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Date : 20170215


Dossier : IMM-3646-16

Référence : 2017 CF 192

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 février 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

RAFAEL CUERO CHAMORRO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(Motifs prononcés oralement à l’audience le 15 février 2017)

I.  Résumé

[1]  Dans l’affaire qui nous occupe, la crédibilité n’était pas en jeu; ni la Section de la protection des réfugiés (SPR) ni la Section d’appel des réfugiés n’ont remis en question la véracité du témoignage du demandeur ou des éléments de preuve présentés.

[2]  La Cour estime que les conclusions de la SAR sur la protection de l’État ont été tirées de manière abusive ou arbitraire, et étaient incompatibles avec la preuve au dossier (Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 35). La SAR a conclu que l’État avait agi de manière responsable pour protéger le demandeur, affirmant que les autorités « s’employaient à examiner ses plaintes » et lui avaient « conseiller différentes mesures à prendre pour assurer sa sécurité » (décision de la SAR, au paragraphe 16). Pourtant, un examen attentif de la preuve au dossier et des motifs de la SAR montre le contraire; les plaintes du demandeur n’ont fait l’objet que d’un simple suivi de bouche à oreille et on a dit au demandeur que la police n’avait pas les ressources pour le protéger.

[3]  Dans son appréciation de la protection de l’État, la SAR a conclu ce qui suit :

[18] Il pourrait être soutenu avec raison que, il y a quelques années, l’État n’exerçait pas un contrôle efficace sur son territoire compte tenu de la situation avec les FARC; cependant, grâce à ses récents succès sur le plan militaire, l’État a de nouveau le contrôle des territoires urbains et périphériques où l’intimé a déjà vécu. [Non souligné dans l’original.]

[4]  La déclaration de la SAR équivaut à de la simple spéculation et contredit les documents objectifs sur la situation dans le pays qui ont été présentés et le témoignage du demandeur, dont la crédibilité n’a pas été contestée. Les conclusions du commissaire de la SAR sont contraires aux éléments de preuve. La Cour souligne que le demandeur, malgré les améliorations apportées concernant le contrôle du territoire par l’État colombien, recevait toujours des menaces, et a dû quitter plusieurs villes, et entrer dans la clandestinité. La Cour souligne également que durant deux ans, l’État n’a rien fait au sujet des nombreuses plaintes du demandeur concernant les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

[5]  La SAR a de plus écrit ce qui suit :

[21] [...] Rien de tout cela ne se fera du jour au lendemain, et il y aura des obstacles à surmonter avant que la paix ne soit entièrement rétablie; toutefois, selon la prépondérance des probabilités, les FARC ne continueront pas à rechercher [le demandeur] pour une terre qui ne les intéressera probablement plus. [Non souligné dans l’original.]

[6]  De l’avis de la Cour, la crainte constante qu’avait le demandeur pour sa vie et sa clandestinité forcée depuis 2012 ne peuvent être comparées à des « obstacles à surmonter ». Une telle comparaison est loin d’être raisonnable; elle est fondamentalement viciée. Il est bien établi que la protection offerte par l’État n’a pas à être parfaite ou toujours efficace (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] ACF no 1189, 99 DLR (4th) 334 (CAF), au paragraphe 7 [Villafranca]; Kovacs c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 337, au paragraphe 72 [Kovacs]); toutefois, les efforts répétés du demandeur au cours des ans pour obtenir la protection de l’État constituent un indice de la protection inadéquate de l’État.

II.  Nature de l’instance

[7]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision de la SAR datée du 27 juillet 2016, par laquelle elle a accueilli l’appel interjeté par le ministre concernant une décision de la SPR d’accueillir la demande d’asile présentée par le demandeur.

III.  Rappel des faits

[8]  Le demandeur, âgé de 48 ans, est un citoyen de Colombie d’ascendance afro-colombienne. Il est né à Buenaventura et a déménagé à Cali en 1984. Sa femme, sa mère et ses frères et sœurs vivent également à Cali.

