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Date : 20161027


Dossier : IMM-4371-16

Référence : 2016 CF 1194

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 27 octobre 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

RAJEEV DHEER

HARPREET KAUR

DIVYANSHI DHEER

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une requête en suspension d’exécution de la mesure de renvoi en instance contre les demandeurs. Le départ du Canada a été fixé au 30 octobre 2016.

[2]               Les demandeurs sont arrivés au Canada, en provenance de l’Inde, le 13 mai 2012. On nous dit qu’ils ont présenté une demande d’asile peu de temps après. Les trois demandeurs sont des ressortissants indiens âgés de 35, 26 et 5 ans. Leur demande d’asile a été rejetée dans une décision en date du 7 janvier 2006.

[3]               En substance, la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que le témoignage du demandeur principal, le père, souffrait de lacunes importantes en matière de crédibilité. Fondamentalement, le demandeur principal affirme qu’après l’embauche d’une personne en décembre 2011, la police l’a soupçonné d’être un militant et, par association, le demandeur aurait été arrêté et torturé à plusieurs reprises au cours des quatre mois qui ont suivi. Ayant obtenu un visa pour venir au Canada en avril 2012, les demandeurs sont arrivés au Canada à la mi-mai.

[4]               La demande d’autorisation requise pour introduire la demande de contrôle judiciaire a été rejetée le 13 avril 2016. De toute évidence, un juge de notre Cour a conclu qu’il n’y avait même pas de cause raisonnablement défendable (Bains c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, (1990) 109 NR 239) pour que la mesure proposée soit demandée. Le 29 septembre 2016, une demande de report de renvoi a été déposée et cette demande a été rejetée le 14 octobre 2016. C’est le rejet de cette demande de report qui fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. À l’appui de cette demande de contrôle judiciaire, un sursis à la mesure de renvoi est demandé, vraisemblablement en vertu de l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales.

[5]               Il convient de mentionner qu’une demande de visa de résident permanent présentée depuis le Canada dans laquelle les demandeurs font valoir qu’il existe des considérations d’ordre humanitaire, comme le permet l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), est également en instance. On s’attend à ce que la demande ne soit pas instruite avant plusieurs mois, voire deux ans et demi.

[6]               Il est bien connu que pour obtenir gain de cause, les demandeurs doivent satisfaire au critère tripartite énoncé dans l’arrêt RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, tel qu’il est appliqué dans le contexte de l’immigration dans l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 [Toth]. Il doit être satisfait aux trois volets du critère pour que les demandeurs obtiennent gain de cause. Les volets du critère sont les suivants :

  1. Il doit y avoir une question sérieuse à trancher dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente;
  2. Les demandeurs subiront un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé;
  3. La prépondérance des inconvénients favorise les demandeurs.

[7]               La question sérieuse est présentée comme étant une cause défendable. C’est une erreur. En outre, pour la jurisprudence, le critère de la question sérieuse repose simplement sur le fait que la question ne doit être ni frivole ni vexatoire. Cependant, il y a des exceptions à la règle telles qu’elles sont énoncées dans RJR-Macdonald. Comme le juge Pelletier, alors juge de notre Cour, l’a clairement dit dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 RFC 682 :

Par conséquent, je suis d’avis que dans les affaires où une requête de sursis est présentée à la suite du refus de l’agent chargé du renvoi d’en différer l’exécution, le juge saisi de l’affaire doit aller plus loin que l’application du critère de la « question sérieuse » et examiner de près le fond de la demande sous-jacente. (paragraphe 10)

Plus loin, à la fin du paragraphe 11, le juge Pelletier indique quel critère doit être appliqué dans ces circonstances :

Ce n’est pas que le critère en trois volets ne s’applique pas, c’est que le volet du critère qui porte sur la question sérieuse se transforme en critère de vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie, étant donné que l’octroi de la réparation recherchée dans la demande interlocutoire accordera au demandeur la réparation qu’il sollicite dans le cadre du contrôle judiciaire.

[8]               Il s’ensuit que les demandeurs doivent établir qu’il existe des probabilités de réussite qu’ils puissent contester la décision de l’agent chargé du renvoi lors du contrôle judiciaire.

[9]               L’argument avancé par les demandeurs consiste à faire valoir que les intérêts des enfants et la protection de la vie familiale sont compromis et qu’en conséquence, la décision de l’agent chargé du renvoi serait probablement infirmée lors du contrôle judiciaire. En outre, les demandeurs continuent de faire valoir qu’ils sont exposés à une certaine forme de danger, en dépit de la conclusion claire de la SPR dans sa décision de janvier 2016, décision que notre Cour n’a pas changée.

