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Date : 20170310


Dossier : T-1505-15

Référence : 2017 CF 270

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

MAURICE ARIAL

(ANCIEN COMBATTANT – DÉCÉDÉ)

MADELEINE ARIAL (SUCCESSION)

MADELEINE ARIAL (À TITRE PERSONNEL)

SONIA ARIAL

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA AU NOM DU MINISTÈRE DES ANCIENS COMBATTANTS ET DU TRIBUNAL DES ANCIENS COMBATTANTS (RÉVISION ET APPEL)

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une requête aux termes de laquelle la défenderesse, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada cherche, au nom des autorités du Ministère des Anciens Combattants (la Défenderesse), à faire radier en totalité, et sans possibilité d’amendement, l’action en dommages et intérêts dirigée contre elle par les demandeurs. La Défenderesse estime que ladite action doit être radiée aux motifs qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action et qu’elle constitue un abus de procédure au sens des règles 221(1)(a) et 221(1)(f) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

[2]               La présente requête, qui a d’abord été placée devant la Protonotaire Mireille Tabib sous le régime de la règle 369 en même temps qu’une requête similaire de l’autre défendeur à l’action des demandeurs, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal), se veut le plus récent épisode d’une longue saga qui oppose les demandeurs aux autorités canadiennes responsables de l’application de la Loi sur les pensions, LRC (1985), ch P-6 (la Loi); saga qui a déjà donné lieu à cinq jugements ou ordonnances de cette Cour et à un jugement de la Cour d’appel fédérale, dernier en lice avant le dépôt de l’action des demandeurs. En voici la liste :

  1. Arial c Canada (Procureur général), 2010 CF 184 (la juge Tremblay-Lamer), demande de contrôle judiciaire accueillie;
  2. Ordonnance de la juge Tremblay-Lamer, dossier T-1739-10, 16 décembre 2010, demande de contrôle judiciaire accueillie de consentement;
  3. Arial c Canada (Procureur général), 2011 CF 848 (le juge Shore) [Arial 2011], demande de contrôle judiciaire accueillie;
  4. Arial c Canada (Procureur général), 2012 CF 353 (le juge Shore), requête pour directives rejetée;
  5. Arial c Canada (Procureur général), 2013 CF 602 (le juge Roy) [Arial 2013], demande de contrôle judiciaire rejetée, et
  6. Arial c Canada (Procureur général) 2014 CAF 215 [Arial CAF], appel du jugement du juge Roy rejeté.

[3]               Dans sa plus simple expression, les demandeurs, Feu Maurice Arial (M. Arial), un ancien combattant ayant servi durant la Seconde Guerre mondiale, Madeleine Arial, son épouse, et leur fille, Sonia Arial (Sonia), qui défend les intérêts de ses parents depuis presque les tous débuts de cette saga, cherchent, par leur action, à être dédommagés à hauteur de 802 217,72$, pour les fautes qu’auraient commises à leur égard les fonctionnaires du Ministère des Anciens combattants (le Ministère) de même que le Tribunal, dans le traitement des demandes de pensions et autres allocations produites par M. Arial et, au décès de celui-ci, par son épouse, aux termes de la Loi. Ils estiment également avoir droit à l’octroi de dommages non-pécuniaires et punitifs qu’ils laissent le soin à la Cour de chiffrer.

[4]               Les récriminations des demandeurs ont comme point de départ le traitement de la demande initiale de pension produite par M. Arial, en mars 1996, pour un problème d’estomac lié à son service militaire, demande à l’égard de laquelle les autorités du Ministère auraient failli à leur devoir de fournir à M. Arial, comme la Loi les y obligeait, aide et assistance, particulièrement compte tenu de l’âge et de l’état de santé précaire de M. Arial au moment où ladite demande a été faite de même que de son faible niveau de scolarisation.

[5]               Il est bien établi que pour radier une action au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action valable au sens de la règle 221(1)(a), la Cour, tenant les faits allégués pour avérés, doit être satisfaite qu’il est évident et manifeste que le recours entrepris, même interprété généreusement, n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueilli (R. c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 au para 17, [2011] 3 RCS 45; Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 CSC 69 au para 15, [2003] 3 RCS 263; Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, p. 980).

[6]               Par ailleurs, lorsqu’on l’invite à conclure qu’une déclaration d’action doit être radiée au motif qu’elle constitue un abus de procédure au sens de la règle 221(1)(f), la Cour doit être convaincue que si l’instance était autorisée à aller de l’avant, il y aurait alors « violation de principes comme ceux ‘d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice’[…] » (Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 RCS 422, au para 33[Figliola]). Les principes qui sous‑tendent l’approche à suivre pour détecter les « recours abusifs » ont été résumés comme suit dans Figliola, au para 34 :

•           La capacité de se fier au caractère définitif d’une décision sert l’intérêt public et celui des parties (Références omises).

•           Le respect du caractère définitif d’une décision judiciaire ou administrative renforce l’équité et l’intégrité des tribunaux judiciaires et administratifs ainsi que de l’administration de la justice; à l’opposé, la remise en cause de questions déjà tranchées par un forum compétent peut miner la confiance envers l’équité et l’intégrité du système en créant de l’incohérence et en suscitant des recours faisant inutilement double emploi (Référence omise).

•           La contestation de la validité ou du bien‑fondé d’une décision judiciaire ou administrative se fait au moyen de la procédure d’appel ou de contrôle judiciaire prévue par le législateur (Références omises).

•           Les parties ne doivent pas éluder le mécanisme de révision prévu en s’adressant à un autre forum pour contester une décision judiciaire ou administrative (Références omises).

•           En évitant les remises en cause inutiles, on évite le gaspillage de ressources (Référence omise).

[7]               Avant de déterminer si la requête de la Défenderesse satisfait à ces exigences, une mise en contexte s’impose en raison du caractère singulier de la présente affaire et de ce qui a mené à l’audition de ladite requête.

II.                Contexte

A.                L’ordonnance et la directive de la Protonotaire Tabib

[8]               Puisque c’est elle qui, la première, a été saisie des requêtes en radiation produites par la Défenderesse et le Tribunal, il importe, comme mise en contexte de départ, de s’attarder d’abord à la manière dont la Protonotaire Tabib a, le 25 avril 2016, disposé de ces deux requêtes.

[9]               Dans un premier temps, la Protonotaire Tabib a, par ordonnance, accueilli la requête du Tribunal, radiant, ce faisant, à l’égard de celui-ci, l’action des demandeurs, sans possibilité d’amendements. La Protonotaire Tabib a jugé que l’action des demandeurs constituait un abus de procédure et se heurtait par ailleurs à l’immunité dont jouissent le Tribunal et ses membres.

[10]           Quant au premier fondement de sa décision, la Protonotaire Tabib s’est dite d’avis que dans la mesure où les demandeurs cherchent à recouvrer les sommes qui auraient dû leur être versé si le droit à la pleine pension et à l’allocation pour soins avait été reconnu à M. Arial, rétroactivement au moins de mars 1996, il y a là abus de procédure puisque cette réclamation vise ultimement le recouvrement de sommes dont le versement a été refusé aux demandeurs
après qu’ils aient épuisé tous les recours prévus à la Loi. La Protonotaire Tabib s’est exprimée comme suit sur ce point :

En ce qui concerne la réclamation pour les sommes que Maurice Arial, son épouse ou sa succession auraient pu recevoir à titre de pension et d’allocation si le droit à ces sommes avait été reconnu rétroactivement au 7 mars 1996, plutôt qu’aux années 2000 à 2002, il est manifeste que l’action cherche à recouvrer les mêmes sommes et montants que les demandeurs ont tenté, sans succès, de réclamer par le processus administratif prévu par la Loi. Les manquements et fautes que l’action allègue avoir été commis par le Tribunal ou ses préposés et qui auraient injustement « privé » les demandeurs de leur droit à la pleine rétroactivité ont déjà été ou auraient pu être soulevés comme motifs viciant le bien fondé, le caractère convenable ou juste des décisions du Tribunal à toutes les étapes du processus administratif et des contrôles judiciaires entrepris. De plus, la dernière décision de la Cour d’appel fédérale en contrôle judiciaire de la dernière décision du Tribunal est absolument claire : le refus du Tribunal de se prévaloir de l’article 85 était raisonnable (Arial c Canada (Procureur général), 2014 CAF 215 au para 30), donc ne peut nécessairement pas être fautive. De plus, la Cour d’appel a précisé au paragraphe 33 de ces mêmes motifs :

[…] la compensation maximale versée en vertu de la Loi ne peut, en tout état de cause, jamais excéder la rétroactivité de trois ans (paragraphes 39(1) et 56(1)) et la compensation supplémentaire équivalente à deux années de pension (paragraphes 39(2) et 56(2)). Or, les appelants se sont vus accorder les montants maximums à ces deux chapitres.

