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Date : 20170317


Dossier : IMM-2417-16

Référence : 2017 CF 285

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 mars 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

HASSEN ALKHAIRAT, ANDALIB ALKAIRAT, et HAYA ALKHAIRAT

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               Hassen Al Khairat (M. Al Khairat), Andalib Al Khairat (Mme Al Khairat), et Haya Al Khirat (ensemble les demandeurs) sont des réfugiés syriens. La famille a demandé le statut de résidents permanents au Canada alors qu’elle était en Jordanie, en ayant recours à un parrainage privé dans le cadre du Projet de réinstallation de réfugiés syriens. Après deux entrevues en personne, les demandeurs ont été avisés dans une lettre datée du 19 avril 2016, que leur demande pour obtenir un visa de résidence permanente au Canada avait été rejetée. L’agent d’immigration ayant rendu la décision a estimé que la preuve présentée par les demandeurs n’était pas crédible et qu’il était par conséquent impossible de décider s’ils étaient ou non interdits de territoires. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la décision de l’agent était raisonnable.

A.                 Intitulé

[2]               Après discussion à l’audience, l’intitulé dans cette affaire doit être modifié. Les demandeurs ont confirmé l’épellation anglaise de leurs noms dans leur passeport respectif comme étant Hassen Al Khairat, Andalib Al Khairat et Haya Al Khirat, bien qu’en arabe leurs noms de famille soient tous identiques (Al Khairat). Les demandeurs ont indiqué qu’il s’agissait là d’une erreur de traduction. Pour assurer l’harmonie avec leurs passeports, je modifierai l’intitulé de la cause afin qu’il indique la version anglaise de leurs noms, et utiliserai le cas échéant cette version de leur nom en l’espèce.

II.                 Résumé des faits

[3]               Lorsqu’il vivait en Syrie, M. Al Khairat travaillait comme gestionnaire de la zone libre Syrie-Jordanie, assurant la gestion du transit de marchandises entre les deux pays. Les allégations indiquent qu’après l’éclatement de la guerre civile, il a parlé publiquement contre l’utilisation d’armes chimiques par le gouvernement. Les demandeurs affirment que le frère de M. Al Khairat a été enlevé et que des membres de l’Armée syrienne libre (ASL) – un groupe rebelle – ont communiqué à deux reprises avec M. Al Khairat pour solliciter son aide financière et menacer M. Al Khairat.

[4]               Les demandeurs ont fui la Syrie en juillet 2012 après l’éclatement de la guerre civile et se sont établis en Jordanie. Ils ont demandé le statut de réfugiés au Canada le 31 octobre 2015, à la suite de l’annonce par le gouvernement canadien sur la réinstallation de réfugiés syriens. Ils ont été parrainés par le neveu de M. Al Khairat et le Comité central mennonite du Canada.

[5]               Les demandeurs ont été interrogés deux fois en Jordanie durant la procédure de demande : une première fois le 24 janvier 2016 et une seconde fois le 22 février 2016. La première entrevue réunissait six membres de la famille Al Khairat. Trois de ces demandeurs ont reçu depuis le statut de réfugié au Canada. M. Al Khairat était la seule personne présente à la seconde entrevue.

[6]               La seconde entrevue a été organisée à la demande de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) dans le but d’obtenir plus de renseignements sur les liens entre M. Al Khairat et Moosa Ahmad Al Masalma. M. Al Masalma est une personne intéressant l’ASFC à qui les demandeurs ont fait référence lors de leur première entrevue.

[7]               Après la seconde entrevue, l’agent d’immigration n’était pas convaincu que M. Al Khairat était franc et sincère dans sa communication de renseignements. L’agent a estimé que les éléments de preuve étaient insuffisants pour le convaincre que M. Al Khairat n’était pas interdit de territoire au Canada en vertu de l’article 11 et de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

III.               Norme de contrôle

[8]               La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable (Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 798, au paragraphe 11). L’agent a droit à la retenue de la Cour concernant son analyse des faits et son appréciation de la crédibilité d’un demandeur (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]).

IV.              Analyse

[9]               Si un demandeur n’est pas honnête et sincère, cela peut influer sur la fiabilité de l’ensemble de son témoignage. Un agent peut n’avoir alors pas assez de renseignements pour conclure qu’il n’est pas interdit de territoire en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi. L’agent n’a pas à tirer une conclusion précise d’interdiction de territoire. Le défaut par le demandeur de fournir une image complète de ses antécédents peut empêcher l’agent de conclure qu’un demandeur n’est pas interdit de territoire (Ramalingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 278, au paragraphe 37 [Ramalingam]).

