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Date : 20170301


Dossier : T-1725-15

Référence : 2017 CF 251

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

BRADLEY HUNT

demandeur

(partie intimée)

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

(partie requérante)

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une requête présentée par la défenderesse en application du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, visant à empêcher le demandeur de continuer la présente instance ainsi que toute autre procédure actuellement en instance, et d’engager toute autre instance devant la Cour, sauf avec son autorisation. Le procureur général du Canada a consenti à la présente requête comme l’exige la disposition.

La requête a d’abord été déposée par écrit aux termes de l’article 369 des Règles des Cours fédérales (les Règles), mais la Cour a ordonné la tenue d’une audience en personne étant donné l’importance de la mesure demandée et afin de s’assurer que M. Hunt soit dûment entendu.

II.  Résumé des faits

[2]  L’article 40 est ce qu’on appelle présentement une disposition sur la conduite vexatoire; il a pour objectif de limiter l’accès à la Cour lorsqu’un plaideur abuse de ses procédures. Il est libellé ainsi :

40 (1) La Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, peut, si elle est convaincue par suite d’une requête qu’une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d’une instance, lui interdire d’engager d’autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.

40 (1) If the Federal Court of Appeal or the Federal Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, it may order that no further proceedings be instituted by the person in that court or that a proceeding previously instituted by the person in that court not be continued, except by leave of that court.

(2) La présentation de la requête visée au paragraphe (1) nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d’être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l’objet de la requête.

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who is entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

(3) Toute personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) peut, par requête au tribunal saisi de l’affaire, demander soit la levée de l’interdiction qui la frappe, soit l’autorisation d’engager ou de continuer une instance devant le tribunal.

(3) A person against whom a court has made an order under subsection (1) may apply to the court for rescission of the order or for leave to institute or continue a proceeding.

(4) Sur présentation de la requête prévue au paragraphe (3), le tribunal saisi de l’affaire peut, s’il est convaincu que l’instance que l’on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation.

(4) If an application is made to a court under subsection (3) for leave to institute or continue a proceeding, the court may grant leave if it is satisfied that the proceeding is not an abuse of process and that there are reasonable grounds for the proceeding.

[3]  L’article 40 doit être lu, interprété et appliqué dans le contexte du droit d’un citoyen à soumettre des questions aux tribunaux et, lorsque c’est nécessaire, dans le contexte de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11 [la Charte]. Il est libellé ainsi :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

[4]  M. Hunt a un long passé chargé d’interactions difficiles avec notre Cour ainsi qu’avec les parties adverses.

[5]  La présente requête survient dans le contexte d’une action intentée pour contester la nomination du juge Russell Brown à la Cour suprême. Cependant, la requête s’inscrit également dans le contexte de treize procédures intentées par M. Hunt.

Numéro de dossier

Déclaration signifiée

Objet du litige

Résultat

T-695-14

Le 20 mars 2014

Marihuana à des fins médicales

Désistement

T-1404-14

Le 16 juin 2014

Marihuana à des fins médicales

Désistement

T-1548-14

Le 2 juillet 2014

Marihuana à des fins médicales

Radiée

Le 11 janvier 2017

T-736-15

Le 6 mai 2015

Requête concernant une incarcération au Centre de détention de Wellington

Radiée

Le 24 juin 2015

T-737-15

Le 6 mai 2015

Requête visant à harmoniser l’arrêt Carter c Canada avec l’article 15

Radiée

Le 2 juillet 2015

T-738-15

Le 6 mai 2015

Requête visant à faire déclarer inopérantes les « règles criminelles » de la Cour de l’Ontario

Radiée

Le 2 juillet 2015

T-739-15

Le 6 mai 2015

Requête visant à faire déclarer inopérantes les Règles des Cours fédérales

Radiée

Le 2 juillet 2015

T-861-15

Le 26 mai 2015

Requête reliée à son arrestation en 1994 (et au traitement subséquent reçu des policiers et à son incarcération)

