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Date : 20170208


Dossier : T-2003-16

Référence : 2017 CF 156

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LES CONSEILLÈRES GEORGINA JOHNNY ET BRANDY JULES ET LE CONSEILLER RONALD JULES

demandeurs

et

LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision du 22 octobre 2016 dans laquelle le comité des membres de la bande indienne d’Adams Lake (le comité) les destitue de leur charge élective de conseillers de bande pour avoir manqué à leur serment professionnel. Ils soutiennent que le processus qui a mené à la décision du comité, qui comprend trois ensembles distincts de motifs – un par demandeur – est truffé de vices de procédure et que la décision du comité devrait, en conséquence, être annulée.

II.  Résumé des faits

[2]  Les demandeurs sont des membres de la bande indienne d’Adams Lake (la bande), une petite collectivité des Premières Nations d’environ 800 membres située près de Chase, en Colombie-Britannique. Brandy et Ronald Jules ont été élus conseillers en février et en juillet 2015, respectivement. Georgina Johnny a été élue conseillère en janvier 2016. Le mandat de conseiller des trois demandeurs se termine en février 2018.

[3]  Depuis décembre 1996, le chef et le conseil de la bande sont élus suivant la coutume de la bande. La version actuelle des règles électorales de la bande est énoncée dans le document Adams Lake Secwepeme Election Rules approuvé le 19 juin 2014 (les règles électorales).

[4]  Selon la Partie 22 des règles électorales, un membre de la bande qui est élu au conseil de la bande prête un serment professionnel. La Partie 24 des règles électorales traite de la destitution d’un conseiller de bande pour plusieurs motifs, notamment la violation du serment professionnel. Le pouvoir de destituer un conseiller de bande relève du comité, un organe créé aux termes de la Partie 9 et de l’annexe E des règles électorales. Le comité se compose de cinq (5) membres nommés pour un mandat de trois ans à la suite d’élections tenues lors d’une assemblée générale de la bande convoquée dans ce but précis. Les membres actuels du comité sont Lynn Kenoras, Sandra Lund, Maryann Yarama, Hilda Jensen et David Norquist.

[5]  Selon les sections 24.2 et 24.3 des règles électorales, la procédure de destitution doit débuter par une pétition déposée auprès du comité et signée par dix (10) électeurs. La pétition doit être accompagnée d’un affidavit exposant les faits étayant les motifs de la destitution ainsi que des droits non remboursables de trois cents dollars (300,00 $). Conformément à l’annexe E des règles électorales, le comité doit rendre sa décision par écrit dans les 30 jours suivant la réception de la pétition. Une majorité du comité constitue le quorum.

[6]  En l’espèce, la pétition en cause (la pétition) a été déposée le 26 septembre 2016 auprès du comité par Valerie Joan Mitchel, qui est une membre et une employée de la bande. Dans la pétition, qui a été signifiée aux demandeurs le même jour, il est allégué que les demandeurs ont violé les règles électorales et leur serment professionnel de la manière suivante :

  • a) en ce qui concerne Ronald Jules, en plaidant en faveur de l’un des membres de sa famille immédiate pour que ce dernier obtienne une maison et en participant à des discussions qui ont eu un effet direct sur sa famille immédiate sans déclarer un conflit d’intérêts;

  • b) en ce qui concerne Georgina Johnny, en plaidant en faveur de membres de sa famille immédiate afin qu’ils reçoivent de l’argent du conseil de la bande et en approuvant l’utilisation du budget des voyages du conseil pour que son frère puisse participer à un atelier sur le tourisme;

  • c) en ce qui concerne Brandy Jules, en orientant la décision concernant le renvoi du directeur général de la bande, Lawrence Lewis, pour des raisons personnelles ayant un lien avec sa famille.

[7]  Mme Michel prétend que ces allégations d’inconduite constituent une violation des sections 2, 3 et/ou 4 du serment professionnel qui exige que les conseillers de bande :

  • a) s’engagent à accomplir honnêtement, impartialement et intégralement, ainsi qu’avec dignité et respect, les charges inhérentes à leurs fonctions.

  • b) tiennent toujours compte de l’intérêt supérieur de la bande indienne d’Adams Lake;

  • c) respectent toujours les règles électorales [de la bande indienne d’Adams Lake], les politiques de la bande et le mandat du chef et du conseil de la bande indienne d’Adams Lake.

[8]  Le 22 octobre 2016, le comité, après avoir tenu plusieurs réunions et entrevues et après avoir examiné une série de documents, dont les procès-verbaux des réunions du Conseil, a rendu sa décision. À l’exception de l’allégation selon laquelle Ronald Jules avait plaidé en faveur de l’un des membres de sa famille immédiate pour obtenir une maison, qui s’est révélée être dénuée de fondement, le comité a conclu que les allégations énoncées dans la pétition, à savoir les allégations d’inconduite à l’encontre de chacun des demandeurs, avaient été établies et qu’elles représentaient dans chacun des cas une violation des sections 2, 3 et 4 du serment professionnel.

[9]  Le comité a également examiné plusieurs allégations qui n’ont pas été détaillées ou précisées dans la pétition, telle qu’elle a été présentée le 26 septembre 2016. Premièrement, en ce qui concerne Brandy Jules, le comité a examiné, mais a rejeté, l’allégation selon laquelle elle avait crié après un employé de la bande. Toutefois, il était convaincu du fait que Mme Jules avait pris part à de la violence latérale envers un membre du conseil de la bande et qu’elle a violé, par conséquent, son serment professionnel. En outre, il a conclu, en se fondant sur des « renseignements supplémentaires » qui lui avaient été fournis, que Mme Jules avait également violé son serment professionnel en demandant des renseignements à des employés administratifs de la bande au sujet de l’annonce d’un emploi qui concernait certains membres de sa famille immédiate ainsi qu’en participant à des discussions sur une résolution du conseil de bande et en préconisant (et en signant) cette résolution visant la transition, au profit de sa famille, de tout le personnel de sécurité existant vers un statut d’employé de la bande.

