argument, soulignant que le demandeur a témoigné qu’il savait que des personnes étaient battues quand elles étaient détenues par les autorités des Émirats arabes unis, que tout le monde savait cela aux Émirats arabes unis, et que le demandeur était au courant de l’arrestation et du procès de 70 dirigeants des Frères musulmans qui étaient des citoyens des Émirats arabes unis et qui ont été persécutés. La Section de l’immigration a également souligné que les éléments de preuve documentaire n’indiquaient pas que les détenus ou les membres des Frères musulmans risquaient simplement la déportation, ou que seuls les dirigeants de l’organisation seraient torturés. La Section de l’immigration a conclu que la croyance du demandeur était au mieux de l’aveuglement volontaire, que ses actions étaient par nature insouciantes, et qu’il connaissait les conséquences potentielles quand il a informé l’Agence de sécurité que M. Mmadi était membre des Frères musulmans. En identifiant M. Mmadi en tant que membre des Frères musulmans, le demandeur a aidé l’Agence de sécurité à perpétrer ses crimes.

[15]  La Section de l’immigration a conclu que le demandeur correspondait à la définition de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR et que, par conséquent, il était interdit de territoire et elle a pris une mesure de renvoi à son endroit.

Dispositions applicables

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

33 Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33 The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

...

...

35 (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

35 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

...

...

Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24

6 (1) Quiconque commet à l’étranger une des infractions ci-après, avant ou après l’entrée en vigueur du présent article, est coupable d’un acte criminel et peut être poursuivi pour cette infraction aux termes de l’article 8 :

6 (1) Every person who, either before or after the coming into force of this section, commits outside Canada

a) génocide;

(a) genocide,

b) crime contre l’humanité;

(b) a crime against humanity, or

c) crime de guerre.

(c) a war crime,

[Blank/En blanc]

is guilty of an indictable offence and may be prosecuted for that offence in accordance with section 8.

...

...

(3) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

(3) The definitions in this subsection apply in this section.

crime contre l’humanité

crime against humanity

Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait — acte ou omission — inhumain, d’une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d’autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l’humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel ou en raison de son caractère criminel d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations, qu’il constitue ou non une transgression du droit en vigueur à ce moment et dans ce lieu.

means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission.

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, A/CONF 183/9 (ONU), 17 juillet 1998

Article 31

Motifs d’exonération de la responsabilité pénale

1.  Outre les autres motifs d’exonération de la responsabilité pénale prévus par le présent Statut, une personne n’est pas responsable pénalement si, au moment du comportement en cause :

a)  Elle souffrait d’une maladie ou d’une déficience mentale qui la privait de la faculté de comprendre le caractère délictueux ou la nature de son comportement, ou de maîtriser celui-ci pour le conformer aux exigences de la loi;

b)  Elle était dans un état d’intoxication qui la privait de la faculté de comprendre le caractère délictueux ou la nature de son comportement, ou de maîtriser celui-ci pour le conformer aux exigences de la loi, à moins qu’elle ne se soit volontairement intoxiquée dans des circonstances telles qu’elle savait que, du fait de son intoxication, elle risquait d’adopter un comportement constituant un crime relevant de la compétence de la Cour, ou qu’elle n’ait tenu aucun compte de ce risque;

c)  Elle a agi raisonnablement pour se défendre, pour défendre autrui ou, dans le cas des crimes de guerre, pour défendre des biens essentiels à sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, d’une manière proportionnée à l’ampleur du danger qu’elle courait ou que couraient l’autre personne ou les biens protégés. Le fait qu’une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent alinéa;

d)  Le comportement dont il est allégué qu’il constitue un crime relevant de la compétence de la Cour a été adopté sous la contrainte résultant d’une menace de mort imminente ou d’une atteinte grave, continue ou imminente à sa propre intégrité physique ou à celle d’autrui, et si elle a agi par nécessité et de façon raisonnable pour écarter cette menace, à condition qu’elle n’ait pas eu l’intention de causer un dommage plus grand que celui qu’elle cherchait à éviter. Cette menace peut être :

i)  Soit exercée par d’autres personnes;

ii)  Soit constituée par d’autres circonstances indépendantes de sa volonté.

2.  La Cour se prononce sur la question de savoir si les motifs d’exonération de la responsabilité pénale prévus dans le présent Statut sont applicables au cas dont elle est saisie.

3.  Lors du procès, la Cour peut prendre en considération un motif d’exonération autre que ceux qui sont prévus au paragraphe 1, si ce motif découle du droit applicable indiqué à l’article 21. La procédure d’examen de ce motif d’exonération est fixée dans le Règlement de procédure et de preuve.

Question en litige

[16]  À mon avis, la question déterminante dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la Section de l’immigration a commis une erreur dans son application du critère énoncé dans l’arrêt Ezokola qui l’a amenée à conclure que le demandeur était interdit de territoire.

