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Date : 20170314


Dossier : IMM-2695-16

Référence : 2017 CF 275

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

EMAN MAJALI,

ABDELAZEZ MJALLI ET RIDA ALLAH MAJDI AHMED MJALLI REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTRICE À L’INSTANCE, EMAN MAJALI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent principal de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent) datée du 29 avril  2016, par laquelle a été rejetée la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) des demandeurs.

Contexte

[2]  Les demandeurs sont une femme âgée de 50 ans (la demanderesse principale) et ses deux enfants mineurs, âgés de 13 ans et de 17 ans, qui sont des Palestiniens apatrides de la Cisjordanie.

[3]  La demanderesse principale allègue que son mari est un enseignant et un musulman modéré qui croit en une solution pacifique au conflit entre la Palestine et Israël et entre les différentes factions palestiniennes. À ce titre, il ne croit pas à la violence et il transmet ce message à ses élèves. Le Hamas n’aime pas sa façon de penser et a tenté de recruter le mari de la demanderesse principale pour qu’il prône son idéologie. Il a refusé, ce qui a eu pour résultat que la famille est devenue une cible du Hamas. Le Hamas a ensuite accusé le mari de la demanderesse principale de collaborer avec Israël, ce qui justifiait sa mise à mort, et la famille a été menacée à de nombreuses reprises par des militants du Hamas. En 2008, le mari de la demanderesse principale a reçu une balle dans une jambe tirée à titre d’avertissement par les militants du Hamas qui l’ont menacé de mort s’il refusait de collaborer avec eux. En 2012, un de leurs fils, Oday, s’est fait battre par des gens du Hamas et il a dû subir une chirurgie à l’œil. En 2014, le mari de la demanderesse principale a été approché par deux personnes masquées qui l’ont accusé d’être un collaborateur et ils lui ont lancé du matériel combustible sur le cou. Son mari est parti vivre caché, et personne ne sait où il se trouve. Les hommes du Hamas se sont rendus à leur maison, à la recherche du mari de la demanderesse principale, ils l’ont menacée, elle et ses enfants, de violence et d’agression sexuelle si le mari ne se rendait pas. La demanderesse principale soutient qu’elle a décidé de fuir parce qu’elle avait peur que les militants du Hamas la blessent ou la tuent, elle et sa famille.

[4]  La demanderesse principale et deux de ses fils ont obtenu des visas pour les États-Unis et y sont arrivés le 20 août 2014. Le 21 août 2014, les demandeurs ont présenté une demande d’asile au Canada. Cependant, leur demande a été considérée irrecevable en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, et une mesure de renvoi a été prononcée parce que, à l’époque, le frère de la demanderesse principale, qui est un résident permanent au Canada, se trouvait brièvement à l’extérieur du pays (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), alinéa 101(1)e); Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), sous-alinéa 159.5b)(ii)).

[5]  La mesure de renvoi énonçait qu’ils ne pouvaient pas revenir au Canada pendant 12 mois et, croyant qu’ils pouvaient revenir après ce délai et présenter une nouvelle demande d’asile, les demandeurs ont tenté de le faire le 17 septembre 2015. Toutefois, puisque leur demande d’asile précédente avait été jugée irrecevable, ils n’ont pas eu l’autorisation de présenter une deuxième demande d’asile (LIPR, alinéa 101(1)c)). On leur a permis de rester au Canada pour faire une demande d’ERAR.

Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  L’agent a énuméré les documents présentés à l’appui de la demande d’ERAR, mais il a noté l’absence d’importants éléments de preuve documentaire. Plus précisément, la demanderesse principale n’a produit aucun document pour démontrer que son mari était enseignant, qu’il avait été menacé par le Hamas, qu’il vivait caché et que la famille avait constamment été victime d’actes de harcèlement de plus en plus violents par le Hamas entre 2008 et 2014.