[9]  Le demandeur a quitté la Colombie pour le Mexique puis les États-Unis le 26 mars 2015; il est entré au Canada le 14 septembre 2015 et a présenté une demande d’asile le 17 septembre 2015. Il a rejoint une sœur qui habite au Canada. Le demandeur craint d’être persécuté par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC).

[10]  La famille du demandeur possédait une terre qui a été plus tard convoitée par les FARC. Quand le père du demandeur a refusé de vendre sa terre aux FARC, il a été enlevé; on pense qu’il a été tué en 1990. Les FARC ont par la suite menacé la famille et l’ont avertie de ne pas aller voir les autorités. Le frère du demandeur n’a pas cessé de chercher son père et a été tué en 1991.

[11]  En septembre 2012, après avoir entendu parler d’une procédure gouvernementale visant le recouvrement des terres perdues, le demandeur et sa famille ont demandé un certificat confirmant la disparition et le décès du père. Des menaces régulières des FARC ont suivi.

[12]  Le demandeur a été pris pour cible et menacé au téléphone. Craignant pour sa vie, il a quitté pour Bucaramanga en mars 2013, et a changé de numéro de téléphone, mais a finalement été retrouvé par les FARC. Il a par la suite signalé les incidents aux autorités, mais en vain; elles ont refusé de lui remettre une copie du rapport et lui ont dit d’être prudent, parce qu’elles n’avaient pas les ressources pour le protéger. Le demandeur a quitté pour Bogota et a déposé une nouvelle plainte auprès du procureur public (la Fiscalía) en juin 2013. À Bogota, le demandeur a fait l’objet de racisme et n’a pas été en mesure de trouver un travail; il a dû déménager une fois de plus, cette fois à Villavicencio, où il a été de nouveau retracé par les FARC.

[13]  En novembre 2013, les autorités de Cali ont demandé au demandeur d’y retourner pour y déposer une plainte officielle. À son retour à Cali, il est demeuré caché et a reçu un document confirmant son statut de personne déplacée. À deux reprises, des hommes qui prétendaient être des policiers se sont rendus chez sa mère, à sa recherche. Le demandeur pense qu’ils n’étaient pas des policiers puisque le procureur n’avait pas envoyé ces hommes et qu’aucune enquête n’avait commencé. Le demandeur n’a jamais eu de nouvelles du procureur et a décidé de déposer une autre plainte à une autre Fiscalía à Cali.

[14]  Après avoir attendu dans la clandestinité que les autorités mènent une enquête concernant les menaces qu’il recevait, le demandeur a décidé de fuir la Colombie le 26 mars 2015, transitant par le Mexique. Il est entré aux États-Unis et a été détenu durant trois mois jusqu’au paiement d’une importante caution pour sa libération. Il est entré au Canada en septembre 2015.

IV.  Décision

[15]  Le 14 janvier 2016, la SPR a conclu que le demandeur avait qualité de réfugié au sens de la Convention. La SPR a jugé que le demandeur était crédible, qu’il avait une crainte vraiment fondée d’être persécuté en raison de sa race et de ses opinions politiques imputées, que l’État ne pouvait ou ne voulait assurer sa protection, et qu’il n’existait pas de possibilité de refuge intérieur (PRI) pour lui en Colombie. Le commissaire de la SPR a rendu sa décision oralement à l’audience du 14 janvier 2016 et par écrit le 27 janvier 2016.

[16]  Le 11 février 2016, le défendeur a interjeté appel de la décision de la SPR au motif que la SPR avait commis les erreurs suivantes : a) une erreur de droit et de fait, en omettant de procéder à une analyse suffisante pour justifier sa conclusion selon laquelle il existe un lien avec un motif prévu à la Convention, soit les opinions politiques et la race; b) une erreur dans son analyse relative à la protection de l’État; c) une erreur dans son évaluation d’une PRI.