L’action des demandeurs constitue manifestement une tentative de passer outre aux décisions qui ont été rendues et qui ont constaté la légalité et le caractère raisonnable du résultat final du processus administratif. Il s’agit là d’un abus de procédure évident qui justifie la radiation. (Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 RCS 77 et Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, [2011] 3 RCS 422, 2011 CSC 52).

[11]           En ce qui a trait au second fondement de la radiation de l’action des demandeurs à l’égard du Tribunal, la Protonotaire Tabib a jugé que, considérée sous l’angle d’un recours en responsabilité civile, l’action des demandeurs se heurtait à l’immunité du Tribunal, laquelle limite sa responsabilité civile et celle de ses membres aux seuls gestes pouvant être assimilés à de la mauvaise foi :

La responsabilité de la Couronne pour dommages intérêts ou faute extracontractuelle doit nécessairement être fondée sur la faute d’un de ses employés ou préposés, pour laquelle l’employé ou le préposé pourrait être tenu responsable s’il était poursuivi personnellement.

Tous les actes fautifs que la déclaration allègue de la part du Tribunal ou de ses membres ont exclusivement trait à la façon dont le Tribunal et ses membres se sont comportés dans l’exercice de leurs fonctions. Or, il est une règle de droit bien établie à l’effet que les membres des tribunaux administratifs jouissent d’une immunité contre toute poursuite en responsabilité civile pour les actes qu’ils posent dans l’exercice de leurs fonctions, sauf preuve de mauvaise foi. (Voir : Henri Brun, Guy Tremblay, Droit Constitutionnel, 4e éd, Cowansville, Édition Yvon Blais Inc., 2002, aux p. 814-815).

Les Règles des Cours fédérales exigent que les allégations de manquements délibérés, ou sur l’état mental d’une personne, tel une intention malicieuse ou frauduleuse, à laquelle on peut assimiler la mauvaise foi, doivent être précisées (Règle 181). Or, la déclaration n’allègue aucun fait que ce soit qui, s’il était tenu pour avéré, serait susceptible de permettre de conclure que les agissements d’un quelconque membre ou préposé du Tribunal auraient été teintés de mauvaise foi. Cette lacune est, à elle seule, aussi fatale et justifie la radiation de l’action.

[12]           Les demandeurs n’en ont pas appelé de cette décision.

[13]           Dans un deuxième temps, la Protonotaire Tabib a, par directive, statué que, contrairement à la requête du Tribunal dont les questions lui paraissait, malgré la complexité de l’historique du dossier, claires et simples et, donc, propices à être décidées sans audition orale, la requête de la Défenderesse ne pouvait être adéquatement traitée par écrit. Elle a estimé que tel était le cas au motif que la Cour gagnerait à entendre les représentations des parties en raison du paragraphe 35 du jugement du juge Roy, dans Arial 2013, lequel, lit-on dans la directive, « semble laisser la porte ouverte à un recours en responsabilité civile dans les circonstances de la présente affaire […] ».

[14]           Comme suite à la directive de la Protonotaire Tabib, des représentations écrites supplémentaires ont été produites par la Défenderesse et sa requête a été débattue oralement, en séance générale des requêtes à Québec, le 17 novembre 2016.

B.                 Les contours de la déclaration d’action des demandeurs

[15]           Comme l’a noté la Protonotaire Tabib, la déclaration d’action des demandeurs est prolixe et l’historique des rapports entre M. Arial, son épouse et les autorités chargées de l’application de la Loi, lesquels s’échelonnent sur près de 20 ans lorsque l’on prend en compte les différents recours exercés par les demandeurs pour faire valoir leurs droits aux termes de la Loi, est complexe et la documentation qui en fait foi, volumineuse.

[16]           Toutefois, comme l’a aussi noté la Protonotaire Tabib, cet historique, qui occupe les paragraphes 10 à 78 de la déclaration d’action, laquelle en compte 95 au total, est non seulement tenu pour avéré pour les fins de la présente requête, mais il ne fait pas non plus l’objet de contestation.

[17]           Dans leurs représentations écrites en réponse aux requêtes de la Défenderesse et du Tribunal, les demandeurs ont indiqué que leur déclaration d’action « était en fait un papier/collé du Mémoire des faits et du droit du dossier T-250-11 […] », lequel a donné lieu au jugement du juge Shore dans Arial 2011. Il me suffira donc, dans ces circonstances, de reproduire les passages suivants du jugement du juge Roy dans Arial 2013, lequel a été rendu dans la foulée du jugement du Shore, afin de dégager les grands jalons de cet historique:

[4]               Le contexte factuel en l’espèce s’avère complexe à cause de la multiplicité des recours. J’estime que le résumé suivant suffira aux fins du présent contrôle judiciaire.

[5]               Il convient de noter que parallèlement aux procédures qui se retrouvent devant cette Cour au sujet d’une pension pour invalidité en raison de problèmes à l’estomac, les demandeurs ont mené une série de procédures au sujet d’une demande d’allocation pour soins et une demande de pension d’invalidité pour hypoacousie. La demande d’allocation pour soins a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire dont la décision, par Mme la juge Danièle Tremblay-Lamer, se trouve à Arial c Le Procureur général du Canada, 2010 CF 184. Nous ne sommes ici concernés que par la saga relative à la pension pour invalidité en raison de problèmes à l’estomac.

[6]               L’ancien combattant, M. Maurice Arial, est né le 8 janvier 1916. Il s’enrôle dans la Marine royale canadienne en juin 1940. De juillet 1940 à juillet 1945, à bord de différents navires, il s’occupe à la fois de l’entretien de la machinerie et de l’approvisionnement de munitions situées à la cale des navires. Il est démobilisé à la fin de la guerre. Il figure dans ses documents de service deux rapports médicaux en dates du 7 mai 1944 et du 19 février 1945. Ces derniers, d’ordre plutôt général, traitent de perte de poids, de nervosité, de fatigue et de mal de mer.

[…]

[8]               Le 7 mars 1996, M. Arial dépose une demande de pension d’invalidité en raison d’ulcères d’estomac. Il s’ensuit plusieurs péripéties concernant le dépôt d’un rapport médical requis par les autorités d’alors et nécessaire à la considération à donner pour l’octroi d’une telle pension. En raison de l’absence de rapport médical, le dossier de M. Arial est fermé le 27 septembre 1996. Les documents de service ne révélaient aucun problème particulier si ce n’est le mal de mer dont était affligé M. Arial.

[9]               Le 13 octobre 1999, M. Arial nomme sa fille en tant que représentante désignée. À cette date, celle-ci contacte [le Ministère des Anciens Combattants du Canada (ACC)] et dépose une nouvelle demande au nom de son père aux fins d’obtenir une pension au titre d’une invalidité en raison de troubles à l’estomac. Quelques jours plus tard, un agent de pension envoie un formulaire à M. Arial lui demandant le dépôt d’un rapport médical récent. Le 18 novembre 1999, Mme Sonia Arial envoie à l’agent de pension une lettre de présentation, le formulaire de demande de pension ainsi qu’une déclaration d’un certain Dr Lepage posant le diagnostic de reflux gastro œsophagien [RGO]. Ces documents indiquent entres autres que M. Arial aurait été suivi relativement à des problèmes avec son estomac depuis son retour de la guerre.