[7]  L’agent a examiné le rapport médical d’un chirurgien orthopédiste fourni par la principale demanderesse sur la blessure par balle de son mari en 2008 qui, selon ce que soutient la demanderesse principale, a été infligée par le Hamas; un rapport médical d’un ophtalmologue sur la blessure à l’œil de son fils qui, selon ce que soutient la demanderesse principale, était le résultat d’une altercation avec le Hamas; et, un troisième rapport médical qui, selon la demanderesse principale, avait trait à une attaque dont son mari a été victime et qui lui a causé des brûlures. Ces documents avaient très peu de valeur probante pour étayer les allégations de risque des demandeurs et l’agent leur a accordé peu d’importance.

[8]  L’agent a également déclaré que l’affidavit de la demanderesse principale contenait peu de détails, par exemple, les dates des voies de fait et des menaces, la date de la disparition de son mari; si elle ou d’autres membres de sa famille sont en contact avec son mari; et de quelle façon et pour quelle raison les certificats médicaux ont été obtenus. La mère de la demanderesse principale, sa sœur, ses deux frères, un de ses fils et ses trois filles habitent toujours tous en Cisjordanie et bien qu’elle soutienne qu’ils vivent cachés, la demanderesse principale n’a pas fourni d’autres renseignements à cet égard.

[9]  De plus, le plus récent rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié indique que même les familles de collaborateurs israéliens reconnus ne sont pas systématiquement ciblées par le Hamas. L’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas produit suffisamment d’éléments de preuve afin de se délester de leur fardeau de preuve et qu’il ne s’agissait pas d’une question de crédibilité; il s’agissait plutôt d’un manque d’éléments de preuve objectifs suffisants pour établir l’allégation de risque selon la prépondérance des probabilités.

[10]  Quant à l’allégation de risque voulant que les demandeurs mineurs soient recrutés de force par le Hamas, l’agent a conclu que des sources indépendantes crédibles suggéraient qu’il y avait très peu de signalements de recrutement forcé et que les demandeurs mineurs n’avaient pas indiqué avoir subi des pressions pour se joindre au Hamas, et il n’y avait non plus aucune indication que d’autres membres de la famille avaient subi des pressions ou avaient été forcés à se joindre au Hamas. L’agent n’a pas été pas en mesure de conclure que les demandeurs mineurs seraient exposés à un risque à leur retour en Cisjordanie. Dans la même veine, les renseignements dont disposait l’agent ne démontraient pas que les jeunes hommes palestiniens étaient systématiquement ciblés ou maltraités par l’armée israélienne ou les colons israéliens en Cisjordanie.

[11]  Finalement, l’agent a conclu que les éléments de preuve documentaire confirmaient que la situation générale dans le pays était loin d’être parfaite, mais qu’elle s’appliquait à tous les résidents et qu’elle n’était pas propre aux demandeurs. La preuve était insuffisante pour conclure que les demandeurs seraient ciblés.

Questions en litige et norme de contrôle

[12]  Je suis d’accord avec la description des questions en litige comme formulée par les demandeurs ci-après :

  1. Y a-t-il eu atteinte au droit des demandeurs à l’équité procédurale en leur refusant une audience?

  2. Les conclusions de l’agent étaient-elles erronées et déraisonnables, plus précisément les conclusions touchant les rapports médicaux?

[13]  Les demandeurs soutiennent que les conclusions de fait ou mixtes de fait et de droit de l’agent dans le contexte d’une demande d’ERAR sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et que les erreurs de droit ou les manquements au principe de l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Bien que la jurisprudence soit mitigée en ce qui concerne la norme de contrôle applicable à la décision d’ERAR d’un agent de tenir ou non une audience en application de l’alinéa 113b) de la LIPR, il s’agit d’une question d’équité procédurale et, par conséquent, la Cour n’est pas tenue de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de l’agent.

[14]  Le défendeur affirme que la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, y compris la décision de ne pas tenir d’audience.

