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Date : 20170210


Dossier : T-1035-16

Référence : 2017 CF 152

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 10 février 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

MATTHEW WONG

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Division des enquêtes sur les passeports, Direction générale de l’intégrité des programmes, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [la Division des enquêtes], datée du 30 mai 2016, par laquelle la délivrance d’un passeport a été refusée et une période de cinq ans de refus de service de passeport a été imposée en vertu des alinéas 9(1)a) et 10.2(1) du Décret canadien sur les passeports, TR/81-86 [le Décret sur les passeports]. La décision était fondée sur la constatation qu’il y avait suffisamment de renseignements pour permettre de conclure que le demandeur avait obtenu un passeport sous une fausse identité en présentant des renseignements faux ou trompeurs et n’a pas réussi à fournir la documentation nécessaire ou requise d’une demande de passeport.

[2]  Comme expliqué plus en détail ci-dessous, cette demande est autorisée parce que j’ai conclu que le demandeur a fait l’objet d’un manquement à l’équité procédurale en ce sens que la Division des enquêtes ne lui a pas divulgué une copie d’un document important sur lequel elle a fondé sa décision. Même si les lettres de la Division des enquêtes envoyée au demandeur faisaient référence à ce document, certains faits pertinents dans le document n’ont pas été divulgués.

II.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur, Matthew Wong, a présenté une demande de passeport qui a été reçue le 11 juin 2015. Dans cette demande, le demandeur a déclaré que le seul passeport qui lui avait été délivré au cours des six dernières années portait le numéro WL183967, et lui avait été délivré le 6 août 2009. Le ou vers le 15 juin 2015, une vérification de routine par un logiciel de reconnaissance faciale de la Division des enquêtes a indiqué que la photographie soumise à l’appui de cette demande correspondait à la photographie apparaissant dans un autre passeport, portant le numéro WH145631, et délivré au nom d’Andrew Forrester [le passeport Forrester].

[4]  M. Wong a été informé par une lettre datée du 6 août 2015 qu’il faisait l’objet d’une enquête de la Division des enquêtes qui disposait de renseignements indiquant qu’il n’avait pas fourni toute l’information requise dans sa demande de passeport, plus précisément en ce qui concerne tous les passeports canadiens qui lui ont été délivrés au cours des six dernières années. La lettre de la Division des enquêtes était accompagnée d’un questionnaire, auquel M. Wong a répondu, en vérifiant qu’une photographie accompagnant le questionnaire était une photographie de lui. Bien que ce ne fût pas indiqué dans le questionnaire, il s’agissait de la photographie apparaissant dans le passeport Forrester.

[5]  En plus de la correspondance adressée à M. Wong datée du 10 septembre 2015, la Division des enquêtes l’a informé qu’il y avait des raisons de croire qu’il n’avait pas dûment rempli une demande de passeport et a joint un autre questionnaire, en lien avec le passeport Forrester. M. Wong a transmis une réponse le 28 septembre 2015, indiquant qu’il ne connaissait personne du nom de Andrew Forrester, ne pouvait pas expliquer pourquoi un passeport avec sa photo au nom de Andrew Forrester avait été envoyée par la poste à son adresse permanente, et qu’il n’avait pas le passeport Forrester.

[6]  M. Wong a également exprimé la préoccupation d’avoir été victime d’un vol d’identité, expliquant qu’il était à risque de ce type de vol, puisqu’il est atteint de dégénérescence neuromusculaire, ce qui requiert l’aide de soignants qui ont accès à tout ce qui se trouve dans sa maison et dans sa boîte aux lettres. Il a fourni des preuves de son invalidité et a affirmé que, au cours des dernières années, il avait reçu des appels d’agences de recouvrement visant des personnes qu’il ne connaissait pas, et qu’on lui avait dit qu’il avait une mauvaise cote de crédit. M. Wong a également déclaré que sa carte de crédit avait fait l’objet de fraude et qu’il avait rempli un rapport de police à la Police métropolitaine de Toronto. Il a demandé s’il devait faire un suivi auprès de la GRC et a indiqué que de toute façon il ferait un suivi avec la Police métropolitaine de Toronto.

