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Date : 20170306


Dossier : IMM-2782-16

Référence : 2017 CF 264

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

JOSWY SURAJ D’SOUZA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie du contrôle judiciaire d’une décision, en date du 2 juin 2016, par laquelle un agent principal (l’agent) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a refusé la demande de dispense des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, présentée par le demandeur pour des motifs d’ordre humanitaire afin de permettre que sa demande de résidence permanente soit traitée depuis le Canada.

[2]  Tel qu’il est expliqué plus en détail ci-dessous, la présente demande est rejetée, parce que le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’agent n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

II.  Résumé des faits

[3]  Le demandeur, Joswy Suraj D’Souza, est un citoyen de l’Inde et un catholique pratiquant. Après avoir terminé ses études en Inde, M. D’Souza a consacré beaucoup de temps à travailler comme étranger en Arabie saoudite et en Israël. Il prétend avoir reçu des menaces à sa vie et craint d’être persécuté en Inde en raison de ses croyances religieuses.

[4]  M. D’Souza est arrivé au Canada le 18 février 2007 et a demandé l’asile. Sa demande d’asile a été rejetée, et sa demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée parce que la demande n’avait pas été mise en état, défaut qu’il impute à une représentation juridique inadéquate.

[5]  Entre cette date et l’année 2014, M. D’Souza a présenté sans succès trois demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Il affirme qu’il croyait que son ancien avocat interjetterait appel ou demanderait le contrôle judiciaire des décisions défavorables, mais son avocat a plutôt déposé des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire successives.

[6]  M. D’Souza a ensuite retenu les services de son avocat actuel et a déposé une quatrième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui a été rejetée le 14 octobre 2015. Il a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, qui a été retirée en raison du consentement du défendeur à l’annulation de la décision et au renvoi de l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Le présent contrôle judiciaire vise cette nouvelle décision, en date du 2 juin 2016.

[7]  M. D’Souza s’est vu accorder des autorisations d’emploi, dont la dernière est en vigueur jusqu’au mois de mars 2017. Il est un installateur de revêtements de sol professionnel et a occupé un emploi stable au Canada dans ce corps de métier, ayant démarré une entreprise individuelle en 2010 qui a par la suite été constituée en société en 2014.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[8]  Les observations écrites de M. D’Souza ne formulent aucune question que la Cour est appelée à trancher. Il soutient que la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, en se fondant sur l’articulation de cette norme par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, à savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[9]  Je conviens qu’il s’agit de la norme applicable et j’ai appliqué cette norme aux arguments soulevés par M. D’Souza à l’audience de la présente demande.

IV.  Discussion

[10]  À titre préliminaire, le défendeur a mentionné à l’audience que les observations de M. D’Souza lors des débats soulevaient en grande partie des arguments qui sont absents de ses observations écrites. Cela semble être imputable en partie au fait que M. D’Souza n’a reçu les motifs de la décision de l’agent que lorsque le défendeur les a fournis et qu’ils ont été versés dans le dossier certifié du tribunal dans le cadre de la demande, quoique son avis d’appel indique qu’il a reçu des motifs écrits du tribunal. Le défendeur a aussi mentionné que M. D’Souza n’a pas saisi l’occasion de déposer un mémoire des faits et du droit supplémentaire après avoir reçu les motifs. Malgré l’absence de préavis des arguments que M. D’Souza entendait soulever à l’audience, le défendeur ne s’est toutefois pas opposé à ce que la Cour prenne ces arguments en compte.

[11]  Les arguments de M. D’Souza concernent largement son degré d’établissement au Canada et font valoir les conclusions favorables de l’agent à cet égard. L’agent a conclu que, pendant le séjour de M. D’Souza au Canada, il a eu un dossier civil sans tache et s’est [traduction] « quelque peu établi » grâce à l’emploi qu’il occupait, à sa participation à la collectivité, à son observance des rites religieux et aux relations qu’il a entretenues au Canada. M. D’Souza établit une comparaison entre cette conclusion et la reconnaissance ultérieure de l’agent qu’il est au Canada depuis environ neuf ans et qu’il s’est établi au cours de cette période. L’agent conclut aussi plus loin dans la décision que M. D’Souza s’est établi au Canada et qu’il est raisonnable de présumer qu’il a tissé des liens et que la séparation pourrait être difficile pour lui.

[12]  Pour étayer sa thèse selon laquelle la décision est déraisonnable, M. D’Souza fait valoir que ces conclusions sont contradictoires en ce qui concerne son degré d’établissement, mais que les éléments de preuve et les conclusions de l’agent dans leur ensemble dénotent un haut degré d’établissement, de sorte qu’il convenait que sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit accueillie. Il soutient que la seule conclusion défavorable de l’agent, qui doit être la raison du refus de sa demande, est la conclusion selon laquelle son expérience professionnelle et ses compétences pourraient être transposées à son retour en Inde, ce qu’il prétend constituer de la pure spéculation de la part de l’agent qui n’est étayée par aucun élément de preuve.