[15]  Il n’est pas contesté entre les parties, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent dans son ensemble est celle de la décision raisonnable (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 799, au paragraphe 11; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 702, au paragraphe 13).

[16]  Bien que la jurisprudence demeure divisée sur la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent chargé de l’ERAR concernant la tenue d’une audience (Khatibi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1147, au paragraphe 13, j’ai déjà conclu que cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, lorsqu’un agent chargé de l’ERAR doit décider s’il faut tenir une audience en examinant la demande d’ERAR en fonction des exigences de l’alinéa 113b) de la LIPR et des facteurs énoncés à l’article 167 du Règlement, ce qui constitue une question mixte de fait et de droit (Chekroun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 738, au paragraphe 40 [Chekroun]; Seyoboka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 514, au paragraphe 29; Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837, au paragraphe 6). Je n’ai pas été persuadée différemment en l’espèce.

QUESTION 1 : Y a-t-il eu atteinte au droit des demandeurs à l’équité procédurale en leur refusant une audience?

La thèse des demandeurs

[17]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis un manquement au principe d’équité procédurale en omettant de tenir une audience comme le prescrivent l’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement. Lorsqu’une question sérieuse de crédibilité est soulevée par une décision relative à une demande d’ERAR, une audience est requise (Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177, au paragraphe 105; Tekie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 27, aux paragraphes 15 à 17; Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, aux paragraphes 17 et 18 [Zmari]). Et, puisque la formulation des conclusions relatives à la crédibilité pourrait en voiler le sens, la Cour doit aller au-delà du choix des mots utilisés par l’agent chargé de l’ERAR afin de déterminer si des conclusions de crédibilité ont été faites (Hurtado Prieto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 253, au paragraphe 33; Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067, au paragraphe 16 [Ferguson]).

[18]  Les demandeurs prétendent que, lorsqu’un demandeur porte serment quant à la véracité de son témoignage, ce témoignage est présumé véridique à moins qu’il n’y ait de raison valable de douter de sa véracité et que cette présomption s’applique également dans le contexte d’un ERAR. Les motifs de l’agent pour écarter les trois rapports médicaux, plus précisément lorsqu’ils sont examinés parallèlement au témoignage de la demanderesse principale dans son affidavit, illustrent que l’agent tirait en fait une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Et, étant donné que les demandeurs n’ont pas eu la possibilité de comparaître devant la Section de la protection des réfugiés, l’omission d’accorder une audience était particulièrement problématique.

[19]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a fait des conclusions voilées de crédibilité qu’il a présentées comme des insuffisances dans leurs éléments de preuve ou en accordant peu de valeur probante aux documents qu’ils ont présenté pour étayer leur demande. Ils soutiennent de plus que le [traduction] « rejet implicite » d’un agent chargé de l’ERAR du récit d’un demandeur constitue une conclusion voilée de crédibilité, ce qui est manifeste dans le cas présent (Zmari, au paragraphe 20). Les demandeurs ont en l’espèce produit suffisamment d’éléments de preuve; mais l’agent a choisi de ne pas y croire. Si l’agent avait cru leurs éléments de preuve, lesquels documentaient des blessures graves à des membres de la famille immédiate des demandeurs et comprenaient un témoignage sous serment relatant les circonstances dans lesquelles ces blessures ont été subies, cela aurait pu justifier une demande d’asile.

[20]  De plus, la remise en question de l’origine et du contenu des documents médicaux et des renseignements fournis dans l’affidavit équivaut très certainement à une conclusion touchant la crédibilité (Shaiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 149, au paragraphe 77), malgré les termes utilisés par l’agent dans la décision. Et, si l’agent avait reconnu la crédibilité du récit des demandeurs, il n’y aurait eu nul besoin d’éléments de preuve corroborants. De plus, lorsqu’il existe des motifs valables de douter de la crédibilité d’un demandeur, un tribunal ne peut tirer des conclusions défavorables quant à sa crédibilité que s’il ne présente pas de documents corroborants et n’a également pas été en mesure d’expliquer pourquoi il n’a pas fourni de documents corroborants (Dundar c  Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, aux paragraphes 21 et 22).