Norme de contrôle

[17]  Le demandeur soutient que les erreurs de droit sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte et que, lorsqu’il y a erreur de droit, le décideur n’a droit à aucune déférence et la décision doit être annulée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 44; Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, alinéa 18.1(4)f)). De plus, il soutient que la question de savoir si une personne est interdite de territoire au Canada est une question mixte de fait et de droit susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 50; Khasria c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 773, au paragraphe 16 (Khasria)). Le défendeur est d’accord pour affirmer que la question de savoir si un ressortissant étranger est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR est une question mixte de fait et de droit, susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Gebremedhin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 380).

[18]  Je suis également d’avis que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si une personne est interdite de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR est une question mixte de fait et de droit, assujettie à la norme de la décision de la raisonnable (Khasria, au paragraphe 16; Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 822, au paragraphe 16 (Talpur)). Notre Cour a également conclu par le passé que la norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de la Section de l’immigration, concernant la question de savoir si un demandeur est complice de crimes contre l’humanité (Parra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 364, au paragraphe 17; Shalabi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 961, aux paragraphes 20 et 21 (Shalabi)).

La Section de l’immigration a-t-elle commis une erreur dans son application du critère énoncé dans l’arrêt Ezokola, qui l’a amenée à conclure que le demandeur était interdit de territoire?

A.  Le fardeau de la preuve et la norme de preuve

Thèse du demandeur

[19]  Le demandeur estime que la Section de l’immigration a commis une erreur de droit en lui transférant indûment le fardeau de la preuve; il soutient que c’est au ministre qu’incombe le fardeau de démontrer que le demandeur est interdit de territoire (Sidamonidze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 681, au paragraphe 13; Ezokola, au paragraphe 29). La Section de l’immigration a affirmé que le demandeur n’avait pas réussi à produire [traduction] « un élément de preuve concluant démontrant que M. Mmadi n’a jamais été détenu ou arrêté » (motifs, au paragraphe 49) et qu’il n’avait pas réussi à établir de façon [traduction] « concluante » que les personnes ciblées par l’Agence de sécurité étaient des extrémistes islamistes ou des membres des Frères musulmans (motifs, au paragraphe 23). Cela démontre que la Section de l’immigration a indûment transféré le fardeau de la preuve au demandeur.

[20]  En outre, la norme de preuve applicable à l’article 35(1)a) de la LIPR est celle des « motifs raisonnables de croire », conformément à l’article 33 de la LIPR (Ramirez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 CF 306 (CAF) (Ramirez); Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 CF 642 (CFPI), au paragraphe 28 (Chiau); Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 SCC 40, au paragraphe 114). Même si la Section de l’immigration a indiqué que la norme applicable était celle des « motifs raisonnables de croire », le fait qu’elle se soit appuyée sur la norme d’une preuve « concluante » constitue une erreur de droit. Pour ces erreurs, la décision ne peut être maintenue.

Thèse du défendeur

[21]  Le défendeur affirme que la Section de l’immigration a indiqué le bon critère à appliquer en concluant que le demandeur était interdit de territoire, y compris que le fardeau de la preuve incombait au ministre. La Section de l’immigration a également bien énoncé la norme de preuve. L’utilisation par la Section de l’immigration du terme [traduction] « concluant » au paragraphe 49 doit être interprétée en regard des paragraphes 47 à 49 et, en l’absence d’une preuve probante et convaincante permettant de réfuter les arguments du ministre, il s’est acquitté du fardeau de la preuve. De même, l’utilisation par la Section de l’immigration du qualificatif [traduction] « concluante » au paragraphe 23 doit être interprétée conjointement à l’analyse approfondie de la question que la Section de l’immigration a examinée, puis rejetée. En somme, le défendeur soutient que l’utilisation par la Section de l’immigration du qualificatif [traduction] « concluante » n’est peut-être pas le meilleur choix de vocabulaire.

Discussion

[22]  Aux termes de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, un résident permanent ou un ressortissant étranger est interdit de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux s’il a commis une infraction à l’extérieur du Canada qui constitue une infraction visée aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

[23]  Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême du Canada a précisé le critère à appliquer pour déterminer la complicité dans la perpétration de crimes contre l’humanité, dans le contexte de l’exclusion du régime de protection des réfugiés prévue à l’article 1Fa) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention sur les réfugiés). La Cour suprême du Canada a affirmé qu’il y a complicité quand il existe des raisons sérieuses de penser qu’une personne a volontairement apporté une contribution consciente et significative aux crimes ou au dessein criminel d’un groupe. Par la suite, concernant la question de savoir si la jurisprudence Ezokola modifiait le critère juridique servant à évaluer l’appartenance à une organisation terroriste, aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, la Cour d’appel fédérale a souligné, dans l’arrêt Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, aux paragraphes 15 à 22 (Kanagendren), que l’alinéa 35(1)a) de la LIPR était la disposition de droit interne relative à l’interdiction de territoire qui correspond à l’article 1Fa) de la Convention sur les réfugiés, et que la question de la complicité était pertinente dans le cadre de l’analyse menée en regard du paragraphe 35(1), tandis que le libellé de l’alinéa 34(1)f) ne donnait pas ouverture à une analyse de la question de la complicité.