[13]  Ayant examiné la décision dans son ensemble, je ne décèle aucune erreur dans l’évaluation par l’agent de l’établissement de M. D’Souza au Canada. Les diverses mentions de l’établissement ne semblent pas incohérentes, mais dénotent plutôt l’acceptation par l’agent que M. D’Souza avait, selon les dires de ce dernier, un degré d’établissement au Canada qui était tel qu’il éprouverait de la difficulté en retournant en Inde. L’agent a toutefois pris en compte les liens de M. D’Souza avec des personnes au Canada et en Inde, en mentionnant que sa mère et ses quatre frères et sœurs résident toujours en Inde, et a conclu qu’il n’avait pas démontré que sa réinstallation dans son pays d’origine aurait des répercussions défavorables importantes pour lui et pour d’autres personnes dans l’un ou l’autre des pays. Dans l’ensemble, les motifs de l’agent démontrent que, bien que le degré d’établissement de M. D’Souza ait pesé en sa faveur, l’agent n’était pas convaincu que les circonstances de M. D’Souza justifiaient qu’une dispense soit accordée pour des motifs d’ordre humanitaire. Il est aussi bien établi en droit que le degré d’établissement lui-même d’un demandeur ne suffit pas pour que le demandeur soit dispensé d’obtenir un visa d’immigrant de l’extérieur du Canada (voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11 [Singh], aux paragraphes 51 et 52). Je ne vois rien de déraisonnable à l’examen de ce facteur par l’agent.

[14]  Je ne décèle aucune erreur non plus dans l’évaluation faite par l’agent des perspectives d’emploi de M. D’Souza à son retour en Inde. Dans le cadre de l’analyse, l’agent a mentionné qu’il incombe à un demandeur de fournir des éléments de preuve pour corroborer les moyens invoqués dans sa demande et de prouver les difficultés qui seraient éprouvées si la dispense sollicitée n’était pas accordée. L’agent a aussi pris en compte la déclaration de M. D’Souza selon laquelle il ne pourrait pas trouver d’emploi dans son corps de métier s’il devait retourner en Inde. L’agent a toutefois mentionné que M. D’Souza avait acquis une expérience professionnelle internationale et une formation liée à son emploi en Israël et en Arabie saoudite, et a conclu qu’il n’avait pas présenté d’élément de preuve documentaire indiquant qu’il ne pourrait pas se rétablir sur le plan professionnel en tant qu’installateur de carreaux, dans le secteur des services d’accueil, ou dans une autre profession, à son retour en Inde. Je suis d’avis que la description du fardeau de la preuve qui incombe à M. D’Souza par l’agent est conforme à la jurisprudence (voir Singh, au paragraphe 52) et que le traitement de cet élément de la demande appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[15]  M. D’Souza fait aussi valoir que l’agent a commis une erreur lorsqu’il n’a pas pris en compte le fait que la période de son séjour au Canada est imputable au temps qu’il a consacré à des procédures d’immigration et est donc indépendante de sa volonté. Il se fonde sur la section 5.14 – Établissement au Canada du Guide de CIC intitulé IP 5 : Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire [IP 5], qui indique qu’il peut être justifié d’approuver une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire si l’incapacité du demandeur à quitter le Canada en raison de circonstances indépendantes de sa volonté se prolonge pendant une longue période. La section 5.14 fournit des exemples de circonstances indépendantes de la volonté du demandeur, notamment lorsqu’il est en attente d’une décision sur une demande d’immigration et qu’il demeure plusieurs années au Canada avec un statut.

[16]  M. D’Souza renvoie la Cour à l’examen de ce facteur dans Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 316 [Lin], dans laquelle le juge Campbell a accordé le contrôle judiciaire en raison du défaut par l’agent ayant examiné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire d’analyser le fait que le demandeur s’était établi pendant une période de sept ans pendant le délai d’examen de sa demande. M. D’Souza fait observer que les périodes entre la présentation de chacune de ses trois premières demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et de la décision afférente correspondaient respectivement à 598 jours, à 353 jours et à 88 jours. Entre la date de la présentation de sa quatrième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la date de l’annulation de la décision et la date de l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, il s’est écoulé un délai supplémentaire de 721 jours. Ces périodes totalisent six ans et sept mois, au cours desquels M. D’Souza possédait des autorisations d’emploi en vigueur et était en voie de s’établir au Canada.

[17]  J’estime que le raisonnement suivi dans la décision Lin, ou dans la section 5.14 de l’IP 5, ne s’applique pas aux circonstances de M. D’Souza. Comme l’indique le paragraphe 22 de Richardson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1082 [Richardson], il est souvent arrivé qu’une distinction soit établie avec la décision Lin, étant donné que la décision Lin concernait un délai extrêmement long que le juge Campbell a jugé déraisonnable. Dans la décision Richardson, le juge Boivin a mentionné que, bien que les demandeurs aient droit de se prévaloir de tous les recours légaux dont ils disposent, le fait de décider de le faire ne constituerait pas une circonstance échappant à leur contrôle. Au cours du délai de six ans et sept mois mentionné par M. D’Souza, il a présenté une série de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et exercé des recours à l’égard des deux décisions défavorables les plus récentes. Il était en droit d’exercer de tels recours, mais on ne saurait qualifier d’indépendante de sa volonté la période de temps durant laquelle il était engagé dans ces procédures au Canada. La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel le temps consacré à l’une quelconque de ces procédures est déraisonnable, comme l’avait été jugé le délai de sept ans lié à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire dans la décision Lin.

