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Date : 20170323

Dossier : IMM-3024-16

Référence : 2017 CF 302

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2017

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

OBEID FARMS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi ou la LIPR) à l’encontre d’une décision rendue par le ministre le 30 juin 2016 (la décision), où il concluait que la demanderesse ne respectait pas les conditions établies aux articles 209.3 ou 209.4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) et recommandait d’ajouter le nom de la demanderesse à la liste des employeurs non conformes (la liste d’inadmissibilité), conformément au paragraphe 209.91(2) du Règlement.

[2]  La décision du ministre relative au non-respect, par la demanderesse, des exigences liées aux salaires et aux conditions de travail est confirmée. La Cour conclut cependant que la décision liée au défaut de la demanderesse de déployer des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence doit être annulée et renvoyée au ministre, accompagnée de directives.

I.  Résumé des faits

[3]  La demanderesse est une ferme familiale qui recourt au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) depuis plus de 23 ans. De mars 2014 à janvier 2015, la demanderesse a reçu trois études d’impact sur le marché du travail (EIMT) positives. Elle a également été informée par écrit de ses droits et obligations pour établir sa conformité au PTET, qui comprenait de s’acquitter des obligations prévues dans le contrat de travail du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (contrat du PTAS).

A.  Cadre réglementaire

[4]  Les employeurs qui recourent au PTET doivent accepter de respecter les diverses conditions prévues aux articles 209.3 et 209.4 du Règlement.

[5]  L’article 209.5 dispose qu’il est possible de soumettre un employeur qui a demandé et obtenu une EIMT et qui a employé un travailleur étranger temporaire (TET) à une inspection s’il y a des motifs de soupçonner une non-conformité, si l’employeur n’a pas respecté les conditions par le passé ou si l’employeur a été choisi dans le cadre d’une vérification aléatoire de la conformité.

[6]  S’il est conclu qu’un employeur n’a pas respecté les conditions du PTET à la suite d’une inspection, l’article 209.91 dispose qu’il soit banni du programme pendant deux ans et voie son nom et son adresse être inscrits sur la liste publique d’employeurs non admissibles.

B.  L’inspection

[7]  Les allégations à l’égard de la demanderesse ont été faites par un TET, qui alléguait de piètres conditions de travail et de vie, ainsi que de la violence physique. Le 26 février 2016, un inspecteur a informé la demanderesse qu’elle ferait l’objet d’une inspection, en application de l’article 209.5 du Règlement, et a demandé à obtenir des documents établissant le respect des conditions. Le 10 mars 2016, la demanderesse a répondu à cette demande. Le 30 mars 2016, l’inspecteur a demandé à obtenir d’autres documents. Le 4 avril 2016, la demanderesse a répondu à cette demande. Au début du mois d’avril, l’inspecteur s’est rendu à la ferme de la demanderesse pour y faire l’inspection. Le 12 avril 2016, l’inspecteur a demandé à obtenir d’autres renseignements, a informé la demanderesse de ce qu’il estimait être des violations du PTET et a demandé à obtenir une justification à ces violations. La demanderesse a répondu à la demande de renseignements supplémentaires le 18 avril 2016 et a présenté ses justifications le 5 mai 2016.

C.  La décision

[8]  Le 17 juin 2016, le sous-ministre a présenté au ministre un mémoire dans lequel il lui recommandait de conclure que la demanderesse n’avait pas respecté les conditions. Dans le mémoire, on indiquait avoir conclu à l’existence d’un motif raisonnable permettant de conclure que la demanderesse n’avait pas respecté les conditions liées aux salaires (défaut d’avoir des ententes écrites avec des travailleurs étrangers dans les cas où des retenues supplémentaires étaient prélevées des chèques de paye), aux conditions de travail (défaut d’avoir des ententes écrites avec les travailleurs afin de faire passer leur horaire de travail de six jours par semaine à sept jours par semaine), aux efforts raisonnables faits pour fournir un lieu de travail exempt de violence, à la présentation de documents et à la conservation de documents. Les détails sur les motifs de la recommandation étaient exposés dans l’annexe au mémoire.

[9]  Le ministre a conclu que la demanderesse n’avait pas respecté les conditions liées aux salaires. L’inspection a permis de constater que des retenues de 200 à 250 $ avaient été prélevées pour environ 20 TET au cours de leurs six premières semaines d’emploi. Dans les documents de l’employeur, la déduction était désignée sous « Avance ». La demanderesse avait pourtant indiqué que ces employés avaient reçu des avances d’argent à leur arrivée. L’inspecteur n’a pas pu confirmer l’existence de paiements anticipés ni déterminer si l’employé avait consenti aux retenues supplémentaires, puisque les TET visés ne se trouvent plus au Canada.

[10]  En outre, la demanderesse n’a pas pu produire les chèques annulés pour certaines périodes de paye pour plusieurs TET. La demanderesse a informé l’inspecteur que ces travailleurs avaient été payés en espèces et qu’aucun reçu ou registre n’avait été conservé.

[11]  Le ministre a aussi conclu que la demanderesse n’avait pas respecté les conditions de travail. L’inspection a permis de constater que les 20 TET travaillaient systématiquement sept jours par semaine, même si le contrat de travail indiquait qu’ils devaient avoir une journée de repos après six jours de travail. À l’audience, après examen du rapport d’inspection, il semble que les TET travaillaient une demi-journée de plus, qui leur était créditée afin de leur permettre de rentrer plus tôt chez eux. Malgré l’entente selon laquelle toutes modifications au contrat doivent être apportées par écrit, l’employeur n’a présenté aucune preuve d’une telle entente écrite avec les TET, affirmant que ces ententes étaient verbales. Il a de nouveau été impossible de le confirmer auprès des TET, puisqu’ils ne se trouvent plus au Canada.