[24]  Par la suite, dans la décision Concepcion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 544, le juge O’Reilly a souligné que la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kanagendren établissait expressément une distinction entre l’alinéa 34(1)f) et l’alinéa 35(1)a), et qu’elle estimait que l’alinéa 35(1)a) était la disposition de droit interne relative à l’interdiction de territoire qui correspondait à l’article 1Fa). Par conséquent, il a conclu que l’analyse de la Cour suprême du Canada pouvait également s’appliquer au dossier dont il était saisi, lequel portait sur la décision d’une agente des visas de déclarer le demandeur interdit de territoire aux termes de l’alinéa 35(1)a), pour avoir commis des crimes contre l’humanité quand il a servi comme opérateur radio dans l’armée philippine. Ainsi, il a conclu que le critère de l’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 35(1)a) exigeait des raisons sérieuses de penser qu’une personne a volontairement apporté une contribution significative et consciente à une infraction prévue à la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, ou un dessein criminel d’un groupe. La preuve doit démontrer, au moins, que la personne a apporté une contribution importante à un crime ou au dessein criminel de l’organisation, pas seulement une contribution à l’organisation (au paragraphe 17; voir également Talpur, au paragraphe 20).

[25]  Toujours dans l’arrêt Ezokola, citant la Cour d’appel fédérale dans la décision Ramirez, la Cour suprême du Canada a affirmé que le fardeau de preuve visant à établir qu’une personne est complice de la perpétration d’un crime incombe à la partie qui requiert l’exclusion, soit le ministre (Ezokola, au paragraphe 29; Ramirez, à la page 314).

[26]  Par ailleurs, l’article 33 de la LIPR dispose que les faits, actes ou omissions, mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[27]  Par conséquent, le demandeur a raison lorsqu’il soutient qu’il incombe au ministre de démontrer qu’il est interdit de territoire au titre de l’alinéa 35(1)a) de la LIPR, et que la norme de preuve est celle des motifs raisonnables de croire que le demandeur a volontairement apporté une contribution significative et consciente aux crimes contre l’humanité perpétrés par l’Agence de sécurité (Ezokola, aux paragraphes 29 et 84; Talpur, au paragraphe 21; LIPR, article 33).

[28]  Le demandeur soutient également que la Section de l’immigration lui a indûment transféré le fardeau de preuve, et s’appuie pour cela sur un passage du paragraphe 49 de la décision de la Section de l’immigration, qui mentionne que le demandeur n’a pas réussi à présenter [traduction] « un élément de preuve concluant démontrant que M. Mmadi n’a jamais été détenu ou arrêté ». Cependant, à mon avis, il s’agit là d’une interprétation erronée des motifs. Dans ce passage, lu dans son contexte, la Section de l’immigration tirait uniquement une conclusion concernant la lettre de M. Mmadi et expliquait pourquoi elle accordait peu de poids à cette lettre. Le paragraphe, dans l’ensemble, est libellé ainsi :

[traduction]
[49]  Pour tous ces motifs, j’estime que cette lettre ne constitue pas un élément de preuve concluant démontrant que M. Mmadi n’a jamais été détenu ou arrêté et torturé par lesdits fonctionnaires de l’Agence après que [le demandeur] l’a identifié comme membre des Frères musulmans.

[29]  Dans ce contexte, le choix du qualificatif [traduction] « concluant » ne laisse pas entendre que la Section de l’immigration a transféré le fardeau de preuve au demandeur. À mon avis, la Section de l’immigration expliquait plutôt simplement que la lettre, pour les motifs susmentionnés, ne constituait pas un élément de preuve suffisant démontrant si oui ou non M. Mmadi avait été détenu, arrêté ou torturé par l’Agence de sécurité parce que le demandeur avait admis l’avoir identifié comme un membre des Frères musulmans. Je partage l’avis du défendeur que l’utilisation par la Section de l’immigration du qualificatif [traduction] « concluant » n’était peut-être pas le meilleur choix de vocabulaire; néanmoins, lu dans son contexte, ce mot ne signifie pas un transfert du fardeau de preuve.

[30]  Quant à l’utilisation par la Section de l’immigration du qualificatif [traduction] « concluante » au paragraphe 23 de ses motifs, il importe également de l’interpréter dans son contexte. Dans le paragraphe précédent, la Section de l’immigration reconnaît l’argument du demandeur selon lequel il existe également des rapports dans les éléments de preuve documentaire montrant que les Émirats arabes unis ont offert un procès juste et équitable à des hommes accusés d’épouser les idéologies extrémistes ou de soutenir les Frères musulmans, ce qui selon l’avocat du demandeur, soutient la réelle croyance du demandeur, selon laquelle des non-citoyens des Émirats arabes unis soupçonnés d’entretenir des liens avec des extrémistes ne seraient pas victimes de violations de droits de la personne. La Section de l’immigration a alors affirmé ce qui suit :

[traduction]
[23]  Après avoir examiné cette section ainsi que l’ensemble des éléments de preuve documentaire, j’estime que l’argument de l’avocat du [demandeur] ne permet pas d’établir, de façon concluante, que les personnes ciblées étaient des extrémistes islamistes ou des membres des Frères musulmans, et qu’elles n’ont pas été victimes de tortures ou d’autres crimes contre l’humanité perpétrés par l’Agence de sécurité des Émirats arabes unis.

