Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170208


Dossier : T-1592-14

Référence : 2017 CF 154

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

RODRIGUE FRANÇOIS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, le capitaine à la retraite Rodrigue François, s’est joint aux Forces armées canadiennes (FAC) en janvier 2001. Il a commencé une formation en génie électrique et mécanique avant d’être reclassé au programme de génie aérospatial. Par suite d’une série de rapports d’évaluation faisant état d’un rendement insatisfaisant eu égard à la prise d’initiatives, à la résolution de problèmes, à la fiabilité, à la communication et au leadership, le capitaine François a fait l’objet de diverses mesures correctives et, finalement, d’un examen administratif visant à définir des mesures administratives pouvant l’aider à pallier ses lacunes professionnelles. En août 2012, à l’issue de cet examen administratif, le Directeur - Carrières militaires (DCM) a recommandé une évaluation du capitaine François en vue d’un reclassement obligatoire. Il était énoncé dans la décision fondée sur l’examen administratif qu’en cas d’insuccès du reclassement, il devrait être libéré des FAC.

[2]  En septembre 2012, le capitaine François a déposé un grief pour contester cette décision au motif que le processus n’était pas équitable sur le plan procédural et que le DCM ne l’avait pas suffisamment motivé. Il faisait valoir en outre qu’il était francophone et que les FAC ne lui avaient pas fourni les outils dont il aurait eu besoin pour s’acquitter convenablement de ses tâches dans un environnement de travail anglophone. En août 2013, il a été libéré des FAC au motif qu’il [traduction] « n’était pas utilement employable ».

[3]  En sa qualité d’autorité de dernière instance du processus de règlement des griefs des FAC, le général T.J. Lawson, chef d’état-major de la défense (CEMD), a tranché le grief du capitaine François. Le 26 mai 2014, le CEMD a annulé la décision découlant de l’examen administratif au motif que l’iniquité procédurale du processus avait porté préjudice au capitaine François. Toutefois, après avoir procédé à un examen de novo du dossier, le CEMD a confirmé la décision portant libération du capitaine François et la mise à sa disposition par les FAC des outils et de l’environnement de travail constructif dont il avait besoin pour accomplir ses tâches (décision du CEMD).

[4]  Le capitaine François demande à notre Cour de procéder au contrôle judiciaire de la décision du CEMD. Il fait valoir à cet escient que le CEMD a commis des erreurs. Notamment, le capitaine François reproche au CEMD d’avoir conclu à tort que les FAC avaient respecté les exigences de la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl.) [LLO], qu’il avait reçu une formation suffisante en anglais et qu’il présentait des lacunes dans certaines compétences telles que le leadership. Il allègue de plus que le CEMD n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve pertinents et de l’ensemble de sa situation, et qu’il a par conséquent rendu une décision qui n’est pas raisonnable. Le capitaine François demande à notre Cour d’annuler cette décision et d’enjoindre à l’autorité de dernière instance de remédier aux violations alléguées des Forces armées canadiennes aux droits que lui garantit la LLO ou de renvoyer le dossier pour réexamen.

[5]  En l’espèce, la seule question à trancher est celle du caractère raisonnable de la décision du CEMD rejetant le grief du capitaine François et confirmant sa libération des FAC.

[6]  Pour les motifs qui suivent, je suis contraint de rejeter la demande du capitaine François. Je ne puis conclure que le CEMD a rendu une décision déraisonnable relativement au grief du capitaine François ni que ses conclusions sont insuffisamment motivées. La décision tient compte de la preuve et constitue une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit. J’y relève les attributs requis de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et j’estime qu’elle fait partie des issues possibles et acceptables qui s’ouvraient au CEMD. Cela étant, l’intervention de notre Cour ne serait nullement justifiée.

II.  Résumé des faits

A.  Contexte factuel

[7]  Le capitaine François s’est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en janvier 2001 en vue de devenir officier du génie électrique et mécanique. Étant donné qu’il n’a pas réussi la formation en génie électrique et mécanique, il a fait l’objet d’un reclassement obligatoire dans le groupe du génie aérospatial en décembre 2004. Il a obtenu la qualification pour ce nouveau groupe et a été promu au grade de capitaine en mai 2007.

[8]  D’avril à septembre 2003, le capitaine François a suivi 948 heures de formation en anglais et, après avoir fait un test d’évaluation de langue seconde de la Commission de la fonction publique, il a obtenu un profil linguistique BBB. De mai à décembre 2009, il a suivi deux cours de rédaction en anglais de 60 heures chacun. En février 2011, il a refait un test d’évaluation de langue seconde de la Commission de la fonction publique et obtenu le profil linguistique CBB.