[18]  M. D’Souza s’en prend aussi à l’évaluation que l’agent a faite des difficultés qu’il éprouverait, selon lui, en retournant en Inde selon les conditions prévalant au pays d’origine concernant le traitement accordé aux chrétiens. Il est un chrétien pratiquant et fait valoir que sa vie serait en danger en raison de l’escalade de la violence contre les catholiques partout en Inde. M. D’Souza fait remarquer que son avocat a fourni un certain nombre de liens à des articles publiés dans Internet, qui dénotent une escalade de la violence contre les chrétiens, que l’agent s’est demandé pourquoi les versions intégrales des articles n’avaient pas été fournies aux fins d’examen, et qu’il n’est pas sûr si l’agent a pris en compte ces articles. M. D’Souza soutient toutefois que l’agent a néanmoins reconnu que les éléments de preuve documentaire indiquent que les groupes religieux minoritaires sont victimes de violence en Inde. M. D’Souza conteste donc le caractère raisonnable de la conclusion de l’agent selon laquelle les conditions qui prévalent en Inde n’auraient pour lui aucune répercussion défavorable directe qui justifierait une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[19]  Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans l’évaluation par l’agent de la documentation portant sur les conditions qui prévalent dans le pays d’origine. Comme M. D’Souza l’a fait observer, l’agent a reconnu que les éléments de preuve permettent de conclure que la violence religieuse est problématique en Inde. L’agent a toutefois conclu que chaque groupe religieux présent en Inde fait face à des actes de violence et que M. D’Souza n’avait établi aucun lien entre les différents éléments de preuve documentaire et les difficultés qu’il éprouverait plus particulièrement en Inde. L’intimé soutient que la thèse de M. D’Souza revient à prétendre que tout chrétien retournant en Inde ferait face à des difficultés qui justifieraient qu’une dispense soit accordée pour des motifs d’ordre humanitaire.

[20]  Je ne vois aucun motif de conclure que l’agent a commis une erreur en évaluant les conditions prévalant dans le pays d’origine ou les difficultés que M. D’Souza éprouverait à son retour en Inde. M. D’Souza n’a pas établi que les conclusions de l’agent ne sont pas étayées par les éléments de preuve ou qu’elles n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard de ces éléments de preuve.

[21]  L’analyse de l’agent se distingue de celle qui a été suivie dans la décision Roshan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1308 [Roshan], que M. D’Souza invoque. Dans cette décision, le juge Bell a accueilli la demande de contrôle judiciaire d’un demandeur qui craignait de subir un préjudice en Iran du fait qu’il était un athée. Ce résultat reposait toutefois sur des erreurs précises commises par l’agente qui avait effectué l’examen pour des motifs d’ordre humanitaire, lesquels rendaient la décision déraisonnable de l’avis du juge Bell. La décision de l’agente était fondée en partie sur le fait que le demandeur avait vécu en Iran pendant 30 ans sans rencontrer de problème lié à son athéisme, malgré les éléments de preuve qui indiquaient que son athéisme était récent. L’agente avait aussi accepté les éléments de preuve concernant le traitement des athées par le gouvernement de l’Iran, mais n’en avait pas du tout tenu compte en faisant observer que l’athéisme est de plus en plus accepté, et ce, sans établir de lien entre cette acceptation accrue par certains citoyens et les mesures prises par l’État contre les athées. La décision de l’agent en l’espèce ne révèle pas d’erreur susceptible de révision du même genre que les erreurs qui ont eu une incidence sur l’issue de l’affaire dans la décision Roshan.

[22]  Ayant pris en compte l’argumentation de M. D’Souza, je ne vois aucun motif de conclure que la décision de l’agent n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La décision est donc raisonnable, et la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

V.  Question certifiée

[23]  M. D’Souza propose que la Cour certifie la question suivante aux fins d’un appel :

La décision de l’agent appartient-elle aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit?

[24]  Cette question ne constitue pas une question grave de portée générale, puisqu’elle vise uniquement l’application de la norme de contrôle aux faits particuliers de l’espèce. En conséquence, il ne convient pas de certifier cette question.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2782-16

INTITULÉ :

JOSWY SURAJ D’SOUZA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 février 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 6 mars 2017

COMPARUTIONS :

Suvendu Goswami

Pour le demandeur

Rachel Hepburn Craig

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Suvendu Goswami

Avocat et notaire public

TORONTO (ONTARIO)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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