[10]           Le 29 décembre 1999, la demande de pension est rejetée. Après analyse des documents de service de M. Arial, il est conclu que ceux-ci ne révélaient « aucune affection ni condition consécutive au service militaire et aucune blessure résultant d’un accident attribuable au service ».

[11]           Monsieur Arial décède le 25 septembre 2005.

[12]           Le 19 décembre 2005, Mme Sonia Arial communique avec l’ACC et demande qu’une décision officielle soit prise concernant la demande de pension d’invalidité pour divers problèmes d’estomac acheminée en 1999. Des informations supplémentaires sont alors fournies.

[13]           Le 8 août 2006, l’ACC, par décision ministérielle, rejette cette demande aux motifs que les documents médicaux de service ne révélaient aucune affection et qu’aucune contestation pertinente ne fut consignée au dossier de M. Arial pendant de nombreuses années suivant la démobilisation de ce dernier. Cette décision fut contestée par Mme Sonia Arial.

[14]           Le 24 janvier 2007, le comité de révision du Tribunal des anciens combattants confirme la décision ministérielle du 8 août 2006. Le comité de révision concluait à l’absence de lien de causalité entre les troubles d’estomac subis par M. Arial et son service militaire. Cette décision fut également contestée par Mme Sonia Arial.

[15]           Le 30 octobre 2007, le comité d’appel du Tribunal des anciens combattants accorde aux demandeurs un droit à pension pour le service accompli durant la Seconde Guerre mondiale. Le comité d’appel reconnaît que M. Arial souffrait d’un ulcère duodénal récidivant depuis 1940 et que le diagnostic de RGO était la manifestation de l’existence de l’ulcère. Le comité d’appel fixait la date d’entrée en vigueur de la pension rétroactivement au 9 novembre 2005, soit la date à laquelle la demande a été considérée comme étant complète. Aucune compensation additionnelle n’était accordée.

[16]           Le débat auquel donne lieu la présente demande de contrôle judiciaire concerne la date du début de la pension à laquelle les demandeurs disent avoir droit. Ils ont donc contesté la date du 9 novembre 2005.

[17]           Le 24 juin 2008, un comité de réexamen du Tribunal des anciens combattants refuse de changer la date d’entrée en vigueur de ladite pension au motif que la demande ne fût complétée qu’à cette date aux termes du Règlement sur les compensations.

[18]           Cette question est entendue à nouveau devant un second comité de réexamen. Le 14 mai 2009 ce second comité de réexamen accepte qu’une demande pour l’obtention d’une pension a été faite en 1996. Ce dernier établit alors la date d’entrée en vigueur au 30 octobre 2004, soit la date précédant de trois ans la date de l’octroi de la pension, se réclamant de l’alinéa 56(1)(a.1) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, ch P-6 (la Loi), et accorde une compensation supplémentaire de 24 mois, conformément au paragraphe 56(2) de la Loi, en raison de délais hors du contrôle des demandeurs. [Citation des paragraphes 56(1) et 56(2) de la Loi omise]

Cette décision fut à son tour contestée par Mme Sonia Arial.

[19]           Le 2 décembre 2010, un troisième comité de réexamen rejette la demande de réexamen de Mme Sonia Arial en raison de l’absence de motifs justifiant un nouvel examen en vertu de l’article 32 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, ch 18.

[20]           Cette décision fit ensuite l’objet d’une demande de contrôle judicaire (Succession Arial, supra). Le juge Shore devait casser la décision du 2 décembre 2010 et renvoya le dossier à un tribunal différemment constitué.

[21]           Suite à la décision du juge Shore, une nouvelle audience est tenue devant le tribunal le 1er novembre 2011. Une décision est enfin rendue le 4 janvier 2012, soit la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

[Intertitre omis]

[22]           Pour comprendre la décision dont on demande le contrôle judiciaire, il importe de cerner d’abord le ratio decidendi du jugement de la Cour, par M. le juge Shore, puisque cette décision dont contrôle est demandé se voulait le suivi ordonné par la Cour.

[23]           Partant de l’obligation qui est faite au paragraphe 81(3) de la Loi au ministre de fournir, « sur demande, un service de consultation pour aider les demandeurs ou les pensionnés en ce qui regarde l’application de la présente loi et la préparation d’une demande », le juge Shore ordonne que la question de la rétroactivité d’une pension soit examinée de nouveau. Le paragraphe 65 de la décision est instructif :

[65]      Par ailleurs, le rôle de cette Cour n’est pas de déterminer si la pension devrait être rétroactive au 7 mars 1996 ou non, mais bien de déterminer si le dossier devrait être renvoyé devant un nouveau tribunal afin que les faits et le droit soit réétudiés dans le cas où une erreur de fait ou de droit aurait été commise. Ce sera au nouveau tribunal de déterminer si la rétroactivité doit être étendue jusqu’au 7 mars 1996. Il est évident que le législateur ne légifère pas en vain; comme le législateur a prévu des obligations de renseignements pour les agents de pension de l’ACC envers les anciens combattants qui souhaitent obtenir de l’information concernant les demandes de pension, un manquement à une telle obligation ne peut pas être sans conséquence.

[Soulignement dans l’original]

[24]           Ainsi, la Cour n’a pas pré-ordonné une conclusion par le comité de réexamen. Se réclamant de l’esprit de la loi, qui se veut généreuse et qui devrait être ainsi interprétée, la Cour retourne le dossier afin que les faits et le droit soient réétudiés. Le paragraphe 76 me semble capturer l’essence de la décision de cette Cour :

[76]      Le manquement de l’ACC envers monsieur Arial a résulté en une baisse de qualité de vie pour cet ancien combattant. La Cour renvoie le dossier au Tribunal des Anciens Combattants pour que celui-ci révise sa responsabilité envers la famille Arial. Ce sera au Tribunal des Anciens Combattants de déterminer à quoi un manquement important à son obligation d’information équivaut selon la loi et la jurisprudence; compte tenu du fait que la loi fait plus que proposer mais plutôt énonce une nécessité, en elle-même, « d’aider les demandeurs ou les pensionnés en ce qui regarde l’application de la présente loi et la préparation de la demande » (paragraphe 81(3) de la LP). Le Tribunal est sous l’obligation d’être fidèle à son mandat de respecter cet énoncé et ne pas le considérer que comme un ajout cosmétique de relations publiques.

[25]           Face à cette ordonnance, le tribunal a examiné la question de la date à laquelle la pension devrait être payée à la lumière du droit et des faits. Dans sa décision, le tribunal se déclare incapable de faire mieux que la décision ultime déjà rendue. La pension peut être payée à compter du 30 octobre 2004, soit trois ans avant la date de la décision d’accorder une pension. Une compensation additionnelle de 24 mois est accordée en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi.

[26]           Essentiellement, le tribunal s’est soumis à la décision de cette Cour, pour conclure que, se conformant aux textes de loi par ailleurs clairs, il confirme la décision antérieure.

[18]           La déclaration d’action fait état du jugement du juge Roy mais il convient de préciser, ce qu’elle ne fait pas clairement, que le juge Roy a rejeté la demande de contrôle judiciaire des demandeurs à l’encontre de la décision du Tribunal qui faisait suite au jugement du juge Shore dans Arial 2011. Dans son jugement, le juge Roy prend d’abord acte de la concession des demandeurs, faite, selon lui, à bon droit, voulant que le Tribunal leur ait accordé les compensations maximales prévues à la Loi pour les manquements du Ministère à leur égard (Arial 2013, aux para 27-28).  Il rejette ensuite le moyen subsidiaire des demandeurs selon lequel le Tribunal aurait dû compenser davantage le défaut du Ministère de leur fournir aide et assistance en renvoyant l’affaire au ministre des Anciens combattants (le Ministre) pour qu’il exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est dévolu aux termes de l’article 85 de la Loi. Le juge Roy estime à cet égard que le renvoi de l’affaire au Ministre ne leur aurait été d’aucun secours puisque le ministre n’aurait pu, sans contrevenir à la Loi, leur accorder un dédommagement additionnel à celui qu’ils avaient déjà reçu. En cela, conclut-il, la décision du Tribunal de ne pas renvoyer le dossier au ministre était raisonnable (Arial 2013, aux paras 33-36).