[9]  À compter de 2007, ses superviseurs lui ont fait subir une évaluation annuelle des compétences en rédaction. Dans le Rapport d’appréciation du personnel (RAP) établi pour 2007-2008, le superviseur du capitaine François faisait état d’un rendement acceptable et lui donnait la mention [traduction] « en voie de perfectionnement » dans sa recommandation de promotion. Le RAP de 2008-2009 indiquait que sa fiabilité était [traduction] « à améliorer » et que sa capacité à communiquer par écrit était [traduction] « inacceptable ». La recommandation de promotion était défavorable. Le superviseur y mentionnait entre autres que le capitaine François [traduction] « avait très peu progressé au cours de la période visée, que son degré de perfectionnement était minime pour un officier comptant deux années d’expérience, qu’il attendait souvent d’avoir des directives précises avant de se mettre à la tâche, qu’il manquait de rigueur dans son travail et prenait rarement l’initiative d’assumer des responsabilités supplémentaires ».

[10]  En mai 2009, en guise de mesure corrective de son rendement insuffisant, le capitaine François a reçu une première mise en garde assortie d’une période de surveillance de six mois. En janvier 2010, son rendement insuffisant lui a valu une nouvelle mesure corrective sous la forme d’un avertissement écrit assorti d’une période de surveillance de cinq mois.

[11]  Le RAP de 2009-2010 indiquait que le capitaine François devait améliorer ses capacités à travailler en équipe, à gérer le changement, à résoudre les problèmes, à prendre des initiatives, à communiquer à l’oral et à l’écrit, à mettre en pratique les connaissances et les compétences liées à son emploi, ainsi que sa fiabilité. La recommandation de promotion était de nouveau défavorable. Le RAP mentionnait, entre autres lacunes, que le capitaine François [traduction« ne prend jamais les commandes et est peu enclin à orienter les discussions, ne fait montre d’aucune vision ou créativité quand il s’agit de régler des difficultés techniques pressantes », et est [TRADUCTION] « incapable de communiquer efficacement. Particulièrement, ses réponses écrites ou orales sont rarement claires, concises ou directes. » En plus d’un rendement global décrit comme étant [traduction] « bien en deçà des attentes pour un capitaine à sa troisième année d’expérience », il était reproché au capitaine François de ne pas posséder [traduction] « les compétences et le potentiel minimaux pour progresser dans sa carrière ».

[12]  En juillet 2010, un « Avis d’intention d’adopter des mesures de mise en garde et de surveillance » lui a été notifié. Dans les observations écrites qu’il a présentées avant que la décision finale soit rendue, il indiquait qu’il refusait une telle mesure et que son rendement insuffisant était attribuable à la barrière linguistique. En octobre 2010, une mesure de mise en garde et de surveillance a été prise pour cause d’insuffisance continue du rendement, et le capitaine François a été assujetti à une période de surveillance de six mois. En avril 2011, la période de surveillance de six mois a été prolongée de trois mois.

[13]  Le RAP établi pour 2010-2011 mentionnait que le capitaine François devait améliorer ses capacités à résoudre des problèmes et à prendre des décisions, son efficacité, son esprit d’initiative, sa capacité à mettre en pratique les connaissances et les compétences liées à son emploi, ainsi que sa fiabilité. La recommandation de promotion demeurait défavorable. L’évaluateur formulait la remarque suivante : [traduction] « Malgré un encadrement serré et de nombreuses revues de développement du personnel, il n’a pas acquis les compétences et les connaissances requises par son poste. » Il donnait comme exemples de ces lacunes [traduction] « des capacités de leadership qui laissent à désirer et qui souvent créent un climat de confusion (il a notamment demandé à son équipe de lui soumettre des titres de permission avec des dates arbitraires) ». Le rapport fait aussi état [traduction] « d’un faible rendement au cours de la période visée, nettement en deçà des attentes pour un capitaine possédant son expérience à ce grade ».

[14]  Dans le RAP de 2011-2012, il était souligné que le capitaine François devait améliorer ses capacités à gérer le changement, à résoudre les problèmes et à prendre des décisions, son efficacité et son esprit d’initiative, sa capacité à mettre en pratique les connaissances et les compétences liées à son emploi, ainsi que sa fiabilité. Pour la quatrième année consécutive, la recommandation de promotion y était défavorable. L’une des remarques formulées dans le RAP avait trait au manque de rigueur du capitaine François et au surcroît de travail qui en découlait pour son superviseur. L’évaluateur y parlait de [traduction] « la faiblesse du rendement et du potentiel démontré au cours de la période visée. Malgré les mesures administratives mises en œuvre, son rendement est demeuré insuffisant. »

[15]  Étant donné que huit mois après la notification de l’avis de mise en garde et de surveillance, le capitaine François faisait toujours montre [traduction] « de faibles capacités à résoudre les problèmes et à prendre des décisions, à prendre la mesure de ses responsabilités, et à mettre en pratique les connaissances et les compétences acquises », un examen administratif a été recommandé en juillet 2011. L’examen administratif est un mécanisme qui vise à définir les mesures administratives indiquées lorsque le maintien en service d’un membre des Forces armées canadiennes est mis en cause en raison de lacunes professionnelles qui ne peuvent être réglées par des mesures correctives.