[7]  La Division des enquêtes a envoyé une autre lettre à M. Wong, datée du 25 novembre 2015, l’informant qu’il était visé par une enquête concernant la possibilité qu’il puisse avoir obtenu un passeport en fournissant de l’information fausse et trompeuse, et concernant le fait qu’il pourrait ne pas avoir présenté une demande de passeport dûment remplie ou ne pas avoir fourni les renseignements et les documents exigés dans la demande de passeport. Cette lettre faisait référence à l’information qui avait été révélée par l’enquête de la Division des enquêtes, dont ce qui suit :

  1. La demande qui a mené à la délivrance du passeport Forrester a été reçue le 22 septembre 2009. Les noms de Matthew Wong et Christopher Manansala y figuraient comme références et celui d’Aiko Hamasaki comme garant. Christopher Manansala et Aiko Hamasaki sont également indiqués comme références dans la demande de M. Wong du 11 juin 2015.

  2. Le passeport Forrester a été envoyé à la même adresse que l’adresse permanente de M. Wong.

  3. La photo utilisée dans la demande de M. Wong du 11 juin 2015 de même que celle de la demande du passeport Forrester ont toutes deux été prises à la boutique Photo Imaging, située à Cumberland Terrace, 2, rue Bloor Ouest, à Toronto.

  4. La demande du passeport Forrester était appuyée par un certificat de citoyenneté canadienne. Une vérification par la Division des enquêtes auprès des services de la statistique de l’état civil de l’Ontario a confirmé qu’il n’existe pas de registre de naissance pour Andrew Forrester et que le certificat de naissance utilisé pour obtenir le certificat de citoyenneté canadienne délivré au nom d’Andrew Forrester est un document frauduleux. Une demande de preuve de citoyenneté canadienne pour Andrew Forrester a été signée par Matthew Wong le 30 avril 2009.

[8]  La réponse de M. Wong datée du 11 janvier 2016 comprenait quatre déclarations statutaires signées par ses collègues et lui à son cabinet juridique. Il a inclus une autorisation de communiquer son dossier médical et a réaffirmé sa conviction qu’il avait été victime de vol d’identité en raison de son état physique. Il a expliqué qu’il ne bénéficierait d’aucune façon d’avoir une fausse identité compte tenu de son statut d’avocat, et cela ne ferait que compromettre ce statut. Il a aussi demandé une entrevue en personne.

[9]  La Division des enquêtes a envoyé une autre lettre datée du 19 février 2016, accusant réception des autres observations et fournissant plus de renseignements sur la demande du passeport Forrester. La Division des enquêtes a noté que le bureau de délivrance des passeports avait communiqué avec la personne affirmant être Andrew Forrester en 2010 et avait demandé des documents supplémentaires, lesquels ont été envoyés par fax à partir des bureaux de Foresight Research and Consulting. Il s’agit du même employeur que celui déclaré dans les demandes de passeport de M. Wong. En outre, l’arrière de la photo présentée dans la demande du passeport Forrester comportait ce qui semblait être la signature de M. Wong sous le nom d’Andrew Forrester. La Division des enquêtes a également constaté que M. Wong n’avait pas expliqué pourquoi il avait signé une demande de preuve de citoyenneté canadienne pour Andrew Forrester le 30 avril 2009 ni pourquoi le passeport Forrester a été envoyé par la poste à son adresse. La Division des enquêtes a refusé sa demande d’entrevue.

[10]  M. Wong a répondu le 22 mars 2016, expliquant que Foresight Research est une société dont il est l’unique administrateur et que, lorsque cette société a cessé ses activités, il a gardé un télécopieur de l’entreprise qu’il présume avoir été utilisé pour cette télécopie. M. Wong a nié avoir signé la photo et la lettre de demande d’une preuve de citoyenneté qui ont été utilisées dans la demande du passeport Forrester, et il a rappelé que, dans le passé, plusieurs aidants naturels ont eu accès à sa boîte aux lettres, et a émis l’hypothèse que l’un d’entre eux préférant ne pas utiliser sa propre adresse ait pu utiliser son adresse pour recevoir le passeport Forrester. Il a également déclaré qu’il n’avait ni les moyens ni la motivation d’obtenir un passeport au nom d’une autre personne.