[12]  Le ministre a conclu que la demanderesse n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence. La demanderesse n’avait aucune politique ou procédure sur un lieu de travail exempt de violence et elle n’a offert aucune formation particulière ou aucun autre mécanisme aux TET pour leur permettre de recenser et de régler les situations de violence dans le lieu de travail.

[13]  Le ministre a conclu que la demanderesse n’avait pas respecté l’exigence de conserver des documents liés au respect des conditions et de présenter ces documents au besoin. L’employeur n’a pas été en mesure de fournir à l’inspecteur les renseignements et les documents supplémentaires requis sur les ententes écrites, les contrats avec l’employeur et la preuve des paiements en espèces.

[14]  Dans le mémoire, on reconnaît également qu’il s’agirait de la première conclusion de non-respect des conditions pour un employeur qui participe au Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) et qu’elle aurait probablement des répercussions plus vastes sur ce secteur, en plus de susciter une attention considérable du public.

[15]  Le 30 juin 2016, le ministre a décidé d’afficher les renseignements de la demanderesse sur la liste des employeurs non admissibles et de lui interdire l’accès au PTET pendant deux ans.

II.  Dispositions législatives applicables

[16]  Vu la complexité des conditions pertinentes prévues par la loi en ce qui concerne la présente demande, elles sont exposées en trois parties : la première porte sur l’exigence de ne pas modifier les salaires et les conditions de travail et de faire des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence; la deuxième porte sur la conservation de documents; et la troisième porte sur les sanctions.

[17]  Les dispositions relatives au maintien des salaires et des conditions de travail et aux efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence se trouvent aux sous-alinéas 209.3(1)a)(iv) et (v). La violence aux fins du sous-alinéa 209.3(1)a)(v) est définie à l’alinéa 72.1(7)a). La justification quant au non-respect de ces exigences se trouve à l’alinéa 209.3(1)c), qui en retour intègre les alinéas 203(1.1)d) et e) du Règlement. Voici les dispositions pertinentes accompagnées de mes soulignements.

Conformité

209.3 (1) L’employeur qui a présenté une offre d’emploi à un étranger visé au sous-alinéa 200(1)c)(iii) est tenu de respecter les conditions suivantes :

209.3 (1) An employer who has made an offer of employment to a foreign national referred to in subparagraph 200(1)(c)(iii) must comply with the following conditions:

 

a) pendant la période d’emploi pour laquelle le permis de travail est délivré à l’étranger :

(a) during the period of employment for which the work permit is issued to the foreign national,

[…]

[…]

(iv) il lui confie un emploi dans la même profession que celle précisée dans son offre d’emploi et lui verse un salaire et lui ménage des conditions de travail qui sont essentiellement les mêmes — mais non moins avantageux — que ceux précisés dans l’offre,

iv) the employer must provide the foreign national with employment in the same occupation as that set out in the foreign national’s offer of employment and with wages and working conditions that are substantially the same as — but not less favourable than — those set out in that offer, and

(v) il fait des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence au sens de l’alinéa 72.1(7)a);

(v) the employer must make reasonable efforts to provide a workplace that is free of abuse, within the meaning of paragraph 72.1(7)(a);

 

72.1(7) Pour l’application du paragraphe (6) :

72.1(7) For the purpose of subsection (6),

 

a) la notion de violence vise, selon le cas :

(a) abuse consists of any of the following:

(i) la violence physique, notamment les voies de fait et la séquestration,

(i) physical abuse, including assault and forcible confinement,

(ii) la violence sexuelle, notamment les contacts sexuels sans consentement,

(ii) sexual abuse, including sexual contact without consent,

(iii) la violence psychologique, notamment les menaces et l’intimidation,

(iii) psychological abuse, including threats and intimidation, and

(iv) l’exploitation financière, notamment la fraude et l’extorsion;

(iv) financial abuse, including fraud and extortion; and

Justification

209.3(3) Le non-respect des conditions prévues aux alinéas (1)a) et b) est justifié s’il découle de l’une des circonstances prévues au paragraphe 203(1.1).

209.3(3) A failure to comply with any of the conditions set out in paragraphs (1)(a) and (b) is justified if it results from any of the circumstances set out in subsection 203(1.1).

 

203(1.1) Le non-respect des critères prévus au sous-alinéa (1)e)(i) est justifié s’il découle :

203(1.1) (1.1) A failure to satisfy the criteria set out in subparagraph (1)(e)(i) is justified if it results from

 

[…]

[…]

 

d) d’une interprétation erronée de l’employeur, faite de bonne foi, quant à ses obligations envers l’étranger, s’il a indemnisé tout étranger qui s’est vu lésé par cette interprétation ou, s’il ne les a pas indemnisé, il a consenti des efforts suffisants pour le faire;

(d) an error in interpretation made in good faith by the employer with respect to its obligations to a foreign national, if the employer subsequently provided compensation — or if it was not possible to provide compensation, made sufficient efforts to do so — to all foreign nationals who suffered a disadvantage as a result of the error;

 

e) d’une erreur comptable ou administrative commise par l’employeur à la suite de laquelle celui-ci a indemnisé tout étranger lésé par cette erreur ou, s’il ne les a pas indemnisé, il a consenti des efforts suffisants pour le faire;

(e) an unintentional accounting or administrative error made by the employer, if the employer subsequently provided compensation — or if it was not possible to provide compensation, made sufficient efforts to do so — to all foreign nationals who suffered a disadvantage as a result of the error;