[10]  En ce qui concerne Ronald Jules, le comité a également conclu, en se fondant sur des « renseignements supplémentaires » qui lui avaient été fournis, que M. Jules avait proféré un commentaire raciste direct à un employé de la bande et qu’il avait pris part à de la violence latérale envers un autre membre du conseil de la bande, violant ainsi son serment professionnel. Enfin, le comité a conclu, également en se fondant sur des « renseignements supplémentaires » qui lui avaient été fournis, que Georgina Johnny avait également violé son serment professionnel en participant à des discussions sur une résolution du conseil de bande et en préconisant (et en signant) cette résolution visant la transition, au profit de sa famille, de tout le personnel de sécurité existant vers un statut d’employé de la bande et en plaidant en faveur d’un membre de sa famille immédiate pour que ce dernier représente la bande lors d’un événement organisé par le « Together Shuswap », un regroupement régional des Premières Nations.

[11]  Dans l’ensemble, le comité a conclu que les demandeurs avaient chacun violé les sections 2, 3 et 4 de leur serment professionnel, notamment, dans le cas des trois demandeurs, le code de conduite et d’éthique ainsi que le règlement administratif de la bande en matière de gestion financière; dans le cas de Brandy et de Ronald Jules, les lignes directrices de la bande en matière d’emploi; dans le cas de Brandy Jules, la politique de la bande sur le milieu de travail respectueux et, enfin, dans le cas de Ronald Jules, la politique de la bande sur le règlement des conflits.

[12]  En raison de ces conclusions, le comité a destitué les demandeurs de leur charge élective de conseillers de bande, la destitution entrant en vigueur le 23 octobre 2016 pour une durée de deux mandats électoraux.

[13]  Le 26 octobre 2016, au lendemain d’une assemblée de la bande, des avis de destitution ont été envoyés aux membres du comité. Les demandeurs considèrent cela comme une preuve de la désapprobation de la collectivité sur la façon dont le comité a traité la pétition et pris sa décision. La défenderesse conteste la validité de toute résolution découlant de cette assemblée qui, selon elle, n’était pas une assemblée générale de la bande comme l’affirment les demandeurs, mais une rencontre communautaire. Elle exhorte la Cour à n’accorder aucun poids à cet élément de preuve.

[14]  Le lendemain, le chef a remis sa démission.

[15]  La présente instance a été introduite devant la Cour le 21 novembre 2016. Les demandeurs affirment qu’il y a une crainte raisonnable de partialité découlant du fait que certains membres du comité sont des employés de la bande et que d’autres étaient par ailleurs dans une situation de conflit d’intérêts. Ils soutiennent en outre que la pétition est frappée de nullité parce qu’elle réunissait trois pétitions en une et qu’elle n’avait pas obtenu le nombre de signatures requis. Enfin, les demandeurs affirment qu’ils n’ont pas pu bénéficier d’une audience équitable puisqu’ils n’ont pas été entièrement informés de la preuve à réfuter et qu’ils n’ont pas eu la possibilité de la réfuter pleinement.

[16]  Par ordonnance de la Cour, rendue sur consentement le 30 novembre 2016, les demandeurs, sous réserve de certaines conditions, ont été réintégrés dans leur poste de conseiller de bande en attendant l’issue de la présente instance et l’élection complémentaire prévue pour élire de nouveaux conseillers a été annulée.

[17]  Dans la même ordonnance de la Cour, l’espèce a fait l’objet d’une instruction accélérée et une date d’audience a été fixée au 20 janvier 2017, à Vancouver.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[18]  La seule question en litige en l’espèce est de savoir si le comité a manqué à son obligation d’équité procédurale à laquelle avaient droit les demandeurs.

[19]  Les demandeurs soutiennent que les questions d’équité procédurale doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte.

[20]  Bien que la défenderesse reconnaisse que c’est en effet généralement le cas, elle soutient que les choix procéduraux faits par le comité doivent faire l’objet d’une certaine retenue et que la nature exacte de l’obligation d’équité envers les demandeurs en l’espèce est largement contextuelle et ne peut pas être séparée du contexte social dans lequel les décisions contestées ont été prises. Elle soutient en outre que, dans la mesure où l’interprétation ou l’application des règles électorales par le comité vise à résoudre la présente affaire, alors cette interprétation ou application doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. Sur ce dernier point, les demandeurs ne sont pas d’accord avec la position et l’allégation de la défenderesse, compte tenu de la décision de notre Cour dans Felix c Sturgeon Lake First Nation, 2011 CF 1139 [Felix] selon laquelle la norme appropriée à appliquer à une telle question est celle de la décision correcte.

[21]  Il est bien établi que la norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). Comme l’a dit la juge Cecily Y. Strickland dans une décision récente concernant le comité et la bande (Johnny c Bande indienne d’Adams Lake, 2016 CF 1399, aux paragraphes 9 et 10 [Johnny]), cette norme a été appliquée de manière cohérente par la Cour aux questions d’équité procédurale découlant de la destitution des conseillers de bande (Tsetta c Conseil de bande de la Première nation des Dénés Couteaux-Jaunes, 2014 CF 396, au paragraphe 24; Testawich c Duncan’s First Nation, 2014 CF 1052, au paragraphe 15; Gadwa c Kehewin Première Nation, 2016 CF 597, aux paragraphes 19 et 20, McCallum c Peter Ballantyne Cree Nation, 2016 CF 1165, au paragraphe 19; Parenteau c Badger, 2016 CF 535, au paragraphe 36 [Parenteau]).

[22]  La juge Strickland a aussi observé qu’il est maintenant bien établi que l’interprétation et l’application de lois électorales coutumières par un conseil des anciens, du personnel électoral ou un conseil de bande sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et a conclu qu’il n’y avait aucune raison pour que cela ne soit pas également appliqué au rôle du comité (Johnny, au paragraphe 11).