[19]           Pour les mêmes raisons, il convient aussi de préciser que la Cour d’appel fédérale, dans Arial CAF, a rejeté l’appel des demandeurs à l’encontre du jugement du juge Roy, jugeant que le refus de ce dernier « d’ordonner que le dossier soit renvoyé au ministre est nécessairement raisonnable puisque, le cas échéant, les appelants n’auraient pu se voir octroyer aucun autre montant supplémentaire » (Arial CAF, au para 34).

[20]           Une fois cet historique compris, j’estime que l’essence du recours entrepris par les demandeurs en l’instance, qui, suivant le paragraphe 95 de la déclaration d’action, repose sur la responsabilité extracontractuelle de l’État et, subsidiairement, le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), peut se résumer comme l’a fait la Protonotaire Tabib dans son ordonnance du 25 avril 2016 :

[…] Monsieur Arial a présenté, pour la première fois, une demande de pension en vertu de la [Loi] en mars 1996. Éventuellement, après de multiples recours en révision, en appel et en contrôle judiciaire, le droit de monsieur Arial à sa pleine pension et à une allocation pour soin pour diverses affections fut reconnu, mais avec effet rétroactif seulement à des dates échelonnées entre juin 2000 et octobre 2002. Selon les demandeurs, n’eût été de la conduite fautive et illégale des défendeurs, le droit à la pleine pension et allocation de monsieur Arial aurait été reconnu rétroactivement à mars 1996, et Sonia Arial n’aurait pas eu à consacrer plus de 6000 heures et à encourir des frais, incluant des frais médicaux, pour aider son père dans ses démarches.

L’action réclame donc les « pertes » dues à ce défaut de rétroactivité complète pour monsieur Arial et son épouse et les frais, pertes salariales et frais médicaux encourus par Sonia Arial comme dommages pécuniaires, en plus de dommages non-pécuniaires et punitifs non chiffrés par les trois demandeurs.

[21]           À cet égard, il m’apparaît important de reproduire le paragraphe 94 de la déclaration d’action, lequel particularise ce que les demandeurs disent vouloir démontrer, advenant un procès, pour convaincre la Cour du bien-fondé de leurs réclamations:

94.       Selon la règle 181(1) des procédures des Cours fédéral (sic), les demandeurs vont démontrer à la Cour fédérale que :

a)         Le [Tribunal des Anciens combattants (révision et appel) (TACRA)] a changé mon témoignage à 2 reprises : mai 2006 et janvier 2007;

b)         Le [Ministère des Anciens combattants (MAC)] est informé de la situation injuste, 1re lettre adressée au Ministre en juillet 2007, une 2e lette en avril 2008 et finalement une 3e en juillet 2010, sans action de leur part, le déni total;

c)         Le MAC et le TACRA a (sic) modifié le libellé de la demande en rendant une décision pour le [Reflux gastro œsophagien (RGO)], alors qu’il devait rendre la décision pour l’ulcère duodénal incluant le RGO;

d)         Le TACRA a placé dans la bouche de mon avocat quelque chose qui (sic) n’a jamais dit ou qu’on avait discuté ensemble : « l’agent de pension doit obtenir/trouver le diagnostic »;

e)         Le TACRA, durant les procédures, par son manque d’action a obligé mon avocat, qui avait pris la cause PRO BONO, de leur envoyer une mise en demeure pour Outrage au Tribunal afin de le faire réagir. Pourtant il y avait une ordonnance sur consentement de la Cour fédérale de mme la juge Tremblay-Lamer intervenu (sic) entre l’avocat de la famille et celui du Ministère de la justice. Cela a pris 5 mois à se régler;

f)         Le MAC ou le TACRA ignore la description de tâches de l’agent de pension, le manuel de l’agent de pension, finalement, ils agissent tout ce qui est contraire à la Loi;

g)         Le TACRA ferme les yeux sur l’article 81(2), malgré qu’en 1976 « La Commission considérait qu’une demande n’était pas complète s’il n’existait pas de preuve de l’invalidité. Le Conseil n’était pas d’accord, et il a statué qu’une décision était obligatoire, peu importe qu’une invalidité existe ou non. » - Toute demande = une décision;

h)         Le TACRA ferme les yeux sur la lettre de Régis Gagnon de décembre 1999, une preuve accablante mentionnée par l’AC dès la 1re audience;

i)          Le TACRA considérait, ceci, à l’audience du 14 mai 2009 : « le Tribunal considère que cette demande a été jugée avec la célérité nécessaire et qu’aucun délai hors du contrôle de l’appelante n’a été encouru et que la rétroactivité pour cette affection a été accordée à la date de la demande ». Le juge Shore de la Cour fédérale en 2011 a contredit cette allégation;

j)          Le TACRA considérait dans sa décision du 24 juin 2008, qu’il n’avait : « Pas d’erreur de droit, ni de fait », cette décision a été renversée;

k)         Le TACRA m’empêche de m’adresser à eux à l’audience du 14 mai 2009, malgré la décision de l’arrêt Gagné en 2001, par la juge Tremblay-Lamer;

l)          Le TACRA, par cette action, m’oblige à prendre une série d’actions durant 4 mois pour obtenir les motifs de la décision;

m)        Les membres du TACRA abusent de leur immunité ainsi qu’à l’effet les Appelants ont le fardeau de preuve;

n)         Le TACRA refuse de reconnaître que les demandes ont été scindées en 2004.

o)         Les délais n’étaient pas respectées (sic), malgré de multiples demandes.

[22]           Force est de constater à la lecture de ce paragraphe de la déclaration d’action, et j’y reviendrai, que les reproches qui constituent le fondement de l’action des demandeurs sont presque tous adressés au Tribunal.

[23]           J’estime aussi important de reproduire le paragraphe 2 de la déclaration d’action, lequel synthétise bien, à mon avis, ce qui sous-tend la présente démarche des demandeurs et l’importance qu’a pour celle-ci le jugement rendu par le juge Shore dans Arial 2011 :

2.         Le 1er novembre 2011, après avoir ni contesté, ni obtempérer aux motifs du jugements et jugement (sic) de l’honorable juge Michel Shore, dossier T-250-11, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) en ses qualités de Tribunal administratif, a augmenté les dommages en livrant une décision défavorable avec des motifs différents dont les demandeurs ne sont pas d’accords, car ils sont sans fondement. Par la suite, les décisions des Cours fédérales ont été défavorables, alors, les demandeurs n’ont d’autres choix que de prendre les mesures qui s’imposent afin de pouvoir obtenir le remboursement des préjudices causés pour atteinte à leurs droits.

[24]           Enfin, il y a lieu de rappeler que M. Arial et son épouse, qui sont les premiers concernés par les décisions prises par les autorités chargées de l’application de la Loi en l’espèce, ne sont pas les seuls à réclamer compensation. Leur fille, Sonia, réclame également, pour elle, des dommages, lesquels, incidemment, représentent plus de 50 % (410 084.33 $) de ce qui est réclamé au total à la Défenderesse (802 217.72 $). Toutefois, comme nous le verrons, son lien de droit avec la Défenderesse n’est pas le même, tout comme, par conséquent, l’analyse juridique qui s’en suit quant à la recevabilité de sa réclamation.