[17]  Le 27 juillet 2016, la SAR, au titre de l’alinéa 111(1)b) de la LIPR, a annulé la décision de la SPR et a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention.

[18]  D’abord, la SAR a estimé qu’il n’y avait pas de lien avec la Convention du fait de la race, parce que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve montrant qu’il était pris pour cible par les FARC ou par l’État pour des motifs raciaux. Même si la SAR a estimé que la SPR avait omis d’analyser de manière claire le lien avec la Convention du fait des opinions politiques imputées, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur à ce sujet après avoir mené sa propre analyse indépendante.

[19]  Ensuite, la SAR a estimé que l’analyse de la SPR n’était pas suffisante pour justifier sa conclusion et que le demandeur avait omis de présenter une preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption de protection de l’État (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward]; Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 4 RCF 636, 2008 CAF 94 [Flores Carrillo]).

[20]  Enfin, comme la SAR a estimé que la protection de l’État n’avait pas été réfutée, la question de la PRI n’avait plus sa raison d’être, et elle a jugé qu’une analyse n’était plus nécessaire.

V.  Questions en litige

[21]  Le seul argument du demandeur est que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la protection de l’État. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

VI.  Observations des parties

A.  Observations du demandeur

[22]  Le demandeur affirme que sa crédibilité n’était pas en jeu en l’espèce puisque la SPR a accueilli son témoignage et que la SAR ne l’a pas contesté.

[23]  Le demandeur prétend que dans son analyse de la protection de l’État, la SAR a écarté ou mal interprété des éléments de preuve pertinents, s’appuyant sur un fait « bien connu » plutôt que sur la preuve documentaire objective et les éléments de preuve subjectifs présentés par le demandeur. Le demandeur affirme en outre que la SAR a rendu une décision fondée sur des conclusions déraisonnables d’une protection adéquate de l’État. La SAR s’est trompée :

  • (1) en concluant que les accords de paix entre les FARC et la Colombie se traduiraient par une perte d’intérêt de la part des FARC à l’égard de la terre appartenant à la famille du demandeur;

  • (2) en écartant la preuve liée à la discrimination dont font l’objet les afro-colombiens quand ils sollicitent la protection de l’État;

  • (3) en interprétant mal la preuve relative à l’action des autorités ou à l’absence d’action des autorités dans le traitement des plaintes du demandeur;

  • (4) en estimant que le demandeur ne devrait avoir aucun problème à vivre à Cali puisque sa famille était en mesure d’y vivre en sécurité.

B.  Observations du défendeur

[24]  Le défendeur affirme que la décision de la SAR était raisonnable pour les motifs suivants.

  • (1) La SAR a raisonnablement estimé que les négociations et les accords de paix entre le gouvernement colombien et les FARC constituaient des facteurs pertinents relativement à la crainte objective du demandeur. La SAR a jugé, en fonction de la preuve objective, que la Colombie avait un contrôle efficient des territoires urbains et périphériques où vivait le demandeur (Villafranca, précité, au paragraphe 7).

  • (2) La SAR n’a pas écarté la preuve d’une discrimination de la part de l’État; c’est plutôt que le demandeur n’a pas fourni une telle preuve. À part la simple hypothèse que les autorités gouvernementales ne l’aideraient pas (Shala c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 573, au paragraphe 17), le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve – subjectif ou objectif – démontrant la discrimination exercée par l’État.

  • (3) La SAR n’a pas mal interprété la réponse des autorités gouvernementales aux plaintes du demandeur; elle en est simplement venue à sa propre conclusion en examinant le dossier dont disposait la SPR, jugeant avec raison que les autorités colombiennes travaillaient en fait activement à l’examen de ses plaintes, en rappelant que le critère qui s’applique à la protection de l’État n’est pas un critère d’efficacité, mais qu’il s’agit plutôt de savoir si cette protection est adéquate ou non (Konya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 975, au paragraphe 34).