[23]  Je suis du même avis. Dans Felix, la juge Marie-Josée Bédard a conclu qu’il n’y avait pas à faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation par le décideur des dispositions procédurales des règles électorales de la bande en raison du manque d’expertise particulière du décideur pour ces questions (Felix, aux paragraphes 20 à 23). Cependant, Felix doit maintenant être lu à la lumière de la jurisprudence ultérieure de la Cour d’appel fédérale qui indique clairement que la norme de contrôle applicable aux décisions d’organismes tels que le comité interprétant les lois électorales est celle du caractère raisonnable (Johnson c Tait, 2015 CAF 247 [Johnson], au paragraphe 28; Orr c Première nation de Fort McKay, 2012 CAF 269, au paragraphe 11 [Orr]; D’Or c St. Germain, 2014 CAF 28, au paragraphe 5 [D’Or]). Il en est ainsi parce que l’interprétation des lois ou des règles électorales des bandes doivent être éclairées par les coutumes sur lesquelles elles se fondent, une question dont les organes électoraux et le chef et le conseil ont probablement une meilleure compréhension que la Cour (D’Or, au paragraphe 6).

[24]  Le caractère raisonnable, comme nous le savons, tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[25]  Toutefois, comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Johnson et Orr, la distinction entre la norme de la décision raisonnable et la norme de la décision correcte dans un tel cas est très mince; lorsque la décision du décideur ne peut être étayée par les lois ou les règles électorales ou toute autre source de pouvoir, on ne saurait affirmer que la décision est acceptable ou justifiable au regard du droit (Johnson, au paragraphe 28; Orr, au paragraphe 12).

[26]  Il n’est pas controversé que le comité est un « office fédéral » au sens des articles 2 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, et qu’il est assujetti, en conséquence, au pouvoir de contrôle de la Cour.

IV.  Discussion

A.  La nature de l’obligation d’équité procédurale envers les demandeurs

[27]  Il est maintenant acquis en matière jurisprudentielle que le concept de l’équité procédurale est éminemment variable et que son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas (Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, page 682; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 21). Il est donc correct d’affirmer, comme le fait la défenderesse, que la nature exacte de l’obligation d’équité procédurale envers les demandeurs en l’espèce est largement contextuelle.

[28]  Notre Cour a, à plusieurs reprises, reconnu l’importance d’un processus autonome pour l’élection des gouvernements de bande et a conclu qu’elle devrait être réticente, pour cette raison, à intervenir dans ce processus (Sparvier c Bande indienne de Cowessess [1993] 3 CF 142, au paragraphe 57 [Sparvier]; Catholique c Conseil de bande de la Première nation de Lutsel K’e, 2005 CF 1430, aux paragraphes 53 à 55). Toutefois, comme le fait remarquer la défenderesse, même si des organes électoraux tels que le comité devraient avoir une latitude étendue pour choisir leurs propres procédures, des garanties procédurales fondamentales doivent exister lorsque, comme en l’espèce, une personne est destituée de sa fonction de chef ou de conseiller (Bruno c Nation Crie de Samson, 2006 CAF 249, au paragraphe 22 [Nation Crie de Samson]; Parenteau, au paragraphe 49).

[29]  Cela signifie que les requérants avaient le droit de connaître les faits qui leur étaient reprochés et d’avoir la possibilité de présenter des observations devant un décideur impartial (Lakeside Colony of Hutterian Brethren c Hofer, [1992] 3 RCS 165, aux pages 169 et 170; Nation Crie de Samson, au paragraphe 22; Parenteau, au paragraphe 49). Toutefois, dans un tel contexte, le droit de présenter des observations ne va pas aussi loin que d’exiger une audience en règle (Nation Crie de Samson, au paragraphe 22).

B.  Crainte raisonnable de partialité

[30]  L’affirmation des demandeurs quant à une crainte raisonnable de partialité est double. Premièrement, ils affirment que les trois membres du comité, qui sont également des employés de la bande (Sandra Lund, Maryann Yarama et David Norquist), sont en conflit d’intérêts chaque fois que le comité, qui se doit d’être impartial, est appelé à décider si des conseillers devraient être destitués, parce que le chef et les conseillers sont leurs [traduction] « patrons du fait qu’ils sont à l’emploi de la bande indienne d’Adams ». Ils affirment en outre que la situation actuelle est exacerbée par le fait que la pétition a été présentée dans le contexte d’un grief déposé par Mme Michel, qui est aussi une employée de la bande.

[31]  Deuxièmement, les demandeurs affirment qu’une autre membre du comité, Lynn Kenoras, est dans une situation de conflit d’intérêts puisqu’elle est la fille d’une autre conseillère, Norma Manuel, qui fait toujours partie du conseil et qui est, par conséquent, associée à la défenderesse. Ils soutiennent que, bien que Mme Kenoras ait déclaré un conflit au comité et se soit abstenue d’entendre les éléments de preuve présentés par sa mère, elle s’est néanmoins placée en situation de conflit d’intérêts en signant les trois ensembles de motifs de décision.

[32]  Le libellé le plus généralement accepté du critère applicable pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité dans un cas donné vient de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la page 394 :

« [...] [L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [Ce] critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[33]  En d’autres termes, pour pouvoir établir une crainte raisonnable de partialité, la personne examinant l’allégation de partialité doit être raisonnable, et la crainte de partialité doit elle-même être raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire (R. c S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 111).

[34]  Toutefois, dans un contexte comme l’espèce, la jurisprudence préconise une approche plus nuancée à l’égard de ce critère. Dans Bande indienne de Lower Nicola c Joe, 2011 CF 1220, au paragraphe 45 [Lower Nicola Indian Band] (confirmée dans Joe c Première nation de Lower Nicola, 2013 CAF 84), la Cour a conclu que le critère de la crainte raisonnable de partialité ne sera pas nécessairement appliqué rigoureusement à une petite communauté des Premières Nations car, dans le cas contraire, il serait inévitablement difficile de constituer un organe décisionnel où il n’existe aucun lien de parenté ou de relations d’affaires. Dans ce cas-là, la bande comptait environ 800 électeurs admissibles. En l’espèce, comme il a déjà été mentionné, la bande compte environ 800 membres.