III.             Analyse

[25]           À mon avis, l’action des demandeurs n’a pas plus de chance de succès à l’encontre de la Défenderesse qu’elle n’en avait à l’encontre du Tribunal et constitue tout autant, dans son libellé actuel, un abus de procédure. À cet égard, le paragraphe 35 du jugement du juge Roy, qui est la source de l’hésitation de la Protonotaire Tabib à réserver à la requête de la Défenderesse le même sort que celui qu’elle a réservé à la requête du Tribunal, n’y change rien et n’est, par conséquent, d’aucun secours aux demandeurs.

[26]           Je rappelle que ce paragraphe du jugement du juge Roy fait partie des motifs qui l’ont incité à rejeter l’argument des demandeurs voulant que le Tribunal aurait dû compenser davantage le défaut du Ministère de leur fournir aide et assistance en renvoyant l’affaire au Ministre afin que celui-ci exerce, à leur profit, la discrétion que lui confère l’article 85 de la Loi. Le juge Roy a jugé que cet argument ne leur était d’aucun secours puisque le Ministre ne pouvait, sans contrevenir à la Loi, leur accorder un dédommagement additionnel à celui qu’ils avaient déjà reçu. En d’autres termes, le juge Roy a estimé, et la Cour d’appel fédérale lui a donné raison dans Arial CAF, que les demandeurs ne pouvaient espérer recevoir davantage du régime d’indemnisation établi par la Loi que ce qui leur avait déjà été versé. C’est ce qui fait dire à la Cour d’appel fédérale que le jugement du juge Shore, qui a donné lieu à la décision du Tribunal dont le juge Roy a été saisi du contrôle judiciaire, avait, malheureusement, « créé de faux espoirs » (Arial CAF, au para 35).

[27]           C’est ce qui a aussi fait dire au juge Roy, à la toute fin du paragraphe 35 de son jugement, ce qui, de toute évidence, semble ultimement avoir incité la Protonotaire Tabib à fixer la tenue d’une audience en l’instance, à savoir que la faute reprochée aux autorités chargées de l’application de la Loi était, de deux choses l’une, ou bien « de l’ordre de ce qui est décrit au paragraphe 56(2) », auquel cas « la Loi établit son propre remède », ou bien « d’un autre ordre », auquel cas « nous sommes alors en matière de responsabilité civile où le tribunal n’a aucune juridiction ».

[28]           J’interprète ce passage du jugement du juge Roy comme voulant dire que dans la mesure où les demandeurs souhaitent obtenir un dédommagement additionnel à celui qui leur a déjà été reconnu aux termes de la Loi, y compris pour défaut d’aide et d’assistance, le droit à un tel dédommagement devra trouver ancrage non pas dans la Loi, mais dans un régime juridique autre, en l’occurrence le régime de responsabilité civile de l’État. Toutefois, le juge Roy ne s’est pas prononcé sur les conditions de recevabilité d’un tel recours, et encore moins sur la recevabilité effective d’une éventuelle réclamation des demandeurs fondée sur la Loi sur la responsabilité de l’État et le contentieux administratif, LRC (1985), ch. C-50 (LRE), particulièrement en lien avec l’article 9 de cette loi, puisqu’il n’avait pas à le faire et qu’il n’était, à tout événement, pas en position de le faire. En effet, tel n’était pas son rôle dans le cadre du contrôle judiciaire dont il était saisi et il ne lui appartenait pas non plus, à ce titre, de spéculer sur la façon dont serait articulée une éventuelle réclamation de ce type de la part des demandeurs.

[29]           Or, l’article 9 de la LER constitue, à mon avis, une fin de non-recevoir à l’action des demandeurs, tel que ces derniers l’ont articulée. Cette disposition se lit comme suit :

Incompatibilité entre recours et droit à une pension ou indemnité

No proceedings lie where pension payable

9 Ni l’État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte — notamment décès, blessure ou dommage — ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l’État

9 No proceedings lie against the Crown or a servant of the Crown in respect of a claim if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

[30]           Il est bien établi que cette disposition vise à prévenir la double indemnisation de dommages liés à un même évènement donnant ouverture au paiement d’une pension ou d’une indemnité sur le Trésor et qu’elle s’applique à tous les dommages découlant de cet évènement, et ce, même si le chef de dommage réclamé aux termes de l’action en justice « ne correspond pas à celui qui a apparemment été indemnisé par la pension » (Sarvanis c Canada, 2002 SCC 28 aux para 28-29, [2002] 1 RCS 921[Sarvanis]). Il en est ainsi de manière à « éviter que l’État ne soit tenu responsable, sous des chefs accessoires de dommages et intérêts, de l’événement pour lequel une indemnité a déjà été versée » (Sarvanis, au para 29).

[31]           Il est aussi bien établi que l’article 9 de la LRE s’applique dans un contexte comme celui‑ci où une pension ou une indemnité a été payée - ou est payable - en vertu de la Loi. Dans Dumont c Canada, 2003 CAF 475 [Dumont], la Cour d’appel fédérale radiait, sur le fondement, notamment, de l’article 9 de la LRE, les réclamations de deux membres des Forces canadiennes qui imputaient à celles-ci la responsabilité de dommages associés au syndrome de stress post‑traumatique dont ils se disaient affligés en raison d’événements consécutifs ou rattachés à leur service militaire.

[32]           Dans cette affaire, les demandeurs faisaient grand état, dans leur déclaration d’action respective, de l’incompétence dont avaient fait preuve à leur égard les employés, préposés ou mandataires des Forces canadiennes, de leur négligence à s’acquitter de toutes leurs obligations légales, de l’abus d’autorité dont ils avaient fait preuve, de même que du manquement des Forces canadiennes à son obligation fiduciaire et à l’article 7 de la Charte (Dumont, au para 39). Chacun se disait souffrir de dépression majeure, de détresse interne, d’une perturbation sérieuse de leurs relations interpersonnelles, d’un important sentiment d’agressivité entrainant de sérieux symptômes d’irritabilité, de stress post-traumatique entrainant un important problème au niveau familial, d’une grande difficulté à vivre en société et à se retrouver dans des milieux urbains, d’intolérance au stress, de symptômes d’hyperactivation, de démoralisation croissante et de troubles de concentration (Dumont, aux para 28-29). Tous deux avaient été partiellement indemnisés aux termes de la Loi, dans un cas pour dépression majeure, dans l’autre pour syndrome post-traumatique.

[33]           La Cour d’appel fédérale a jugé que ces réclamations « étaient interdites en vertu de l’article 9 de la Loi parce que toute perte ou dommage réclamé ouvre droit à une pension » et qu’elles devaient en conséquence être radiées « parce qu’il est ‘évident et manifeste au-delà de tout doute raisonnable’ qu’elles n’ont aucune chance de succès » (Dumont, au para 73).

[34]           Dans Sherbanowski c Canada, 2011 ONSC 177 [Sherbanowski], le même sort a été réservé par la Cour supérieure de l’Ontario à une poursuite entamée aux termes de la LRE par un ancien membre des Forces canadiennes qui cherchait à recouvrer pertes et dommages résultant de son service militaire. Le demandeur se disait avoir été victime de diverses formes d’abus et de harcèlement lors de son service militaire, y compris après qu’il eut fait une demande d’indemnisation aux termes de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, LC 2005, ch. 21 (Loi sur l’indemnisation des vétérans). Il reprochait aussi aux Forces canadiennes de lui avoir refusé sa demande initiale de pension et de ne pas avoir mis en place des politiques et procédures adéquates en matière d’abus et de harcèlement. Enfin, il leur réclamait non seulement des dommages généraux mais aussi des dommages pour perte des revenus passés et futurs, non compensables en vertu de la Loi sur l’indemnisation des vétérans, de même que des dommages exemplaires (Sherbanowski, aux para 40, 41 et 46).

