Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170308


Dossier : T-918-16

Référence : 2017 CF 268

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2017

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ADRIANO FURGIUELE ET JOSEPH OLIVERIO

demandeurs

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie de la présente demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7, à l’égard d'une décision rendue le 6 mai 2016 [la Décision].  Dans cette Décision, Mme Diane Lorenzato, sous-commissaire [la Sous-commissaire] de la Direction générale des ressources humaines de l’Agence du revenu du Canada [ARC] a rejeté les griefs déposés par les demandeurs au palier final.  La Sous-commissaire a conclu que les demandeurs n’étaient pas admissibles à l’aide juridique de l’ARC, car ils n’ont pas satisfait aux critères de la Politique sur les indemnités et assistance juridique qui peuvent être accordées aux employés de l’Agence du revenu du Canada [la Politique].

II.                Contexte

[2]               Les deux demandeurs, Messieurs Oliverio et Furgiuele, ont été employés au sein de l’ARC pendant un certain nombre d’années.  Avant sa démission du 31 janvier 2011, M. Oliverio a travaillé au service de l’ARC pendant 25 ans.  Il a occupé le poste de gestionnaire à la vérification au sein de la division de la petite et moyenne entreprise pendant les cinq dernières années de son emploi.

[3]               M. Furgiuele, pour sa part, a travaillé pour l’ARC pendant 18 ans.  Il a occupé le poste de chef d’équipe au sein de l’équipe d’élaboration de la charge de travail [l’Équipe] pendant les cinq dernières années de son emploi, relevant de M. Oliverio.  Le 14 décembre 2009, M. Furgiuele était licencié.

[4]               En 2008, la société Gemmar Systems International Inc. [Gemmar] a communiqué directement avec M. Oliverio concernant l’achat d’un logiciel.  Gemmar voulait vérifier si l’achat du logiciel constituait un abri fiscal.  La défenderesse soutient que, dans les circonstances, il était anormal qu’un contribuable communique directement avec un gestionnaire de l’ARC, plutôt que de se renseigner auprès de l’administration centrale [AC] de l’ARC.

[5]               Les demandeurs ont par la suite assigné un mandat de vérification à Josée Bissonnette, une vérificatrice de l’Équipe, pour déterminer si l’acquisition du logiciel représentait un abri fiscal.  À la suite de son départ en congé de maternité, les demandeurs ont réassigné ladite vérification à Geneviève Robillard, une vérificatrice de rang inférieur.

[6]               Mme Robillard a expliqué qu’elle ne se sentait pas à l’aise d’accomplir ce mandat et qu’elle avait des connaissances élémentaires en la matière.  De ce fait, elle a suggéré que le dossier soit transféré à l’équipe de l’évitement fiscal.  M. Oliverio a toutefois demandé que le dossier soit traité par Mme Robillard.

[7]               Mme Robillard a suivi les ordres de M. Oliverio.  Elle a fini par émettre une lettre destinée à Gemmar le 8 décembre 2008, dans laquelle elle a stipulé que l’acquisition du logiciel ne constituait pas un abri fiscal.  Ceci représentait ainsi d’importants attributs fiscaux pour Gemmar.

[8]               Le 13 avril 2010, M. Oliverio et le directeur adjoint à la vérification ont mandaté une révision du rapport de vérification de Mme Robillard.  Ralph Amar, vérificateur à la Division de la planification fiscale abusive (antérieurement, « évitement fiscal ») au bureau des services fiscaux de Montréal, a effectué cette révision.

[9]               En raison de la complexité du dossier, M. Amar a communiqué avec son syndicat, car il ne se sentait pas à l’aise avec cette affectation de travail.  Malgré ses réserves, il a finalement produit son rapport le 15 octobre 2010, concluant que : « [...] in the absence prima facie of any indicia as to statements or representations, I concur with the view of the previous auditor that the acquisition of the interest in the software by the taxpayer is not an acquisition of a ‘tax shelter,’ as defined in the Act [...] » (Dossier des demandeurs à la p 128 [DD]).