[11]  Le 22 avril 2016, la Division des enquêtes a écrit au demandeur, confirmant la réception de ses dernières observations et l’avisant que l’enquête serait transmise aux fins de décision. Le 30 mai 2016, la Division des enquêtes a rendu la décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. La Division des enquêtes a conclu, après un examen approfondi de toute l’information recueillie tout au long de l’enquête et des observations de M. Wong, que selon la prépondérance des probabilités, il y avait suffisamment d’information démontrant qu’il avait obtenu le passeport portant le numéro WH145631 correspondant à l’identité présumée d’Andrew Forrester en présentant des renseignements faux ou trompeurs et n’a pas réussi à fournir la documentation nécessaire ou requise d’une demande de passeport.

[12]  La Division des enquêtes a refusé de délivrer un passeport à M. Wong, conformément à l’alinéa 9(1)a) du Décret sur les passeports, et a imposé une période de refus de services de passeport jusqu’au 11 juin 2020, en application de l’alinéa 10.2(1) du Décret sur les passeports. Le décideur a fait remarquer que cette décision reflétait la gravité, selon la Division des enquêtes, de l’utilisation abusive ou de la mauvaise utilisation d’un passeport ou de la présentation de renseignements erronés dans le contexte de l’admissibilité aux services de passeport.

III.  Questions en litige

[13]  M. Wong soutient que la présente demande soumet à la considération de la Cour les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle?

  2. La décision a-t-elle été rendue de manière inéquitable au point de vue procédural?

  3. La décision était-elle raisonnable?

  4. La décision contestée était-elle arbitraire?

[14]  Le défendeur ajoute les questions suivantes :

  1. A-t-on fait preuve d’équité procédurale à l’égard du demandeur, et une entrevue en personne était-elle requise?

  2. La décision était-elle raisonnable?

[15]  Sous réserve de la détermination de la norme de contrôle, question qui est traitée ci‑dessous et à l’égard de laquelle je ne comprends pas que les parties soient en désaccord, je considère que la formulation des questions du défendeur constitue le meilleur cadre d’analyse des arguments avancés dans cette demande.

IV.  Norme de contrôle

[16]  La norme de contrôle applicable à la question de l’équité procédurale et celle de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Dias c. Canada (Procureur général du Canada), 64 CF 2014, confirmée en 2014 CAF 195, au paragraphe 11; Sketchley c. Canada (Procureur général du Canada), 2005 CAF 404, au paragraphe 70), et, par ailleurs, la norme de contrôle applicable à la décision de refuser les services de passeport est la norme de la décision raisonnable (Saibu c. Canada (Procureur général du Canada), 2015 CF 255, au paragraphe 11; Kamel c. Canada (Procureur général du Canada), 2008 CF 338, aux paragraphes 57 à 59; Villamil c. Canada (Procureur général du Canada), 2013 CF 686, au paragraphe 30).

V.  Analyse

A.  A-t-on fait preuve d’équité procédurale à l’égard du demandeur, et une entrevue en personne était-elle requise?

[17]  M. Wong présente deux arguments en ce qui a trait à l’équité procédurale. Tout d’abord, il fait valoir que la décision de la Division des enquêtes impliquait des décisions relatives à la crédibilité et que, de ce fait, les circonstances de l’espèce justifient de lui accorder une audience, ce qu’il a expressément demandé. Il affirme ensuite qu’en ne le faisant pas, l’agent a commis un manquement à l’équité procédurale parce que la divulgation de la Division des enquêtes était inadéquate.

[18]  Ayant examiné le premier argument de M. Wong, je ne trouve aucune raison de conclure qu’il avait droit à une audience au vu des faits de la présente affaire.