[16]  Dans les observations écrites qu’il a présentées en mai 2012, le capitaine François attribuait notamment son rendement insuffisant au défaut des FAC de lui fournir les outils linguistiques dont il avait besoin pour fonctionner dans un environnement anglophone, ce qui constituait selon lui un manquement aux obligations prévues à la LLO. En août 2012, le DCM a rendu une décision fondée sur le processus d’examen administratif. Il y recommandait que le capitaine François fasse l’objet d’une évaluation en vue d’un reclassement obligatoire au grade de militaire du rang. Le DCM ajoutait que s’il était établi qu’un reclassement n’était pas envisageable ou si le capitaine François refusait le reclassement proposé, il devait être libéré des FAC.

[17]  En septembre 2012, il a déposé un grief contre la décision fondée sur l’examen administratif au motif que le processus n’était pas équitable sur le plan procédural et que le DCM ne l’avait pas suffisamment motivé. Le capitaine François a demandé un contrôle complet de cette décision et la prise en considération de toutes ses observations au cours du processus. Il reprochait également aux FAC de ne pas lui avoir fourni les outils et l’environnement constructif dont il aurait eu besoin pour bien exécuter son travail dans un milieu anglophone. L’autorité initiale a constaté que le capitaine François n’avait pas reçu tous les documents dont le DCM disposait au cours du processus d’examen administratif, mais que leur communication intégrale durant le processus de règlement du grief corrigerait ce manquement. En février 2013, le grief a été transmis directement à l’autorité de dernière instance parce qu’il était impossible pour l’autorité initiale de rendre une décision à l’intérieur du délai établi.

[18]  Avant d’examiner le grief du capitaine François, le CEMD a, en sa qualité d’autorité de dernière instance, demandé au Comité externe d’examen des griefs militaires [le Comité] de lui faire une recommandation sur le dossier. En juin 2013, le Comité a conclu dans le sommaire de sa recommandation que le DCM avait rendu une décision raisonnable, mais que l’omission de communiquer l’intégralité des documents et ses motifs constituait un manquement à l’équité procédurale. Le Comité ajoutait toutefois que ce manquement serait corrigé par la communication intégrale des documents à l’étape du règlement du grief par l’autorité de dernière instance.

[19]  Le Comité a invité le capitaine François à lui faire part de ses observations, ce qu’il a fait en août 2013. Il avait alors été libéré des FAC au motif qu’il [traduction] « n’était pas utilement employable ». En octobre 2013, le capitaine François a soumis des documents supplémentaires concernant l’environnement linguistique dans lequel il travaillait.

[20]  En mars 2014, le Comité a présenté ses conclusions et ses recommandations au capitaine François et au CEMD. Dans son rapport, le Comité concluait que le défaut de lui communiquer l’intégralité des documents constituait une violation des droits procéduraux du capitaine François et qu’un examen de novo était nécessaire; qu’il avait suivi une formation approfondie en langue seconde et reçu amplement de soutien; qu’il travaillait dans un environnement bilingue dans lequel il avait des superviseurs et des collègues francophones, même si la plupart des documents de formation étaient en anglais; qu’il n’avait pas fait la démonstration que son rendement insuffisant était attribuable à la barrière linguistique; que les CAF avaient respecté les obligations prévues à la LLO et dans leur politique linguistique, et que la libération du capitaine François était opportune et raisonnable. Le Comité recommandait que la première décision fondée sur l’examen administratif soit annulée et que le CEMD rende une décision portant libération du capitaine François à compter de la date de sa décision sur le grief.

[21]  En mai 2014, après avoir procédé à un examen de novo du dossier du capitaine François, le CEMD a confirmé sa libération des FAC. Le CEMD n’a pas modifié la date initiale de prise d’effet de la libération d’août 2013.

B.  Décision du CEMD

[22]  Dans sa décision, le CEMD commence par un exposé de l’objet du grief du capitaine François, c’est-à-dire la contestation de la décision du DCM fondée sur l’examen administratif. Dans son grief, le capitaine François alléguait que les documents ne lui avaient pas été communiqués intégralement, que le DCM avait insuffisamment motivé sa décision, et que les FAC ne lui avaient pas fourni les outils et l’environnement de travail constructif dont il avait besoin pour s’acquitter convenablement de ses tâches.

[23]  Le CEMD est parvenu à la conclusion que le capitaine François avait été lésé par un manquement à l’équité procédurale au cours du processus d’examen administratif en raison du défaut du DCM de lui communiquer l’intégralité des renseignements à sa disposition et le raisonnement sous-jacent à sa décision. Le CEMD a observé en revanche que ce manquement avait été réparé par l’annulation de la décision fondée sur l’examen administratif et l’examen de novo.

[24]  Après avoir examiné la preuve au dossier, le CEMD a conclu à la validité de la décision de libérer le capitaine François. À son avis, cette libération constituait une issue raisonnable compte tenu du rendement insuffisant du capitaine François et du respect par les FAC des obligations prévues à la LLO et à leur politique linguistique. Plus particulièrement, le CEMD a tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

A.  Contrairement à ce que recommande le Comité, la date de libération ne devrait pas être modifiée afin d’éviter que le capitaine François soit rémunéré pour des services non rendus.

B.  Les lacunes du capitaine François sont bien documentées et les mesures correctives ont été dûment mises en œuvre.

C.  Aucune violation de la LLO n’a été commise si on considère que le capitaine François a reçu une formation linguistique raisonnable, que la plupart de ses superviseurs étaient francophones, et qu’il lui était loisible de s’exprimer et de présenter de l’information en français.