[35]           La Cour supérieure de l’Ontario a jugé que l’action du demandeur était irrecevable du fait de l’article 9 de la LRE au motif que ladite action s’articulait à partir du même fondement factuel que la demande d’indemnité formulée aux termes de la Loi sur l’indemnisation des vétérans. Elle a ajouté que le fait que le demandeur réclamait aussi des dommages au titre de bris de contrat, fausses représentations, violations de l’obligation fiduciaire et contravention à la Charte, n’y changeait rien. Elle s’est exprimée comme suit à ce sujet :

[TRADUCTION]

[43]           Les pertes alléguées par M. Sherbanowski en l’espèce relativement aux demandes fondées sur les événements, et les pertes pour lesquelles des prestations d’invalidité lui ont été accordées et pour lesquelles il a reçu ou est en droit de recevoir un paiement, sont parfaitement identiques. Le fondement factuel qui sous-tend les demandes en dommages-intérêts de M. Sherbanowski en l’espèce est le même que celui sur lequel reposait ses demandes d’indemnité d’invalidité au titre de l’article 45 de la Loi sur les mesures d’indemnisation : le harcèlement et l’abus dont il aurait été victime avant son déploiement en Bosnie; son exposition éventuelle à l’uranium en Bosnie; et le harcèlement et l’abus dont il aurait été victime après son retour de Bosnie, y compris les difficultés qu’il prétend avoir eues à obtenir des soins médicaux. La déclaration de M. Sherbanowski reprend essentiellement les événements qu’il a décrits dans le document de 16 pages annexé à sa demande de prestations pour TSPT.

[44]           Bien que M. Sherbanowski soulève, en plus de ses demandes fondées sur la négligence, des causes d’action fondées sur le manquement à une obligation fiduciaire, la violation de contrat, les fausses déclarations et la violation de ses droits garantis par la Charte, elles sont toutes consécutives ou rattachées directement à son service dans les Forces canadiennes et elles visent à obtenir une indemnité pour des invalidités ou des blessures causées par une blessure ou une maladie liée au service : Loi sur les mesures d’indemnisation, par. 2(1) et 45(1). Ces demandes additionnelles sont visées par l’article 9 de la LRCECA, parce que toute perte ou dommage réclamé ouvre droit au paiement d’une pension ou d’une indemnité: Dumont c. Sa Majesté la Reine, 2003 CAF 475, au paragraphe 73.

[45]      M. Sherbanowski n’a soulevé aucune cause d’action reconnue relativement au refus initial de ses demandes par [Anciens Combattants Canada]. Le régime législatif applicable conférait à M. Sherbanowski le droit d’interjeter appel devant le Tribunal, un droit dont il s’est prévalu, et il a obtenu gain de cause dans ses appels.

[36]           Récemment, dans l’affaire Hardy (Succession) c Canada (Procureur général), 2015 CF 1151 [Succession Hardy], le Protonotaire Kevin R. Aalto a radié le recours de la succession d’un ancien combattant (la Succession) fondé sur la LRE sur la base, notamment, de l’article 9 de cette loi. Cette affaire présente d’ailleurs des similitudes importantes avec le présent dossier. En effet, l’ancien combattant [M. Hardy], blessé grièvement lors d’un entrainement militaire en 1943, avait entrepris des démarches dès l’année suivante en vue de se faire indemniser en vertu de la Loi. Ces démarches se sont avérées infructueuses en raison, soutenait la Succession, de l’omission des fonctionnaires du Ministère de l’aider à remplir le bonne demande de pension. En 1975, M. Hardy produisait une nouvelle demande de pension, laquelle n’a pas été traitée et pour laquelle il n’a reçu, encore une fois, aucune assistance du Ministère. Ce n’est qu’en 1997, au terme d’une quatrième tentative, qu’une pension a été octroyée à M. Hardy. Celui-ci est décédé deux ans plus tard (Succession Hardy, aux para 3 à 9).

[37]           En 2010, la Succession a interjeté appel du volet de cette décision portant sur la rétroactivité de la pension. La succession prétendait que la pension aurait dû être versée à compter de la date de la première demande de pension en 1944 ou subsidiairement, à la date de la demande produite en 1975. Le Tribunal a ultimement reconnu que la demande de pension produite par M. Hardy en 1975 était en règle et bien fondée et que l’omission du Ministère de répondre à ladite demande était imputable à des difficultés administratives au sein du Ministère indépendante de la volonté de M. Hardy, faisant en sorte que, conformément au paragraphe 39(1) de la Loi, M. Hardy aurait été en droit de bénéficier de la période de rétroactivité maximale prévue à cette disposition, soit trois (3) ans à compter de la date de l’octroi de la pension (Succession Hardy, aux para 10-11).

[38]           La liste des mesures de redressement recherchées par la Succession était imposante. Il est utile de la reproduire puisqu’elle recoupe en grande partie celle des demandeurs dans le présent dossier. Le Protonotaire Aalto en a fait la nomenclature suivante :

[14]           Par leur déclaration, les demandeurs visent à obtenir une série de mesures de redressement :

a)         une déclaration portant que le défendeur avait une obligation de diligence envers l’ancien combattant et qu’il ne s’est pas acquitté de cette obligation, ce qui a causé directement ou indirectement à l’ancien combattant et aux demandeurs des souffrances physiques et psychologiques, des pertes de revenus et de l’humiliation;

b)         le défendeur a porté atteinte aux droits que les demandeurs tirent de l’article 7 de la Charte;

c)         des dommages‑intérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte;

d)         une déclaration portant que la capacité limitée du Ministère de corriger des erreurs ou des omissions en raison de l’article 39 de la Loi sur les pensions viole l’article 7 de la Charte et que cette disposition est donc inopérante;

e)         une reddition de compte au sujet du manque à gagner au titre des paiements de prestations de pension à l’ancien combattant rétroactivement à 1994 et la restitution des prestations injustement refusées de 1943 à 1994;

f)         des dommages‑intérêts pour négligence, y compris des dommages‑intérêts pour souffrance et détresse mentales;

g)         la perte d’emploi;

h)         la capacité d’emploi réduite;

i)          les prestations de pension sous-payées;

j)          des dommages‑intérêts pour faute [dans l’exercice d’une charge publique];

k)         des dommages‑intérêts résultant de la responsabilité du fait d’autrui pour avoir omis d’entraîner ou de superviser adéquatement les officiers et le personnel médicaux;

l)          des dommages‑intérêts généraux;

m)        des dommages‑intérêts majorés;

n)         les dépens.

[39]           Le Protonotaire Aalto a jugé que l’article 9 de la LRE opposait une fin de non-recevoir à la réclamation de la Succession puisqu’à son avis, ladite réclamation découlait du fait que la conduite du Ministère et du Tribunal aurait empêché qu’une pension adéquate, tant quant au montant qu’à sa portée dans le temps, soit versée à M. Hardy et son épouse et qu’il s’agissait dès lors « d’une action ‘ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité […] sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l’État’, notamment pour une blessure » (Succession Hardy, au para 66).

[40]           En l’espèce, il ne fait aucun doute que les réclamations de M. Arial et de son épouse se heurtent à l’article 9 de la LRE. Leur fille Sonia réclame, en leur nom, des dommages pécuniaires (245 117,56$ dans le cas de M. Arial, et 47 015,83$ dans celui de son épouse), des dommages punitifs, dont le montant est laissé à la discrétion de la Cour, et des dommages non‑pécuniaires, dont le montant est aussi laissé à la discrétion de la Cour, pour atteinte à l’honneur et à la dignité humaine dans les deux cas et pour « perte de faire des choix », dans le cas de M. Arial, et « surcharge de responsabilité » dans celui de Mme Arial.

[41]           Comme c’était le cas dans l’affaire Succession Hardy, les réclamations de M. Arial et de son épouse sont toutes deux consécutives au fait que n’eut été des fautes reprochées au Ministère et au Tribunal, des indemnités adéquates, c’est-à-dire rétroactives à mars 1996, date la première demande de pension de M. Arial, leur auraient été versées aux termes de la Loi. Je rappelle que suivant le paragraphe 2 de la déclaration d’action des demandeurs, que j’ai reproduit au paragraphe 23 des présents motifs, le présent recours a été initié après que les demandeurs aient échoué, devant cette Cour et la Cour d’appel fédérale, à faire renverser la décision du Tribunal qui faisait suite au jugement du juge Shore dans Arial 2011 parce que le Tribunal aurait fait défaut, selon eux, d’obtempérer audit jugement. Les demandeurs estiment n’avoir eu d’autre choix, à partir de ce moment, que de « prendre les mesures qui s’imposent afin de pouvoir obtenir le remboursement des préjudices causés pour atteinte à leur droit ».