Radiée

Le 10 juillet 2015

T-867-15

Le 27 mai 2015

Requête reliée au traitement reçu de la part de certains policiers et de « Tyler » à la réception de la Cour fédérale

Radiée

Le 10 juillet 2015

T-1387-15

Le 21 août 2015

Requête visant à contester la nomination du juge Brown à la Cour suprême du Canada

Radiée

Le 13 octobre 2015

T-1402-15

Le 21 août 2015

Requête visant à contester la nomination du juge Brown à la Cour suprême du Canada

Radiée

Le 13 octobre 2015

T-1725-15

Le 14 octobre 2015

Requête visant à contester la nomination du juge Brown à la Cour suprême du Canada

En cours (la présente requête)

T-780-16

Le 17 mai 2016

Requête visant à rendre inopérante la prohibition de la psilocybine (champignons magiques)

En cours

Cette liste ne comprend pas les ordonnances rendues à l’encontre de M. Hunt pour avoir abusé de notre Cour, plus particulièrement du personnel de la Cour, ainsi que la conclusion d’outrage en lien avec l’ordonnance de notre Cour visant à interdire un tel abus. Elle ne comprend pas non plus les requêtes déposées, puis rejetées.

A.  Procédures judiciaires

[6]  Parmi les treize procédures engagées devant notre Cour, trois d’entre elles concernent des contestations constitutionnelles du régime réglementant la marihuana à des fins médicales au Canada. Le dossier de la Cour no T-695-14, ainsi qu’environ 330 demandes semblables fondées sur un modèle appelé la « trousse Turmel », a été suspendu dans l’attente de la décision rendue dans l’affaire Allard c Canada, 2016 CF 236, [2016] 3 RCF 303 [Allard]. M. Hunt s’est désisté de cette action et a engagé une action similaire dans le dossier T-1404-14, réclamant 500 millions de dollars en dommages-intérêts. Cette action a été suspendue, puis abandonnée.

Par la suite, M. Hunt a engagé une procédure similaire dans le dossier T-1548-14, réclamant 1 milliard de dollars en dommages-intérêts. Ayant rendu la décision Allard en février 2016, notre Cour a accueilli une requête visant à radier le dossier T-1548-14 en raison de son caractère théorique.

[7]  En mai 2015, M. Hunt a engagé six autres actions à la Cour fédérale, désignant le Canada à titre de défendeur. Dans ces demandes, M. Hunt soulevait des plaintes liées au traitement reçu de la part de notre Cour (de ma part en particulier), qui l’aurait soumis à un traitement cruel et inusité, à son incarcération en 1994 dans un centre de détention provincial et à son incapacité à utiliser des substances contrôlées pour s’automédicamenter. Dans l’une des demandes, il réclamait que des accusations criminelles soient déposées contre un policier du service de Guelph (Ontario), et contre un employé affecté à la réception de la Cour fédérale à Toronto.

Il s’agit d’un résumé des demandes déposées, et non d’une liste exhaustive.

[8]  Les six demandes ont été radiées au motif qu’elles ne révélaient aucune cause d’action valable. Trois demandes ont été rejetées avec dépens, lesquels sont toujours impayés.

[9]  Entre août et octobre 2016, M. Hunt a engagé trois actions visant à attaquer la nomination du juge Russell Brown à la Cour suprême du Canada. Deux demandes identiques ont été déposées en août, les deux ayant été radiées au motif qu’elles ne révélaient aucune cause d’action valable. Le lendemain de la radiation de ces deux demandes, M. Hunt a déposé une troisième demande, laquelle était essentiellement la même que les deux autres qui venaient tout juste d’être radiées. Il s’agit de la demande visée par la présente requête déposée en application de l’article 40.

[10]  En plus de ces demandes, M. Hunt a déposé une autre demande en mai 2016 (Dossier de la Cour no T-780-16) visant à contester la constitutionnalité de la prohibition de la psilocybine (champignons magiques).