[21]  Les demandeurs soutiennent que l’agent a également soulevé plusieurs questions accessoires, notamment sur la façon dont la demanderesse principale a obtenu les rapports médicaux et sur le lieu de résidence des autres membres de sa famille. Les demandeurs affirment qu’elles auraient pu être tranchées par une audience et qu’ils n’auraient pas pu les anticiper.

[22]  La preuve des demandeurs démontrant qu’ils ont été menacés et blessés par le Hamas était au cœur de leur demande d’asile et de la décision de l’agent. La conclusion de l’agent selon laquelle les familles de collaborateurs reconnus d’Israël ne sont pas systématiquement ciblées n’est pas pertinente face aux éléments de preuve des demandeurs démontrant qu’ils ont personnellement été ciblés.

Thèse du défendeur

[23]  Le défendeur affirme qu’aucune audience n’était requise puisque les conclusions de l’agent étaient clairement fondées sur l’insuffisance d’éléments de preuve et non sur la crédibilité. À cet égard, il est bien établi qu’il y a deux évaluations distinctes qui peuvent être faites des éléments de preuves soumis à l’agent chargé de l’ERAR : l’une quant à la force probante et l’autre quant à la crédibilité, et il est loisible à un agent d’évaluer la force probante des éléments de preuve avant d’examiner la question de la crédibilité. La question, peu importe que les éléments de preuve proviennent ou non d’une source crédible, est de savoir si les éléments de preuve sont tenus comme véridiques, sont de nature à convaincre l’agent, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur est exposé à un risque au sens des articles 96 ou 97 de la LIPR (Ferguson, aux paragraphes 25 et 26; Ozomma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1167, au paragraphe 49; Ibrahim, au paragraphe 23). De plus, ce principe s’applique également aux déclarations assermentées des demandeurs (II c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 892, aux paragraphes 21 à 24). La force probante des éléments de preuve produits par les personnes ayant un intérêt personnel dans l’issue de l’affaire, comme les éléments de preuve de la demanderesse principale, peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité, parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante. S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité (Ferguson, au paragraphe 27). Le défendeur soutient qu’il est loisible à l’agent chargé de l’ERAR d’exiger la corroboration afin de satisfaire au fardeau de la preuve.

[24]  De plus, le fardeau de la preuve repose sur les épaules des demandeurs qui doivent produire des éléments de preuve pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient exposés à des risques au sens des articles 96 ou 97 de la LIPR. Le fait qu’ils ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve ne signifie pas qu’ils manquent de crédibilité, mais plutôt qu’ils n’ont pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer leurs allégations.

[25]  L’agent a conclu que les éléments de preuve des demandeurs étaient insuffisants pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le Hamas avait l’intention de leur causer du tort et il a pointé les lacunes dans les éléments de preuve, c’est-à-dire, le manque de détails. L’affidavit de la demanderesse principale ne comprenait pas les dates des agressions ni la date où son mari est parti se cacher; si elle avait des contacts avec son mari; comment les certificats médicaux ont été obtenus; et il y avait très peu de renseignements sur les autres membres de la famille vivant encore en Cisjordanie. Les rapports médicaux ont seulement établi que le mari et le fils de la demanderesse principale ont été blessés. Aucun élément de preuve ne corroborait que son mari était enseignant, qu’il vivait caché ou que le Hamas avait visité la famille. De plus, l’agent a examiné la preuve documentaire et a conclu qu’elle ne démontrait pas que le Hamas se livrait à du recrutement forcé ou qu’il était plus porté à poursuivre quelqu’un qui refusait de recruter des étudiants au nom du Hamas, et aucun élément de preuve ne démontrait que les demandeurs mineurs ou que d’autres membres de la famille avaient été forcés de se joindre au Hamas ou qu’il ciblait les familles de collaborateurs reconnus. De toute façon, les demandeurs ne sont pas des collaborateurs reconnus.