  • (4) La SAR a raisonnablement pris en considération le bien-être de la famille du demandeur. Il était loisible à la SAR de conclure que l’ensemble de la famille était touché, étant donné que la persécution alléguée par le demandeur reposait sur l’intérêt des FARC à l’égard de la terre revendiquée par le demandeur et sa famille.

VII.  Analyse

[25]  Après avoir soigneusement examiné la preuve au dossier, la Cour estime que la décision de la SAR n’était pas justifiée, transparente et intelligible et était donc déraisonnable.

A.  La jurisprudence applicable

[26]  Beaucoup a été écrit par les tribunaux canadiens concernant la protection de l’État.

[27]  La Cour suprême a indiqué que les demandeurs d’asile doivent fournir une preuve claire et convaincante pour pouvoir réfuter la présomption selon laquelle la protection de l’État leur est offerte dans leur pays d’origine :

Il s’agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. [...] Toutefois, en l’absence de pareil aveu, il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection. [...] En l’absence d’une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l’essence de la souveraineté. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l’arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur. [Non souligné dans l’original.]

(Ward, précité, aux pages 724 et 725)

[28]  De la même façon, comme l’a maintenu la Cour d’appel fédérale, la protection de l’État doit être présumée disponible dans le pays d’origine du demandeur d’asile et il incombe au demandeur de réfuter cette présomption :

[18]  En effet, pour réfuter la présomption de la protection de l’État, elle doit d’abord introduire des éléments de preuve quant à l’insuffisance de la protection de l’État (pour des raisons de commodité, j’emploierai l’expression « insuffisance de la protection de l’État » dans un sens qui comprend aussi l’absence d’une telle protection). Il s’agit de la charge de présentation.

[19]  En outre, elle doit convaincre le juge des faits que les éléments de preuve ainsi produits établissent l’insuffisance de la protection de l’État. Il s’agit de la charge de persuasion (ou charge ultime).

(Flores Carrillo, précité, aux paragraphes 18 et 19)

[29]  La Cour d’appel fédérale a également maintenu que la protection de l’État n’a pas à être parfaite ou toujours efficace, mais plutôt adéquate :

[7]  Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. [...] Toutefois, lorsque l’État se révèle si faible, et sa maîtrise sur une partie ou sur l’ensemble de son territoire est si ténue qu’il n’est qu’un gouvernement nominal [...], un réfugié peut à bon droit affirmer être incapable de se réclamer de sa protection. [...] Par contre, lorsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection. [Non souligné dans l’original.]

(Villafranca, précité, au paragraphe 7)

[30]  Dans la même veine, la Cour fédérale a écrit que le caractère adéquat de la protection de l’État doit être évalué en fonction des circonstances propres au demandeur d’asile et de son pays d’origine :

[72]  À mon avis, ces directives apportent des précisions sur les indicateurs reflétant le caractère adéquat de la protection de l’État, mais n’ont pas pour effet de rendre la norme plus rigoureuse. Le caractère adéquat demeure la norme et varie en fonction du pays et des circonstances propres aux demandeurs.

(Kovacs, précité, au paragraphe 72)

B.  La présente affaire

[31]  En l’espèce, la crédibilité n’était pas en jeu; ni la SPR ni la SAR n’ont remis en question la véracité du témoignage du demandeur ou des éléments de preuve présentés.

[32]  La Cour estime que les conclusions de la SAR sur la protection de l’État ont été tirées de manière abusive ou arbitraire, et étaient incompatibles avec la preuve au dossier (Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 35). La SAR a conclu que l’État avait agi de manière responsable pour protéger le demandeur, affirmant que les autorités « s’employaient à examiner ses plaintes » et lui avaient « conseillé différentes mesures à prendre pour assurer sa sécurité » (décision de la SAR, au paragraphe 16). Pourtant, un examen attentif de la preuve au dossier et des motifs de la SAR montre le contraire; les plaintes du demandeur n’ont fait l’objet que d’un simple suivi de bouche à oreille et on a dit au demandeur que la police n’avait pas les ressources pour le protéger.