D.  Le profil linguistique CBB du capitaine François l’outillait suffisamment pour traduire les manuels hautement techniques publiés en anglais seulement par des sociétés établies aux États-Unis, malgré leur complexité.

E.  Même s’il invoque la barrière linguistique, ses lacunes en matière de communication étaient loin d’être les seules pouvant lui valoir un bilan de rendement insuffisant. Selon les évaluations, il présentait aussi des lacunes liées à l’esprit d’initiative, à la capacité à résoudre des problèmes, à la fiabilité et à la mise en pratique des connaissances et des compétences liées à son emploi. La décision de libérer le capitaine François était motivée par un rendement insuffisant dans tous ces domaines.

[25]  Pour toutes ces raisons, le CEMD a conclu que la décision de le libérer des FAC en août 2013 était acceptable et devait être maintenue. Il a ajouté que le capitaine François a bénéficié des outils et de l’environnement de travail dont il avait besoin pour s’acquitter convenablement de ses tâches. Conséquemment, le CEMD a accordé en partie la réparation demandée par le capitaine François en annulant la décision initiale fondée sur l’examen administratif en raison d’un manquement à l’équité procédurale et en procédant à un examen de novo du dossier.

C.  Cadre législatif et réglementaire

[26]  Le processus d’examen administratif des FAC est régi par la Directive et ordonnance administrative de la défense (DOAD) 5019-2, Examen administratif [DOAD 5019]. Les procédures et les principes directeurs applicables du processus de règlement des griefs des FAC sont établis par les articles 29 à 29.15 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 [la LDN]. Le processus de règlement des griefs des FAC comporte deux paliers décisionnels : l’autorité initiale et l’autorité de dernière instance.

[27]  Les dispositions suivantes de la LDN sont pertinentes à l’espèce :

Griefs

Grievances

Droit de déposer des griefs

Right to grieve

29 (1) Tout officier ou militaire du rang qui s’estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la présente loi.

29 (1) An officer or non-commissioned member who has been aggrieved by any decision, act or omission in the administration of the affairs of the Canadian Forces for which no other process for redress is provided under this Act is entitled to submit a grievance.

Dernier ressort

Final authority

29.11 Le chef d’état-major de la défense est l’autorité de dernière instance en matière de griefs. Dans la mesure où les circonstances et l’équité le permettent, il agit avec célérité et sans formalisme.

29.11 The Chief of the Defence Staff is the final authority in the grievance process and shall deal with all matters as informally and expeditiously as the circumstances and the considerations of fairness permit.

Renvoi au Comité des griefs

Referral to Grievances Committee

29.12 (1) Avant d’étudier et de régler tout grief d’une catégorie prévue par règlement du gouverneur en conseil ou tout grief déposé par le juge militaire, le chef d’état-major de la défense le soumet au Comité des griefs pour que celui-ci lui formule ses conclusions et recommandations. Il peut également renvoyer tout autre grief à ce comité.

29.12 (1) The Chief of the Defence Staff shall refer every grievance that is of a type prescribed in regulations made by the Governor in Council, and every grievance submitted by a military judge, to the Grievances Committee for its findings and recommendations before the Chief of the Defence Staff considers and determines the grievance. The Chief of the Defence Staff may refer any other grievance to the Grievances Committee.

Décision du Comité non obligatoire

Chief of the Defence Staff not bound

29.13 (1) Le chef d’état-major de la défense n’est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité des griefs.

29.13 (1) The Chief of the Defence Staff is not bound by any finding or recommendation of the Grievances Committee.

Décision définitive

Decision is final

29.15 Les décisions du chef d’état-major de la défense ou de son délégataire sont définitives et exécutoires et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, ne sont pas susceptibles d’appel ou de révision en justice.

29.15 A decision of a final authority in the grievance process is final and binding and, except for judicial review under the Federal Courts Act, is not subject to appeal or to review by any court.

[28]  La juge Roussel a résumé les différentes étapes du processus de règlement des griefs des FAC aux paragraphes 22 et 23 de la décision Bossé c Canada (Procureur général), 2015 CF 1143 [Bossé] :

[22]  Tout officier ou militaire du rang qui s’estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la LDN. Le grief doit être déposé par écrit auprès du cmdt de la personne en cause, lequel agira à titre d’API [autorité initiale] dans le cadre du grief. Si le cmdt est incapable d’agir en qualité d’API, le grief est renvoyé au commandant ou à l’officier nommé au poste de directeur général ou à un poste supérieur à celui-ci au quartier général de la Défense nationale qui est chargé de décider des questions faisant l’objet du grief. Si le grief se rapporte à une décision, un acte ou une omission de la part d’un officier qui est l’API, cet officier doit renvoyer le grief à l’officier qui est son supérieur immédiat et qui a compétence à l’égard de la question faisant l’objet du grief, lequel agit alors en qualité d’API.