[10]           En l’espèce, la question est de savoir si la conclusion de l’agent en matière de crédibilité était raisonnable et appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Les conclusions de l’agent en matière de crédibilité sont déterminantes, peu importe si l’affaire est examinée en vertu des articles 11, 16 ou 34 de la Loi.

[11]           Il incombe au demandeur de convaincre l’agent des visas qu’il satisfait aux conditions lui permettant d’immigrer au Canada (Muthui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 105, au paragraphe 33). Selon l’agent, M. Al Khairat ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

[12]           Les demandeurs affirment que les conclusions de l’agent n’offrent pas de motif raisonnable au rejet de leurs témoignages. En outre, ils affirment que l’agent a par erreur jugé leur histoire invraisemblable en se fondant sur ses propres spéculations. Les demandeurs remettent en question les trois aspects suivants des conclusions.

[13]           D’abord, les demandeurs affirment qu’il était déraisonnable pour l’agent de conclure que le témoignage de M. Al Khairat avait changé concernant le soutien financier offert à un groupe armé. Les demandeurs allèguent que M. Al Khairat n’a jamais nié qu’il y avait eu une demande de soutien, mais M. Al Khairat a toujours nié avoir fourni un soutien financier à l’ASL.

[14]           Deuxièmement, les demandeurs affirment que l’agent a tiré des conclusions déraisonnables fondées sur la nature des menaces et des demandes de l’ASL. Ils avancent que le terme soutien peut s’appliquer à beaucoup de choses, notamment à une déclaration publique de soutien ou d’aide financière, ce que l’agent a omis d’apprécier. Leur position est que M. Al Khairat n’était pas en mesure de dire quelle somme d’argent avait été demandée, puisqu’au montant précis n’a jamais été mentionné. M. Al Khairat a expliqué à l’agent tout l’éventail des menaces et des demandes, et l’agent n’aurait pas dû demander une menace ou une demande précise, puisque ce ne pouvait être sa faute si M. Al Masalma n’a pas précisé quel type de soutien il souhaitait obtenir ou quel montant il voulait, ou les détails des menaces.

[15]           La troisième conclusion déraisonnable, selon les demandeurs, concerne le manque allégué de crédibilité de M. Al Khairat entourant l’enlèvement de son frère. Les demandeurs affirment que le témoignage de M. Al Khairat concernant l’enlèvement est demeuré le même et n’a jamais changé. Selon la conclusion de l’agent, l’enlèvement ne s’était pas déroulé de la façon dont agirait, selon lui, un ravisseur raisonnable. Les demandeurs affirment qu’il était impossible pour M. Al Khairat d’expliquer les motivations et les méthodes des ravisseurs, et que c’était une erreur de la part de l’agent de présumer que les ravisseurs agiraient de manière raisonnable. Les demandeurs prétendent qu’il s’agissait là d’une conclusion portant sur la vraisemblance, et non une conclusion portant sur la crédibilité; à ce titre, le scénario était entièrement vraisemblable et les conclusions défavorables sur la vraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas les plus clairs.

[16]           Je ne suis pas d’accord avec la description que font les demandeurs des conclusions de l’agent. Les motifs de l’agent concernant sa décision sont indiqués dans les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) contemporain et les notes tirées des deux entrevues. Par contre, l’affidavit de M. Al Khairat explique maintenant en détail chacune de ses réponses et fournit un contexte qui n’apparaît pas dans les notes versées dans le SMGC. Il est bien établi en droit que, dans une demande de contrôle judiciaire, les seules pièces qui doivent être considérées sont celles que le décideur avait devant lui. Il incombe au demandeur de présenter ses meilleurs arguments à ce moment. Comme il avait eu deux entrevues pour raconter au responsable canadien ses négociations avec M. Al Masalma, il sera accordé peu de poids à des éléments de preuve que le décideur n’avait pas devant lui à ce moment.

[17]           Dans l’affidavit de l’agent des visas, on explique la procédure pour entrer des notes dans le SMGC. Selon le témoignage de l’agent, dans le cadre normal de ses activités, ses notes sont tapées dans un programme informatisé de traitement de textes et le temps nécessaire à la traduction facilite le tout. Après l’audience, il apporte des corrections concernant l’orthographe et la forme. L’agent copie ensuite ses notes dans le SMGC, qui inscrit la date et initialise l’entrée. Les notes ne peuvent être modifiées une fois qu’elles ont été entrées. Les notes du SMGC confirment que le 22 février 2016, des notes avec les initiales de l’agent ont été entrées et la lettre de refus envoyée par courriel à M. Al Khairat datait du 21 avril 2016.