[31]  Je soulignerais d’abord que la Section de l’immigration cherchait à savoir si les actions de l’Agence de sécurité constituaient des crimes contre l’humanité. La Section de l’immigration a conclu que c’est ce que démontrait les éléments de preuve documentaire produits par le ministre. Par conséquent, le ministre s’est acquitté de son fardeau de preuve à ce chapitre. Le demandeur n’a pas contesté cette conclusion. Il a plutôt avancé que d’autres éléments de preuve appuyaient son point de vue selon lequel les non-citoyens ne seraient pas victimes de violations des droits de la personne. La Section de l’immigration  a rejeté cette affirmation et a conclu que l’argument de l’avocat du demandeur n’était pas concluant.

[32]  Je soulignerais également, après un examen des éléments de preuve documentaire invoqués par le demandeur, qu’ils n’établissent pas, ni de façon concluante ni autrement, que les non-citoyens des Émirats arabes unis ne seraient pas victimes de violations des droits de la personne. La seule référence aux ressortissants étrangers est le passage où on indique que ceux qui ont été condamnés à une peine d’emprisonnement en raison de leur affiliation avec les Frères musulmans ont été déportés une fois leur sentence terminée.

[33]  Finalement, je soulignerais que dans sa conclusion la Section de l’immigration a affirmé que [traduction] « [...] le ministre a présenté des éléments de preuve convaincants, crédibles et corroborés, qui donnent des raisons sérieuses de penser que l’Agence de sécurité des Émirats arabes unis a commis des crimes contre l’humanité au cours de la période pendant laquelle [le demandeur], M. Al Khayyat, a collaboré avec elle ».

[34]  Étant donné ce qui précède, je suis d’avis que la Section de l’immigration a dûment déterminé qu’il incombait au ministre de démontrer l’interdiction de territoire du demandeur, et qu’elle n’a pas transféré ce fardeau au demandeur.

[35]  De même, je ne partage pas l’avis du demandeur, selon lequel la Section de l’immigration aurait commis une erreur de droit en s’appuyant sur une norme de preuve [traduction] « concluante ». La Section de l’immigration, aux paragraphes 18 et 19 de ses motifs, a explicitement décrit la norme de preuve requise, soit celle des motifs raisonnables de croire. Elle a mentionné l’article 33 de la LIPR et a décrit la norme telle qu’elle a été énoncée dans la décision Chiau. Le demandeur conteste la norme de preuve adoptée par la Section de l’immigration et s’appuie sur les mêmes passages de la décision que ceux dont on a déjà traité. Encore une fois, ces motifs ne démontrent pas que la Section de l’immigration n’a pas appliqué la bonne norme de preuve. Il n’y a eu aucune erreur de droit.

B.  Les facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola

Thèse du demandeur

[36]  Dans ses observations écrites, le demandeur soutient que l’arrêt Ezokola énonçait en réalité deux critères pour déterminer s’il y a interdiction de territoire : un premier critère en trois volets selon lequel une personne doit apporter une contribution volontaire, significative et consciente, et un second critère en six volets. Le demandeur soutient que même si la Section de l’immigration a bien cerné les deux critères, elle a commis une erreur dans leur application.

[37]  De plus, la Section de l’immigration a reconnu que le demandeur était un citoyen iraquien n’ayant aucun statut permanent aux Émirats arabes unis, qu’il n’était pas à l’emploi de l’Agence de sécurité, et que l’on a exercé sur lui des pressions pour qu’il communique des renseignements. Or, elle a néanmoins conclu qu’il avait apporté une contribution volontaire, significative et consciente, et a omis d’expliquer en quoi sa conduite établissait l’actus reus (l’acte coupable) et le mens rea (l’intention coupable) de la complicité.

[38]  Le demandeur conteste l’argument du défendeur, selon lequel la Section de l’immigration a omis d’examiner quelques-uns des six facteurs, car ils n’étaient pas déterminants. Le demandeur affirme que la Section de l’immigration n’a pas tiré une telle conclusion. Il soutient également que la Section de l’immigration a appliqué le critère en six volets de façon déraisonnable, puisque l’affiliation du demandeur avec l’Agence de sécurité de 2009 à 2014 était par nature périphérique. Plus précisément, il n’était pas quotidiennement en relation avec l’Agence de sécurité, aucune tâche formelle ne lui a été attribuée, et il n’occupait aucun grade au sein de l’Agence de sécurité. La Section de l’immigration a omis d’expliquer pourquoi ces facteurs n’ont pas pesé en faveur du demandeur.