[23]  Si le plaignant n’accepte pas la décision de l’API, il peut la renvoyer pour examen et décision au chef d’état-major de la défense [CEMD] qui agira en qualité d’ADI [autorité de dernière instance]. Certains types de griefs doivent être renvoyés par le CEMD au CEEGM pour que celui-ci lui formule ses conclusions et recommandations, lesquelles n’ont aucune force obligatoire pour le CEMD. Si le CEMD ne donne pas suite aux conclusions et recommandations du CEEGM, il doit motiver sa décision par écrit. Bien que le CEMD soit l’ADI en matière de griefs, il peut, à quelques exceptions près, déléguer ses attributions à titre d’ADI en matière de griefs à tout officier qui relève directement de lui. Sous réserve du contrôle judiciaire devant la Cour, la décision de l’ADI en matière de griefs est définitive et exécutoire.

[29]  Le grief du capitaine François a été réglé conformément au processus susmentionné.

[30]  Les dispositions suivantes de la LLO sont également pertinentes à l’espèce :

Langue de travail

Language of Work

Droits en matière de langue de travail

Rights relating to language of work

34 Le français et l’anglais sont les langues de travail des institutions fédérales. Leurs agents ont donc le droit d’utiliser, conformément à la présente partie, l’une ou l’autre.

34 English and French are the languages of work in all federal institutions, and officers and employees of all federal institutions have the right to use either official language in accordance with this Part.

Obligations des institutions fédérales

Duties of government

35 (1) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que :

35 (1) Every federal institution has the duty to ensure that

a) dans la région de la capitale nationale et dans les régions ou secteurs du Canada ou lieux à l’étranger désignés, leur milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles tout en permettant à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre

(a) within the National Capital Region and in any part or region of Canada, or in any place outside Canada, that is prescribed, work environments of the institution are conducive to the effective use of both official languages and accommodate the use of either official language by its officers and employees

[31]  Par ailleurs, la Directive et ordonnance administrative de la défense 5039-0 (DOAD 5039) énonce la politique linguistique des FAC. Suivant la DOAD 5039, les FAC doivent assurer l’égalité du statut de l’anglais et du français sur le plan de leur utilisation; faire en sorte que, dans les unités bilingues, le milieu de travail soit propice à l’usage efficace des deux langues officielles, et que les francophones et les anglophones aient des chances égales d’emploi et d’avancement professionnel. Il importe de souligner que la DOAD 5039-7, Éducation et formation en seconde langue officielle pour les militaires, stipule que cette formation est essentielle pour permettre aux militaires de satisfaire aux exigences linguistiques associées à leurs attributions et de répondre aux besoins opérationnels des FAC.

D.  Norme de contrôle

[32]  Lorsqu’il agit en qualité d’autorité de dernière instance dans le processus de règlement des griefs des FAC, les décisions du CEMD s’examinent selon la norme de la décision raisonnable (Moodie c Canada (Procureur général), 2015 CAF 87, au paragraphe 51); Zimmerman c Canada (Procureur général), 2011 CAF 43 [Zimmerman], au paragraphe 21; Stemmler c Canada (Procureur général), 2016 CF 1299 [Stemmler], aux paragraphes 30 et 31; MacPhail c Canada (Procureur général), 2016 CF 153, aux paragraphes 8 et 9; Bossé, au paragraphe 25). De plus, étant donné le caractère singulier du processus de règlement des griefs des FAC et la compétence très spécialisée du CEMD pour rendre des décisions de cette nature dans le cadre militaire, notre Cour doit lui accorder un degré élevé de déférence (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 13; Stemmler, au paragraphe 30; Higgins c Canada (Procureur général), 2016 CF 32 [Higgins], aux paragraphes 75 à 77). Dans un tel contexte, le CEMD a droit à « une grande marge d’appréciation » (Higgins, au paragraphe 77).

[33]  En l’espèce, il lui était demandé d’examiner l’application de la politique linguistique des FAC ainsi que les aptitudes au service du capitaine François compte tenu des évaluations de son rendement. Ces deux questions relèvent directement de son expertise et sont donc assujetties à la norme de la décision raisonnable.

[34]  Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et les conclusions du décideur ne devraient pas être modifiées dès lors que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au paragraphe 47). Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par le décideur à un facteur pertinent (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland Nurses, au paragraphe 17).

III.  Discussion

[35]  La seule question à trancher est celle de savoir si la décision du CEMD est raisonnable.

[36]  Le capitaine François soutient que le CEMD a fait erreur en décrétant qu’il avait bénéficié de la formation linguistique et des outils adéquats; que la présence d’une majorité de superviseurs francophones dans son environnement de travail a compensé les manquements des FAC aux exigences de la LLO, et que son rendement insuffisant à divers égards a conduit à la décision de le libérer. Il reproche en outre au CEMD de ne pas avoir pris en considération des éléments de preuve pertinents et l’ensemble de sa situation.

[37]  Le capitaine François ajoute qu’il a plusieurs fois parlé à ses supérieurs de la difficulté que représentait pour lui, à titre de francophone, le fait de travailler dans un milieu anglophone. Il rappelle que leur politique linguistique obligeait les FAC à lui offrir un environnement de travail « propice à l’usage efficace des deux langues officielles », et à veiller à ce que les francophones et les anglophones « aient des chances égales d’emploi et d’avancement » (DOAD 5039, article 3.4). Il allègue que les FAC n’ont pas appliqué ces mesures à son égard.

