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Date : 20170321


Dossier : T-948-16

Référence : 2017 CF 295

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2017

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

VAHID MAJIDIGORUH

demandeur

et

JAZZ AVIATION LP

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Vahid Majidigoruh demande un contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission], qui a rejeté la plainte qu’il avait déposée contre son employeur, Jazz Aviation LP, et dans laquelle il alléguait avoir été victime, de la part de son employeur, de discrimination fondée sur sa race, son origine nationale ou ethnique et son âge. Au terme d’une enquête, la Commission a conclu qu’une enquête plus approfondie sur la plainte de M. Majidigoruh n’était pas justifiée. En conséquence, la plainte a été rejetée.

[2]  M. Majidigoruh fait valoir que la Commission n’a pas mené une enquête assez exhaustive et qu’elle a omis des éléments de preuve essentiels. Il soutient également que l’enquête de la Commission était inéquitable, car l’enquêtrice a préjugé de l’issue de l’enquête et a fait preuve de partialité à son endroit. Jazz Aviation n’a pas participé à la présente instance.

[3]  Il ne fait aucun doute, à la lumière des arguments de M. Majidigoruh, que ce dernier a été profondément marqué par les événements qui ont mené au dépôt de sa plainte relative aux droits de la personne. Cependant, comme je le lui ai expliqué durant l’audience, mon rôle n’est pas de décider si j’en serais venue à la même conclusion que la Commission au sujet de sa plainte relative aux droits de la personne. Mon rôle se limite à déterminer si la décision de la Commission était raisonnable, eu égard aux éléments de preuve qui lui ont été présentés, et si le processus suivi par la Commission dans le cadre de son enquête était équitable.

[4]  J’ai examiné avec soin les arguments de M. Majidigoruh, mais celui-ci n’a pas réussi à me convaincre qu’il existe des motifs justifiant la révision de la décision de la Commission par la Cour. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.  Contexte

[5]  M. Majidigoruh est d’origine iranienne. Au moment de l’enquête menée par la Commission, il avait 40 ans. Il travaille pour la société Jazz Aviation depuis le 22 septembre 1998, où il occupe le poste de chef d’équipe, à titre d’ingénieur en mécanique. Il est membre de Jazz Tech, une unité de négociation locale affiliée à Unifor, qui compte environ 700 membres.

[6]  Jazz Aviation offre des vols nolisés privés dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. Son siège social est situé en Nouvelle-Écosse et l’entreprise a des bureaux régionaux à Vancouver, à Calgary, à Toronto et à Montréal.

[7]  Dans sa plainte relative aux droits de la personne, M. Majidigoruh alléguait avoir été soumis à un traitement différentiel préjudiciable de la part de son employeur, lequel ne lui avait pas assuré, entre le 1er octobre 2014 et le 1er janvier 2015, un milieu de travail exempt de harcèlement fondé sur sa race, son âge et son origine nationale ou ethnique. M. Majidigoruh a également déposé une plainte contre son syndicat. Bien que les deux plaintes aient été examinées conjointement par la Commission, la présente demande ne porte que sur la plainte déposée par M. Majidigoruh à l’endroit de son employeur.

[8]  M. Majidigoruh soutient avoir été victime de harcèlement de la part de son superviseur de quart, AF, entre 2010 et 2013, et prétend que son superviseur lui a témoigné de l’hostilité par le ton offensant ou moqueur qu’il utilisait en lui parlant, son langage corporel et ses commentaires non professionnels. Le 7 juillet 2013, M. Majidigoruh a déposé une plainte officielle de harcèlement à son employeur, au sujet de la conduite d’AF.

[9]  Jazz Aviation et le syndicat ont mené une enquête conjointe sur la plainte de M. Majidigoruh. L’enquête a mené à la production d’un rapport daté du 20 août 2013, dans lequel il a été conclu qu’AF avait eu [traduction] « un comportement hostile, non professionnel et négatif », mais que cela ne constituait pas du [traduction] « harcèlement personnel ». Dans une lettre datée du 29 août 2013, M. Majidigoruh a été informé que son superviseur serait tenu de suivre une formation et un mentorat en leadership.

[10]  Le 7 octobre 2014 ou aux alentours de cette date, M. Majidigoruh a déposé une deuxième plainte auprès de son employeur et de son syndicat, au sujet de la conduite d’AF. Dans cette plainte, M. Majidigoruh alléguait qu’AF l’ignorait, s’était éloigné de lui à deux occasions, l’avait rabaissé et lui avait donné le sentiment d’être incompétent devant d’autres chefs d’équipe. Dans son rapport d’enquête, la Commission a souligné le fait que deux autres chefs d’équipe, ceux-ci de race blanche, avaient aussi déposé des plaintes contre AF en alléguant des comportements comparables.