[35]  Dans l’affaire antérieure de Sparvier, où la bande comptait 408 électeurs participants, la Cour a exposé, au paragraphe 75, la raison d’être d’une approche moins rigoureuse dans un tel contexte. Le paragraphe 75 est rédigé comme suit : [traduction]

Si on devait appliquer rigoureusement le critère de la crainte raisonnable de partialité, la légitimité des membres d’organismes décisionnels comme le tribunal d’appel, dans les bandes peu nombreuses, serait constamment contestée pour des motifs de partialité découlant des liens de parenté qu’un membre de l’organisme décisionnel avait avec l’un ou l’autre des candidats éventuels. Une application aussi rigoureuse des principes relatifs à la crainte de partialité risque de mener à des situations où le processus électoral serait constamment menacé par de telles allégations. Comme l’a affirmé l’avocat des intimés, une telle paralysie de la procédure pourrait compromettre l’élection autonome des gouvernements de bandes.

[36]  En appliquant le critère de la crainte raisonnable de partialité, notre Cour doit donc être consciente du contexte dans lequel le comité fonctionne et du fait que ce contexte « peut et doit englober le respect des cours de justice envers la coutume considérée » (Nation Crie de Samson, au paragraphe 20).

[37]  Même si la Cour est arrivée à la conclusion qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité dans Bande indienne de Lower Nicola, une telle conclusion était justifiée compte tenu des circonstances particulières de cette affaire, qui peuvent facilement se distinguer de celles de l’espèce. En effet, dans Bande indienne de Lower Nicola, l’un des aînés qui devaient se prononcer sur la pétition concernant la destitution de trois conseillers élus était la mère de l’un des conseillers défaits qui avaient présenté la pétition et plusieurs autres aînés qui siégeaient au sein de l’organe de décision avaient signé la pétition. Par conséquent, la crainte de partialité était évidente.

[38]  En l’espèce, comme il a été mentionné antérieurement, l’argument principal des demandeurs porte sur le fait que les membres du comité, qui sont également des employés de la bande, se trouvent dans une situation de conflit d’intérêts direct chaque fois que le comité est saisi d’une pétition demandant la destitution du chef ou de conseillers en raison de la nature particulière de la relation entre les deux groupes. Ils ajoutent que, en tant qu’employés de la bande, ils ont un devoir, en application du code de conduite et d’éthique, d’éviter [traduction] « toute situation dans laquelle il existe, ou semble exister, un conflit potentiel qui pourrait sembler porter atteinte au jugement de l’employé pour prendre des décisions dans l’intérêt supérieur de la bande indienne d’Adams Lake » (dossier de la défenderesse, vol. 1, aux pages 70 et 71). Selon les demandeurs, ce devoir renforce la nécessité que les employés de la bande qui font partie du comité s’abstiennent d’entendre une pétition qui vise la destitution du chef ou de conseillers afin d’éviter toute crainte raisonnable de partialité.

[39]  Je ne suis pas d’accord avec cette approche. Les dispositions sur les conflits d’intérêts du code de conduite et d’éthique de la bande auxquelles font référence les demandeurs concernent le travail et les interactions des employés de la bande en tant qu’employés de la bande, non pas en tant que membres du comité. La question qui se pose en l’espèce est plutôt de savoir si le fait que ces trois employés, en leur qualité de membres du comité, aient entendu la pétition, qui portait sur le sort des demandeurs en tant que conseillers de bande, soulève une crainte raisonnable de partialité. Selon moi, compte tenu du contexte dans lequel fonctionne le comité, ce n’est pas le cas.

[40]  Selon l’instrument habilitant usuel du comité, aucune restriction n’est imposée aux employés de la bande ou aux personnes qui ont un lien de parenté avec des membres du conseil de bande et qui souhaitent être élues au comité, tandis qu’une telle restriction existe pour le chef et les conseillers ou pour un candidat dans une élection (règles électorales, annexe E, section 2(b)). De plus, le fait de ne pas être un employé de la bande n’est pas, conformément à cet instrument, indiqué comme un critère d’admissibilité pour faire partie du comité. Par conséquent, il est raisonnable de présumer que, lorsque la bande a adopté les règles électorales en 2014, le consensus au sein de la collectivité était que les employés de la bande étaient admissibles à faire partie du comité, sous réserve uniquement des restrictions expressément énoncées dans les règles électorales.

[41]  La collectivité de la Première Nation d’Adams Lake est une petite collectivité. Par conséquent, il n’est pas inconcevable, comme l’affirme la défenderesse, que tout le monde se connaisse et que, lorsque ces trois membres du comité ont été élus au sein du comité en 2014, les membres de la collectivité qui avaient voté auraient su que ces personnes étaient à l’emploi de la bande, comme ils auraient su que Mme Keronas est la fille de la conseillère Norma Manual. Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que les règles électorales fondées sur les coutumes supposent la possibilité d’une certaine forme de relation existant entre les membres du comité et le chef et le conseil ou d’une connaissance préalable d’une question et tolèrent les apparences de partialité qui, dans d’autres contextes et à l’aide d’une approche plus rigoureuse à l’égard du critère portant sur la crainte raisonnable de partialité, pourraient entraîner la disqualification. Il en est ainsi pour le lien existant entre les membres du comité qui sont des employés de la bande et le conseil ou entre les membres du comité ayant un lien avec certains membres du conseil et le conseil. Pour autant que cela ne donne pas lieu à un conflit d’intérêts réel dans un cas donné, le simple fait que ces relations existent ne devrait pas suffire pour soulever, dans ce contexte particulier, une crainte raisonnable de partialité.

