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Date : 20170223


Dossier : IMM-3565-16

Référence : 2017 CF 228

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 février 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

JULIA NJILABU MPOYI

JOY-RACHEL TSHIABU MPOYI

MAURICE KALONJI KAPUTU MPOYI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’instance

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision datée du 29 juillet 2016 (la décision) par laquelle une agente de l’immigration (l’agente) a rejeté leur demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La présente demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

II.  Contexte

[2]  Les demandeurs sont une mère (la demanderesse) et ses deux enfants mineurs (les enfants), qui étaient âgés respectivement de 11 ans et de 7 ans au moment du dépôt de la demande pour motifs d’ordre humanitaire. Ils sont tous des citoyens de la République démocratique du Congo (RDC) et possèdent tous le statut de réfugié et de résident permanent en Afrique du Sud. La demanderesse est divorcée et a la garde exclusive des enfants.

[3]  Avant son départ de l’Afrique du Sud, la demanderesse travaillait au sein du service du revenu du gouvernement fédéral et était propriétaire d’une entreprise spécialisée dans la vente de vêtements et d’accessoires. Elle réussissait bien et voyageait un peu partout pour son plaisir ou ses affaires.

[4]  En 2008, les étrangers présents en Afrique du Sud sont devenus la cible de discrimination, d’intimidation, de menaces et de violences physiques de la part de Sud-Africains, qui les accusaient de voler leurs emplois. En 2012, une bombe a détruit la boutique de la demanderesse à Cape Town. En 2014, lorsqu’une autre vague d’hostilité envers les étrangers est apparue, la demanderesse a quitté Cape Town pour se rendre à Johannesburg. Cependant, elle a rapidement commencé à recevoir des appels téléphoniques l’enjoignant à « retourner dans son pays ». Même si elle a signalé ces appels aux services de police, elle n’a pas reçu d’aide de ces derniers. Le 1er avril 2015, alors qu’elle était à sa boutique, la demanderesse a été enlevée à la pointe du fusil, puis amenée à son appartement. À cet endroit, elle a été séquestrée et volée. Ses ravisseurs l’ont menacée avant de quitter les lieux. Ils lui ont dit ceci : « Si tu ne quittes pas le pays, nous allons violer tes enfants, puis nous allons te tuer » (la menace) (Collectivement, ces événements seront appelés « les attaques »).

[5]  Le 28 avril 2015, la demanderesse et ses enfants sont arrivés au Canada.

[6]  La demanderesse n’a pas travaillé depuis son arrivée au Canada. Elle a déposé une demande pour obtenir un permis de travail, qui a été refusée parce qu’elle n’a pas passé un examen médical. Elle a ultérieurement passé l’examen médical, puis a soumis à nouveau sa demande. Toutefois, au moment où elle a déposé sa demande pour motif d’ordre humanitaire, elle n’avait pas encore reçu son permis de travail et elle recevait de l’aide sociale.

III.  La décision contestée

[7]  L’agente n’a pas mis en doute la crédibilité de la demanderesse au cours de son évaluation de l’établissement de celle-ci au Canada, de l’intérêt supérieur des enfants, des conditions en Afrique du Sud et de la preuve psychiatrique.

[8]  L’agente a accordé peu d’importance à l’établissement de la demanderesse. L’agente a conclu que puisque la demanderesse n’avait pas travaillé, elle n’a pas démontré son autonomie financière au Canada. De plus, l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse ne serait pas en mesure de travailler en Afrique du Sud compte tenu de son niveau d’éducation, des voyages qu’elle a effectués à travers le monde et de son expérience de travail antérieure. En outre, l’agente ne croyait pas que la demanderesse ne pourrait pas rouvrir son commerce. L’agente a souligné le bénévolat effectué par la demanderesse et la présence de sa sœur et de son cousin au Canada, et a donné de l’importance à ces éléments. Néanmoins, l’agente a conclu que la demanderesse n’a pu démontrer que ses liens au Canada étaient plus forts que ses liens en Afrique du Sud.

[9]  L’agente a estimé que les enfants ont le droit de fréquenter l’école en Afrique du Sud et que c’est ce qu’ils ont fait dans le passé. Elle a conclu que puisque les enfants ont vécu en Afrique du Sud une grande partie de leur vie et que leur mère subviendra à leurs besoins, ils pourront s’adapter à la vie dans ce pays. L’agente a également déterminé que la demanderesse n’avait pas fourni d’éléments de preuve démontrant pourquoi les enfants ne pourraient pas avoir accès à des soins de santé et se trouver éventuellement un travail dans ce pays. L’agente a conclu qu’on ne l’avait pas convaincu que le développement et le bien-être des enfants seraient compromis si ces derniers retournaient en Afrique du Sud.