Thèse du défendeur

[39]  Le défendeur soutient qu’il est évident que les facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola ne s’appliquent pas tous, et qu’il ne faudrait pas reprocher à la Section de l’immigration de n’avoir traité chacun de ces facteurs de façon formelle. L’appréciation de ces facteurs est un exercice hautement contextuel et, selon les faits de l’affaire, certains joueront plus que d’autres dans l’établissement des éléments constitutifs de la complicité, tandis que d’autres seront sans importance (Ezokola, aux paragraphes 92 et 93). De plus, les facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola portent sur des membres avoués d’une organisation, mais qui nient leur complicité au dessein criminel de l’organisation, et ils ont une application limitée pour ce qui est des complices travaillant à l’extérieur d’une organisation. Lorsqu’on les analyse de près, il est évident que la plupart des facteurs indiqués ont pour objectif d’aider à clarifier la question de la connaissance du dessein criminel du groupe; or, la Section de l’immigration a conclu que le demandeur avait cette connaissance compte tenu des éléments de preuve qu’il a lui-même produits. Le demandeur tente, à tort, d’élever les facteurs au rang de conditions préalables à l’établissement de la complicité (Ezokola, aux paragraphes 91 à 93).

[40]  De plus, l’affirmation du demandeur selon laquelle ses activités étaient périphériques aux activités de l’Agence de sécurité n’est pas fondée sur les faits. Le demandeur a occupé un poste élevé au sein d’une institution religieuse des Émirats arabes unis et a agi en qualité d’informateur pendant plusieurs années, alors qu’il connaissait les types de violences commises par l’Agence de sécurité. Il ne s’agit pas d’une participation périphérique.

Discussion

[41]  Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême du Canada a intentionnellement examiné et établi le critère pour déterminer la complicité, soit qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un demandeur a volontairement apporté une contribution significative et consciente au crime ou au dessein criminel d’une organisation (aux paragraphes 29 et 84), ce qui correspond au critère de la contribution significative; elle a par le fait même rejeté l’ancien critère juridique par lequel une personne aurait pu être déclarée coupable par simple association.

[42]  Il s’agissait du seul critère à appliquer. Ainsi, le demandeur interprète à tort les six facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola comme constituant un deuxième critère permettant d’établir la complicité. Lors de l’audience, le demandeur a reconnu que ces facteurs ne constituaient pas des conditions préalables à l’établissement de la complicité.

[43]  À mon avis, ces six facteurs visent manifestement à servir de guide lorsque l’on applique le critère de la contribution significative aux faits de l’affaire; c’est ce qu’a mentionné la Cour suprême du Canada à plusieurs reprises dans l’arrêt Ezokola :

[91]  L’existence de raisons sérieuses de penser qu’une personne a commis des crimes internationaux dépend des faits de chaque affaire. Dès lors, pour déterminer si les actes d’un individu correspondent à l’actus reus et à la mens rea exigés pour qu’il y ait complicité, plusieurs considérations peuvent se révéler utiles. L’énumération qui suit rassemble celles retenues par les tribunaux canadiens et britanniques, de même que par la CPI. Elle permet de baliser l’analyse visant à déterminer si une personne a ou non volontairement apporté une contribution significative et consciente à un crime ou à un dessein criminel :

(i)  la taille et la nature de l’organisation;

(ii)  la section de l’organisation à laquelle le demandeur d’asile était le plus directement associé;

(iii) les fonctions et les activités du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

(iv) le poste ou le grade du demandeur d’asile au sein de l’organisation;

(v)  la durée de l’appartenance du demandeur d’asile à l’organisation (surtout après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel);

(vi) le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a eue ou non de quitter l’organisation.

Voir Ryivuze, par. 38; J.S., par. 30; Mbarushimana, décision relative à la confirmation des charges, par. 284.

[92]  Malgré la prise en compte de ces considérations, l’analyse doit toujours s’attacher à la contribution de l’individu au crime ou au dessein criminel. Non seulement sont-elles diverses, mais ces considérations s’appliqueront à des situations elles aussi diverses où le contexte socio-historique différera d’un cas à l’autre. Les réfugiés proviennent de nombreux pays et chacun d’eux se présente devant la Commission pour y relater son propre vécu et son propre parcours dans le pays d’origine. Dès lors, l’examen des considérations retenues par nos tribunaux et ceux d’autres pays, ainsi que par la communauté internationale, devra nécessairement être particulièrement contextuel. Selon les faits de l’affaire, certaines joueront plus que d’autres dans l’établissement des éléments constitutifs de la complicité. Cependant, au bout du compte, ces considérations seront soupesées dans le but principal de déterminer s’il y a eu une contribution à la fois volontaire, significative et consciente à un crime ou à un dessein criminel.

[93]  Dans la présente affaire, il appartiendra à la Commission d’arrêter les considérations pertinentes eu égard aux faits du dossier. Pour l’aider dans cette tâche, il convient peut-être que nous développions quelque peu chacune des considérations susmentionnées.

[...]

[100]  Nous rappelons que les considérations énumérées précédemment ne doivent servir qu’à baliser l’examen du dossier. À cet égard, nous souscrivons aux propos suivants du lord juge Kerr dans J.S., par. 55 :

[traduction] ... elles ne font pas nécessairement état de tous les éléments à examiner et chacune ne s’applique pas à tout coup. J’estime qu’il faut s’attacher au rôle véritable de la personne et tenir compte de tous les aspects importants de ce rôle pour conclure que le degré de participation requis est établi ou non.

L’analyse du contexte en entier englobe nécessairement les moyens de défense opposables, y compris celui fondé sur la contrainte, dont nous avons fait état.

[Non en gras dans l’original.]