[10]           Après avoir pris connaissance du rapport rédigé par M. Amar, l’AC de l’ARC était d’avis que ses conclusions étaient problématiques.  C’est pourquoi Isabelle Frappier, vérificatrice au sein de l’équipe de la planification fiscale abusive à l’AC, a été chargée d’effectuer une nouvelle vérification – la troisième, suivant celles rédigées par Mme Robillard et M. Amar.

[11]           Le 29 mai 2013, Mme Frappier a produit son rapport dans lequel elle a conclu, entre autres, que l’achat du logiciel par Gemmar représentait en effet un abri fiscal.  Conséquemment, l’ARC a émis un avis de cotisation à Gemmar et a annulé les attributs fiscaux préalablement accordés.

[12]           Gemmar a par la suite intenté une poursuite devant la Cour supérieure du Québec, alléguant que la vérification effectuée par Mme Robillard lui aurait engendré d’importants dommages économiques.  Le 20 janvier 2015, le Procureur général du Canada et l’ARC ont mis en cause 13 individus, dont les demandeurs.

[13]           En février et mars 2015, les demandeurs ont déposé une demande d’aide juridique, conformément à la Politique.  Le 14 juillet 2015, leurs demandes ont été refusées.  Un mois plus tard, les demandeurs ont déposé un grief contestant le rejet de leurs demandes.

[14]           En décembre 2015, la défenderesse a chargé Nancy Tanguay, membre de l’équipe de la revue continue de l’intégrité des programmes de l’ARC, de préparer un rapport d’expert quant au fond des griefs déposés par les demandeurs.  Mme Tanguay a conclu, entre autres, que les demandeurs ont fait preuve de négligence dans le cadre de leurs fonctions.

[15]           À la suite de l’émission du rapport Mme Tanguay, Martine Houde, analyste principale des politiques et des programmes à la Direction des relations en milieu de travail et de la rémunération, a recommandé, dans un document intitulé « Précis de grief au palier final », le rejet des griefs.

[16]           Le 6 mai 2016, la Sous-commissaire a rejeté les griefs au palier final conformément à l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, ch 22, art 2. Tel qu’il appert de la décision, les raisons sur lesquelles la Sous-commissaire s’est basée pour refuser les griefs sont les quatre suivantes :

[...] je conclus que vous n’avez pas répondu aux attentes raisonnables de l’ARC [...]

[1.] en assignant ce dossier à l’équipe de l’élaboration de la charge de travail, car il ne revenait pas à cette équipe de faire le travail de vérification ;

[2.] en supposant que cette équipe pouvait faire des vérifications, vous avez accepté que ce dossier soit vérifié alors que le contribuable en question n’avait pas produit ses déclarations et qu’aucun avis de cotisation n’avait été émis ;

[3.] en omettant de veiller et de s’assurer que le travail de vérification soit entré au Système d’information de gestion des vérifications (SIGV) pour le contribuable en question ;

[4.] en omettant de référer ce dossier à la planification fiscale abusive ainsi qu’à la Direction des décisions en impôt de l’administration centrale puisque le contribuable en question voulait une lettre confirmant des attributs fiscaux à l’égard de transactions projetées en 2008.

(DD à la p 8)

[17]           La Sous-commissaire a aussi considéré l’ancienneté et le rang supérieur des demandeurs.

[18]           Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.             Questions en litige

[19]           Les demandeurs allègent que (A) les conclusions tirées par la Sous-commissaire ne sont pas raisonnables et que (B) cette dernière a fait preuve de trop de rigidité quant à l’interprétation de la Politique, à savoir le sens des « attentes raisonnables ».

IV.             Analyse

[20]           Les parties reconnaissent, et la Cour convient, que la norme de contrôle applicable aux présentes questions en litige est celle de la décision raisonnable, car elles sont liées à l’application aux employés d’une politique interne d’une agence gouvernementale (Brauer c Canada (Procureur général), 2014 CF 488 au para 26 [Brauer]).