[42]           On ne peut que constater la concordance entre l’événement pour lequel des indemnités ont été versées à M. Arial et son épouse en vertu de la Loi et celui qui sert de fondement au présent recours en responsabilité civile, soit une perte ou un dommage ouvrant droit au paiement d’une pension ou indemnité sur le Trésor – ici les pertes et dommages subis par M. Arial pendant son service militaire–, laquelle pension ou indemnité prévoit le versement d’une compensation supplémentaire lorsque le traitement d’une demande de pension est affectée par des retards ou des difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur de pension. Ici, je le rappelle, les demandeurs se sont ultimement vus reconnaître le droit au versement de la compensation maximale (Arial CAF, au para 35).

[43]           Cette concordance n’a pas échappé à la Protonotaire Tabib, qui, comme on l’a vu, a jugé que l’action des demandeurs constituait un abus de procédure dans la mesure où les demandeurs y cherchaient à recouvrer, pour essentiellement les mêmes raisons, les mêmes sommes et montants qu’ils avaient tenté, en vain, de recouvrer via le processus administratif prévu par la Loi. Ce constat est tout aussi pertinent aux fins de la requête en radiation de la Défenderesse qu’elle ne l’était pour la requête du Tribunal. Là où la Protonotaire Tabib a vu, avec raison à mon avis, un abus de procédure, tel que défini dans l’arrêt Figliola, précité, il faut y voir aussi, à la lumière de ce qui précède, une fin de non-recevoir aux termes de l’article 9 de la LRE, quel que soit la nature des chefs de dommages réclamés par les demandeurs en l’instance et ce, même si ces chefs de dommage ne correspondent pas à ceux qui ont été indemnisés par la pension (Sarvanis, au para 29).

[44]           Il importe de rappeler ici que la très vaste majorité des reproches adressés par les demandeurs aux autorités chargées de l’application de la Loi le sont au Tribunal, tel qu’en fait foi le paragraphe 94 de leur déclaration d’action. Les demandeurs semblent lui faire reproche, alors qu’il en avait les pouvoirs et le devoir, de ne pas avoir corrigé, comme ils le souhaitaient, l’erreur « originelle » commise en 1996 par les fonctionnaires du Ministère et d’avoir fait défaut, ce faisant, de se conformer au jugement rendu par le juge Shore dans Arial 2011. L’action des demandeurs, dans la mesure où elle est dirigée contre le Tribunal, a été jugée, je le rappelle aussi, irrecevable par la Protonotaire Tabib.

[45]           Au-delà de cette faute « originelle », les seuls reproches adressés au Ministère se résument donc (i) à n’avoir rien fait après avoir été informé en trois occasions que le Tribunal avait, à deux reprises, changé le témoignage de Sonia; (ii) à avoir modifié, de concert avec le Tribunal, le libellé de la demande de pension pour l’ulcère duodénal, laquelle incluait le problème de reflux gastro œsophagien (RGO), en rendant une décision sur le RGO seulement ; (iii) à avoir ignoré la description de tâches et le manuel des agents de pension, agissant ainsi en contravention de la Loi; et (iv) à ne pas avoir respecté les délais malgré de multiples demandes (Voir déclaration d’action, paras 94(a), (b), (c), (f) et (o)).

[46]           Encore une fois, ces manquements sont liés à la question du caractère adéquat des indemnités versées aux demandeurs aux termes de la Loi. La plupart, sinon tous, ont fait – ou auraient pu faire – l’objet d’un recours en vertu de la Loi. En ce sens, ils ne peuvent être dissociés « de l’événement pour lequel une indemnité a déjà été versée » (Sarvanis, au para 29). En raison de l’article 9 de la LRE, ils ne peuvent donc fonder un recours en responsabilité civile contre la Défenderesse.

[47]            Ayant conclu que les réclamations de M. Arial et son épouse se heurtent à l’article 9 de la LRE, il me reste à traiter de la réclamation de leur fille, Sonia, laquelle réclamation est essentiellement liée à sa fonction de représentation de ses parents. Comme je l’ai déjà indiqué, cette réclamation (410 084,33$) totalise plus de la moitié des dommages réclamés aux termes de l’action. Elle comprend un montant 300 000,00$ pour les heures travaillées à la défense du dossier et une somme de 100 000,00$ pour « perte de salaire, congé et maladie au profit du dossier ». Le reliquat concerne divers déboursés (frais de Cour, photocopies, consultation juridique, frais médicaux, médicaments, etc.) liés à la défense du dossier.

[48]           La Défenderesse soutient que les dommages réclamés par Sonia sont accessoires à l’évènement pour lequel une pension a été versée et qu’en conséquence, ils tombent aussi sous le régime de l’article 9 de la LRE. Elle soutient également qu’il s’agit là de sommes qui sont de la nature de dépens, au sens de la règle 400 des Règles, et qu’il appartenait à M. Arial et son épouse de réclamer, dans les limites permises par les Règles, dans le cadre des divers recours qu’ils ont initiés pour faire valoir leurs droits aux termes de la Loi.

[49]           Je suis d’accord pour dire que la réclamation de Sonia est accessoire à l’évènement pour lequel une pension a été versée en l’instance à M. Arial et que pour l’essentiel, elle est effectivement de la nature de dépens, ce qui milite en faveur de son irrecevabilité. Toutefois, il me semble que ladite réclamation est irrecevable à un autre titre. Comme je l’ai déjà dit, Sonia cherche, à toutes fins utiles, à se faire dédommager pour ses efforts de représentation, lesquels, il faut le souligner, ont été considérables. Son dévouement et sa ténacité ont été exemplaires. Elle a défendu les intérêts de ses parents bec et ongles dans un dossier où les embuches ont été nombreuses et, dans certains cas, évitables. La Cour ne peut que saluer cet effort de tous les instants.

[50]           Cependant, cela suffit-il pour générer, en faveur de Sonia, qui a agi essentiellement à titre de mandataire de ses parents, mandat qu’il faut présumer être à titre gratuit par surcroît, suivant ce que prévoit l’article 2133 du Code civil du Québec, un droit d’action contre la Défenderesse? Je ne le crois pas. En effet, à partir du moment où elle a la pris la relève de ses parents en 1999 dans leurs démarches auprès des autorités chargées de l’application de la Loi, Sonia a agi en leur nom. En ce sens, elle n’a développé aucun lien de droit avec la Défenderesse en ce qui a trait à la mise en œuvre de la Loi. C’est donc essentiellement pour – et au nom - de ses parents qu’elle a investi les quelques 6000 heures qu’elle allègue avoir consacrées au dossier. Ses rapports avec la Défenderesse se sont toujours inscrits dans le cadre de son mandat de représentation. À aucun moment, Sonia n’a traité avec la Défenderesse en son nom personnel.

[51]           Or, pour que s’établisse un lien de droit entre Sonia et la Défenderesse aux termes de la LRE, au moins trois éléments doivent être présent : une faute, un dommage et un lien de causalité entre la faute et le dommage, (Jean-Louis Baudouin et, Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 8e éd, vol 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, à la p. 115 [Baudouin et Deslauriers]). Par ailleurs, pour qu’il y ait lien de causalité, le dommage doit être « direct », c’est-à-dire qu’il doit avoir été la conséquence logique, directe et immédiate de la faute. Ce principe révèle la volonté des tribunaux québécois, puisque c’est le droit civil qui agit ici à titre de droit supplétif suivant ce que prévoit l’article 3 de la LRE, de « ne retenir comme cause que le ou les événements ayant un rapport logique et intellectuel étroit avec le préjudice dont se plaint la victime » et d’ainsi exclure du champ de la causalité le préjudice « indirect » ou « par ricochet », c’est-à-dire le « dommage issu du dommage », soit celui « qui puise sa source immédiate non dans la faute elle-même, mais dans un autre préjudice déjà causé par la faute » (Baudouin et Deslauriers, au pp. 720-721).  