[26]  Dans ces circonstances, il est clair que la décision de l’agent était motivée à bon droit par une insuffisance de la preuve et rien n’indique que l’agent pensait que la demanderesse principale mentait.

Analyse

[27]  Une audience n’est pas requise dans le cours normal de prise de décision à l’égard d’une demande d’ERAR et, en l’espèce, il semble que les demandeurs n’en ont pas sollicité une au moment de faire leur demande d’ERAR. Selon l’alinéa 113b) de la LIPR, une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires.

[28]  Les facteurs réglementaires sont énoncés à l’article 167 du Règlement :

167 Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

[29]  La Cour a examiné l’alinéa 113b) de la LIPR et l’article 167 du Règlement dans l’affaire Strachn c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 984 et a conclu :

[34]  Le critère prévu par cette disposition a été interprété comme étant un critère conjonctif, c’est-à-dire que la tenue d’une audience est généralement requise si des éléments de preuve importants pour la prise de la décision soulèvent des doutes quant à leur crédibilité et que ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande soit accueillie : Ullah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 221. Bien que la Cour ait reconnu qu’il existe une différence entre une conclusion défavorable concernant la crédibilité et une conclusion d’insuffisance de la preuve, la Cour a parfois conclu qu’un agent avait incorrectement formulé de véritables conclusions relatives à la crédibilité comme s’il s’agissait de conclusions d’insuffisance de la preuve et que, en conséquence, la tenue d’une audience aurait dû être accordée (Zokai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103, au paragraphe 12; Liban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252, au paragraphe 14; Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 889, aux paragraphes 14 à 16).

[30]  Dans la présente affaire, les demandeurs allèguent qu’ils avaient droit à une audience parce que l’agent a formulé des conclusions voilées de crédibilité tandis que le défendeur soutient que l’agent, comme il est indiqué dans les motifs, a fondé sa décision sur une insuffisance de la preuve. En conséquence, la Cour doit d’abord décider si une conclusion quant à la crédibilité a été tirée, explicitement ou implicitement. Dans l’affirmative, la Cour doit décider si la question de crédibilité était au cœur de la décision ou si elle était déterminante (Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 680, au paragraphe 7; Matute Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1074, au paragraphe 30 [Matute Andrade]). Plus précisément, la Cour doit en l’espèce décider si la crédibilité des demandeurs a été mise en doute et si cela a été un facteur déterminant dans la conclusion de l’agent selon laquelle leur vie ne serait pas en danger, qu’ils ne seraient pas soumis à la torture ou exposés à un risque de traitements ou peines cruels et inusités en Palestine.

[31]  Lorsqu’elle examine une allégation de conclusions voilées de crédibilité, la Cour doit aller au-delà des termes qui ont été utilisés par l’agent dans la décision. Bien que l’agent ait explicitement déclaré dans la décision qu’il ne tirait pas de conclusions liées à la crédibilité, cela ne résout pas la question puisqu’il est possible que l’agent, dans son raisonnement, ait douté de la crédibilité des demandeurs, même en affirmant que la décision était fondée sur l’insuffisance de la preuve. La Cour doit donc cerner le véritable fondement de la décision (Matute-Andrade, aux paragraphes 31 et 32).

[32]  Comme l’a reconnu la juge Kane dans l’affaire Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59, il peut être difficile d’établir une distinction entre une conclusion portant sur l’insuffisance de la preuve et une conclusion suivant laquelle un demandeur n’a pas été cru :

32  Je constate que, dans certains cas, il est difficile d’établir une distinction entre une conclusion portant sur l’insuffisance de la preuve et une conclusion suivant laquelle un demandeur n’a pas été cru, c’est-à-dire n’était pas crédible. Le choix des mots employés, en l’occurrence le fait de parler de crédibilité ou de l’insuffisance de la preuve, ne permet pas à lui seul de déterminer si des conclusions ont été tirées sur une question ou sur l’autre ou sur les deux. On ne peut toutefois pas présumer que, lorsque l’agent conclut que la preuve ne démontre pas le bien-fondé de la demande du demandeur, l’agent n’a pas cru le demandeur.