[19]  Les parties conviennent que ni le Décret sur les passeports ni la législation applicable n’exigent une audience dans le cadre d’une décision rendue en vertu des alinéas 9(1)a) et 10.2(1). M. Wong fait cependant valoir que les principes d’équité procédurale peuvent néanmoins donner lieu à une telle exigence lorsqu’une décision implique des évaluations de la crédibilité. Il s’appuie sur la décision rendue dans Kamel c. Canada (Procureur général), 2008 CF 338 [Kamel], où le juge Noël a déclaré ce qui suit au paragraphe 72 :

72  Au regard des cinq facteurs, la Cour conclut que le Bureau canadien des passeports avait l’obligation de suivre une procédure conforme aux principes d’équité procédurale à l’égard du demandeur. Ceci ne veut pas dire que le droit à une audience soit de mise automatiquement dans le cadre de l’enquête (à titre d’exemple, lorsque la crédibilité du demandeur de passeport est en jeu). Il suffit que l’enquête comporte la communication à l’intéressé des faits qui lui sont reprochés et de l’information colligée dans le cours de l’enquête, lui donne la possibilité d’y répondre pleinement et lui fasse savoir les objectifs de l’enquêteur; enfin, il faut que le décideur puisse disposer de tous les éléments pour prendre une décision éclairée. Le Bureau canadien des passeports a-t-il respecté ces principes au cours de l’enquête?

(Non souligné dans l’original.)

[20]  M. Wong est d’avis que l’analyse de Kamel démontre que l’exigence d’une audience dans le cadre d’une enquête en vertu du Décret sur les passeports n’est pas exclue, qu’il est des cas où les circonstances exigent effectivement une telle audience, et que son cas représente un tel cas parce que la décision de la Division des enquêtes impliquait une évaluation de la crédibilité.

[21]  Il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur les circonstances dans lesquelles une enquête en vertu du Décret sur les passeports puisse exiger une audience afin de respecter les principes d’équité procédurale, puisque ma conclusion est que la décision de la Division des enquêtes ne touchait pas des conclusions relatives à la crédibilité d’une nature exigeant une audience pour être correctement évaluées. Je conviens avec le défendeur que l’on peut qualifier la décision comme en étant une reposant sur une preuve suffisante puisque M. Wong n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour répondre aux préoccupations cernées dans les lettres que la Division des enquêtes lui a adressées et pour appuyer son affirmation voulant qu’il ait été victime de vol d’identité.

[22]  En définitive, l’argument de M. Wong, c’est que dans le cadre d’une audience, il aurait peut-être été mieux en mesure de convaincre la Division des enquêtes qu’il n’a pas présenté la demande du passeport Forrester, et ne l’a pas non plus reçue. Bien qu’il affirme qu’il ne soit pas au courant de la demande du passeport Forrester ni de ce passeport, et soutient donc que sa crédibilité est en jeu, il n’a fait état d’aucun élément de preuve relatif à la crédibilité qui aurait pu être mieux évalué au moyen d’une audience. M. Wong a fait valoir lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire qu’une audience lui aurait donné l’occasion de produire des éléments de preuve supplémentaires à l’appui de sa thèse. Il n’a cependant pas expliqué ce que cet élément de preuve pourrait avoir été ni pourquoi il n’a pas pu le présenter dans ses observations écrites.

[23]  Concernant le second argument de M. Wong sur l’équité procédurale, j’estime qu’il existe effectivement un fondement à sa thèse relative au fait que la Division des enquêtes ait omis de divulguer l’un des documents sur lesquels elle a fondé sa décision.

[24]  Les parties ne semblent pas en désaccord sur les principes juridiques applicables à cet argument, seulement sur l’application de ces principes aux faits de l’espèce. Comme indiqué au paragraphe 72 de Kamel, précité, l’enquête doit comprendre la divulgation à la personne concernée des faits allégués contre lui, l’information recueillie au cours de l’enquête et les objectifs de l’enquêteur, et doit permettre à la personne visée la possibilité de répondre pleinement. Le devoir d’équité exige que tous les faits importants découverts au cours de l’enquête soient divulgués à la partie visée; cela comprend autant les renseignements inculpatoires que disculpatoires (Gomravi c. Canada (Procureur général), 2013 CF 1044, au paragraphe 32). Cependant, il n’est pas nécessaire que les enquêteurs divulguent chacun des aspects sur lesquels ils font enquête ni même chaque document dont dispose le décideur. Au contraire, l’exigence de divulgation s’applique à tous les renseignements recueillis qui sont pertinents à l’égard de la décision à rendre, exigence qui peut être satisfaite si l’enquêteur présente un résumé des faits importants qui sont pertinents à l’égard de la décision à rendre (Slaeman c. Canada (Procureur général), 2012 CF 641 [Slaeman], aux paragraphes 37 et 38).