[42]  Il importe de signaler à cet égard que les employés de la bande sont régis par des contrats entre l’employé et la bande, et non des conseillers individuels de la bande, et que les questions courantes liées à l’emploi sont traitées par le gestionnaire de la bande, et non par les conseillers de la bande. Le conseil de la bande n’intervient que pour des questions liées à la cessation d’emploi et à la rémunération (dossier de la défenderesse, affidavit de George Baily, vol. 2, à la page 510, au paragraphe 14). En d’autres termes, il existe une certaine distance entre les employés de la bande et le chef et les conseillers lorsqu’il s’agit de définir leur soi-disant relation de travail. Cela fait partie du contexte qui doit éclairer l’analyse de la partialité en l’espèce.

[43]  Une autre considération importante dans cette analyse est le fait que l’une des deux principales fonctions confiées au comité est d’assurer la surveillance du chef et du conseil. L’approche défendue par les demandeurs serait, de fait, de priver le comité actuel, ou tout comité futur ayant pour membres des employés de la bande, de sa capacité de jouer ce rôle. Compte tenu du risque que ceci pose pour son processus électoral et son mécanisme de surveillance du chef et des conseillers élus, ce n’est certainement pas ce que la bande avait en tête lorsqu’elle a adopté les règles électorales. Comme il est dit dans Sparvier, si cette approche était maintenue, cette importante fonction de surveillance « serait menacée par de telles allégations [de partialité] » et risquerait de « compromettre l’élection autonome des gouvernements de bandes » (Sparvier, au paragraphe 75).

[44]  Il est vrai que de permettre à des employés de la bande ou à des personnes qui ont un lien de parenté avec des membres du conseil de faire partie du comité n’est pas optimal si l’on veut éviter toute possibilité de partialité; toutefois, il revient à la bande de décider si et quand, selon elle, il convient de le faire.

[45]  Encore une fois, la situation en l’espèce est différente de celle de Bande indienne de Lower Nicola. En l’espèce, rien n’indique que le grief déposé par Mme Michel était relié de quelque façon que ce soit avec les questions exposées dans la pétition qui portaient sur une influence indue en faveur de membres de la famille et sur de la violence latérale. Rien n’indique que les membres du comité, qui sont des employés de la bande, étaient prédisposés à accueillir la pétition. Rien n’indique non plus qu’un membre du comité se soit placé dans une situation de conflit d’intérêts.

[46]  Le dossier montre que Mme Keronas, la fille de la conseillère Norma Manual, a déclaré un conflit en ce qui concerne les éléments de preuve de sa mère au sujet des allégations faites à l’encontre des demandeurs. Selon la preuve dont je dispose, Mme Keronas quittait la salle de réunion du comité chaque fois que le comité recevait des éléments de preuve de sa mère et chaque fois que le comité les examinait. La preuve montre également que Mme Keronas n’a pas voté sur les questions liées à son conflit.

[47]  Pour cette raison, le fait qu’elle ait signé les trois ensembles de motifs contestés doit être pris en compte à la lumière de cette preuve et cela n’indique pas par conséquent qu’en le faisant, elle s’est placée dans une situation de conflit d’intérêts. Il aurait sans doute été préférable de trouver dans ces motifs certaines mentions des aspects de la décision sur lesquels Mme Keronas a voté ou non. Toutefois, ayant examiné le dossier dans son ensemble et gardant à l’esprit que les membres du comité sont des profanes, je conclus que cela ne porte pas un coup fatal à ces décisions. Je constate que la mère de Mme Keronas n’a ni présenté ni signé la pétition et qu’elle n’a pas pris part de quelque façon que ce soit, en tant que conseillère ou à tout autre titre, au processus décisionnel qui a donné lieu à la destitution des demandeurs. Elle ne faisait pas non plus l’objet de la pétition. Elle figurait parmi les témoins de la liste du comité.

[48]  La défenderesse souligne le fait que Maryann Yarama, qui est gestionnaire de l’entretien et du logement pour la bande, a également déclaré un conflit d’intérêts en lien avec les allégations faites à l’encontre des demandeurs concernant leur conduite relativement aux contrats de sécurité de la bande. Comme c’était le cas pour Mme Kenoras, Mme Yarama, selon le dossier, quittait la salle de réunion du comité chaque fois que des éléments de preuve pertinents à son conflit potentiel étaient reçus et chaque fois que le comité discutait de ces allégations et les examinait. Elle s’est aussi abstenue de voter sur ces questions.

[49]  Contrairement à la situation de Mme Kenoras, les demandeurs n’ont pas soulevé le conflit déclaré de Mme Yarama comme un problème devant le comité ni dans leurs observations écrites adressées à la Cour. Ce n’est que lors de l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire que la question a été soulevée. Cela étant dit, je suis d’avis que Mme Yamara, comme l’a fait Mme Kenoras, a pris les mesures nécessaires pour éviter de se placer, et de placer le comité, dans une situation de conflit d’intérêts réel ou apparent.

[50]  Bref, en ce qui concerne toutes les circonstances de l’espèce, y compris le contexte dans lequel le comité fonctionne, et compte tenu de l’approche moins rigoureuse de notre Cour relativement aux questions liées à la partialité qui ont été soulevées dans le contexte des décisions prises par les décideurs, dont le pouvoir est conféré par les codes électoraux coutumiers des bandes, et de la réticence générale à intervenir dans de telles décisions, afin de préserver le plus possible l’autonomie des Premières Nations à cet égard, je conclus que les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que le processus qui a mené à la décision contestée soulève une crainte raisonnable de partialité.

C.  La validité de la pétition

[51]  Les demandeurs affirment que la pétition est frappée de nullité, contraire aux règles électorales, qu’elle réunit trois pétitions en une et qu’elle n’a pas obtenu le nombre requis de signatures. Cet argument ne peut être retenu.

[52]  Cet argument entraîne l’application de la section 24.2 des règles électorales qui prévoit que [traduction] « la procédure visant à destituer un membre du conseil de bande doit débuter par une pétition déposée auprès du comité des membres et signée par dix (10) électeurs, ce nombre étant déterminé à la date de dépôt de la pétition ». Premièrement, je conclus qu’il est raisonnable d’interpréter cette disposition comme n’exigeant pas 10 signatures en plus de celle de la personne qui présente la pétition. Selon moi, on peut raisonnablement interpréter cette disposition de façon à ce qu’elle signifie que, pour être valide, une pétition doit être signée par dix (10) personnes ayant qualité d’« électeur » au sens des règles électorales, à la date du dépôt de la pétition, peu importe que la pétition soit l’initiative d’une seule personne.