[11]  M. Hunt ne se limite pas à déposer de nombreuses demandes répétitives; elles sont de surcroît remplies d’allégations et de plaidoiries décousues, incohérentes, non pertinentes, voire souvent offensantes.

B.  Communications avec les représentants du système judiciaire

[12]  Au fil de ses demandes frivoles et vexatoires, M. Hunt a développé un historique de communications incessantes, abusives et insultantes. Il adopte un comportement inapproprié et abusif et utilise des propos désobligeants envers la Cour, le personnel de la Cour et le procureur de la Couronne, de nature « à faire rougir un marin ». La Cour n’a pas l’intention de reproduire ici tous ces propos dans un format non expurgé. Le dossier de requête, y compris le plus récent affidavit de la partie requérante, contient suffisamment de ces remarques que l’on peut qualifier d’incessantes, d’abusives et d’insultantes sans crainte de se tromper.

[13]  Ces allégations pourraient également être qualifiées de « menaçantes ». L’extrait de l’appel téléphonique qui suit montre la teneur de certaines communications :

[traduction] Cet [en...lé] de juge Phelan m’a fourré et maintenant je vais devoir faire quelque chose de fou. Si des terroristes peuvent obtenir des armes semi-automatiques et commencer à mitrailler la colline du Parlement, alors je vais me procurer une arme moi aussi et je vais venir à la Cour et commencer à tirer.

Il a également menacé de se suicider en public à des endroits comme la colline du Parlement.

[14]  Certaines des communications offensantes et abusives de M. Hunt avec le personnel de la Cour figurent dans les décisions lui ordonnant d’éviter tout langage abusif (Hunt c Canada (26 juin 2014), Ottawa T-1404-14 (CF); ordonnance du 14 juillet 2014; décision le condamnant pour outrage, Ottawa T-1548-14 (CF), Hunt c Canada, 2016 CF 226).

[15]  Les courriels de M. Hunt échangés avec le procureur de la Couronne et à propos de celui-ci incluent des allégations d’actes fautifs et d’irrégularités. Des allégations semblables ont été formulées à l’encontre du personnel de notre Cour. Il fait également référence au procureur en utilisant des termes comme [traduction] « lâche », « ignorant », « pervers », « procureur nazi », « ordure », « corrompu », « idiot », « trou-de-[...]l », et d’autres termes pires encore.

[16]  Dans plusieurs de ses communications avec le procureur de la Couronne, M. Hunt menace d’entreprendre d’autres procédures judiciaires et des mesures de représailles, y compris d’interrompre les procédures de différents tribunaux de l’Ontario et d’ailleurs; il menace également d’intenter des poursuites contre le procureur de la Couronne personnellement. Au cours de la période s’étendant du 25 février au 11 mai 2016, le procureur de la Couronne a reçu plus de 35 courriels de M. Hunt, bon nombre d’entre eux étant abusifs tant par leur ton que par leur contenu. Cette tendance s’est maintenue jusqu’à l’audience de la présente requête.

[17]  En dépit des avertissements et des ordonnances de notre Cour, M. Hunt a exprimé son intention de continuer dans cette voie et d’intenter d’autres poursuites. Les extraits suivants, tirés de ces communications, témoignent de ses intentions :

[traduction] J’ai fini de jouer à des jeux avec vous et votre système judiciaire corrompu [...], je ne partirai pas tant que je n’aurai pas une ordonnance ou que je ne serai pas envoyé en prison.

Comme je l’ai dit à la Cour fédérale, mon nouvel objectif dans la vie est d’engager et de remporter autant de batailles constitutionnelles que possible.

Mon fils et moi allons soumettre sans relâche des demandes à votre Cour fédérale, jusqu’à ce que vous respectiez les règles.