[33]  Dans l’affaire Ferguson, le juge Zinn a abordé l’appréciation de la preuve présentée à l’agent chargé de l’ERAR. Dans cette affaire, l’agent chargé de l’ERAR a conclu que la demanderesse avait fourni des preuves insuffisantes afin d’établir qu’elle était lesbienne. Le seul élément de preuve étayant son allégation était une déclaration non assermentée écrite par son avocat, et l’agent a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un élément démontrant le bien-fondé de la demande. La demanderesse a soutenu que l’agent tentait réellement de tirer une conclusion relative à la crédibilité liée à son orientation sexuelle. Le juge Zinn était en désaccord, concluant que le raisonnement de l’agent chargé de l’ERAR indiquait simplement qu’il n’y avait ni cru ni rejeté ce qu’alléguait la demanderesse, mais il n’était toujours pas convaincu. Le juge Zinn a également souligné que l’agent chargé de l’ERAR peut évaluer les éléments de preuve de deux façons; en appréciant leur crédibilité et en déterminant ensuite le poids à y accorder, ou en passant directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve sans déterminer si elle est crédible.

[34]  Le défendeur soutient dans la présente affaire que l’agent a adopté la deuxième approche. Cependant, à mon avis, les motifs de l’agent pour écarter les rapports médicaux et l’affidavit de la demanderesse principale n’appuient pas cette thèse.

[35]  Je note d’emblée que lorsque l’avocat des demandeurs a présenté la demande d’ERAR, il a souligné qu’il joignait une copie de l’affidavit de la demanderesse principale, lequel résumait sa demande d’asile et demandait à l’agent d’examiner l’affidavit pour obtenir un résumé de sa crainte de persécution. Le contenu de l’affidavit de la demanderesse principale est décrit, en partie, dans la section des faits de la présente décision. Il ressort clairement de l’affidavit que le risque principal invoqué par les demandeurs dans leur demande d’ERAR était la crainte de mourir ou de subir des lésions corporelles aux mains des militants du Hamas. Par conséquent, les éléments de preuve liés au harcèlement et aux agressions de membres de la famille immédiate des demandeurs par les militants du Hamas étaient au cœur de la demande et revêtent une grande importance au sens des alinéas 167b) et c) du Règlement.

[36]  L’affidavit de la demanderesse principale ci-joint, comme pièce, un rapport médical daté du 16 mars 2015 d’un chirurgien orthopédiste corroborant l’allégation de la demanderesse principale, dans son affidavit, voulant que son mari ait été atteint de coups de feu tirés par des militants du Hamas en 2008. Ce rapport affirme que le patient nommé souffre de douleur et d’engourdissement à la cuisse gauche, [traduction] « après une vieille blessure par balle à la cuisse gauche avec une lésion à l’artère fémorale, il a subi une intervention chirurgicale afin de réparer l’artère fémorale ». Il décrit des cicatrices postopératoires, un rapport radiologique qui démontre [traduction] « une ombre opaque à l’aspect médical du fémur gauche au tiers proximal (balle) » et énonce que [traduction] « Ce rapport médical lui a été remis à sa demande ».