A.                Les conclusions de la Sous-commissaire

(1)               Les vérifications faites par l’Équipe

[21]           Les demandeurs soutiennent que la Sous-commissaire a ignoré quatre éléments substantiels lorsqu’elle a conclu qu’il ne revenait pas à l’équipe des demandeurs de faire la vérification du dossier en question, dont : (1) les affirmations des demandeurs selon lesquelles la vérification des dossiers se faisait couramment par l’Équipe; (2) le rapport d’expert dans lequel Mme Tanguay ne pouvait ni confirmer ni infirmer la pratique courante de l’Équipe en matière de vérification de dossiers ; (3) le témoignage de deux autres employés de l’ARC qui ne contredisaient pas la position des demandeurs (que leur Équipe faisait des vérifications); (4) le rapport de Mme Robillard qui confirmait que l’équipe des demandeurs « pouvait faire des vérifications » (DD à la p 32).

[22]           De son côté, la défenderesse allègue que l’Équipe ne fait pas la vérification de dossiers, s’appuyant sur l’article 8.3.2 du Manuel de vérification [le Manuel] et que les demandeurs étaient ou auraient dû être au courant des règles énoncées dans le Manuel.  La défenderesse s’appuie aussi sur les témoignages de deux employés qui ont affirmé que les questions en matière de transactions projetées ou d’abris fiscaux sont dirigées à l’AC et traitées par celle-ci.

[23]           Finalement, à l’audience, les demandeurs ont allégué qu’il n’y a aucune preuve au dossier qui démontre que l’Équipe, en pratique, ne faisait pas des vérifications préalablement au traitement du dossier Gemmar.  La défenderesse, à son tour, a soutenu qu’il n’y a aucune preuve déterminante qui permet de conclure que l’Équipe, en pratique, faisait des vérifications couramment sur le terrain.

[24]           D’abord, la Cour tient à souligner que son rôle dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est ni de sous-peser à nouveau ni de réapprécier l’ensemble de la preuve au dossier (voir : Vigan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2016 CF 398 au para 15).  Il revient plutôt à la Cour d’évaluer si les conclusions tirées par la Sous-commissaire sont raisonnables.

[25]           De plus, il convient de noter qu’un décideur administratif n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve dans sa décision.  De la même façon, il est bien établi en droit canadien qu’il existe une présomption que le décideur administratif a considéré toute la preuve au dossier et qu’il revient à la partie qui allègue l’omission de réfuter cette présomption (Mughrabi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 FC 898 au para 15).

[26]           Pour justifier l’intervention de la Cour, les demandeurs doivent prouver l’existence d’une omission et doivent établir que celle-ci rend la décision déraisonnable dans son ensemble (Hussain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 FC 1298 au para 46). Or, l’omission d’un élément de preuve important peut mériter l’intervention de la Cour (Botros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 FC 1046 au para 25).  Par exemple, une situation dans laquelle un décideur administratif statuerait qu’une partie n’a remis aucune preuve à l’appui d’un argument ou d’un point substantiel qu’elle avance, alors qu’il appert clairement du dossier qu’une telle preuve a été déposée, peut avoir comme effet de réfuter la présomption selon laquelle le décideur administratif aurait considéré l’ensemble de la preuve (Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) v British Columbia (Education), 2017 FCA 16 aux para 23-25).

[27]           Qui plus est, malgré le fait que certains éléments de preuve mentionnés par les demandeurs ne soient pas expressément traités par la lettre de la Sous-commissaire, la juge Strickland dans l’affaire Taticek c Canada (Agence des Services frontaliers du Canada), 2014 CF 281 au para 44 [Taticek], a écrit que « [l]a jurisprudence établit cependant qu'un précis ou un mémoire interne contenant des recommandations à l'intention du décideur peut tenir lieu de motifs ».  Conséquemment, la Cour estime que les motifs énoncés dans le Précis de grief au palier final préparé par Mme Houde [le Précis], recommandant ainsi le rejet des demandes d’aide juridique, sont aussi pertinents au présent cas.