[38]  Je ne suis pas d’accord.

A.  Droits linguistiques du capitaine François

[39]  J’ai pris connaissance de la décision du CEMD et de la preuve au dossier, et malgré ce que prétend le capitaine François, il est clair à mes yeux que le CEMD a raisonnablement conclu que les FAC avaient rempli les obligations que leur conféraient la LLO et leur propre politique linguistique. Autrement dit, je ne relève aucune violation des droits linguistiques du capitaine François.

[40]  Dans sa décision, le CEMD adhère entièrement aux conclusions du Comité eu égard aux obligations prévues à la LLO et à la conformité des FAC à celles-ci. Dans son rapport, le Comité explique que le capitaine François a suivi une formation linguistique poussée, mais qu’il pouvait communiquer dans la langue de son choix dans son milieu de travail bilingue. Le Comité souligne que le capitaine François [traduction] « a bénéficié d’outils, de formations, de conseils et d’un soutien aussi divers que complets dans la langue de son choix », qui souvent était l’anglais, et que son argument concernant les obligations découlant de la LLO est passablement ébranlé par le fait qu’il a choisi de recevoir des conseils, de la formation et des documents en anglais, et même de rédiger son grief dans cette langue. Les observations du Comité ont convaincu le CEMD que la LLO et la politique linguistique des FAC ont été dûment appliquées.

[41]  Au demeurant, le dossier contient de nombreux éléments de preuve indiquant que les FAC ont, conformément à la DOAD 5039, fait en sorte que « le milieu de travail, [dans] les unités bilingues, soit propice à l’usage efficace des deux langues officielles », et que les francophones et les anglophones « aient des chances égales d’emploi et d’avancement ». Pour étayer ses conclusions, le CEMD fait un exposé exhaustif des faits et du droit et il livre une analyse détaillée dans sa décision. Il fait notamment ressortir les faits suivants :

[traduction]

A.  En 2003, le capitaine François a suivi une formation à temps plein en anglais de 948 heures, à l’issue de laquelle il a obtenu le profil linguistique BBB.

B.  En 2009, il a suivi deux autres cours de 60 heures en rédaction anglaise.

C.  Il a obtenu le profil linguistique CBB en 2011.

D.  Au cours des quatre années qui ont précédé sa libération, il a travaillé au sein de sections dans lesquelles un bon nombre des superviseurs étaient des francophones bilingues.

E.  Pendant toute l’année qui a précédé l’examen administratif, il était adjoint à un francophone et son travail consistait à fournir du soutien à une société francophone basée à Mirabel, au Québec.

F.  Il lui était toujours loisible de s’exprimer et de donner de l’information dans la langue de son choix.

G.  Dans le cadre de son travail, il utilisait des documents techniques publiés aux États-Unis en anglais seulement, mais il avait les compétences requises pour surmonter cette difficulté puisque sa compréhension de l’anglais écrit lui a valu une cote C dans son profil linguistique.

H.  Il présentait des lacunes manifestes dans plusieurs domaines, pas uniquement au chapitre de la communication.

[42]  Au vu de ces éléments de preuve, je conviens avec le procureur général que le CEMD a raisonnablement conclu que le capitaine François a bénéficié des outils nécessaires pour offrir un rendement satisfaisant et fonctionner efficacement dans un milieu propice à l’usage efficace des deux langues officielles. Je rappelle que dans sa décision, le CEMD fait une analyse détaillée des droits linguistiques du capitaine François en adoptant le point de vue du Comité sur la question, et qu’il explique bien comment les FAC ont rempli les obligations que lui conféraient la LLO et la DOAD 5039.

[43]  L’application et la mise en œuvre de la DOAD 5039 relèvent directement de l’expertise du CEMD, et le capitaine François n’a pas établi en quoi son traitement et son analyse de cet instrument de politique sont déraisonnables.

B.  Rendement insuffisant du capitaine François

[44]  La preuve et la décision du CEMD ne corroborent pas non plus l’allégation du capitaine François comme quoi son rendement faisait défaut seulement en matière linguistique. Autant la décision que le dossier indiquent plutôt le contraire. Le CEMD renvoie expressément aux nombreuses évaluations qui ont été faites du rendement du capitaine François ainsi qu’aux documents liés aux mesures correctives. La preuve documentaire foisonne d’exemples de ses lacunes dans une panoplie d’autres domaines que la langue. L’importance et l’étendue de ses lacunes ont été documentées dans le moindre détail, année après année. C’est pourquoi ni le CEMD ni notre Cour n’auraient pu, sous aucun prétexte, ignorer la preuve claire et constante du fait que le rendement insuffisant du capitaine François n’était pas attribuable uniquement à ses difficultés linguistiques.