[37]  L’agent écarte ce rapport au motif qu’il n’indique pas quand a eu lieu la blessure par balle ni les circonstances dans lesquelles la blessure a été subie. De plus, l’auteur du rapport indique que ce rapport a été remis au patient à sa demande, mais, selon l’affidavit de la demanderesse principale, son mari vit caché depuis 2014 et personne ne sait où il se trouve. En outre, la demanderesse principale a quitté la Palestine en 2014; on ne sait donc pas comment son mari a obtenu le rapport, seulement une copie et non l’original, et l’a transmis à la demanderesse principale. À mon avis, l’agent remet clairement en question l’authenticité du document et la crédibilité de la demanderesse principale étant donné les incohérences entre la déclaration sous serment de la demanderesse principale indiquant que personne ne sait où se trouve son mari depuis 2014, et le fait que le rapport a été remis à son mari en 2015. En outre, il était déraisonnable que l’agent s’attende à ce qu’un rapport médical, probablement préparé pour confirmer une blessure qui aurait été subie il y a environ sept ans auparavant, indique les circonstances dans lesquelles la blessure a été infligée (Ukleina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1292, au paragraphe 10). Le médecin n’a pas été témoin des coups de feu qui auraient été tirés.

[38]  L’affidavit de la demanderesse principale affirme également qu’en 2012, des personnes du Hamas ont battu son fils, Oday, causant une lésion à l’un de ses yeux qui a nécessité l’insertion d’une lentille intraoculaire. Son médecin, craignant pour sa vie, a d’ailleurs refusé d’écrire la cause exacte de la blessure. L’affidavit est accompagné d’une pièce, un rapport médical d’un ophtalmologue, daté du 15 mars 2015, à l’appui de cette allégation. Il énonce notamment que le patient nommé [traduction] « souffre de cataracte traumatique à l’œil gauche depuis 3 ans. Lentille intraoculaire faite pour l’œil gauche... Il peut porter des verres ou recourir à une opération au laser ».

[39]  L’agent n’a pas tenu compte de ce rapport médical pour le motif qu’il n’a pas été préparé immédiatement après la blessure ou l’opération, mais plutôt trois années plus tard et quelques jours après la transcription des autres notes du médecin. Le rapport n’indiquait pas la date de la blessure ni l’instrument ayant causé la blessure et l’agent a déclaré que ces renseignements auraient pu être fournis sans révéler l’auteur de l’agression, mais ils ne l’ont pas été. Le rapport ne permet pas non plus à l’agent de déterminer si le fils de la demanderesse principale a été attaqué ou s’il a subi une blessure accidentelle, ou que les agresseurs étaient membres du Hamas. L’agent a encore soulevé la question de savoir comment le rapport a été remis à la demanderesse principale puisqu’elle a fui la Palestine en 2014, mais que le rapport était daté de 2015. Comme mentionné ci-dessus, l’affidavit de la demanderesse principale explique que le médecin n’a pas fourni la cause exacte de la blessure parce qu’il craignait pour sa vie. L’affidavit mentionne aussi que la blessure a été causée lors d’une agression par des personnes du Hamas. À mon avis, l’agent remettait en question la crédibilité des témoignages sous serment de la demanderesse principale au motif que la cause de la blessure n’était pas indiquée par le médecin, sans expliquer pourquoi son témoignage sous serment sur ce point devait être corroboré. Il était également déraisonnable de n’accorder aucun poids au rapport au motif qu’il ne décrivait pas l’instrument ayant causé la blessure ou parce qu’il avait été obtenu après l’incident et au même moment que les autres rapports médicaux corroborants ont été obtenus.

[40]  L’affidavit de la demanderesse principale décrit également un incident qui serait survenu en 2014 et lors duquel deux personnes masquées ont confronté son mari, l’ont accusé d’être un collaborateur qui méritait la mort, et lui ont lancé un produit enflammé, ce qui lui a causé des brûlures et des douleurs graves au cou. Le rapport médical joint comme pièce à l’affidavit afin de corroborer cette allégation datée du 16 mars 2015 comporte les observations suivantes : [traduction] « Après l’examen de la personne susmentionnée : j’ai déterminé qu’il porte des CICATRICES DE BRÛLURES causées par un produit corrosif et il a besoin de chirurgie plastique ». L’agent n’a pas tenu compte de cet élément de preuve puisqu’il n’indiquait pas le lieu ou la date de la blessure ni s’il s’agissait du résultat d’une agression. De plus, il est daté de mars 2015, soit une année après la disparition alléguée du mari de la demanderesse principale et sept mois après le départ de la demanderesse principale de la Palestine. En outre, le rapport est une photocopie et ne comporte aucune caractéristique de sécurité. Une fois de plus, l’agent remet en question la crédibilité du témoignage sous serment de la demanderesse principale en raison des renseignements qui figurent et qui ne figurent pas dans le rapport, remet en question l’authenticité du rapport et le rejette de façon déraisonnable au motif qu’il n’affirme pas que la cause de la blessure est une agression.

