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Date : 20161128


Dossier : T-2084-12

Référence : 2016 CF 1314

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

UNITED AIRLINES, INC.

demanderesse

et

JEREMY COOPERSTOCK

défendeur

ORDONNANCE

VU LA REQUÊTE du défendeur pour une ordonnance permettant au témoin expert du défendeur, le Dr Martin Zeilinger [Dr Zeilinger], de témoigner et d’être contre-interrogé sur son rapport d’expert au Royaume-Uni par vidéo-conférence;

ET APRÈS AVOIR TENU COMPTE DU FAIT QUE :

                     Notre Cour a la discrétion de trancher cette question. La règle se rapportant aux cas non prévus (c.-à-d. l’article 4 des Règles) ne s’applique pas en l’espèce puisque ce cas est prévu dans les Règles. Le fait que la Cour ait permis que les facteurs à examiner se développent organiquement ne signifie pas que les Règles sont silencieuses à ce sujet.

                     L’article 32 des Règles donne à la Cour la discrétion d’ordonner qu’une « audience » soit tenue par vidéo-conférence, entre autres formes de communication électronique.

                     L’article 279 des Règles prévoit également que, sauf ordonnance contraire de la Cour, le témoignage d’un témoin expert n’est admissible en preuve qu’à la condition que le témoin expert soit disponible à l’instruction pour être contre-interrogé.

                     Le paragraphe 282(1) des Règles est fondamental pour le déroulement de l’instruction. Il prévoit que, sauf ordonnance contraire de la Cour, les témoins à l’instruction sont interrogés oralement, en séance publique.

                     Le terme « audience » de l’article 32 des Règles est assez large pour inclure un procès, pas seulement un contrôle judiciaire ou une requête (voir également Farzam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1453, au paragraphe 28, 282 FTR 238 [Farzam]).

                     En accord avec l’article 3 des Règles, pour un tribunal moderne dont la juridiction est nationale, l’utilisation des moyens de communication modernes qui améliore le déroulement de l’instruction doit être encouragée et adoptée lorsque cela est approprié, faisable et juste; toutefois, il ne s’agit pas de l’une de ces instances où les avantages d’utiliser de tels moyens modernes sont plus importants que le préjudice que pourrait possiblement subir une partie.

POUR LES MOTIFS SUIVANTS, la requête devrait être rejetée :

1.                  Le défendeur savait depuis au moins le 26 février 2016, lorsqu’il a été communiqué aux parties que ce procès devait avoir lieu le 5 décembre 2016 (pour une durée de quatre jours) que, normalement, son témoin expert devrait être présent au procès. Or, ce n’est pas avant la conférence de gestion de l’instruction du 3 novembre 2016 que le défendeur a informé la Cour ou le demandeur qu’il avait l’intention de faire témoigner le Dr Zeilinger par vidéo-conférence, étant donné que ce témoin a émigré au Royaume-Uni et qu’il était peu pratique pour lui d’être présent au procès au Canada. Ce n’est pas avant le 17 novembre 2016 que le défendeur a déposé cette requête.

2.                  Le fondement de celle-ci est que l’horaire d’enseignement de cet expert serait perturbé s’il devait assister au procès à Montréal. Les parties ont par ailleurs proposé que le témoin soit interrogé et contre-interrogé pour un total de quatre heures. Or, il n’y a aucune preuve qu’un témoignage de cette durée exigerait que l’expert rate une semaine de cours entière étant donné la disponibilité des moyens de transport et la durée modérée du voyage entre Montréal et le Royaume-Uni. Le défendeur n’a présenté aucune raison qui concourrait à démontrer que le témoin est incapable de voyager, par exemple en raison d’un handicap, d’une maladie ou des coûts. C’est une question de commodité pour le témoin, ce qui n’est pas une bonne raison pour qu’il puisse se soustraire à l’obligation d’assister en personne à l’instruction.

3.                  En outre, le demandeur a démontré qu’il subit un préjudice substantiel, en partie en raison du défaut du défendeur de se pencher sur les questions techniques et juridictionnelles nécessaires; cela dit, même en laissant ces défauts de côté, je suis convaincu que le droit fondamental du demandeur de mener correctement et rigoureusement son contre-interrogatoire serait affecté si l’on autorisait un tel arrangement au défendeur.