[18]  M. Hunt a poursuivi dans cette veine jusqu’à tout récemment lors d’une audience tenue la semaine dernière. Il se voit, selon ses propres mots, chargé d’un [traduction] « devoir » d’intenter ces poursuites lorsqu’il perçoit un acte répréhensible. Il affirme qu’il est de son devoir de soumettre ces enjeux à la Cour afin qu’ils soient dûment résolus. Lorsque les questions ne sont pas tranchées en sa faveur, son [traduction] « devoir » exige qu’il continue à déposer de nouvelles demandes jusqu’à ce qu’il obtienne le résultat qu’il estime approprié. Il ne semble y avoir aucune fin à ces types de demandes.

C.  Violation d’ordonnances antérieures de la Cour

[19]  Dans un effort en vue de contrôler le comportement et le langage abusifs de M. Hunt envers le personnel de la Cour, lesquels s’apparentent aux échanges avec le procureur de la Couronne, notre Cour a rendu une ordonnance dans le dossier T-1404-14, laquelle ordonnait à M. Hunt de :

[traduction] [...] s’abstenir de communiquer avec la Cour et le personnel du greffe, ou de les décrire, en des termes comme les précédents ou semblables à ceux-ci et s’abstenir de toute communication abusive, insultante ou offensante avec la Cour, que ce soit verbalement, par écrit ou de toute autre façon.

[20]  En raison du maintien de communications non appropriées, on a ordonné à M. Hunt de communiquer avec la Cour et le personnel de la Cour par écrit seulement.

[21]  À la fin de juillet 2014, M. Hunt a de nouveau reçu un avertissement concernant ses communications avec le personnel de notre Cour.

[22]  Le 13 octobre 2015, le procureur général du Canada a engagé une procédure pour outrage contre M. Hunt. M. Hunt a été reconnu coupable d’outrage; sa sentence a été reportée afin de lui permettre de participer à un programme de gestion de la colère. La Cour a conclu que M. Hunt avait agi délibérément et sachant pleinement qu’il contrevenait à une ordonnance antérieure de la Cour.

M. Hunt était très mécontent de la suspension de sa poursuite, et il a déversé sa frustration sur le personnel du bureau d’enregistrement. [...]

Alors que toute personne a le droit de se représenter elle-même, il s’agit d’un droit qui ne doit pas toujours être exercé. La conduite de M. Hunt, qui n’était pas seulement offensante dans ses mots et son ton, a exigé de plus en plus le temps de l’administration des tribunaux et des tribunaux. [...]

Aussi erronée qu’ait pu être l’opinion de M. Hunt à l’égard de sa situation, sa conduite était délibérée. Il savait qu’il violait une ordonnance de la cour. Il savait ou aurait dû savoir que ses mots et son ton n’étaient pas seulement offensants, mais qu’ils contrariaient aussi le personnel qui recevait les insultes.

Il s’agit d’une affaire grave. Elle aurait tout aussi bien pu entraîner une peine d’emprisonnement qu’une amende importante si elle n’avait pas été résolue selon l’ordonnance de la Cour. Les objectifs de la réadaptation et de la dissuasion sont inscrits dans l’ordonnance dans le but qu’une consultation en gestion de la colère soit entreprise. La réussite de la consultation et l’absence de comportements répétés répareront l’outrage. Les circonstances pourraient faire évoluer cette invitation à revoir les ordonnances contre M. Hunt.

[23]  Or, les communications fautives se sont poursuivies. Elles étaient principalement dirigées contre le procureur de la Couronne, mais elles incluent des remarques offensantes sur notre Cour, notre personnel et le système judiciaire.

III.  Questions en litige

[24]  La seule question de fond à trancher est la suivante : M. Hunt est-il un « plaideur quérulent » nécessitant que la Cour rende une ordonnance en application du paragraphe 40(1)? M. Hunt a soulevé à titre subsidiaire des questions touchant la récusation et la désignation d’un avocat.