[28]           En l’espèce, la Cour est d’avis que l’argument des demandeurs ne tient pas.  Les deux demandeurs étaient des fonctionnaires de rang supérieur et il leur incombait d’appliquer les règles énoncées dans le Manuel.  Il appert clairement de l’article 8.3.2 du Manuel que la vérification de dossiers et le traitement de questions liées aux abris fiscaux ne sont pas compris dans le mandat de l’Équipe.

[29]           Le seul fait que les demandeurs allèguent que la pratique en vigueur à l’époque où M. Furgiuele était à la tête du groupe leur permettrait de vérifier le dossier Gemmar ne fait pas en sorte que les conclusions de la Sous-commissaire soient déraisonnables.  De la même manière, l’argument que Mme Tanguay n’a pu ni confirmer ni infirmer la pratique courante dans son rapport d’expert et que les réponses en la matière de deux employés n’étaient pas « catégoriques » ne minent aucunement le caractère raisonnable de la Décision.

[30]           Finalement, les propos de Mme Robillard expliquent tout simplement que lorsque M. Furgiuele était à la tête de l’Équipe, les vérifications avaient lieu, alors qu’à l’entrée en fonction d’un nouveau chef, cette pratique a cessé.  Ce témoignage ne vient aucunement saper les motifs de la Sous-commissaire.

[31]           La Cour est d’avis que les demandeurs n’ont pas réussi à établir que la Sous-commissaire a déraisonnablement apprécié ou omis la preuve au dossier.  La conclusion qu’il ne revenait pas à l’Équipe de faire la vérification du dossier Gemmar était raisonnable.  Qui plus est, le Précis préparé par Mme Houde a tenu compte de la position des demandeurs, ainsi que les éléments de preuve pertinents, y compris le Rapport de Mme Frappier et l’attestation de Mme Robillard, concluant que les demandeurs effectuaient ou ordonnaient des vérifications à l’encontre des règles établies par la Politique.

[32]           Pour toutes ces raisons, la Cour rejette l’argument des demandeurs quant à la première question.

(2)               Le défaut d’émettre un avis de cotisation

[33]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion selon laquelle le dossier n’avait pas fait l’objet d’un avis de cotisation était déraisonnable, car la transaction n’avait pas encore eu lieu, et conséquemment, il irait de soi que le dossier n’aurait pas fait l’objet d’un avis de cotisation.

[34]           Toutefois, il appert clairement de l’article 9.5.0 du Manuel que normalement, seuls les dossiers ayant fait l’objet d’un avis de cotisation sont vérifiés.  C’est pourquoi Mme Houde, à la page 7 du Précis a conclu qu’« il appert que les plaignants ont assignés [sic] un dossier en vérification alors que ce dossier n’aurait normalement pas dû faire l’objet d’une vérification » (DD à la p 33).  Cette conclusion est reprise par la Sous-commissaire dans ses motifs.  Les conclusions de Mme Houde et de la Sous-commissaire sont tout à fait raisonnables.

(3)               L’inscription au système SIGV

[35]           À l’audience, les demandeurs ont soutenu que l’appui de la Sous-commissaire sur le défaut d’inscrire le travail de vérification au système SIGV est déraisonnable, car cette omission ne représentait qu’une erreur humaine, et non pas un acte intentionnel ou de mauvaise foi.

[36]           La défenderesse avance que l’inscription des vérifications au système SIGV est cruciale, car elle permet aux autres vérificateurs de l’ARC de suivre le dossier et de comprendre le bien-fondé de la vérification.

[37]           La Cour reconnait que vu isolément, le défaut d’inscrire le travail de vérification au système SIGV, alors qu’il l’est obligatoire de par l’article 8.3.9 du Manuel, pourrait représenter une simple erreur humaine faite de bonne foi.  Toutefois, la Sous-commissaire ne se fonde pas uniquement sur ce fait ; elle en énumère quatre et ce, considéré à la lumière du rang et de l’ancienneté des demandeurs.  Par conséquent, la Cour estime que le fait que la Sous-commissaire ait considéré le défaut d’inscrire le travail de vérification au système SIGV comme étant parmi l’un des facteurs déterminants est raisonnable.