[18]  Les dispositions pertinentes liées à l’exigence de tenir des documents exacts se trouvent aux sous-alinéas 209.3(1)c)(i) et (ii). La justification quant au non-respect de ces dispositions se trouve aux paragraphes 209.3(4) et 209.4(1) et (2), qui intègre l’article 209.7 comme suit :

Conformité

209.3 (1) L’employeur qui a présenté une offre d’emploi à un étranger visé au sous-alinéa 200(1)c)(iii) est tenu de respecter les conditions suivantes :

209.3 (1) An employer who has made an offer of employment to a foreign national referred to in subparagraph 200(1)(c)(iii) must comply with the following conditions:

 

[…]

[…]

 

c) pendant une période de six ans à compter du premier jour de la période d’emploi pour laquelle le permis de travail est délivré à l’étranger :

(c) during a period of six years beginning on the first day of the period of employment for which the work permit is issued to the foreign national, the employer must

 

(i) il peut démontrer que tout renseignement qu’il a fourni aux termes des paragraphes 203(1) et (2.1) était exact,

(i) be able to demonstrate that any information they provided under subsections 203(1) and (2.1) was accurate, and

 

(ii) il conserve tout document relatif au respect des conditions prévues aux alinéas a) et b).

(ii) retain any document that relates to compliance with the conditions set out in paragraphs (a) and (b).

Justification

209.3(4) Le non-respect des conditions prévues à l’alinéa (1)c) est justifié si l’employeur a fait tous les efforts raisonnables pour respecter celles-ci.

209.3(4) A failure to comply with either of the conditions set out in paragraph (1)(c) is justified if the employer made all reasonable efforts to comply with the condition.

209.4 (1) L’employeur visé aux articles 209.2 ou 209.3 est tenu de respecter les conditions suivantes :

209.4 (1) An employer referred to in section 209.2 or 209.3 must

[…]

[…]

b) fournir les documents exigés par l’article 209.7;

(b) provide any documents that are required under section 209.7; and

[…]

[…]

209.4(2) Le non-respect des conditions prévues au paragraphe (1) est justifié si l’employeur a fait tous les efforts raisonnables pour respecter celles-ci ou si le non-respect découle d’actions ou d’omissions que l’employeur a commises de bonne foi.

209.4(2) A failure to comply with any of the conditions set out in subsection (1) is justified if the employer made all reasonable efforts to comply with the condition or if it results from anything done or omitted to be done by the employer in good faith.

209.7 (1) Si l’une des circonstances prévues à l’article 209.5 se présente :

209.7 (1) If any of the circumstances set out in section 209.5 exists,

a) l’agent peut, aux fins de vérification du respect des conditions prévues à l’article 209.2, exiger que l’employeur lui fournisse tout document relatif au respect de celles-ci;

(a) an officer may, for the purpose of verifying compliance with the conditions set out in section 209.2, require an employer to provide them with any document that relates to compliance with those conditions; and

b) le ministre de l’Emploi et du Développement social peut, aux fins de vérification du respect des conditions prévues à l’article 209.3, exiger que l’employeur lui fournisse tout document relatif au respect de celles-ci.

(b) the Minister of Employment and Social Development may, for the purpose of verifying compliance with the conditions set out in section 209.3, require an employer to provide him or her with any document that relates to compliance with those conditions.

[19]  Les dispositions pertinentes concernant les sanctions imposées pour non-conformité se trouvent aux paragraphes 209.91(2) et (3), maintenant abrogées, comme suit :

209.91(2) Si le ministre de l’Emploi et du Développement social conclut, en se fondant sur les renseignements obtenus dans l’exercice des pouvoirs prévus aux articles 209.6, 209.7 et 209.9 et sur tout autre renseignement pertinent, qu’un employeur n’a pas respecté l’une des conditions prévues aux articles 209.3 et 209.4 et que ce non-respect n’est pas justifié, il en informe l’employeur et ajoute les nom et adresse de celui-ci à la liste visée au paragraphe (3).

209.91(2) If the Minister of Employment and Social Development determines, on the basis of information obtained during the exercise of the powers set out in sections 209.6, 209.7 and 209.9 and any other relevant information, that an employer did not comply with any of the conditions set out in section 209.3 or 209.4 and that the failure to do so was not justified, that Minister must notify the employer of that determination and must add the employer’s name and address to the list referred to in subsection (3).

 

209.91(3) La liste contenant les nom et adresse de chaque employeur visé aux paragraphes (1) et (2) et 203(5) et la date où la conclusion a été formulée à leur égard est affichée sur le site Web du ministère.

209.91(3) A list is to be posted on the Department’s web site that sets out the name and address of each employer referred to in subsections (1) and (2) and 203(5) and the date on which the determination was made in respect of the employer.

 

III.  Questions en litige

[20]  L’appelant soulève les questions suivantes :

  1. La décision était-elle raisonnable?

    1. Le ministre a-t-il commis une erreur en omettant de décider si la violation commise par la demanderesse était justifiée?

    2. Était-il raisonnable pour le ministre de conclure que la demanderesse n’avait pas offert des salaires et des conditions de travail qui étaient essentiellement les mêmes que ceux indiqués dans ses EIMT antérieures?

    3. Était-il raisonnable pour le ministre de conclure que la demanderesse n’avait pas fait des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence?

  2. Le ministre a-t-il porté atteinte au droit à l’équité procédurale de la demanderesse?

IV.  Norme de contrôle

[21]  La demanderesse fait valoir que les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit sont soumises à la norme de contrôle de la décision raisonnable puisque l’application de l’article 209.91 dispose que le ministre interprète et applique sa propre loi, ce à quoi le défendeur souscrit. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Il n’est pas controversé entre les parties que la question de l’équité procédurale est susceptible de révision en fonction de la norme de la décision correcte. Je partage cet avis dans les deux cas.