[33]  Dans son appréciation de la protection de l’État, la SAR a conclu ce qui suit :

[18] Il pourrait être soutenu avec raison que, il y a quelques années, l’État n’exerçait pas un contrôle efficace sur son territoire compte tenu de la situation avec les FARC; cependant, grâce à ses récents succès sur le plan militaire, l’État a de nouveau le contrôle des territoires urbains et périphériques où l’intimé a déjà vécu. [Non souligné dans l’original.]

[34]  La déclaration de la SAR équivaut à de la simple spéculation et contredit les documents objectifs sur la situation dans le pays qui ont été présentés et le témoignage du demandeur, dont la crédibilité n’a pas été contestée. Les conclusions du commissaire de la SAR sont contraires aux éléments de preuve. La Cour souligne que le demandeur, malgré les améliorations apportées concernant le contrôle du territoire par l’État colombien, recevait toujours des menaces, et a dû quitter plusieurs villes, et entrer dans la clandestinité. La Cour souligne également que durant deux ans, l’État n’a rien fait au sujet des nombreuses plaintes du demandeur concernant les FARC.

[35]  La SAR a de plus écrit ce qui suit :

[21] [...] Rien de tout cela ne se fera du jour au lendemain, et il y aura des obstacles à surmonter avant que la paix ne soit entièrement rétablie; toutefois, selon la prépondérance des probabilités, les FARC ne continueront pas à rechercher [le demandeur] pour une terre qui ne les intéressera probablement plus. [Non souligné dans l’original.]

[36]  De l’avis de la Cour, la crainte constante qu’avait le demandeur pour sa vie et sa clandestinité forcée depuis 2012 ne peuvent être comparées à des « obstacles à surmonter ». Une telle comparaison est loin d’être raisonnable; elle est fondamentalement viciée. Il est bien établi que la protection offerte par l’État n’a pas à être parfaite ou toujours efficace (Villafranca, précité, au paragraphe 7; Kovacs, précité, au paragraphe 72); toutefois, les efforts répétés du demandeur au cours des ans pour obtenir la protection de l’État constituent un indice de la protection inadéquate de l’État.

[37]  En outre, l’hypothèse de la SAR quant à l’intérêt des FARC pour la terre revendiquée par le demandeur et sa famille ne repose sur aucun élément de preuve; les menaces répétées qu’a reçues le demandeur, sa fuite constante et les nombreuses plaintes aux autorités montrent le contraire.

[38]  Enfin, l’hypothèse de la SAR selon laquelle « [si] la famille immédiate de l’intimé peut vivre à Cali en toute sécurité, [le demandeur] pourrait y vivre également » (décision de la SAR, au paragraphe 22) ne tient simplement pas la route. Comme l’a affirmé le demandeur, les demandeurs d’asile n’ont pas à risquer leur vie pour prouver le caractère inadéquat de la protection de l’État ou son absence complète (Ward, précité, à la page 724; Gonsalves c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 844, au paragraphe 16), et ils ne devraient pas plus être forcés de demeurer cachés (Sabaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 901 (CAF)).

[39]  Après avoir pris en considération les nombreuses erreurs commises par la SAR, et ses conclusions injustifiées, la Cour juge que la décision est déraisonnable.

VIII.  Conclusion

[40]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour un nouvel examen de l’appel.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et la décision de la SAR est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour un nouvel examen de l’appel. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3646-16

INTITULÉ :

RAFAEL CUERO CHAMORRO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 février 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge SHORE

DATE DES MOTIFS :

Le 15 février 2017

COMPARUTIONS :

Lobat Sadrehashemi

Pour le demandeur

Courtenay Landsiedel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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