IV.  Analyse et conclusions

[25]  J’aborderai les questions subsidiaires en premier lieu : M. Hunt a demandé à ce que je me récuse en raison de ma participation à ses différents dossiers. Il a proféré des menaces de dommages physiques et formulé des commentaires insultants à mon endroit.

[26]  Bien qu’elle soit tentante, la récusation est une mesure extraordinaire et je ne vois aucun motif justifiant d’y recourir. Si la seule familiarité avec certains dossiers constituait un prétexte à une récusation, ou si le fait d’insulter ou de menacer un juge justifiait une récusation, l’administration de la justice serait, à tout le moins, sérieusement compromise, si ce n’est neutralisée. Je ne vois aucune raison de me récuser, et je juge qu’une personne pleinement informée de la situation n’aurait aucun motif raisonnable de soulever une « crainte raisonnable de partialité ». Comme je l’ai dit à l’audience, cette requête a été rejetée.

[27]  Quant à la demande visant à désigner un avocat et à ordonner le paiement de cet avocat, M. Hunt n’a présenté aucun fondement à la Cour justifiant une telle ordonnance. Rien n’indique qu’il a tenté, sans succès, d’obtenir les services de l’aide juridique. Il était représenté par un avocat de l’aide juridique dans la procédure pour outrage; il sait comment fonctionne le régime d’aide juridique et comment y recourir. La demande en vue d’obtenir un avocat a été rejetée.

[28]  Quant à la principale question sur le fond, je partage l’avis de la partie requérante. M. Hunt porte toutes les marques d’un plaideur quérulent. Il possède toutes les caractéristiques principales d’un plaideur quérulent énoncées dans la décision Tonner c Lowry, 2016 CF 230, au paragraphe 20, 265 ACWS (3d) 876 [Tonner] :

  une tendance à porter à nouveau devant les tribunaux des questions pour lesquelles une décision a déjà été rendue;

  l’entreprise d’actions ou de requêtes futiles;

  le fait de soutenir des allégations d’actes irréguliers sans fondement contre une partie opposée, des avocats ou la cour;

  le refus de se plier aux règles et aux ordonnances de la cour;

  le fait de tenir des propos scandaleux pendant les actes de procédure ou devant la cour;

  l’incapacité ou le refus de régler les dépens des actes de procédure antérieurs et l’incapacité de poursuivre le litige dans les délais prescrits.

[29]  Le pouvoir conféré à la Cour par le paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales est un pouvoir extraordinaire qui, comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans Olympia Interiors Ltd. c Canada, 2004 CAF 195, au paragraphe 6, 131 ACWS (3d) 429, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 30619 (21 avril 2005), « doit être exercé avec modération et avec la plus grande prudence ».

Cette mesure est sérieuse, car elle vient interférer avec le droit d’accéder facilement au système judiciaire; néanmoins, elle n’a pas les conséquences draconiennes de l’outrage. Elle n’interdit pas à une personne de recourir aux tribunaux, mais elle en réglemente l’utilisation (voir Tonner, au paragraphe 19).

[30]  Comme on l’a confirmé notamment dans les décisions Canada c Olympia Interiors Ltd. (2001), 209 FTR 182, 107 ACWS (3d) 785 (TD), confirmé par 2004 CAF 195, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 30619 (21 avril 2005), et Canada Post Corp. c Varma (2000), 192 FTR 278, 97 ACWS (3d) 1122 (CFPI), la Cour peut consulter ses propres dossiers et l’historique du litige, et tenir compte du comportement d’un plaideur à l’extérieur de la cour, y compris des menaces de poursuites et des allégations de faute formulées à l’encontre de l’avocat de la partie adverse et de la Cour.

Les antécédents de M. Hunt avec notre Cour et l’avocat de la partie adverse débordent de menaces et d’allégations, et sont ponctués d’un vocabulaire et d’un comportement insultants et offensants.