V.  Discussion

A.  La décision était-elle raisonnable?

1)  Le ministre a-t-il commis une erreur en omettant de décider si les violations commises par la demanderesse étaient justifiées?

[22]  La demanderesse fait valoir que la décision était déraisonnable et qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, puisque le ministre n’a pas décidé si les violations alléguées commises par la demanderesse étaient justifiées, comme l’exige le paragraphe 209.91(2) du Règlement.

[23]  La demanderesse soutient qu’il était évident, aux termes du paragraphe 209.91(2) (maintenant abrogé), que les décisions de non-conformité liées aux dispositions du Règlement qui portent sur les TET devaient être prises en deux étapes distinctes : d’abord, une conclusion de non-conformité, ensuite, une conclusion selon laquelle « l’omission de le faire n’était pas justifiée. » Même sans cette disposition, les termes de la loi aux articles 209.3(3) et (4) permettent de justifier une non-conformité. Le paragraphe 209.3(3) intègre les dispositions de justification que l’on trouve au paragraphe 203(1.1). L’alinéa d) du paragraphe 209.3(1.1) permet de justifier une non-conformité attribuable à une interprétation erronée faite de bonne foi, s’il y a indemnisation par la suite. De même, l’alinéa e) de la même disposition permet de justifier une erreur comptable ou administrative commise par l’employeur à la suite de laquelle celui-ci a indemnisé tout étranger lésé par cette erreur.

[24]  La demanderesse soutient que la décision se limite à examiner si elle a omis de respecter les conditions du PTET. Par conséquent, une conclusion de non-conformité a été rendue conformément aux paragraphes 209.91(1) et (2) sans décider si les violations étaient justifiées. La demanderesse fait valoir qu’elle a justifié les violations, qu’elle a qualifiées d’erreurs administratives ou d’erreurs commises de bonne foi; pourtant, cette question n’est aucunement abordée dans la décision et le dossier. La demanderesse soutient que le mémoire et les annexes auraient dû à tout le moins inclure un sommaire de tous les renseignements pertinents ayant permis de rendre une décision sur les deux questions.

[25]  À propos du dernier point, je ne souscris pas au fait que la décision doit respecter une forme précise ou renvoyer de façon détaillée aux renseignements pertinents ayant permis de la rendre (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62).

[26]  Plus concrètement, et comme il en est question ci-dessous, la décision tenait compte de l’analyse menée en vue de déterminer si les violations étaient justifiées. Le ministre s’est appuyé sur un sommaire (annexe A) de l’analyse de l’inspecteur, qui était limité et qui ne comprenait pas le rapport intégral de l’inspecteur. Le dossier indique néanmoins que l’inspecteur a tenu compte des justifications présentées par la demanderesse avant de conclure qu’elles n’étaient pas suffisamment étayées par des éléments de preuve fiables. De plus, les justifications fournies ne répondaient pas aux critères explicites énoncés dans le Règlement. Il n’était donc pas nécessaire d’approfondir ces justifications alléguées dans la décision.

[27]  La Cour rejette donc les arguments de la demanderesse selon lesquels la décision n’a pas tenu compte de la justification aux diverses conclusions de non-conformité. Elle est aussi d’avis qu’il était raisonnable de rejeter des justifications sous chacun des cas de non-respect des conditions par la demanderesse et que ce rejet était suffisamment expliqué pour étayer la décision. La Cour se penchera maintenant sur chacun des aspects particuliers de la non-conformité.

2)  Était-il raisonnable pour le ministre de conclure que la demanderesse n’avait pas offert des salaires et des conditions de travail qui étaient essentiellement les mêmes que ceux indiqués dans ses EIMT antérieures?

a)  Modification des salaires des travailleurs – Retenues non corroborées pour des paiements anticipés en espèces

[28]  L’inspecteur a résumé ainsi ses conclusions sur cette question :

[traduction]

En fonction des renseignements présentés par l’employeur, l’inspecteur a déterminé que des retenues de 200 à 250 $ avaient été prélevées pour 20 travailleurs étrangers temporaires au cours des six premières semaines d’emploi. L’employeur a indiqué qu’il avait versé des paiements anticipés, sans toutefois pouvoir établir qu’ils avaient bel et bien été faits. Qui plus est, le contrat de travail du PTAS exige d’avoir une entente écrite avec les travailleurs étrangers pour toute déduction supplémentaire prélevée à même leurs chèques de paye. L’employeur n’a présenté aucun élément de preuve d’ententes écrites avec les travailleurs étrangers par lesquelles ils confirmaient leur consentement aux retenues. L’inspecteur n’a pas pu confirmer l’existence des paiements anticipés ou le consentement aux retenues supplémentaires directement auprès des travailleurs étrangers temporaires, puisqu’ils ne se trouvent plus au Canada.

[Non souligné dans l’original]

[29]  Entre autres motifs à l’appui de la conclusion de non-conformité indiquée dans le rapport de l’inspecteur, mentionnons d’abord le fait que la demanderesse n’avait présenté aucun élément de preuve confirmant que les paiements anticipés avaient été versés, puis qu’elle n’avait pas respecté l’exigence de mettre par écrit les ententes, comme celles où le travailleur consent au prélèvement des retenues. Dans ses arguments écrits, la demanderesse a indiqué qu’elle n’était pas au courant des exigences relatives aux paiements anticipés. L’inspecteur a rejeté ces arguments et fait remarquer que le contrat du PTAS exige de conclure une entente écrite avec les travailleurs étrangers pour toute déduction supplémentaire prélevée à même les chèques de paye. L’inspecteur a aussi mentionné qu’il ne pouvait pas confirmer l’existence des avances ou du consentement directement auprès des TET, puisqu’ils ne se trouvaient plus au Canada.