(4)               Le rapport de Mme Frappier

[38]           Finalement, les demandeurs soutiennent que le rapport de Mme Frappier a abouti à une conclusion différente de celle des rapports antérieurement préparés par Mme Robillard et M. Amar, car Mme Frappier était mieux informée et outillée pour tirer des conclusions sur la question de voir si l’acquisition du logiciel par Gemmar constituait un abri fiscal.  Les demandeurs allèguent qu’à l’évaluation des faits en 2013, l’acquisition du logiciel par Gemmar avait déjà eu lieu, ce qui aurait fait en sorte que Mme Frappier aurait été mieux placée pour effectuer ladite vérification.  Selon les demandeurs, il va de soi qu’il y avait une divergence importante entre les conclusions constatées dans le rapport de vérification de Mme Frappier et celles trouvées dans les rapports de Mme Robillard et de M. Amar.

[39]           Cet argument avait préalablement été avancé par les demandeurs dans le cadre du processus de griefs.  À la page 13 du Précis, Mme Houde souligne ce qui suit :

[...] malgré la prétention des plaignants à l’effet que Mme Frappier bénéficiait de nouvelle information, il appert plutôt que Mme Frappier a complété sa vérification en s’appuyant sur les mêmes documents qui avaient été remis aux vérificatrices (Mme Bissonnette et Robillard) à l’époque. L’expert indique que la différence est que Mme Frappier a complété sa vérification avec soins en utilisant les méthodes de vérification appropriées et pertinentes ainsi que les outils disponibles à tous les vérificateurs [...] Il est important de mentionner que le travail de Mme Frappier était de refaire la vérification de 2008-2009 et il n’était pas dans son mandat de relever les lacunes de la vérification de 2008-2009 et il n’était pas dans son mandat de relever les lacunes de la vérification initiale.

(DD à la p 39.)

[40]           Rien dans le dossier n’indique que ces conclusions sont mal fondées ou autrement déraisonnables.  Quoi qu’il en soit, la question dont la Cour est présentement saisie n’est pas de savoir si Mme Frappier s’est appuyée sur les mêmes documents que M. Amar ou Mme Robillard, mais plutôt d’évaluer si les conclusions tirées par la Sous-commissaire sont raisonnables.  La Cour est d’avis qu’elles le sont.

B.                 L’interprétation des « attentes raisonnables »

[41]           La Politique stipule que l’aide juridique peut être accordée si, dans le cadre de ses fonctions, l’employé (i) a agi honnêtement et sans malice et (ii) a répondu aux attentes raisonnables de l’ARC.

[42]           Les demandeurs soutiennent que la Sous-commissaire a déraisonnablement interprété et appliqué le sens du terme « attentes raisonnables » énoncé dans la Politique, car elle a fait preuve de trop de rigidité et de raideur.  Or, les demandeurs allèguent que l’objectif de la Politique a pour but de porter assistance aux employés qui, malgré leurs erreurs, ont agi de bonne foi.  Selon les demandeurs, ce n’est que dans les circonstances exceptionnelles, lorsque l’employé en question aurait commis des actes malicieux ou de mauvaise foi, que le refus de l’aide juridique de la Politique serait justifié.

[43]           De prime abord, il est important de noter que notre Cour, dans l’affaire Taticek au para 19, a statué qu’elle devrait normalement faire preuve de déférence à l’égard de l’interprétation de politiques et de procédures établies par l’employeur.