[25]  À ce titre, le fait que le dossier de la Division des enquêtes comprenne de la documentation qui n’a pas été divulguée à M. Wong au cours de l’enquête, et qu’il ne l’a reçue que par le dossier certifié du tribunal généré par la présente demande de contrôle judiciaire, ne soulève pas en soi une préoccupation d’équité procédurale. En effet, je ne vois pas de telles préoccupations à l’égard de plusieurs des documents qui selon M. Wong auraient dû être communiqués. Par exemple, il soutient que la Division des enquêtes aurait dû divulguer une analyse de reconnaissance faciale datée du 15 juin 2015 comparant la photographie jointe à sa demande de passeport du 11 juin 2015 à la photographie du passeport Forrester. L’information communiquée à M. Wong dans les lettres d’équité procédurale a clairement établi la correspondance entre ces photographies, et M. Wong a reconnu que la photo du passeport Forrester était une photo de lui. Il n’a relevé aucun renseignement pertinent et important qu’il ignorait du fait qu’il n’ait pas reçu une copie de l’analyse de reconnaissance faciale.

[26]  L’enquête de la Division des enquêtes a toutefois révélé qu’une lettre datée du 30 avril 2009 présumément écrite par M. Wong, sur un papier à son en-tête, appuyait la demande d’une preuve de citoyenneté d’Andrew Forrester. Il a été fait référence à ce document dans les lettres de la Division des enquêtes à M. Wong datées du 25 novembre 2015 et du 19 février 2016. Ces références se sont cependant limitées à énoncer que [traduction] « le 30 avril 2009, vous avez signé, en tant que Matthew Wong, une demande visant à obtenir une preuve de citoyenneté canadienne pour Andrew Forrester », et par la suite, à souligner que M. Wong n’avait pas expliqué pourquoi il avait signé cette demande. Aucun autre détail relatif au document du 30 avril 2009 n’a été fourni.

[27]  Dans son affidavit déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Wong explique que lorsqu’il a reçu le dossier certifié du tribunal, il a pris connaissance pour la première fois des éléments de preuve sur lesquels le décideur s’était appuyé, notamment de cette demande de preuve de citoyenneté pour Andrew Forrester, sur laquelle figurait, comme l’a souligné M. Wong, un numéro de cabinet juridique incorrect et invalide. M. Wong a été contre‑interrogé sur son affidavit et a expliqué que figure sur la lettre du 30 avril 2009 un numéro de membre du Barreau du Haut-Canada à son nom, mais qu’il n’avait pas encore été reçu par le Barreau à cette époque, et que le numéro de membre n’était pas le sien. Il a également expliqué que les attestations de diplômes insérées après son nom (LLB, LLM, MSc) n’étaient pas conformes puisqu’en avril 2009, il était déjà titulaire d’un baccalauréat en droit et d’une maîtrise en sciences, mais n’avait pas encore reçu son diplôme de maîtrise en droit.

[28]  M. Wong soutient que, si on lui avait divulgué une copie de la lettre du 30 avril 2009, et qu’il avait pris connaissance des détails de cette lettre, cela lui aurait permis de poser d’autres questions à l’appui de l’affirmation selon laquelle il a été victime d’un vol d’identité. Le défendeur soutient que M. Wong n’a pas démontré comment cette information l’aurait aidé à étayer sa thèse. Toutefois, comme mentionné par le juge Roussel au paragraphe 28 de Lipskaia c. Canada (Procureur général), 2016 CF 526 [Lipskaia], en considérant l’information importante qui n’a pas été divulguée dans une enquête de la Division des enquêtes, il n’est pas loisible à la Cour de spéculer sur ce que le résultat aurait été si le demandeur avait été informé de l’information. La lettre même du 30 avril 2009 était évidemment pertinente et importante dans l’enquête et la décision, comme il a été mentionné dans plusieurs lettres de la Division des enquêtes à M. Wong, y compris la décision elle-même. Cependant, bien que ces lettres fassent référence au document du 30 avril 2009, elles ne divulguaient pas les détails qui, selon le témoignage de M. Wong, représentaient des erreurs.