[30]  La demanderesse soutient que les renseignements fournis décrivaient des plaintes relatives à des situations de non-conformité où [traduction] « des erreurs administratives ou des erreurs ont été commises de bonne foi. » Le libellé des dispositions de justification s’applique toutefois seulement dans le cas [traduction] « d’une interprétation erronée faite de bonne foi » ou [traduction] « d’erreurs comptables ou administratives », s’il y a indemnisation par la suite. Aucune de ces justifications ne semble s’appliquer dans les circonstances, selon une interprétation stricte.

[31]  À cet égard, la Cour est d’avis que les dispositions de justification doivent être interprétées de façon stricte. Cette conclusion découle d’un examen de ces dispositions dans leur contexte et lorsqu’elles sont interprétées en fonction de leur objet. Lorsqu’il a adopté ces dispositions, le législateur avait l’intention d’empêcher l’exploitation de travailleurs étrangers temporaires très vulnérables, vu leur situation d’emploi fragile qui n’est pas assortie des mesures de protection habituelles empêchant les abus et qui sont offertes à la plupart des travailleurs canadiens.

[32]  Vu le but et le contexte des dispositions de justification, la Cour croit qu’une justification fondée sur la bonne foi peut uniquement survenir lorsque la non-conformité peut être considérée comme avantageuse pour le travailleur et qu’elle est dans son intérêt supérieur ou souhaité. Autrement, les dispositions de justification seraient utilisées pour contourner un régime devant être interprété de manière stricte. Assurément, on ne pas peut justifier l’ignorance d’une condition d’une EIMT ou d’une exigence de contrat du PTAS selon une prémisse de bonne foi, surtout lorsque les obligations sont prévues dans des dispositions contractuelles que la demanderesse est présumée connaître.

[33]  Un exemple de l’application appropriée de l’exigence selon laquelle l’exception à la justification offre un avantage au travailleur est évident dans l’aspect du [traduction] « changement aux conditions salariales et de travail » que la Cour examine en l’espèce. La situation de l’employeur qui modifie le régime de paiement des salaires en offrant aux travailleurs étrangers une allocation en espèces à leur arrivée semble constituer, aux yeux de la Cour, un avantage pour les travailleurs, dans la mesure où le fait de disposer d’argent pour faire des achats pour leurs besoins domestiques et connexes les aiderait à s’installer. Inversement, il est peu probable qu’un arrangement aux termes duquel le septième jour de repos est éliminé pour tous les travailleurs soit avantageux pour l’ensemble de ces derniers, à tout le moins si l’on se fie aux normes d’emploi au Canada et aux modalités du contrat du PTAS, qui interdit d’apporter des changements sauf dans des circonstances très limitées.

[34]  En ce qui concerne les avances d’argent, même si l’on retient l’idée qu’elles ont été faites de bonne foi en tant qu’avantage offert aux travailleurs et qu’elles découlaient d’une interprétation des exigences, le fait qu’il n’y a aucune preuve de leur versement aux travailleurs demeure problématique. L’inspecteur a indiqué qu’il ne pouvait pas confirmer les avances ni le consentement aux retenues supplémentaires directement auprès des travailleurs, puisqu’ils ne se trouvaient plus au Canada.

[35]  La demanderesse a une conception erronée de cette conclusion en décrivant qu’il s’agit d’une situation où l’inspecteur a conclu qu’[traduction] « il était impossible pour l’inspecteur de déterminer si l’un des travailleurs étrangers précédents de la demanderesse avait consenti à l’avance d’argent et à travailler 6,5 jours par semaine. » La demanderesse a obtenu une lettre de l’un de ses employés de longue date, qui confirme que les employés ont consenti au à paiement anticipé en espèces et à travailler la journée de plus. La demanderesse a fait valoir que cet élément de preuve justifierait son défaut de respecter les modalités de l’EIMT et du contrat du PTAS, mais qu’il n’a pas été pris en considération dans la décision.

[36]  Selon ma compréhension, l’inspecteur utilise le terme « directement » pour faire référence à un degré de fiabilité et d’efficacité administrative exigé par les dispositions relatives au PTET. La preuve la plus fiable et la plus probante pour confirmer les paiements anticipés et le consentement des employés à travailler plus de temps doit être obtenue en même temps et directement par écrit auprès des employés. L’inspecteur indique dans son rapport que si les travailleurs étaient au Canada et étaient disponibles pour participer à une entrevue, il tiendrait compte de cette forme de preuve, même si elle est moins fiable, parce qu’il pourrait obtenir l’information directement des travailleurs.

[37]  Au Canada, on n’utilise habituellement pas d’argent comptant pour effectuer des opérations dans un contexte commercial ou d’emploi, sauf pour des opérations mineures comme celles liées à la petite caisse. Il irait à l’encontre des normes d’emploi au Canada de recourir à des paiements en espèces pour disperser des fonds considérables de l’ordre de 5 000 $ en tout pour des allocations en espèces de 200 ou 250 $ pour 20 employés ou plus, sans consigner adéquatement les paiements au moyen de reçus et en décrivant les retenues sur les talons de paye. Le but même des exigences liées à la documentation indiquées dans l’EIMT et dans le contrat du PTAS est d’empêcher le méfait causé par l’utilisation de paiements en espèces non documentés dans le contexte de l’emploi et de le faire de manière efficace sur le plan administratif, où la preuve des paiements est consignée et conservée dans des registres écrits.