[53]  Deuxièmement, l’argument selon lequel Mme Michel devait déposer une pétition par demandeur et payer les droits correspondants de 300,00 $ pour chacune des pétitions est, selon moi, trop formaliste. Comme le souligne la défenderesse, le paragraphe 18.1(5) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7, permet à la Cour de ne pas accorder de réparation lorsque le contrôle judiciaire est fondé sur des irrégularités techniques ou sur des vices de forme et lorsque ce vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice.

[54]  En l’espèce, rien ne démontre qu’un tel dommage ou déni de justice a eu lieu du fait que la pétition a été déposée à l’encontre des trois demandeurs, de façon collective plutôt que de façon individuelle. Les allégations de violation à l’encontre de chacun des trois demandeurs étaient exposées dans la pétition et cette dernière a été remise en mains propres à chacun d’entre eux le jour même où elle a été déposée auprès du comité, à savoir le 26 septembre 2016. À ce moment-là, les demandeurs connaissaient la preuve à réfuter.

[55]  Lors de la réunion tenue ce jour-là, le comité s’est demandé s’il s’agissait d’une façon appropriée de procéder et il a conclu que c’était le cas (dossier de la défenderesse, vol., à la page 235). Je ne constate aucun motif d’intervenir dans cette conclusion eu égard aux circonstances de l’espèce.

D.  Le droit d’être entendu

[56]  Comme je l’ai indiqué au début de mon analyse, les demandeurs avaient le droit de connaître la preuve qu’ils avaient à réfuter et de faire des observations à l’intention du comité. Toutefois, ils n’ont pas eu droit à une audience en règle (Nation Crie de Samson, au paragraphe 22).

[57]  Les demandeurs affirment qu’ils n’ont pas pu bénéficier d’une audience équitable puisqu’ils n’ont pas été entièrement informés de la preuve à réfuter et qu’ils n’ont pas eu la possibilité de la réfuter pleinement. Plus précisément, ils allèguent que le comité a tiré la majorité de ses conclusions pour des motifs qui n’ont pas été soulevés dans la pétition et s’est fondé sur des renseignements qui ne leur a pas été communiqués, dont les éléments de preuve présentés par les personnes interrogées par le comité.

[58]  Un examen de l’ensemble du dossier ne soutient pas cette prétention des demandeurs. La preuve semble plutôt indiquer que, bien qu’ils aient été invités à le faire à plusieurs reprises, les demandeurs ont refusé de prendre part au processus d’une manière significative.

[59]  Il ne fait aucun doute que le contenu de la pétition, telle qu’elle a été déposée le 26 septembre 2016, a quelque peu évolué. Comme je l’ai indiqué aux paragraphes 9 et 10 des présents motifs, certaines des allégations exposées dans la pétition ont été précisées en s’appuyant sur des renseignements supplémentaires présentés par Mme Michel et plusieurs nouvelles allégations ont été examinées en tenant compte des éléments de preuve recueillis par le comité. Ces allégations précisées ou nouvelles sont les suivantes :

  • a) Dans le cas de Brandy Jules, le fait qu’elle avait (i) hurlé après un employé de la bande, (ii) pris part à de la violence latérale envers un autre membre du conseil de la bande et (iii) posé des questions à des employés administratifs de la bande au sujet de l’annonce d’un emploi qui concernait des membres de sa famille immédiate et avait participé à des discussions sur une résolution du conseil de bande en préconisant (et en signant) cette résolution visant la transition, au profit de sa famille, de tout le personnel de sécurité existant vers un statut d’employé de la bande;

  • b) Dans le cas de Ronald Jules, le fait qu’il avait (i) fait un commentaire raciste à un employé de la bande et (ii) pris part à de la violence latérale envers un autre membre du conseil de la bande;

  • c) Dans le cas de Georgina Johnny, le fait qu’elle avait (i) participé à des discussions sur une résolution du conseil de bande et préconisé (et signé) cette résolution visant la transition, au profit de sa famille, de tout le personnel de sécurité existant vers un statut d’employé de la bande et (ii) plaidé en faveur d’un membre de sa famille immédiate pour représenter la bande à l’événement « Together Shuswap ».

[60]  La question, en l’espèce, n’est pas de savoir si la pétition pouvait être précisée ou élargie de la façon dont elle l’a été, mais plutôt de savoir si les demandeurs ont été pris de court et privés, en conséquence, du droit de connaître la preuve à réfuter et de la réfuter.

[61]  Le dossier révèle que la pétition a été signifiée aux demandeurs le 26 septembre 2016 et que le 28 septembre 2016, les demandeurs ont indiqué au comité qu’ils refusaient tous les trois d’accepter leur destitution et qu’ils niaient toutes les allégations faites dans la pétition (dossier de la défenderesse, vol. 1, aux pages 245 à 248). Il est donc clair que, le 28 septembre 2016, les demandeurs connaissaient la preuve à réfuter, telle qu’elle a été exposée dans le pétition déposée le 26 septembre 2016.

[62]  Le 29 septembre 2016, le comité a publié un avis informant les électeurs de la bande que la pétition avait été reçue, les invitant à formuler des observations et indiquant que le comité rendrait une décision par écrit dans les 30 jours suivant la réception de la pétition, comme l’exige la section 7(b) de l’annexe E des règles électorales.

[63]  Selon la procédure habituelle du comité, chaque demandeur doit bénéficier d’une période de deux heures pour faire des observations, laquelle serait suivie d’entrevues permettant aux demandeurs de répondre aux questions au sujet des allégations formulées contre eux, dont des questions au sujet de tout nouveau renseignement recueilli par le comité au cours de son enquête (dossier de la défenderesse, vol., affidavit de David Nordquist, page 3, paragraphe 17).