[31]  Dans les cas appropriés, ce type de mesure peut être nécessaire pour maintenir l’intégrité du processus judiciaire et protéger la Cour et les défendeurs éventuels contre les instances frivoles (Lavigne c Pare, 2015 CF 631, au paragraphe 14, 253 ACWS (3d) 818).

[32]  En l’espèce, les menaces de violence sont peut-être exagérées, mais elles ont néanmoins des répercussions sur le fonctionnement de la Cour. Les juges sont en quelque sorte protégés de ces menaces, mais le personnel de la Cour et l’avocat de la partie adverse ne bénéficient pas des mêmes mesures de protection. Au surplus, en principe et en pratique, nul ne devrait être autorisé à menacer le processus judiciaire; la dissidence et la critique sont partie intégrante du processus judiciaire, mais il n’en va pas de même pour les menaces et les insultes.

[33]  Comme je l’ai dit précédemment, M. Hunt réunit toutes les caractéristiques ou tous les indicateurs établis dans la décision Tonner, et ce, bien qu’il ne soit pas nécessaire de les réunir tous pour justifier une ordonnance.

[34]  M. Hunt cherche à porter à nouveau devant les tribunaux des questions pour lesquelles une décision contre lui a déjà été rendue, et a manifesté son intention de poursuivre dans cette voie. Sa contestation de la nomination du juge Brown est un exemple par excellence de cette tendance à la remise en cause. Il s’agit clairement d’un abus de procédure.

[35]  Un examen des plaidoiries de M. Hunt montre qu’elles sont non seulement frivoles, incluant ses demandes de dommages-intérêts se chiffrant à des millions de dollars, mais aussi souvent incompréhensibles et truffées de citations de sources juridiques peu ou pas pertinentes.

[36]  Au-delà de ses commentaires menaçants, M. Hunt a formulé des allégations non corroborées contre le procureur et la Cour. Notamment, il a parlé de corruption, de malveillance, de mauvaise foi et d’incompétence mentale. Ni la Cour ni le procureur n’ont à tolérer de telles insultes dans le cadre d’un litige. Les efforts déployés pour endiguer ce comportement se sont révélés vains. En fait, M. Hunt a refusé, à de nombreuses reprises, de reconnaître l’autorité de notre cour.

[37]  M. Hunt a fait état d’une infraction à ses droits garantis par l’article 7 de la Charte, mais sans présenter de demande cohérente.

[38]  Dans la mesure où il est possible de saisir le sens général de sa demande fondée sur l’article 7, j’estime que l’article 7 ne s’applique pas en l’espèce. Si le préjudice psychologique allégué est avéré, il n’est néanmoins pas établi qu’il découle d’une action de l’État. M. Hunt affirme souffrir d’anxiété et de dépression, troubles pour lesquels il doit s’automédicamenter.

[39]  La mesure prévue par l’article 40 n’interdit pas à M. Hunt l’accès aux tribunaux. Je ne vois pas en quoi les circonstances de l’espèce priveraient une « personne ayant une sensibilité raisonnable » de la sécurité de sa personne. Cela dit, une personne ayant une sensibilité raisonnable n’aurait probablement pas engendré les circonstances de l’espèce.

[40]  Notre Cour comprend que M. Hunt est une personne troublée. Il ne fait nul doute qu’il ressent la douleur et l’angoisse qui ont mené à son comportement. Si la Cour avait le pouvoir de remédier à sa situation, elle le ferait. Toutefois, la Cour peut seulement traiter avec les manifestations de ce désordre intérieur et protéger le processus judiciaire et les personnes qui œuvrent au sein du système judiciaire.

[41]  Pour tous ces motifs, la Cour accueille la requête de la défenderesse/partie requérante, sans dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 1er mars 2017

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1725-15

 

INTITULÉ :

BRADLEY HUNT c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 février 2017

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Bradley Hunt

 

Pour le demandeur

(partie intimée)

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Stewart Phillips

 

Pour la défenderesse

(partie requérante)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

(partie requérante)

 

 

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