[38]  De plus, à titre d’observation de la Cour sur le recours aux paiements en espèces, je crois qu’il est possible d’affirmer, en tant que proposition générale, qu’il y a une présomption sous-jacente dans les questions d’emploi selon laquelle il faut éviter de faire des opérations en espèces, à moins de les consigner adéquatement dans les registres de l’entreprise. Un élément qui est reconnu et consigné en même temps peut être soumis à une vérification dans le cadre d’un audit ou d’un autre mécanisme. Les opérations en espèces se sont toutefois avérées être des indices d’activité illégale, puisqu’elles ne sont pas assujetties à une vérification par des institutions indépendantes tierces, comme des banques. Les opérations en espèces sont donc soumises à une norme de corroboration plus élevée et ce fardeau incombe à l’employeur.

[39]  La Cour observe également que les registres doivent être conservés pendant six ans, conformément au Règlement. Cela représente la durée de la période au cours de laquelle des enquêtes peuvent être menées. Les renseignements documentés sont de loin les éléments de preuve les plus fiables sur de longues périodes, comme six ans.

[40]  Je conclus que l’inspecteur, et donc le ministre, ont agi raisonnablement en décidant d’exiger que la justification à la non-conformité liée aux paiements en espèces, si elle doit être accordée en tant qu’exception à la règle exigeant de documenter rigoureusement les opérations en espèces, se limite aux situations où l’inspecteur peut confirmer directement l’élément de preuve à sa satisfaction, tout en respectant les paramètres de temps raisonnables pour mener une enquête administrative.

[41]  De plus, il n’incombe pas à l’inspecteur de justifier la non-conformité d’un employeur. Par conséquent, en l’espèce, on ne peut réprimander l’inspecteur pour avoir refusé d’accepter des éléments de preuve beaucoup moins fiables d’un travailleur qui réside à l’étranger plutôt que la preuve raisonnable exigée dans les modalités de l’EIMT et du contrat du PTAS et conçue pour éviter que ce genre de situation ne survienne.

b)  Paiements des salaires en espèces non vérifiables

[42]  À l’annexe B de la décision, l’inspecteur a précisé que l’employeur n’avait pas réussi à produire des chèques annulés pour certaines périodes de paye pour plusieurs TET. En guise de justification, la demanderesse a indiqué que les travailleurs avaient été payés en espèces, mais n’a pas conservé de reçus ou d’autres relevés permettant de vérifier les opérations. La demanderesse n’a pas abordé expressément cet aspect de la décision. En l’état actuel, il n’y a aucune justification apparente. Lorsque la Cour a porté cette question à l’attention des parties à l’audience, on l’a renvoyée aux pages 18 et 19 du rapport détaillé de l’inspecteur, où les circonstances entourant chaque paiement en espèces étaient documentées.

[43]  Le ministre ne disposait pas du rapport détaillé de l’inspecteur; il a seulement été produit à titre de pièce dans le dossier du défendeur. Lorsque la demanderesse s’est opposée à son admission, les parties se sont entendues, pendant l’audience, sur le fait qu’il ne pourrait servir qu’à répondre aux allégations d’iniquité procédurale de la part de la demanderesse. En raison de cette opposition et de la décision de la Cour relative au consentement, il semblerait que la demanderesse s’est prise à son propre piège, puisqu’elle peut s’appuyer sur le contenu du rapport détaillé. Si la Cour ne peut pas consulter les détails importants sur ces paiements en espèces et la justification présentée par la demanderesse, il semble impossible de critiquer la décision d’avoir omis de tenir compte de la justification alors que la demanderesse n’en présente aucune.

[44]  Même en mettant de côté ces scrupules liés à la preuve, après une lecture attentive des pages 18 et 19 du rapport, il semble que l’inspecteur a relevé dix situations où des paiements n’avaient pas été effectués ou, s’ils l’avaient été, avaient été effectués en espèces. Sept de ces paiements allégués en espèces n’étaient pas documentés et n’ont pu être vérifiés. Par conséquent, aucun élément de preuve lié à ces paiements en espèces particuliers ne peut justifier les violations du programme de l’EIMT par la demanderesse.

c)  Modification des conditions de travail des travailleurs – Travail sept jours par semaine

[45]  Selon le sommaire du rapport de l’inspecteur indiqué dans la décision, les vingt TET ont travaillé sans cesse sept jours par semaine pendant leur emploi chez la demanderesse. L’inspecteur a précisé que selon le contrat du PTAS, les TET devaient avoir une journée de repos par période de six journées travaillées. Toute modification à cette exigence devait être consignée par écrit et entendue par l’employeur et le travailleur.

[46]  L’inspecteur a conclu que le temps additionnel travaillé ne respectait pas le PTAS, puisque les ententes prétendument conclues avec les travailleurs à cette fin n’étaient pas consignées par écrit et n’étaient donc pas assujetties à une vérification directe. La demanderesse a avancé un argument semblable dans le cas des retenues non documentées tenant lieu d’allocations en espèces, soit que l’inspecteur a refusé de tenir compte de la lettre d’un employé de longue date qui attestait que les travailleurs acceptaient de travailler le temps de plus, parce qu’il n’avait pas pu obtenir cet élément de preuve directement. Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la Cour conclut que le ministre n’a commis aucune erreur susceptible de révision en concluant que les éléments de preuve présentés par la demanderesse ne permettaient pas de justifier son non-respect des conditions du programme.

[47]  Il convient de mentionner qu’à l’audience, encore une fois en s’appuyant apparemment sur le rapport détaillé de l’inspecteur, que l’avocat de la demanderesse a dit que le temps de plus travaillé par les TET représentait une demi-journée de leur jour de congé habituel, le mardi. Les travailleurs auraient soi-disant obtenu un crédit pour ce temps afin de leur permettre de retourner chez eux avant la date de fin de leur contrat.