[44]  Par conséquent, à mon avis, la Section de l’immigration n’a pas commis une erreur en n’abordant pas explicitement et individuellement chacun des six facteurs dans sa décision. Ces facteurs servent de balises et plusieurs d’entre eux n’étaient que peu applicables au fond factuel du dossier que la Section de l’immigration devait trancher. Par exemple, comme l’a reconnu la Section de l’immigration, le demandeur n’était pas membre de l’Agence de sécurité. Par conséquent, il n’était pas véritablement pertinent d’examiner ses tâches et ses activités, ou son poste ou son grade, au sein de cette organisation.

[45]  De plus, dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Badriyah, 2016 CF 1002, la juge Roussel a conclu que « la SPR n’est pas tenue de décrire précisément comment les facteurs de l’arrêt Ezokola ont été appliqués aux faits de l’affaire et qu’il suffit que les conclusions factuelles appuient raisonnablement la conclusion d’un décideur » (au paragraphe 27). Puis, dans la décision Moya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 996, la Section de la protection des réfugiés (SPR) avait appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Ezokola pour exclure le demandeur de la protection des réfugiés en application de l’article 1Fa) de la Convention sur les réfugiés, au motif qu’il était un agent du Sentier lumineux, une organisation terroriste au Pérou. Dans ce dossier, la Section de la protection des réfugiés avait mentionné dans ses motifs que la durée de l’appartenance du demandeur à l’organisation, ainsi que le mode de recrutement du demandeur, n’étaient pas des facteurs pertinents puisqu’il n’en était pas membre. La Section de la protection des réfugiés avait néanmoins conclu que le demandeur avait volontairement apporté une contribution significative et consciente aux activités criminelles de l’organisation, et qu’il devait être interdit de territoire pour cette raison. Notre Cour a ensuite rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés.

[46]  Toutefois, à mon avis, même si les six facteurs avaient une application limitée eu égard aux faits de l’affaire dont elle était saisie, la Section de l’immigration était tout de même tenue d’effectuer une analyse du contexte en entier fondée sur ces faits lorsqu’elle a appliqué le critère de la contribution significative.

C.  Caractère volontaire de la contribution aux crimes ou au dessein criminel

Thèse du demandeur

[47]  Le demandeur soutient que dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême du Canada a défini les exigences entourant le caractère volontaire d’une contribution, qui permettent au demandeur d’invoquer le moyen de défense de la contrainte. Cependant, la contrainte et le caractère volontaire d’une contribution sont des notions différentes. La coercition, même si elle ne s’élève pas au niveau de la contrainte, peut permettre d’effacer le caractère volontaire de la contribution (Ezokola, aux paragraphes 86 et 99).

[48]  À ce titre, le demandeur a témoigné qu’il avait subi des pressions pour communiquer des renseignements afin d’éviter d’être renvoyé en Iraq, où il craignait d’être enlevé, torturé et tué. Tout en reconnaissant cette crainte, la Section de l’immigration a conclu que le demandeur avait apporté une contribution volontaire. Dans ses motifs, la Section de l’immigration a affirmé que [traduction] « les pressions ou les menaces dont le [demandeur] a fait l’objet ne constituent pas une défense de contrainte », car aucune [traduction] « menace implicite de mort ou de lésions corporelles » n’a été proférée à son endroit. Ainsi, [traduction] « étant donné les motifs susmentionnés », la Section de l’immigration a conclu que le demandeur avait apporté une contribution volontaire aux crimes de l’organisation. Le demandeur soutient que l’expression [traduction] « étant donné les motifs susmentionnés » démontre que pour la Section de l’immigration, l’absence de contrainte était déterminante quant à la question du caractère volontaire de la contribution. De plus, lorsqu’elle a examiné la question du caractère volontaire de la contribution, la Section de l’immigration n’a pas accordé de poids aux facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola, y compris le mode de recrutement et la possibilité de quitter le groupe.

[49]  Toutefois, le demandeur soutient également que la Cour ne peut savoir pour quelle raison la Section de l’immigration n’a pas souligné certains éléments des antécédents de voyage du demandeur. Il n’était pas approprié que le défendeur soulève certaines questions dans son mémoire, comme le visa Schengen du demandeur et son voyage en Italie, ajoutant ainsi aux conclusions de la Section de l’immigration. Ce n’est pas non plus le rôle de la Cour de fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, de deviner quelles conclusions auraient pu être tirées, ou d’émettre des hypothèses sur ce que le décideur a pu penser (Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au paragraphe 11 (Komolafe)).

Thèse du défendeur

[50]  Le défendeur avance que le demandeur interprète mal la nature du caractère volontaire de la complicité. Il y a une contradiction inhérente dans sa thèse, selon laquelle d’une part il a été forcé de fournir ces renseignements et, d’autre part, il agissait dans le cadre de vérifications de sécurité légitimes. Pour que la contrainte ou la coercition soit légalement pertinente concernant l’analyse de la complicité, elle doit être liée à la participation au dessein criminel de l’organisation (Ezokola, au paragraphe 92).