[41]  Le témoignage d’un demandeur est réputé vrai, sauf s’il y a des motifs valables de douter de sa véracité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1979] RCF no 248 (CAF); Chekroun, au paragraphe 65; Ogunrinde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 760, au paragraphe 38). Dans le cas qui nous occupe, les conclusions de l’agent indiquent de façon implicite que l’agent ne croyait pas les allégations de la demanderesse principale d’attaques passées du Hamas (Whudne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1033, aux paragraphes 20 à 23). La demanderesse principale a déclaré avoir peur que sa famille et elle-même soient tuées dans l’éventualité d’un renvoi en Palestine. La demanderesse principale a fourni des documents médicaux corroborant les trois allégations d’agression. Je reconnais qu’il y a une incohérence découlant des témoignages sous serment de la demanderesse principale, soit que personne ne sait où se trouve son mari depuis 2014 et le fait que ce n’est qu’en 2015 qu’ont été obtenus les rapports médicaux, dont l’un énonce qu’il a été remis à son mari sur demande; il s’agit là du motif même qui aurait justifié une audience. Les conclusions voilées de crédibilité de l’agent à l’égard des témoignages sous serment de la demanderesse principale et des rapports médicaux ont soulevé une question sérieuse liée à l’allégation de crainte du Hamas de la demanderesse. Cela était au cœur de la décision de rejeter la demande d’asile et, si l’agent n’avait pas écarté les éléments de preuves, il aurait pu être justifié d’accorder l’ERAR.

[42]  Et, bien que cela ne soit pas déterminant en soi, je note également que les conclusions de l’agent quant à la crédibilité ont été faites dans des circonstances où les demandeurs n’ont jamais eu droit à une audience devant la Section de la protection des réfugiés ou autrement, ce qui signifie que les demandeurs n’ont pas eu l’occasion d’aborder les doutes soulevés sur la crédibilité de leur allégation de crainte du Hamas (Zmari, au paragraphe 18).

[43]  Après avoir tiré cette conclusion, je n’ai pas à examiner la deuxième question, c’est‑à‑dire, si les conclusions de fait de l’agent étaient erronées et déraisonnables. Cependant, comme je l’ai déjà abordé brièvement, il était déraisonnable que l’évaluation de l’agent écarte les rapports médicaux du fait qu’ils n’indiquaient pas comment les blessures avaient été subies alors que les médecins qui ont préparé les rapports n’ont pas été témoins de ces événements. L’affidavit de la demanderesse principale décrivait la cause des blessures et l’existence des blessures a été corroborée, et non contredite, par les rapports médicaux. De plus, dans la mesure où l’agent a écarté les rapports parce que la demanderesse principale n’a pas explicitement énoncé la raison pour laquelle ils avaient été obtenus et qu’ils ont été présentés comme éléments de preuve corroborant les motifs sous-tendant la demande d’asile, cela était déraisonnable. Les demandeurs fournissent régulièrement de tels renseignements justement à cette fin, ce qui expliquerait pourquoi ils ont été obtenus environ au même moment.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent chargé de l’ERAR pour nouvel examen.

  2. Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2695-16

 

INTITULÉ :

EMAN MAJALI ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Katherine Ramsey

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Eleanor Elstub

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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