[45]  Un examen sommaire des RAP produits à compter de 2007 révèle une conclusion récurrente de son inaptitude au service dans les FAC en raison d’une combinaison de lacunes dans divers domaines. C’est la conclusion à laquelle sont parvenus ses superviseurs immédiats, le DCM responsable de l’examen administratif, le Comité après un examen de novo, ainsi que le CEMD après son propre examen de novo du dossier.

[46]  Année après année, la preuve au dossier et les préoccupations suscitées par le rendement du capitaine François sont allées dans le même sens, et les signes d’amélioration étaient rares, voire inexistants. Toutes les étapes du processus administratif ont débouché sur une conclusion unanime : les difficultés et les lacunes du capitaine François, loin de se limiter à ses capacités à communiquer et à ses compétences linguistiques, touchaient également sa fiabilité, sa capacité à résoudre des problèmes, son leadership, ses aptitudes et ses connaissances. En fait, son rendement était médiocre dans l’ensemble. Il n’a jamais fait l’objet d’une recommandation de promotion. Les difficultés linguistiques et les lacunes dans sa capacité à communiquer n’étaient pas les seules causes du rendement insuffisant du capitaine François. En fait, il a amélioré ses compétences linguistiques sous certains aspects, mais les autres indicateurs de rendement n’ont pas connu la même progression même s’il travaillait dans un milieu bilingue et sous la supervision de francophones.

[47]  Le CEMD a conclu que plusieurs lacunes ont concouru au rendement insuffisant du capitaine François, notamment eu égard à son esprit d’initiative, à sa capacité à résoudre des problèmes, à sa fiabilité, à la mise en pratique des connaissances et des compétences liées à son emploi. La preuve foisonne d’exemples de la persistance des lacunes du capitaine François et abondamment corroborées par les nombreux RAP au dossier. Le CEMD a rendu une décision tout à fait raisonnable qui appartient clairement aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[48]  Essentiellement, le capitaine François soutient que la décision est déraisonnable parce que le CEMD a commis des erreurs dans son appréciation de la preuve. Tous ses arguments visent l’obtention d’une revue complète de l’examen que le CEMD a fait de la preuve. Il n’appartient pas à notre Cour de reprendre cet examen pour déterminer si des conclusions factuelles sont raisonnables. Il ne lui est pas non plus demandé de réévaluer l’importance relative que le décideur a accordée aux facteurs ou éléments de preuve pertinents. Si les conclusions sont suffisamment justifiées et rationnelles compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve dont disposait le décideur, la cour de révision doit se garder de privilégier ses propres opinions quant au résultat approprié (Newfoundland Nurses, au paragraphe 17). Cette mise en garde vaut d’autant plus si, comme c’est le cas ici, la Cour est tenue d’accorder une grande déférence à l’expertise spécialisée du CEMD relativement à l’application des dispositions législatives pertinentes dans un contexte militaire. Comme l’a souvent rappelé la Cour suprême, la déférence est de mise lorsqu’un décideur agit à l’intérieur de son champ d’expertise spécialisé (Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, au paragraphe 46).

[49]  Je n’ai aucun doute que la décision qui nous occupe ici est raisonnable, justifiable, transparente et intelligible. Je ne décèle aucune erreur susceptible de révision dans la décision du CEMD. Il a inclus dans ses motifs une analyse exhaustive et rigoureuse des allégations du capitaine François. Notamment, il fait plusieurs fois référence aux rapports d’évaluation du capitaine François et aux éléments de preuve liés aux mesures correctives pour étayer sa conclusion comme quoi il n’a pas satisfait aux normes auxquelles est tenu un officier des FAC ayant sa qualification. La décision d’un CEMD concernant le processus d’examen administratif des FAC et la libération d’un officier pour cause de rendement insuffisant est « très imbue de faits, de politiques, de décisions discrétionnaires, d’appréciations subjectives et d’expertise ». De ce fait, le CEMD bénéficie d’une large marge d’appréciation des issues acceptables et rationnelles possibles (Paradis Honey Ltd. c Canada, 2015 CAF 89, au paragraphe 137). Je ne relève rien dans le dossier dont je suis saisi qui me permettrait de conclure que la décision du CEMD se situe à l’extérieur de cette marge.

[50]  Par ailleurs, le CEMD a conclu que malgré ce qu’il prétendait, il était inexact et non étayé par la preuve que le milieu de travail du capitaine François était anglophone. Certes, il devait utiliser des documents techniques publiés en anglais seulement, mais il était raisonnable de penser, au vu de la preuve et des circonstances, qu’il possédait les outils et les compétences nécessaires pour surmonter cette difficulté. Qui plus est, ses superviseurs étaient francophones et il pouvait toujours communiquer de l’information dans la langue de son choix. Là encore, j’estime que ces conclusions de fait sont raisonnables.

C.  Prise en compte de l’ensemble de la preuve

[51]  J’aimerais à ce point-ci ajouter une autre observation. Le capitaine François a reproché au CEMD de ne pas avoir tenu compte de certains éléments de preuve pertinents et de l’ensemble de sa situation. Toutefois, lors de l’audience devant notre Cour, ni lui ni son avocat n’ont été en mesure de désigner un document ou un élément de preuve que le CEMD n’a pas apprécié, pris en compte ou dûment traité dans sa décision.