[10]  Elle a également donné peu d’importance aux conditions défavorables en Afrique du Sud. L’agente a estimé que bien que des éléments de preuve attestent l’existence de violations des droits de la personne et d’actes de violence xénophobe contre les étrangers, notamment ceux d’origine africaine, la demanderesse n’a pas démontré que ces problèmes s’appliqueraient à sa situation personnelle, compte tenu de son profil de résidente permanente de longue date. Les éléments de preuve montrent que bien que la demanderesse ait été victime d’un incendie criminel et de menaces de mort, elle a été en mesure d’étudier, de travailler, de gérer et rouvrir son commerce, et de voyager librement. En effet, elle a profité de tous les avantages qui viennent avec un statut de résidente permanente. De plus, elle n’a pas établi que tous les étrangers sont victimes de violence xénophobe.

[11]  Enfin, l’agente a accordé peu d’importance à l’état psychologique de la demanderesse. L’agente a accepté le diagnostic de la demanderesse indiquant qu’elle souffre de trouble de stress post-traumatique (TSPT) aigu. Le médecin a recommandé qu’elle ne soit pas exposée à des situations pouvant entraîner la peur ou un traumatisme additionnel. Cependant, l’agente a tiré une conclusion défavorable du fait qu’aucun élément de preuve à jour n’a été déposé au sujet de l’état de santé actuel de la demanderesse, des soins de santé dont elle aura besoin dans le futur ou des traitements pour son trouble de stress post-traumatique. De plus, aucun élément de preuve n’indiquait qu’elle ne pourrait pas recevoir des soins de santé adéquats en Afrique du Sud.

[12]  Dans sa conclusion, l’agente a donné peu de poids à tous les facteurs, a déterminé que la demanderesse avait été victime de vandalisme, de vol et de commentaires xénophobes, et que la demanderesse pourrait sans difficulté s’établir de nouveau en Afrique du Sud.

IV.  Questions en litige

  1. Déterminer si l’agente a examiné de façon déraisonnable les conditions défavorables en Afrique du Sud

  2. Déterminer si l’agente a évalué de façon déraisonnable la preuve psychologique

  3. Déterminer si l’agente a évalué de façon déraisonnable l’intérêt supérieur des enfants

V.  Analyse et conclusions

[13]  À mon avis, l’agente a traité de façon raisonnable la question d’établissement au Canada des demandeurs. Cependant, les autres éléments de la décision étaient déraisonnables pour les motifs suivants :

  • L’agente semble avoir conclu que les conditions prévalant dans le pays n’étaient pertinentes que si tous les étrangers étaient victimes d’un crime. L’agente a indiqué ceci : [traduction]« … la demanderesse n’a pas démontré que tous les étrangers sont victimes de violence. » Il n’existe aucun fardeau de ce genre.

  • L’agente a affirmé ce qui suit [traduction] : « J’estime que la demanderesse n’a pas démontré que les conditions (dans le pays) s’appliquaient à sa situation personnelle en raison de son profil. » Compte tenu des attaques, cette conclusion est déraisonnable.

  • L’agente a minimisé l’importance des attaques et n’a pas semblé tenir compte de la violence ou de la gravité de celles-ci. Ce point est bien illustré dans la conclusion de l’agente lorsqu’elle définit les attaques comme étant [traduction]« deux épisodes de vandalisme et de vol ». Il ne s’agit pas d’une description raisonnable d’une attaque à la bombe, d’un enlèvement à la pointe d’un fusil et de menaces de mort et de viol d’enfant.

  • L’agente n’évalue pas si le trouble de stress post-traumatique de la demanderesse s’aggravera en raison du stress que provoquera son retour en Afrique du Sud.

  • L’agente n’a pas tenu compte du fait que la demanderesse suivait une thérapie axée sur le traitement des traumatismes par l’entremise du Centre canadien pour victimes de torture.

  • L’agente n’a pas déterminé si le trouble de stress post-traumatique de la demanderesse aura un effet négatif sur l’établissement des enfants en Afrique du Sud et n’a pas mentionné que les menaces étaient faites en partie contre les enfants.

VI.  Conclusion

[14]  Pour toutes ces raisons, la présente demande est accueillie.

VII.  Question à certifier

[15]  Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire, et la demande pour des motifs d’ordre humanitaire des demandeurs doit être réexaminée par un autre agent.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Dossier :

IMM-3565-16

 

INTITULÉ :

JULIA NJILABU MPOYI, JOY-RACHEL TSHIABU MPOYI, MAURICE KALONJI KAPUTU MPOYI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

Le 23 février 2017

COMPARUTIONS :

Benjamin Liston

Pour les demandeurs

John Provart

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Benjamin Liston

Bureau du droit des réfugiés

Aide juridique de l’Ontario

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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