[18]           En l’espèce, l’agent a indiqué directement à M. Al Khairat durant la seconde entrevue ses préoccupations quant à sa crédibilité. Il a ensuite donné à M. Al Khairat une chance de répondre à ces préoccupations. Toutefois, la réponse de M. Al Khairat ne traitait pas des préoccupations de l’agent.

[19]           Quand on examine les notes des deux entrevues, on remarque plusieurs écarts dans le témoignage de M. Al Khairat, dont certains sont soulignés par l’agent et d’autres ne sont pas inclus dans son raisonnement. Juger si la décision est raisonnable n’est bien sûr pas la même chose que rendre une décision de nouveau. Je dois uniquement examiner ce dont disposait le décideur et décider si sa conclusion était raisonnable. Le juge Reed a fait une mise en garde dans Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 13, 1999 CarswellNat 42, au paragraphe 1 : «  Je suis également consciente du fait qu’il convient de ne pas être trop " tatillon ", pour utiliser une expression familière, dans l’interprétation des notes SITCI. ».

[20]           Contrairement à la Section de la protection des réfugiés, qui lors de l’audience dispose de la transcription contenue dans un dossier certifié du tribunal souvent volumineux, en l’espèce, nous ne disposons que des notes versées dans le SMGC, et nous n’avons aucune transcription de l’entrevue. Cela amène les demandeurs à disséquer les notes de manière microscopique, afin de prouver que la décision était déraisonnable. Tout comme je ne vais pas faire une chasse au trésor phrase par phrase à la recherche d’une erreur, les demandeurs n’ont pas non plus à le faire (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54).

[21]           Toutefois, il est possible que l’agent ait commis des erreurs mineures, comme parler du beau-frère de M. Al Khairat au lieu de parler de son frère. Durant son entrevue, Mme Al Khairat a parlé de son beau-frère (c’est-à-dire le frère de M. Al Khairat) qui avait été enlevé, ce qui pourrait expliquer la confusion potentielle. Il ne s’agissait pas d’une erreur déterminante ayant influé sur la décision.

[22]           Il convient de faire preuve de retenue envers l’agent, qui a « l’avantage d’avoir eu un contact direct avec les demandeurs, lesquels ont été avertis à l’avance qu’ils seraient interrogés » (Ramalingam, précité, au paragraphe 47).

[23]           J’estime que le fait que les demandeurs aient eu deux entrevues, aient été informés des préoccupations sur la crédibilité et aient eu la chance de répondre à ces préoccupations dépasse l’équité procédurale à laquelle on s’attend normalement d’un agent des visas dans une telle situation. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’expertise locale de l’agent qui a interrogé les demandeurs en personne, et qui bénéficiait en plus des notes d’un autre agent ayant mené une entrevue en personne. Même avec l’occasion additionnelle qui leur a été offerte, les demandeurs ne sont toujours pas arrivés à convaincre l’agent. Les conclusions de l’agent en matière de crédibilité étaient étayées par la preuve, ce qui rend la décision raisonnable. Même s’il peut exister de légers problèmes avec les motifs de l’agent, leur effet cumulatif lui permettait d’affirmer de façon raisonnable qu’il ne pouvait conclure que les demandeurs n’étaient pas interdits de territoire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Sellan), 2008 CAF 381, aux paragraphes 3et 4). Je conclus que la décision, lue dans son ensemble, est raisonnable.

[24]           De plus, il ne sera accordé aucun poids à l’argument des demandeurs concernant de possibles problèmes de traduction, compte tenu des consignes détaillées à propos des traductions soulignées dans les notes versées au SMGC et du fait que rien n’a été dit à ce moment concernant des erreurs de compréhension.

[25]           Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12). Je conclus que cette décision est raisonnable et je rejetterai la demande.

[26]           Aucune des parties n’a présenté de question aux fins de certification, et aucune question à certifier ne découle des faits.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  L’intitulé de la cause doit être modifié pour indiquer : (Hassen Al Khairat, Andalib Al Khairat, Haya Al Khirat).

2.                  La demande est rejetée.

3.                  Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2417-16

 

INTITULÉ :

ALKHAIRAT ET AUTRES c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JANVIER 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 MARS 2017

 

COMPARUTIONS :

Evan C. Duffy

POUR LES DEMANDEURS

Maria Green

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Parlee McLaws LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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