[52]           En l’espèce, il ne fait aucun doute, à mon avis, que le préjudice dont Sonia s’estime victime puise sa source dans celui causé à ses parents par les actions posées à leur égard par la Défenderesse, et non dans les actions elles-mêmes. D’ailleurs, on voit mal, à titre d’exemple, comment un avocat pourrait, dans un dossier qui s’est avéré plus difficile et laborieux que prévu en raison du comportement de la partie adverse, poursuivre celle-ci pour se faire payer ses honoraires et recouvrer les dommages qu’il estime avoir subi du fait de la réalisation de ce mandat. Ce droit appartient plutôt au client lui-même, s’il réussit à démontrer que la partie adverse s’est conduite de façon condamnable dans l’exercice de son droit d’ester en justice (Hinse c Canada (Procureur général), 2015 CSC 35 au para 170). Il s’agit alors d’un dommage subit par le client, et non par l’avocat, son mandataire.

[53]           Tel que libellé actuellement, la réclamation de Sonia ne tient qu’à sa fonction de représentation, et rien d’autre, et ne vise que le « dommage issu du dommage », faisant en sorte qu’elle n’a, sur cette base également, aucune chance de succès.

[54]           Le fait que la réclamation de Sonia, et celles de ses parents, reposent, subsidiairement, sur l’article 24(1) de la Charte sauve-t-il la mise? La réponse est non, comme nous l’avons vu dans les affaires Dumont, Sherbanowski et Succession Hardy. L’article 9 de la LRE vise en effet tous les dommages liés à l’événement pour lequel une indemnité a déjà été versée ou pouvait l’être (Sarvanis, au para 29). Au surplus, les demandeurs n’allèguent pas en quoi, ni même sur la base de quelle(s) disposition(s), la responsabilité de la Défenderesse en regard de la Charte serait engagée en l’espèce. La déclaration d’action est totalement muette à cet égard. Or, en soi, cela constitue une fin de non-recevoir à ce moyen subsidiaire. Comme la Cour d’appel fédérale le rappelait encore récemment dans l’affaire Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien-être Social), 2015 CAF 227 [Mancuso], un demandeur doit, sous peine que son acte de procédure soit radié, « énoncer, avec concision, mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé ». En ce sens, l’acte de procédure doit être suffisamment précis pour « indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée » (Mancuso, au para 19).

[55]           Cette exigence, consacrée par la règle 174 des Règles, vaut tout autant dans les affaires relatives à la Charte. Elle est impérative (Mancuso, aux paras 20-21). Elle fait toutefois défaut en l’espèce.

[56]           Comme tous mes collègues avant moi, j’éprouve de la sympathie pour les demandeurs et le présent jugement n’atténuera sans doute pas leur niveau de contrariété. Toutefois, mon rôle est d’apprécier la situation en fonction du droit. Ici, il fait échec, à mon avis, la réclamation des demandeurs.

[57]           Il se peut que la Loi ne soit pas assez généreuse quand vient le temps d’indemniser un ancien combattant dont le dossier accuse des retards importants et répétés pour des raisons hors de sa volonté. Toutefois, comme l’a noté la juge Gauthier, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Cadotte c Canada (Anciens combattants), 2003 CF 1195 au para 22, il importe de rappeler que, malgré ses limites, « le système de pension pour les vétérans prévu à la Loi, est un régime très avantageux ». Il convient aussi de rappeler, question de remettre le tout en perspective, ce qui sous-tend les limites à la rétroactivité du paiement des pensions et indemnités attribuées aux termes de la Loi. À cette fin, je me permets de citer ce que la Cour en a dit dans l’affaire Leclerc c Canada (Procureur Général), [1998] ACF no 153, 150 FTR 1:

[18]      Autant les dispositions de la loi doivent être interprétées de façon à maximiser les paiements au profit des bénéficiaires, autant l'article 39(1) est clair quant à ses effets dans le contexte du présent litige. En effet, la raison d'être de cet article est de limiter à une période maximale de trois ans l'effet rétroactif de l'octroi de toute pension. La seule exception à cette limite est celle prévue à l'article 39(2) qui permet au Tribunal d'accorder une compensation supplémentaire dont le montant ne peut dépasser la valeur annuelle cumulative de deux années de pension.

[19]      La limite ainsi imposée au paiement rétroactif des pensions est rendue nécessaire par le régime législatif mis en place pour le bénéfice des pensionnés. En effet, le régime fait en sorte qu'une pension, une fois accordée, est toujours révisable et que lors de ces révisions le Tribunal peut tenir compte de toute nouvelle preuve et modifier ses conclusions antérieures de fait ou de droit dans la mesure où il les considère erronées. C'est dans le but de maximiser le bénéfice issu des pensions, et aussi en reconnaissance du fait que les affections physiques sont évolutives, que le législateur a institué un régime qui permet aux bénéficiaires de faire valoir, à tout moment, et aussi souvent que nécessaire tout fait nouveau ou tout argument de droit susceptible d'affecter le montant de la pension qui leur est payée. Dans la perspective du payeur cependant, ceci fait en sorte que le fardeau financier relié au régime des pensions n'est jamais arrêté et c'est dans ce contexte que le législateur, par le biais de l'article 39(1), a cru bon de limiter dans le temps l'effet rétroactif de l'octroi de toute pension.

[Notes de bas de page omises]

[58]           Encore une fois, d’aucuns pourraient prétendre que le régime institué par la Loi n’est pas assez généreux pour des gens qui, comme M. Arial, ont dû faire face à tant de difficultés – eux qui ont fait les sacrifices ultimes pour leur pays – afin d’obtenir ce à quoi ils avaient ultimement droit aux termes de la Loi. Toutefois, c’est au législateur, et non à la Cour, à rectifier la situation, si tant est qu’il juge qu’il y a matière à le faire.

[59]           La requête de la Défenderesse sera donc accueillie et l’action des demandeurs, dans la mesure où elle est dirigée contre la Défenderesse, radiée. Tout comme la Protonotaire Tabib, j’estime que l’action doit être radiée sans possibilité d’amendements puisqu’elle comporte des vices qui ne peuvent être remédiés par amendements.

[60]           La Défenderesse ne réclamait les dépens qu’en cas de contestation de sa requête. Techniquement, elle aurait donc droit aux dépens puisque sa requête a été contestée, puis accueillie. Toutefois, exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m’est dévolu aux termes de la règle 400 des Règles, j’estime que la présente affaire ne se prête pas à une condamnation aux dépens à l’encontre des demandeurs.

[61]           Chaque partie paiera donc ses frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La requête est accueillie;
  2. L’action des demandeurs, dans la mesure où elle est dirigée contre « Sa Majesté la Reine du Chef du Canada au nom du Ministère des Anciens Combattants » est radiée sans possibilité d’amendements;
  3. Le tout, sans frais.

« René LeBlanc »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1505-15

 

INTITULÉ :

MAURICE ARIAL (ANCIEN COMBATTANT – DÉCÉDÉ), MADELEINE ARIAL (SUCCESSION), MADELEINE ARIAL (À TITRE PERSONNEL), SONIA ARIAL c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA AU NOM DU MINISTÈRE DES ANCIENS COMBATTANTS ET DU TRIBUNAL DES ANCIENS COMBATTANTS (RÉVISION ET APPEL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 novembre 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Mme Sonia Arial

 

Pour les demandeurs

 

Me Marieke Élodie Bouchard

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Québec (Québec)

Pour les défendeurs

 

 

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