[48]  La Cour précise qu’il est stipulé, dans le contrat du PTAS, que l’employé peut uniquement travailler pendant une journée de repos « lorsqu’il faut absolument terminer le travail agricole, l’employeur peut demander au travailleur de reporter sa journée de repos jusqu’à une date mutuellement convenue. » Même si ce point n’a pas été présenté à la Cour comme question en litige, il faut mentionner qu’aucune preuve d’urgence ne pourrait justifier le report du travail à une autre date, même en supposant que des ententes avaient été conclues à cet égard.

[49]  La Cour réitère qu’elle est d’avis que la modification des conditions de travail en vue de permettre aux travailleurs de travailler sept jours par semaine sans repos ne peut être considérée comme une justification de bonne foi. Il est impossible de supposer qu’un horaire de travail sans interruption au Canada soit dans l’intérêt supérieur ou souhaité de tous les travailleurs, même s’ils devaient y consentir. Les lois canadiennes sur l’emploi et le travail ne peuvent pas cautionner une telle pratique.

[50]  En outre, la Cour voit avec un certain cynisme le « caractère volontaire » de ces ententes lorsque tous les employés consentent à travailler sans arrêt pendant une période prolongée, comme en l’espèce. En gardant à l’esprit le déséquilibre important du pouvoir en faveur de l’employeur, on peut supposer avec raison que le travailleur qui rejette la demande de l’employeur le fait avec une certaine anxiété raisonnable, soit qu’il se trouvera en désavantage au moment d’obtenir un emploi futur auprès de l’employeur ou au Canada, soit qu’il subira un autre préjudice. La Cour est d’avis qu’il convient d’appliquer de façon stricte la modalité du contrat qui limite la semaine de travail de sept jours aux situations d’urgence manifestes.

[51]  En ce qui concerne le non-respect par la demanderesse des exigences de documentation prévues dans le Règlement, l’EIMT et le contrat du PTAS, la Cour conclut que la demanderesse ne les a pas respectées en concluant que la demanderesse n’est pas parvenue à corroborer par écrit les diverses opérations décrites ci-dessus.

3)  Était-il raisonnable pour le ministre de conclure que la demanderesse n’avait pas fait des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence?

[52]  L’inspecteur a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni un lieu de travail exempt de violence. Il a conclu que la demanderesse n’avait aucune politique ou procédure sur un lieu de travail exempt de violence et elle n’avait offert aucune formation particulière ou aucun autre mécanisme aux TET afin de leur permettre de cerner et de régler les situations de violence qui auraient pu survenir dans le lieu de travail.

[53]  La demanderesse soutient qu’il n’était pas raisonnable pour l’inspecteur de décider qu’elle n’avait pas respecté cette exigence, puisqu’il n’y avait aucune conclusion de violence. La Cour rejette cet argument. Les politiques et procédures sur le lieu de travail sont de nature préventive et visent à éviter la violence. De plus, sans de telles politiques et sans formation, on ne peut pas dire avec certitude qu’aucun cas de violence n’est survenu par le passé. Il se peut que la violence n’ait pas été reconnue ou que, même si elle l’a été, le travailleur n’aurait pas su quelle procédure suivre pour gérer la situation ou qu’il aurait pu craindre des représailles s’il déposait une plainte.

[54]  Cela étant dit, il m’incombe en l’espèce de décider si la demanderesse a fait des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence, et non de savoir si la mise en œuvre de politiques et de formation appropriées a permis d’atteindre cet objectif. Dans son sommaire, l’inspecteur a mal interprété l’exigence réglementaire en concluant que la non-conformité ne satisfaisait pas à [traduction] « [l’]exigence de fournir un lieu de travail exempt de violence (sous-alinéa 209.3(1)a)(iv)) ». Cela diffère grandement de la question de savoir si l’employeur [traduction] « a fait des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence ». Le ministre a adopté la recommandation de ses représentants selon laquelle la demanderesse devait être reconnue non conforme puisqu’elle n’avait pas fait « des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence ». Rien ne permet de croire, cependant, que cette recommandation ne se fondait pas sur le sommaire du rapport de l’inspecteur qui, selon ma conclusion, constitue le fondement à la conclusion de non-conformité.

[55]  Même si j’ai rejeté l’argument avancé par la demanderesse au paragraphe 53 plus haut, selon lequel il doit y avoir preuve de violence pour montrer qu’aucun effort raisonnable n’a été fait, inversement, rien ne prouve que le lieu de travail n’était pas exempt de violence, pour quelque raison que ce soit, y compris les efforts personnels qu’a faits la demanderesse ou les normes comportementales des travailleurs eux-mêmes. La conclusion de l’inspecteur selon laquelle la demanderesse n’a pas fourni un lieu de travail exempt de violence ne repose sur aucun fondement. Pour cette raison, le fait que de telles politiques ne soient pas en place ne signifie pas nécessairement que la demanderesse n’a pas fait d’efforts raisonnables à cette fin.

[56]  La norme du caractère raisonnable est très, voire presque entièrement, contextuelle. Elle est réputée être objective dans la mesure où pour déterminer le caractère raisonnable d’une conduite, on place la personne raisonnable fictive dans la même situation que la demanderesse en l’espèce afin d’établir si elle s’est raisonnablement conduite dans ces circonstances. La preuve du caractère raisonnable se fonde souvent sur les normes d’autres personnes se trouvant dans une situation semblable; en l’espèce, elle pourrait se fonder sur des éléments de preuve d’autres exploitations agricoles dans des situations semblables. La Cour est d’avis que d’autres petites exploitations agricoles employant des TET auraient pu interpréter cette disposition d’une façon semblable, en ne sachant pas réellement ce que l’exigence comportait véritablement, hormis l’assurance qu’aucun cas de violence ne survenait.