[44]           Quant à l’interprétation de politiques internes applicables aux employés au service d’agences gouvernementales, le juge Mosley, dans l’affaire Brauer, a appliqué la méthode téléologique adoptée par la Cour suprême dans l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, pour interpréter une politique interne applicable aux Forces armées canadiennes.  En appliquant cette méthode, le juge Mosley a conclu que l’interprétation du mot « communauté » énoncé dans la politique par le décideur administratif n’était pas raisonnable, car elle allait à l’encontre du sens même de la politique.  Dans cette affaire, l’interprétation empruntée par le décideur administratif était trop rigide, faisant en sorte que la politique ne s’appliquerait que dans des circonstances exceptionnelles.

[45]           Dans le cas qui nous occupe, la Cour est d’avis que l’interprétation de la Sous-commissaire n’est pas analogue à celle qui a été empruntée par le décideur administratif dans l’affaire Brauer.

[46]           La Politique établit un test conjonctif à deux volets assujettis à la discrétion de l’ARC.  La Politique ne définit pas la portée du terme « attentes raisonnables » de l’ARC.  Le fait qu’elle prévoit deux exigences laisse entendre que la première peut renvoyer à des actes criminels ou intentionnels de mauvaise foi ; la deuxième peut raisonnablement comprendre, par exemple, la négligence, un acte fautif, un laxisme déraisonnable ou l’accumulation de plusieurs fautes ou erreurs et ce, évalué à la lumière du rang et de l’ancienneté de l’employé.

[47]           En l’espèce, il n’était pas déraisonnable de conclure que l’ARC puisse s’attendre à ce que les demandeurs, employés dotés d’un rang supérieur et d’une ancienneté importante, connaissent, respectent, et suivent les règles énoncées dans le Manuel.  Or, considérant les nombreuses erreurs commises par les demandeurs, qu’elles soient faites de mauvaise foi ou non, ainsi que leur rang et ancienneté, la Cour est d’avis que l’interprétation de la Politique par la Sous-commissaire n’engendre pas une application trop stricte ou rigide.  En effet, la Cour ne trouve pas déraisonnable que les multiples défauts de respecter le Manuel puissent constituer un laxisme inacceptable.

[48]            Contrairement à l’affaire Brauer, la Cour est d’avis que l’interprétation de la Politique ne mine en aucun sens son objectif et ne la rend pas « inapplicable dans la totalité des situations, sauf dans certains cas exceptionnels » (au para 65).  Au contraire, la Cour est d’avis que l’interprétation de la Politique par la Sous-commissaire répond raisonnablement à son mandat : l’octroi de l’aide juridique si l’employé a agi honnêtement et sans malice et si l’employé a satisfait aux attentes raisonnables de l’ARC.

[49]           La Cour tient aussi à noter que la Politique est de nature discrétionnaire.  Dans l’affaire Maple Lodge Farms c Gouvernement du Canada, [1982] 2 RCS 2 à la p 7, la Cour suprême a déclaré que « [l]orsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision. » Ce même raisonnement s’applique aux politiques internes d’agences gouvernementales (Wannis c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2013 CF 963 aux para 31-34).

[50]           En l’espèce, il n’y a aucune preuve au dossier qui laisse entendre que la Sous-commissaire a agi de mauvaise foi ou qu’elle a tenu compte d’éléments de preuve non pertinents. Ainsi, dans de telles circonstances, la jurisprudence nous enseigne que la Cour devrait faire preuve de déférence à l’égard de la décision administrative.

V.                Conclusions

[51]           Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.  Sur consentement, les parties ont proposé que les dépens soient accordés à la partie défenderesse au montant de 3 000,00 $.  La Cour accepte la proposition des parties.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Les dépens au montant de 3 000,00$ seront accordés à la partie défenderesse.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-918-16

INTITULÉ :

ADRIANO FURGIUELE ET JOSEPH OLIVERIO c AGENCE DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 février 2017

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 8 mars 2017

COMPARUTIONS :

Me Jean-Michel Corbeil

Pour leS demandeurS

Me Adrian Bienisiewicz

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goldblatt Partners LLP

Avocat(e)

Ottawa (Ontario)

Pour leS demandeurS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa

Pour la défenderesse

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.