[10]           À mon avis, il y a très peu de chances qu’ils obtiennent gain de cause avec ces arguments. Cela tient à la compétence très limitée de l’agent chargé du renvoi et à un certain nombre de décisions faisant autorité de la Cour d’appel fédérale qui ne reconnaissent pas le genre d’arguments avancés en l’espèce.

[11]           C’est l’article 48 de la LIPR qui s’applique. Il est libellé comme suit :

Mesure de renvoi


Enforceable removal order

48 (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

48 (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

Conséquence

Effect

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible.

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and the order must be enforced as soon as possible.

C’est dans cette situation que se trouvent les demandeurs. Il y a une mesure de renvoi exécutoire et il incombe à l’agent chargé du renvoi de l’appliquer le plus tôt possible.

[12]           L’agent chargé du renvoi n’est pas sans pouvoir discrétionnaire lorsqu’une mesure de renvoi doit être exécutée. Toutefois, la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311 [Baron] fait autorité et appuie la thèse selon laquelle « il est de jurisprudence constante que le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution en matière de report d’une mesure de renvoi est limité » (paragraphe 49). Le juge Nadon, avec l’appui du juge Desjardins, conclut ce qui suit au paragraphe 50 :

[50]      J’ai également exprimé l’avis que la simple existence d’une demande CH n’empêchait pas l’exécution d’une mesure de renvoi valide. Au sujet de la présence d’enfants nés au Canada, j’ai adopté le point de vue que l’agent chargé du renvoi n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi.

Cette approche trouve un écho dans les motifs du juge Blais (tel était alors son titre) qui a écrit que « les demandes CH ne sont pas censées faire obstacle aux mesures de renvoi valides » (paragraphe 87).

[13]           Un autre tribunal de la Cour d’appel fédérale est parvenu à la même conclusion dans l’arrêt Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Shpati, 2011 CAF 286, [2012] 2 RCF 133, où le juge Evans, au nom de la Cour, a jugé que « les agents d’exécution ne sont pas censés se prononcer sur les demandes d’ERAR ou de CH ou rendre de nouvelles décisions à ce sujet » (paragraphe 45). Or, les demandeurs prétendent justement que c’est ce que l’agent chargé du renvoi aurait dû faire. Ils parlent de la meilleure vie dont les enfants jouiraient au Canada et de la vie familiale qui devrait être améliorée et chérie. Cela conduit à la conclusion [traduction] « que la demande pour motifs d’ordre humanitaire qu’ils ont soumise doit être étudiée avant toute expulsion » (mémoire des faits et du droit, paragraphe 13). Malheureusement pour les demandeurs, tel n’est pas l’état de la loi. Ce ne sont pas là des considérations qui doivent être prises en compte au stade du renvoi.

[14]           Les demandeurs se sont également plaints de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés. En outre, ils soutiennent qu’il existe toujours une culture d’impunité en Inde pour la police.

[15]           On peut lire les deux paragraphes suivants tirés du paragraphe 51 de la décision Baron :

– La loi oblige le ministre à exécuter la mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute ligne de conduite en matière de report doit respecter cet impératif de la Loi. Vu l’obligation qui est imposée par l’article 48, on devrait accorder une grande importance à l’existence d’une autre réparation, comme le droit de retour, puisqu’il s’agit d’une réparation autre que celle qui consiste à ne pas respecter une obligation imposée par la Loi. Dans les affaires où le demandeur a gain de cause dans sa demande CH, il peut obtenir réparation par sa réadmission au pays.

– Pour respecter l’économie de la Loi, qui impose une obligation positive au ministre tout en lui accordant une certaine latitude en ce qui concerne le choix du moment du renvoi, l’exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain. Pour ce qui est des demandes CH, à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, ces demandes ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle. [Souligné dans l’original.]

[16]           La difficulté insurmontable des demandeurs est que leur revendication selon laquelle ils sont menacés en Inde a été jugée non crédible et notre Cour a refusé d’intervenir en refusant l’autorisation de lancer une demande de contrôle judiciaire. L’histoire racontée par le demandeur principal n’a pas été crue. Il n’y a aucun fait nouveau depuis la décision de la Section de la protection des réfugiés : seules les mêmes allégations sont présentées à nouveau. Il s’ensuit qu’il n’y a pas de question sérieuse et que la requête en suspension d’exécution de la mesure de renvoi doit être rejetée.