[57]  Je le dis parce que les modalités de l’EIMT et du contrat du PTAS ne prévoient pas que les « efforts raisonnables » exigeraient d’adopter des politiques appropriées et de former le personnel. Si ces dernières constituaient des conditions de référence pour déterminer les efforts raisonnables, on s’attendrait à ce que l’exigence contienne un libellé approprié à cet égard. La demanderesse soutient qu’elle a été prise de court par cette interprétation des efforts raisonnables et que, si elle avait su qu’il s’agissait d’exigences, elle aurait agi pour les mettre en œuvre. L’inspecteur semble avoir accepté ce point de vue puisqu’il a indiqué au départ que l’absence de telles mesures était justifiée, parce qu’il fallait dire à la demanderesse de mettre en place des politiques écrites pour que ses efforts soient considérés comme déraisonnables. Il a par la suite modifié ce raisonnement pour déterminer si des efforts raisonnables avaient été faits en se demandant si ces politiques et cette formation avaient été offertes; je conclus qu’il s’agit d’une déformation de l’exigence réglementaire.

[58]  Par conséquent, la décision du ministre de conclure que la demanderesse n’a pas fourni un lieu de travail exempt de violence constitue une erreur susceptible de révision, pour autant qu’elle déforme l’exigence juridique et, par conséquent, les éléments de preuve pertinents à prendre en considération. Le ministre doit déterminer les efforts faits par la demanderesse pour fournir un lieu de travail exempt de violence et établir si ces efforts étaient raisonnables dans ses circonstances.

[59]  Le fait de renvoyer cette question au ministre pour nouvel examen donnera aux administrateurs du programme l’occasion de déterminer s’il faut mener un nouvel examen sur cette question, plutôt que de peut-être mettre en œuvre des politiques ou des programmes plus précis visant à aider les petites entreprises qui emploient des TET à satisfaire aux exigences liées à un lieu de travail exempt de violence.

B.  Le ministre a-t-il porté atteinte au droit à l’équité procédurale de la demanderesse?

[60]  La demanderesse soutient que l’inspecteur a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. Il est constant que le niveau d’équité procédurale requis dans des cas comme l’espèce est relativement faible : Frankie’s Burgers Lougheed Inc c Canada (Emploi et Développement social), 2015 CF 27, au paragraphe 73.

[61]  J’ai déjà rejeté le premier argument avancé par la demanderesse selon lequel il y avait eu manquement à l’équité procédurale, puisque l’inspecteur avait effectivement tenu compte du document fourni par le travailleur d’outre-mer, qui déclarait que les travailleurs avaient consenti au paiement des salaires sous forme d’avance et à travailler sept jours par semaine. Rien ne permet d’affirmer que c’est une question d’équité procédurale quand il s’agit de la fiabilité des éléments de preuve présentés.

[62]  Ensuite, je conclus que pendant l’enquête de près de quatre mois, la demanderesse savait quelle était la preuve à réfuter et avait eu l’occasion de répondre : Catastrophe Solutions International c Canada (Ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail), 2016 CF 1004.

[63]  Ensuite, la déclaration de la demanderesse selon laquelle il existait des ententes verbales entre elle et ses employés pour le travail de la journée supplémentaire n’a pas fait l’objet d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Cette question porte encore une fois sur le poids pouvant être accordé à de telles déclarations dans une situation de violence éventuelle à l’égard de TET vulnérables, comprenant la non-conformité reconnue par la demanderesse, qui indiquait ignorer que de telles ententes devaient être écrites. Du fait que la demanderesse cherchait à corroborer ses ententes verbales, elle reconnaissait effectivement que ces déclarations devaient être corroborées. Toutefois, des corroborations effectuées de façon indirecte ne suffisaient pas pour répondre aux exigences de fiabilité requises aux termes du Règlement.

[64]  Enfin, la demanderesse a été informée à répétition qu’elle devrait présenter une preuve des paiements; la décision de l’inspecteur n’est donc aucunement surprenante. La preuve ne soutient pas l’argument selon lequel l’inspecteur a créé un [traduction] « faux sentiment de sécurité ».

VI.  Conclusion

[65]  Outre la conclusion relative aux efforts raisonnables faits pour fournir un lieu de travail exempt de violence, la décision de conclure au non-respect du Règlement sans justification répond au critère établi dans Dunsmuir. Les exigences relatives à l’équité procédurale ont elles aussi été remplies.

[66]  La conclusion selon laquelle la demanderesse n’a pas montré qu’elle avait fait des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence est annulée. Elle se fonde sur un raisonnement qui constitue une mauvaise interprétation des modalités en matière de conformité auxquelles la demanderesse devait se plier, soit de fournir un lieu de travail exempt de violence, ainsi que sur une conclusion de fait erronée selon laquelle elle n’a pas respecté cette condition, ce qui n’est pas raisonnablement étayé dans le dossier. Cette question est renvoyée au ministre pour décider si la demanderesse a fait des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence, conformément aux directives de la Cour présentées dans les présents motifs.

[67]  Les parties ne demandent la certification d’aucune question aux fins d’un appel, et aucune n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande est accueillie et la décision est annulée, mais uniquement en ce qui concerne la question de savoir si la demanderesse a omis de faire des efforts raisonnables pour fournir un lieu de travail exempt de violence. La question est renvoyée au défendeur, assortie des directives indiquées ci-dessus. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 27e jour d’avril 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3024-16

 

INTITULÉ :

OBEID FARMS c LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Steven Meurrens

Pour la demanderesse

 

Malcolm Palmer

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larlee Rosenberg

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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