4.                  De plus, il y a un doute important à savoir si l’opinion de témoin expert du Dr Zeilinger est une preuve d’expert proprement dit ou s’il ne s’agit pas plutôt a) d’un argument ou b) de son avis sur la question juridique en jeu. S’il s’agit d’un argument, le défendeur peut l’invoquer dans ses observations; s’il s’agit d’un avis juridique, il est inadmissible. À ce titre, le demandeur a déposé une requête afin que le rapport de cet expert soit radié. Le différend entre les parties quant au caractère approprié de cette preuve d’expert souligne le besoin de veiller à ce que le demandeur puisse mener un contre-interrogatoire rigoureux et efficace.

5.                  Or, il y a une atteinte substantielle au droit de mener un contre-interrogatoire en bonne et due forme. Il n’est ni faisable ni juste d’imposer au demandeur de fournir à l’avance au témoin les documents au sujet desquels il sera contre-interrogé – qu’ils soient déposés en preuve plus tôt au cours du procès ou qu’ils soient ajoutés au dossier séparément pour remettre en question son opinion. De plus, la conduite du contre-interrogatoire sera biaisée par l’interface de la vidéo-conférence, et l’utilisation d’une technologie de partage de documents, même si elle ne sera pas importante, ralentira le contre-interrogatoire.

6.                  Par ailleurs, le défendeur n’a pas réglé les questions d’ordre technologique nécessaires. Le contenu de sa requête ne présentait aucun plan ni aucun détail quant à la façon dont se dérouleraient le partage de documents, la consultation des documents et le contre-interrogatoire. En outre, le demandeur a soulevé, à juste titre, que le défendeur n’avait pas établi que sa proposition était techniquement réalisable dans sa requête. De plus, étant donné ce qui s’est produit par le passé lors des interrogatoires préalables pour ce dossier, on peut supposer que d’importants problèmes se poseraient en raison de l’utilisation de cette technologie entre ces deux parties. Il incombe au défendeur de régler ces questions à la satisfaction de la Cour et, contrairement à ce que plaide le défendeur, le demandeur n’est pas tenu de prouver qu’il n’est pas possible d’avoir recours à la technologie de vidéo-conférence. Qui plus est, même si cette proposition était réalisable sur le plan technique, l’exercice de pondération global va à l’encontre de l’accueil de cette requête.

7.                  Le défendeur n’a pas réglé la question de compétence que représente le fait de recevoir de la preuve d’une juridiction étrangère. Les articles 271 et 273 des Règles prévoient que, dans le cas d’une prise de témoignages hors du Canada, la Cour procède au moyen de la délivrance d’une commission rogatoire et d’une lettre rogatoire à la cour où témoignera le témoin. À la Cour fédérale, si le témoignage doit être reçu d’une juridiction étrangère par vidéo-conférence ou par l’entremise d’une autre forme de communication électronique, il faut absolument que le témoin qui dépose à l’étranger le fasse sous serment, dans le cadre des lois canadiennes comme des lois du pays en question. Cela nécessitera qu’un membre de l’appareil judiciaire étranger soit présent (Farzam, au paragraphe 49). L’assermentation ou la déclaration ne sont pas un simple détail. Il est critique pour le processus judiciaire que le témoin puisse être l’objet de l’exécution de la loi et notamment de sanctions relativement à son témoignage. Or, il incombe au défendeur, et non à la Cour, de s’assurer de ce type d’assermentation.

8.                  De plus, après avoir examiné la réponse du défendeur, ses observations ne répondent pas aux règles de la réponse et semblent indiquer un cas de « fractionnement de la preuve ».

9.                  L’obligation générale de présence et de disponibilité de son témoin à l’instruction à laquelle est soumise une partie, combinée à l’importance présumée de la preuve d’expert et la durée prévue du contre-interrogatoire montrent toutes qu’il y va de l’intérêt de la justice que ce témoin soit présent en personne.

PAR CONSÉQUENT, le besoin d’accommoder le défendeur importe moins que le préjudice que subirait le demandeur ou le processus judiciaire.

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

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