[51]  Le défendeur soutient que le fait d’être [traduction] « mal à l’aise » avec une coopération est loin de s’approcher du seuil nécessaire pour prouver la contrainte. De plus, le demandeur a eu de nombreuses occasions de quitter les Émirats arabes unis pour fuir vers des pays autres que l’Iraq. Au lieu de partir vers un autre pays grâce à son visa Schengen (qui lui permettait d’entrer dans la plupart des pays européens), ou à son visa américain, ou de partir pour la Turquie où résident certains membres de sa famille, il a choisi de rester aux Émirats arabes unis et d’agir à titre d’informateur pour l’Agence de sécurité durant environ cinq ans. Cela milite fortement contre toute notion de coercition ou de contrainte qui l’aurait obligé à fournir des renseignements à l’Agence de sécurité; dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême du Canada a précisément souligné que la possibilité de quitter était importante concernant le concept de contribution volontaire (au paragraphe 86).

[52]  Le défendeur souligne que le demandeur, dans sa déclaration sous serment, a affirmé qu’il ne se sentait pas en danger quand il a voyagé en Italie pendant deux semaines en 2013. Cela contredit également toute notion selon laquelle il aurait été un informateur sous la contrainte.

[53]  Comme la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Ezokola, l’exigence du caractère volontaire permet au demandeur d’invoquer la contrainte, un moyen de défense effectivement reconnu en droit pénal international coutumier, ainsi qu’à l’article 31(1)d) du Statut de Rome. Par conséquent, la Section de l’immigration n’a pas commis d’erreur dans son analyse de la contrainte. La Section de l’immigration a cité la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ryan, laquelle définit les exigences de common law permettant de prouver la contrainte : le demandeur doit prouver qu’il a agi sous la menace d’une mort imminente ou de lésions corporelles graves et qu’il n’avait pas l’intention de causer un tort plus important que celui qu’il cherchait à éviter (aux paragraphes 55 et 70). Le défendeur soutient qu’il s’agit là d’une démarche comparable au critère énoncé dans le Statut de Rome, et adopté par la Cour suprême dans l’arrêt Ezokola, et que la Section de l’immigration n’a pas commis d’erreur à ce titre. Le demandeur n’a jamais été menacé de mort imminente ou de lésions corporelles graves, et même si c’était ce qui l’attendait s’il était déporté en Iraq, le demandeur pouvait fuir vers d’autres pays. Par conséquent, sa contribution était volontaire.

Discussion

[54]  Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit concernant l’évaluation de la contribution volontaire :

(1)  Caractère volontaire de la contribution aux crimes ou au dessein criminel

[86]  Il va sans dire que la contribution au crime ou au dessein criminel doit être volontaire. Cette caractéristique n’est pas contestée en l’espèce, mais on peut aisément concevoir le cas d’un individu qui aurait été complice d’un crime de guerre sans avoir vraiment eu le choix d’y participer. Pour déterminer le caractère volontaire ou non d’une contribution, le décideur doit par exemple tenir compte du mode de recrutement de l’organisation et des possibilités de quitter celle-ci. L’exigence du caractère volontaire permet au demandeur d’invoquer la contrainte, un moyen de défense effectivement reconnu en droit pénal international coutumier, ainsi qu’à l’art. 31(1)d) du Statut de Rome : Cassese’s International Criminal Law, p. 215-216

[...]

[99]  Le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a ou non de quitter l’organisation. Comme nous l’indiquons plus haut, ces deux considérations jouent directement sur le caractère volontaire de la contribution. L’individu contraint de se joindre au groupe, de l’appuyer ou d’en demeurer membre pourrait ne pas avoir agi volontairement. De même, sa participation pourrait ne pas se révéler volontaire s’il n’a pas eu la possibilité de quitter le groupe, surtout après qu’il a appris l’existence de son activité ou de son dessein criminels. La Commission pourra se demander si la situation propre au demandeur (le lieu où il se trouvait, ses ressources financières et son réseau social) était de nature à faciliter son départ ou à y faire obstacle.

[100]  Nous rappelons que les considérations énumérées précédemment ne doivent servir qu’à baliser l’examen du dossier. À cet égard, nous souscrivons aux propos suivants du lord juge Kerr dans J.S., par. 55 :

[traduction] ... elles ne font pas nécessairement état de tous les éléments à examiner et chacune ne s’applique pas à tout coup. J’estime qu’il faut s’attacher au rôle véritable de la personne et tenir compte de tous les aspects importants de ce rôle pour conclure que le degré de participation requis est établi ou non.

L’analyse du contexte en entier englobe nécessairement les moyens de défense opposables, y compris celui fondé sur la contrainte, dont nous avons fait état.

[55]  En l’espèce, la Section de l’immigration a effectué une brève analyse du caractère volontaire. Elle a cité le paragraphe 86 de l’arrêt Ezokola et a souligné que l’avocat du demandeur avait affirmé que le demandeur avait fourni des renseignements à l’Agence de sécurité par crainte d’être déporté en Iraq, et qu’il avait fait l’objet de pressions pour assister à des rencontres avec des membres de l’Agence, ce qui indiquait que sa contribution n’était pas volontaire. La Section de l’immigration a ensuite indiqué que la preuve démontrait clairement que les pressions ou les menaces dont avait été victime le demandeur ne constituaient pas un moyen de défense fondé sur la contrainte tel qu’il est défini dans l’arrêt Ryan. Craindre d’être déporté ou subir des pressions ne représente pas une menace explicite ou implicite de mort ou de lésions corporelles. En outre, le demandeur a continué de collaborer avec l’Agence de sécurité pendant cinq ans avant de quitter le pays.