[64]  Les demandeurs devaient comparaître pour la première fois devant le comité le 3 octobre 2016, dans le cas de Ronald Jules, et le 4 octobre 2016, dans le cas de Georgina Johnny et de Brandy Jules. Toutefois, les trois demandeurs ont demandé à avoir plus de temps pour obtenir des avis juridiques. Georgina Johnny s’est présentée devant le comité pour son entrevue à la date prévue, mais elle n’a formulé aucune observation de fond (dossier de la défenderesse, vol. 1, affidavit de David Nordquist, page 3, paragraphe 22). Le comité a accepté de reporter les entrevues des demandeurs.

[65]  Le 3 octobre 2016, le comité a interrogé Mme Michel. À cette occasion, Mme Michel a présenté au comité une trousse de renseignements supplémentaires comprenant les procès-verbaux des réunions du conseil de bande, diverses politiques de la bande et d’autres détails sur les allégations exposées dans la pétition (dossier de la défenderesse, vol. 1, pages 144 à 230). Cette trousse de renseignements supplémentaires a été remise en mains propres aux demandeurs, le 4 octobre 2016 (dossier de la défenderesse, vol. 1, page 258).

[66]  Le 11 octobre 2016, le comité a envoyé un avis à Ronald Jules lui indiquant qu’une entrevue tenue dans le cadre de l’enquête sur la pétition avait révélé de l’abus verbal de sa part et que cette question ferait l’objet d’une enquête plus approfondie par le comité.

[67]  Le 12 octobre 2016, les demandeurs ont demandé à rencontrer le comité le 14 octobre 2016. La réunion a été fixée au 15 octobre 2016. Lors de cette réunion, les demandeurs ont chacun présenté une lettre au contenu identique datée du 11 octobre 2016 (dossier de la défenderesse, vol. 1, pages 395 et 396), demandant le rejet de la pétition pour les motifs suivants :

  • a) Elle avait été incorrectement déposée, puisqu’elle réunissait trois pétitions en une et qu’elle n’avait pas le nombre requis de signatures ni les droits exigés;

  • b) le comité n’était pas la bonne instance, puisque la pétition, déposée par une employée de la bande, devrait être traitée selon la procédure de règlement des griefs prévue dans les lignes directrices en matière d’emploi de la bande;

  • c) les trois membres du comité qui étaient des employés de la bande se trouvaient dans une situation de conflit d’intérêts;

  • d) Mme Kenoras, étant la fille d’une autre conseillère de la bande, se trouvait aussi dans une situation de conflit d’intérêts;

  • e) la pétition ne devrait pas aller de l’avant puisqu’il y avait un contentieux en cours devant la Cour fédérale dans l’affaire Johnny c Bande indienne d’Adams Lake;

  • f) Mme Yamara se trouvait aussi dans une situation de conflit d’intérêts, puisqu’elle avait demandé au conseil de traiter une plainte en instance d’un membre du personnel déposée à l’encontre d’un membre de la bande et qu’elle demandé au conseil de régler;

  • g) les « autres observations » signifiées dans le cadre de la pétition, y compris les renseignements supplémentaires déposés par Mme Michel, ne pouvaient pas être prises en compte puisqu’elles avaient été déposées et signifiées après le dépôt de la « plainte initiale ».

[68]  La lettre a été lue aux membres du comité par Ronald Jules, qui a ensuite demandé au comité de trancher les questions qui y étaient soulevées. Il a aussi indiqué au comité que les deux autres demandeurs et lui-même n’avaient pas d’autres commentaires à faire et qu’ils ne répondraient à aucune question à ce moment-là (dossier de la défenderesse, vol. 1, page 381). Le comité a indiqué que les demandeurs recevraient une réponse par écrit une fois que le comité aurait eu l’occasion d’examiner la lettre.

[69]  Le 16 octobre 2016, le comité a répondu à la lettre des demandeurs, indiquant que la pétition répondait à toutes les exigences des règles électorales et que l’on poursuivrait en conséquence son traitement. Le comité a également indiqué qu’il avait l’autorité [traduction] « de permettre de recueillir des renseignements supplémentaires de l’auteur d’une pétition ou d’autres personnes en application des dispositions 23.5(b) et (d), 23.6(f) et (g) ». Il a également rappelé aux demandeurs que, conformément à la disposition 23.6 (e) des règles électorales, aucune procédure intentée devant le comité [traduction] « n’est invalidée parce qu’une partie n’est pas disponible pour formuler ses observations au comité des membres ». Le comité a conclu la lettre en faisant remarquer que l’on avait déjà donné l’occasion aux demandeurs de rencontrer le comité à deux reprises (les 4 et 15 octobre 2016) et en les informant qu’on leur offrait une dernière occasion de rencontrer le comité, le 21 octobre 2016 (dossier de la défenderesse, vol. 2, page 427).

[70]  Le 21 octobre 2016, seule Georgina Johnny était présente aux entrevues reportées. Ronald Jules et Brandy Jules n’étaient pas présents (dossier de la défenderesse, vol. 2, page 435). Mme Johnny a présenté au comité, à cette occasion, des observations écrites et des documents à l’appui (dossier de la défenderesse, vol. 2, pages 438 et 452). Toutefois, elle a refusé de répondre aux questions du comité. Sa comparution devant le comité, ce jour-là, a duré en tout 8 minutes selon le procès-verbal de la réunion du comité (dossier de la défenderesse, vol. 2, page 438).

[71]  Comme je l’ai indiqué au début des présents motifs, le comité est parvenu à une décision le 22 octobre 2016 et a rendu trois ensembles distincts de motifs à l’appui de sa conclusion selon laquelle les demandeurs avaient violé leur serment professionnel et qu’ils devaient, en conséquence, être destitués.