[29]  Affirmer que le fait de souligner ces erreurs aurait permis à M. Wong de parvenir à établir que quelqu’un d’autre, qui ne connaissait pas bien son parcours universitaire et professionnel, avait usurpé son identité dans cette lettre, représente le genre d’hypothèses à l’égard desquelles la juge Roussel a formulé une mise en garde dans Lipskaia. Compte tenu de cette possibilité, je considère que les détails de la lettre représentent de l’information pertinente et importante dont il n’a pas été informé. En arrivant à cette conclusion, j’ai en tête les commentaires suivants du juge Gleason au paragraphe 37 de Slaeman :

Il serait peut-être plus prudent de la part de Passeport Canada de communiquer des documents identiques à l’arbitre et aux personnes visées par une enquête (et de s’assurer ainsi d’être à l’abri de contestations de la nature de celle dont il est question en l’espèce), mais, à mon avis, on ne commet pas de manquement à la justice naturelle quand, comme c’est le cas en l’espèce, enfouis dans le dossier transmis à l’arbitre se trouvent quelques faits peu pertinents qui n’ont pas été communiqués aux personnes visées par une enquête.

[30]  Bien que les obligations d’équité procédurale applicables puissent être satisfaites par un résumé des faits importants qui sont pertinents à une enquête de la Division des enquêtes, plutôt qu’en divulguant des copies des documents sous-jacents, cette approche accentue le risque que certains faits importants soient omis dans le résumé. J’estime qu’une telle omission représente en l’espèce un déni d’équité procédurale qui exige que la décision soit annulée et que M. Wong ait l’occasion de présenter d’autres observations à la Division des enquêtes avant qu’un autre décideur rende une nouvelle décision.

B.  La décision était-elle raisonnable?

[31]  Bien que M. Wong ait soulevé la question du caractère raisonnable de la décision et ait présenté de brèves observations écrites à ce sujet dans son mémoire des faits et du droit, ses observations orales à l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire ont porté exclusivement sur la question de l’équité procédurale. Après avoir conclu que la décision doit être annulée pour des raisons d’équité procédurale, il n’est pas nécessaire que la Cour aborde la question de savoir si la décision était raisonnable. Puisque la décision doit être réévaluée, et qu’une telle réévaluation doit tenir compte des observations supplémentaires que M. Wong pourrait faire, je considère qu’il n’est pas utile que la Cour formule des conclusions sur le caractère raisonnable de la décision qui est annulée.

VI.  Dépens

[32]  À l’audience, M. Wong a présenté une ébauche de mémoire de frais, chiffrant le coût des honoraires et débours au montant total de 2 255 $. J’ai donné la directive que ce document soit déposé pour compléter le dossier. Cependant, dans leurs observations respectives, les parties ont convenu que les dépens devraient être accordés à la partie qui obtient gain de cause jusqu’à concurrence de 2 000 $. Puisque M. Wong a obtenu gain de cause dans la présente demande, il a droit à des dépens, que je fixe à la somme de 2 000 $.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision du 30 mai 2016 est annulée et l’affaire est renvoyée afin que statue sur celle-ci un autre décideur de la Division des enquêtes sur les passeports, Direction générale de l’intégrité des programmes, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada – Division des enquêtes de la Direction générale de l’intégrité du programme d’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté du Canada, après avoir donné au demandeur la possibilité de présenter des observations supplémentaires.

  3. Le demandeur a droit à des dépens s’élevant à 2 000 $.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1035-16

INTITULÉ :

MATTHEW WONG c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er février 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 10 février 2017

COMPARUTIONS :

Rui Chen

Pour le demandeur

Jocelyn Espejo Clarke

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orange LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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