[17]           Je note cependant que la demande n’aurait pas non plus satisfait au volet relatif au préjudice irréparable du critère. Les demandeurs ont soutenu devant notre Cour que leur vie en Inde serait différente. L’accent est mis sur les enfants du couple (il y a un enfant plus jeune qui n’est pas concerné par cette requête étant donné qu’il est né au Canada). Les perspectives pour les enfants ne seraient pas aussi bonnes s’ils devaient aller en Inde où il y a [traduction] « un danger d’extrême pauvreté, il n’y a pas de travail et pas d’argent pour cette famille ». En outre, les demandeurs soulèvent à nouveau le danger que le demandeur principal encourra étant donné qu’il devra échapper à la police. Encore une fois, cette question a été examinée à l’audience devant la SPR et la crédibilité du demandeur principal n’a pas survécu.

[18]           Comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu dans l’arrêt Gateway City Church c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 :

[15]      Les affirmations générales ne peuvent établir l’existence d’un préjudice irréparable, car elles ne prouvent rien :

Il est beaucoup trop facile pour ceux qui demandent un sursis dans une affaire comme celle-ci d’énumérer diverses difficultés, de les qualifier de graves, puis, au moment de préciser le préjudice qui risque d’en découler, d’employer des termes généraux et expressifs qui ne servent pour l’essentiel qu’à affirmer – et non à prouver à la satisfaction de la Cour – que le préjudice est irréparable.

(Première Nation de Stoney c. Shotclose, 2011 CAF 232, au paragraphe 48.) En conséquence, « [l]es hypothèses, les conjectures et les affirmations discutables non étayées par les preuves n’ont aucune valeur probante » : Glooscap Heritage Society c. Ministre du Revenu national, 2012 CAF 255, au paragraphe 31.

[16]      Il faut plutôt « produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » : arrêt Glooscap, précité, au paragraphe 31. Voir également Dywidag Systems International, Canada, Ltd. c. Garford Pty Ltd., 2010 CAF 232, au paragraphe 14; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, 268 N.R. 328, au paragraphe 12; Laperrière c. D. et A. MacLeod Company Ltd., 2010 CAF 84, au paragraphe 17.

De toute évidence, en l’espèce, cette démonstration n’a pas été faite.

[19]           En cas de doute quant au fait que cette jurisprudence s’appliquerait dans le contexte de l’immigration, le juge en chef Richard a écrit dans l’arrêt Singh Atwal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 427, 330 NR 300, que « la notion de préjudice irréparable doit comporter plus qu’une simple suite de possibilités » (paragraphe 14). Il existe également des directives, de nature contraignante, émanant de la Cour d’appel fédérale sur la nature du préjudice à prendre en considération. Dans l’arrêt Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, le juge Evans a écrit ce qui suit :

[13] Le renvoi de personnes qui sont demeurées au Canada sans statut bouleversera toujours le mode de vie qu’elles se sont donné ici. Ce sera le cas en particulier de jeunes enfants qui n’ont aucun souvenir du pays qu’ils ont quitté. Néanmoins, les difficultés qu’entraîne généralement un renvoi ne peuvent à mon avis constituer un préjudice irréparable au regard du critère exposé dans l’arrêt Toth, car autrement il faudrait accorder un sursis d’exécution dans la plupart des cas dès lors qu’il y aura une question sérieuse à trancher : Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 188 F.T.R. 29.

[20]           Dans Selliah, la Cour a également conclu que le risque de persécution (dans ce cas, au Sri Lanka) n’était pas personnel, par opposition à un risque général. La Cour s’est appuyée sur la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et sur l’agent d’ERAR qui avaient conclu que la personne n’encourait pas de risque personnel. Nous nous trouvons dans une situation similaire où les demandeurs font valoir qu’il existe une culture de l’impunité en Inde, qui constituerait au mieux un risque général, et que la Section de la protection des réfugiés (et notre Cour pour avoir refusé d’accorder une autorisation) s’est trompée lorsqu’elle a conclu qu’il n’y avait pas de risque personnel. Cette question a été traitée.

[21]           Il s’ensuit que, malgré l’argumentation énergique présentée au nom des demandeurs, la requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi des demandeurs, prévue pour le 30 octobre 2016, doit être rejetée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi, prévue pour le 30 octobre 2016, soit rejetée.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4371-16

INTITULÉ :

RAJEEV DHEER, HARPREET KAUR, DIVYANSHI DHEER c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 octobre 2016

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

Le 27 octobre 2016

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

Pour les demandeurs

Michel Pépin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Avocats

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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