[72]  Selon moi, les observations écrites et la documentation à l’appui présentées par Mme Johnny, le 21 octobre 2016, témoignent du fait que cette demanderesse était, à cette date-là, clairement consciente de la nature des allégations qui constituaient le fondement de la décision du comité de la destituer et qu’elle était en mesure de formuler des observations d’une manière significative. Elle aurait pu être en mesure de réfuter plus pleinement ces allégations si seulement elle avait accepté de discuter avec le comité et de répondre à ses questions, ce qu’elle a refusé de faire, comme l’ont également fait les deux autres demandeurs, tout au long du processus.

[73]  Puisque le dossier ne contient aucun affidavit de la part de Ronald et de Brandy Jules, je ne peux que présumer, puisque les trois demandeurs se sont vus signifier les mêmes documents et qu’ils avaient adopté, jusqu’alors, une approche commune dans les procédures devant le comité, que le 21 octobre 2016, ils connaissaient tous deux, comme Mme Johnny, la nature des allégations qui constituaient le fondement de la décision du comité de les destituer et que, eux aussi, étaient en mesure de les réfuter. Il leur incombait de démontrer que leur situation était différente de celle de Mme Johnny. Il n’existe aucun élément de preuve à cet égard dans le dossier. De toute façon, je suis convaincu, à l’exception de l’allégation d’abus verbal qui a été signifiée à Ronald Jules, le 11 octobre 2016, que la nature de ces allégations ressort de la pétition et des documents additionnels qui ont été signifiés aux demandeurs, le 4 octobre 2016.

[74]  Par conséquent, je ne suis pas en mesure de conclure que les demandeurs n’ont pas reçu un avis suffisant de la preuve à réfuter ou qu’ils n’ont pas eu l’occasion de présenter des observations sur la nature des allégations portées contre eux. Comme le montre le dossier, cette occasion leur a été offerte plus d’une fois. Dans une analyse de l’équité procédurale, il n’est pas acceptable de ne pas se présenter ou de refuser de participer d’une manière significative à une audience lorsque l’occasion de le faire est offerte, même lorsque la personne concernée a exprimé certaines réserves au sujet du processus en question. Le principal et l’unique objectif des demandeurs, en particulier en ce qui concerne Brandy et Ronald Jules, semble avoir été de faire échouer le processus devant le comité et d’éviter à tout prix de devoir répondre à la nature des allégations portées contre eux. À mon avis, cela porte un coup fatal à leur allégation selon laquelle ils n’ont pas eu la possibilité de participer pleinement au processus devant le comité.

[75]  Les demandeurs se plaignent du fait qu’ils n’ont pas eu accès aux éléments de preuve fournis par les personnes interrogées par le comité. Dans l’affaire Johnny, la juge Strickland a conclu qu’il était loisible au comité, étant donné la retenue dont il faut faire preuve quant à son choix de la procédure, de ne pas divulguer les procès-verbaux de ses réunions pour protéger les droits à la confidentialité des membres de la collectivité qui ont été interrogés (Johnny, au paragraphe 36). Selon la preuve au dossier, la confidentialité des renseignements fournis au comité par des membres de la bande est importante afin de réduire les tensions au sein de la collectivité auxquelles la collectivité de la Première Nation d’Adams Lake, une petite collectivité, est déjà soumise (dossier de la défenderesse, vol. 1, affidavit de David Nordquist, page 2, paragraphe 8).

[76]  La preuve montre également que, selon les procédures habituelles du comité, les demandeurs auraient eu la possibilité de connaître tout nouveau renseignement reçu par le comité dans le cadre de son enquête, et d’y répondre, si les demandeurs n’avaient pas adopté l’approche du refus de s’entretenir avec le comité et de répondre à ses questions (dossier de la défenderesse, vol. 1, affidavit de David Nordquist, page 3, paragraphe 18). De toute façon, rien n’indique au dossier qu’une telle demande avait été faite par les demandeurs. Dans ces circonstances, je suis d’avis que cet argument est dénué de tout fondement.

[77]  Il en est de même pour la prétention des demandeurs selon laquelle les allégations que le comité était autorisé à examiner en l’espèce étaient seulement celles reliées à la violation du serment professionnel, non pas celles reliées aux violations des politiques de la bande comme le code de conduite et d’éthique. Comme l’avocat de la défenderesse l’a souligné à l’audience, le serment professionnel prêté par les demandeurs prévoit que les conseillers [traduction] « doivent [...] toujours respecter les règles électorales, les politiques de la bande et le mandat du chef et du conseil de la bande indienne d’Adams Lake ». Il était donc loisible au comité de prendre en considération ces violations alléguées dans le cadre de la pétition qu’il devait examiner et trancher.

[78]  Enfin, je reconnais qu’aucun poids ne devrait être accordé à la réunion tenue le 25 octobre 2016 et à ce qui en est ressorti. Comme le souligne la défenderesse, il n’y a aucun mécanisme dans les règles électorales qui prévoit la révision, l’annulation ou toute autre infirmation d’une décision du comité pour des motifs d’équité procédurale, ou pour tout autre motif d’ailleurs, par des membres de la bande. En d’autres termes, le contrôle judiciaire est le seul recours judiciaire à cet égard. Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, cet « élément de preuve » n’a donc aucune incidence. De toute façon, j’observe que la nature exacte de cette réunion et des résolutions qui en ont découlé est sérieusement mise en doute. Toutefois, étant donné ma conclusion précédente, il n’est pas nécessaire que je tranche cette question.

[79]  En résumé, je suis convaincu, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, que les demandeurs ont reçu un avis suffisant des allégations portées contre eux et ont eu l’occasion de les réfuter devant un décideur impartial.

[80]  La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc rejetée. Puisque les demandeurs n’ont pas obtenu gain de cause, les dépens sont adjugés à la défenderesse.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens sont adjugés à la défenderesse.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de mai 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2003-16

 

INTITULÉ :

LES CONSEILLERS GEORGINA JOHNNY, BRANDY JULES ET RONALD JULES c LA BANDE INDIENNE D’ADAMS LAKE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Priscilla Kennedy

 

Pour les demandeurs

 

Gregg Rafter

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

Broughton Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

 

 

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