[52]  Il est bien établi que le décideur est présumé avoir soupesé et pris en compte la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins de preuve du contraire (Florea v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), au paragraphe 1). L’absence de référence à un élément de preuve dans une décision ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Si le tribunal administratif a passé sous silence des éléments de preuve qui contredisent clairement ses conclusions, alors la Cour peut intervenir et inférer qu’il les a ignorés dans sa décision (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 9 et 10; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n1425 (QL), au paragraphe 17). Ce n’est pas le cas en l’espèce, et le capitaine François n’a d’ailleurs cité ou pointé aucun élément de preuve qui aurait été omis de cette manière.

[53]  Le CEMD a reconnu le préjudice que lui a causé la violation de ses droits procéduraux dans le processus d’examen administratif. Toutefois, il a été remédié à cette violation dans le cadre du processus de règlement des griefs des FAC. Concernant le contexte propre aux FAC, la Cour d’appel fédérale a conclu au paragraphe 45 de son arrêt McBride c Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181 [McBride] qu’une violation de l’équité procédurale est « réparée par ces nouvelles audiences ». De même, dans la décision Walsh c Canada (Procureur général), 2015 CF 775 [Walsh], notre Cour a refusé d’annuler ab initio la décision de libération que le demandeur sollicitait en invoquant un manquement à l’équité procédurale. Dans cette affaire, notre Cour a observé que les motifs étaient clairs et qu’elle devait faire preuve de déférence envers l’autorité de dernière instance, qui jouit « d’une grande latitude lorsqu’elle se penche et se prononce sur des griefs » (Walsh, au paragraphe 43). La Cour a appliqué les enseignements de la décision McBride et conclu que les audiences de novo peuvent remédier à toute éventuelle violation à l’équité procédurale (Walsh, au paragraphe 51).

[54]  En l’espèce, je dois établir si la décision du CEMD est raisonnable et si elle appartient aux issues possibles et acceptables, mais je dois le faire avec une grande déférence à l’égard du CEMD et de son expertise spécialisée. J’estime que la décision du CEMD concernant le grief et la libération du capitaine François est on ne peut plus claire et intelligible. Un nouvel examen est inutile puisque les conclusions du CEMD quant à la mesure corrective appropriée sont détaillées et raisonnables. Il a fourni des motifs suffisants pour justifier le rejet partiel du grief déposé par le capitaine François. De plus, je déduis de ses motifs que le CEMD a examiné et apprécié rigoureusement les circonstances ayant mené à la libération du capitaine François.

[55]  À l’inverse de l’affaire Zimmerman, le CEMD n’a pas omis de traiter certains griefs du plaignant sans en donner la raison (Zimmerman, au paragraphe 25; Morphy c Canada (Procureur général), 2008 CF 190, aux paragraphes 74, 75 et 78). Dans ce cas-ci, le CEMD s’est acquitté de son obligation à cet égard. Il faut examiner les motifs dans leur ensemble, à la lumière du dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3). Qui plus est, un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). La Cour doit aborder les motifs en « essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 15). Le CEMD jouit d’un large pouvoir discrétionnaire lorsqu’il examine les griefs tels que celui du capitaine François, rend une décision et détermine les mesures correctives appropriées, et toute intervention de notre Cour serait inopportune.

IV.  Conclusion

[56]  Pour les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu que la décision du CEMD est déraisonnable. Ses conclusions constituent une issue raisonnable au regard du droit et de la preuve dont il était saisi. La norme de la raisonnabilité exige seulement que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. C’est exactement le cas en l’espèce. De plus, le CEMD a fourni des motifs adéquats, exhaustifs et intelligibles. Il ne m’appartient pas de revenir sur le déroulement des événements ayant conduit à la décision du CEMD, ni d’apprécier à nouveau la preuve dont il disposait. Mon rôle est d’établir si le processus administratif qui a débouché sur la décision du CEMD et son issue est raisonnable et équitable sur le plan procédural. Après avoir examiné la décision et la preuve, je ne saurais affirmer que ce n’est pas le cas. Je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[57]  Le procureur général réclame les dépens pour la présente demande. Le défendeur ayant eu gain de cause en l’espèce, il aura droit aux dépens. Cela dit, j’estime qu’une somme globale de 1 500 $, débours inclus, est raisonnable en l’espèce si je tiens compte de l’ensemble des circonstances, selon la colonne III du tarif B et les facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales.

[58]  Les parties ont convenu que le nom du demandeur dans l’intitulé de la cause devrait être Rodrigue François, et non l’inverse. L’intitulé de la cause sera modifié en conséquence, y compris dans le présent jugement et ses motifs.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 1 500 $ sont adjugés au défendeur.

  3. L’intitulé de la cause est modifié de façon que le nom du demandeur dans la présente affaire soit remplacé par Rodrigue François.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour d’avril 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1592-14

 

 

INTITULÉ :

RODRIGUE FRANÇOIS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDITION :

Le 28 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Kashmeel McKöena

Pour le demandeur

Korinda McLaine

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McKöena Law Office

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.