[56]  Bien que les motifs limités de la Section de l’immigration mentionnent le paragraphe 86 de l’arrêt Ezokola, son évaluation du caractère volontaire reposait uniquement sur sa conclusion selon laquelle la preuve ne permettait pas de soutenir une défense de contrainte, selon la définition donnée dans l’arrêt Ryan. Il n’est pas clair pourquoi la Section de l’immigration a choisi de faire référence à l’arrêt Ryan dans son analyse de la défense de contrainte, plutôt qu’au droit coutumier international ou à l’article 31(1)d) du Statut de Rome. Plus important encore, dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême du Canada a conclu que le caractère volontaire permet « d’invoquer » le moyen de défense de la contrainte, et qu’une analyse du contexte en entier « englobe nécessairement » les moyens de défense opposables, y compris celui fondé sur la contrainte (Ezokola, au paragraphe 100), ce qui laisse croire que l’évaluation du caractère volontaire qu’elle a effectuée ne se limitait pas à ce moyen de défense. De plus, pour évaluer le caractère volontaire d’une contribution, il importe de tenir compte d’autres considérations, comme le mode de recrutement de l’organisation et la possibilité ou non de quitter l’organisation (Ezokola, au paragraphe 99). Plus important encore, ces considérations ont été citées en exemple, et ne se voulaient pas une liste exhaustive. À mon avis, la Section de l’immigration était tenue d’effectuer une analyse du contexte en entier en tenant compte des circonstances propres au demandeur et d’évaluer le caractère volontaire de sa contribution en fonction de cette analyse.

[57]  Par conséquent, je partage l’avis du demandeur selon lequel l’évaluation du caractère volontaire effectuée par la Section de l’immigration était déraisonnable, puisque les motifs de la Section de l’immigration indiquent qu’elle a seulement cherché à savoir si le demandeur pouvait invoquer la défense de contrainte définie dans l’arrêt Ryan, quand elle a analysé la contribution du demandeur au crime ou au dessein criminel de l’Agence de sécurité.

[58]  Je soulignerais également que les arguments du défendeur sont fondés sur une analyse de la preuve et d’autres considérations qui ne figurent simplement pas dans l’analyse du caractère volontaire effectuée par la Section de l’immigration. Le défendeur soutient qu’en regard de la preuve, en particulièrement de la possibilité qu’avait le demandeur de quitter l’Iraq, la décision était inévitable, et ce, même si la Section de l’immigration a commis une erreur dans son analyse du caractère volontaire de la contribution du demandeur. Je suis d’accord que la possibilité qu’avait le demandeur de quitter les Émirats arabes unis, et par conséquent de mettre fin à ses liens avec l’Agence de sécurité plus tôt, aurait été pertinente dans l’analyse de la complicité effectuée par la Section de l’immigration (Ezokola, aux paragraphes 86 et 99; Ndikumasabo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 955, au paragraphe 34; Shalabi, au paragraphe 51). Cependant, le problème c’est qu’elle n’a pas effectué cette analyse, et ce n’est pas le rôle du défendeur, ni celui de notre Cour, d’évaluer la preuve au dossier et de tirer une conclusion quant au caractère volontaire ou non de la contribution du demandeur. C’était le rôle de la Section de l’immigration.

[59]  Comme l’a affirmé le juge Rennie dans la décision Komolafe :

[11]  L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait au tribunal ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées. Ici, il n’y a même pas de points sur la page.

[60]  À mon avis, l’évaluation effectuée par la Section de l’immigration concernant le caractère volontaire de la contribution était déraisonnable, puisqu’elle a omis d’effectuer une analyse du contexte en entier entourant la question de savoir si le demandeur a été forcé de fournir ces renseignements à l’Agence de sécurité, et qu’elle a limité son évaluation à la question de savoir si le demandeur pouvait invoquer le moyen de défense de la contrainte énoncé dans l’arrêt Ryan. Une analyse du contexte en entier aurait englobé une évaluation de la crédibilité de son témoignage, selon lequel il serait déporté en Iraq, où sa vie serait menacée, s’il cessait de coopérer. De plus, il fallait se demander si les éléments de preuve concernant sa capacité de quitter les Émirats arabes unis avant de fuir au Canada portent ombrage à ses affirmations selon lesquelles il a agi comme informateur contre sa volonté.

[61]  Étant donné cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’aborder les autres questions soulevées par le demandeur; la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section de l’immigration est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différent pour nouvel examen.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2992-16

 

INTITULÉ :

QASIM MOHAMMED AL KHAYYAT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Jennifer M. Pollock

 

Pour le demandeur

 

Kristina Dragaitis

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jennifer M. Pollock

Pollock Immigration & Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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