[11]  Le gestionnaire des ressources humaines de Jazz Aviation et le coordonnateur des droits de la personne du syndicat ont fait enquête sur les nouvelles allégations de M. Majidigoruh. Le 19 novembre 2014, M. Majidigoruh a été informé que sa plainte pour harcèlement personnel était fondée, mais qu’aucun élément de preuve n’indiquait qu’il avait été victime de discrimination fondée sur sa race. M. Majidigoruh a également été informé que [traduction] « des mesures correctives seraient prises pour s’assurer de mettre fin à ce type de comportements ».

[12]  L’entreprise a tenu à exprimer ses regrets pour la manière dont M. Majidigoruh avait été traité par son superviseur et elle l’a informé qu’AF souhaitait s’excuser auprès de lui et souhaitait avoir avec lui [traduction] « une discussion en présence d’un facilitateur pour tenter de trouver une solution à la situation actuelle ». Jazz Aviation a licencié AF le 20 janvier 2015, après avoir constaté que son comportement ne s’était pas amélioré.

[13]  M. Majidigoruh a déposé sa plainte auprès de la Commission le 4 janvier 2015.

II.  Décision de la Commission

[14]  Au terme de son enquête sur la plainte de M. Majidigoruh, la Commission a conclu que la plainte devait être rejetée au motif qu’il n’était pas justifié de mener une enquête plus approfondie. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, la Commission ne fournit que des motifs succincts à l’appui de sa décision, on considère que le rapport d’enquête constitue le raisonnement de la Commission : Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 37, [2006] 3 R.C.F. 392.

[15]  En se basant sur les conclusions de l’enquête interne, l’enquêtrice de la Commission a conclu que M. Majidigoruh avait été victime de harcèlement de la part de son superviseur. L’enquêtrice a également conclu que le harcèlement de la part d’AF avait été répété et inopportun et qu’il avait eu des conséquences néfastes sur le milieu de travail de M. Majidigoruh. Les éléments de preuve n’ont toutefois pas permis d’établir que la conduite d’AF était liée à l’origine nationale ou ethnique, à la race ou à l’âge de M. Majidigoruh.

[16]  L’enquêtrice a par ailleurs conclu que Jazz Aviation avait pris des mesures appropriées après le dépôt des plaintes de M. Majidigoruh auprès de l’entreprise et du syndicat, et que l’enquête sur chacune de ces plaintes avait été menée en temps opportun. À la suite de la première enquête, Jazz Aviation a offert à AF des séances de formation et de mentorat, et la conduite du superviseur a été notée dans le cadre de ses évaluations du rendement. De plus, après avoir constaté que le comportement d’AF ne s’était pas amélioré, l’entreprise l’a licencié.

[17]  M. Majidigoruh allègue en outre qu’il a fait l’objet d’un traitement différentiel préjudiciable fondé sur un motif de discrimination illicite. Plus précisément, il soutient que son employeur a réduit le nombre de postes réguliers de chefs d’équipe à son lieu de travail, dans l’intention d’éliminer son poste. Il soutient également que, malgré son ancienneté, l’entreprise ne l’a pas choisi pour le poste de superviseur de quart temporaire.

[18]  L’enquêtrice n’a pas écouté les enregistrements audio des conversations avec les témoins que M. Majidigoruh avait fournis à l’appui de ses allégations. L’enquêtrice a justifié cette décision par le fait qu’il était impossible d’authentifier les voix sur les enregistrements et de savoir dans quels contextes ces conversations avaient été enregistrées.

[19]  Selon l’enquêtrice, les éléments de preuve indiquaient que Jazz Aviation avait réduit le nombre de chefs d’équipe au bureau de M. Majidigoruh à Vancouver, en consultation avec le syndicat et conformément à la convention collective. De plus, cette réduction du nombre de chefs d’équipe était une décision de la direction qui touchait également d’autres chefs d’équipe au bureau de Vancouver. Enfin, l’enquêtrice a mentionné que ce changement n’avait pas eu d’incidence sur la désignation du poste de M. Majidigoruh ni sur sa rémunération, et que ce dernier avait conservé son poste de chef d’équipe.

[20]  Elle a aussi conclu que les éléments de preuve n’appuyaient pas l’allégation de M. Majidigoruh selon laquelle son gestionnaire avait rejeté à plusieurs reprises sa candidature pour le poste de superviseur de quart et avait délibérément écarté sa candidature pour ce poste. L’enquêtrice a noté que M. Majidigoruh avait reconnu n’avoir jamais demandé à son gestionnaire de lui permettre de travailler comme superviseur de quart, même si M. Majidigoruh dit en avoir discuté verbalement avec son représentant syndical.

[21]  Une copie du rapport d’enquête a été remise à M. Majidigoruh qui a eu l’occasion de présenter une réponse écrite à ce rapport. La Commission avait en main le rapport d’enquête et la réponse de M. Majidigoruh lorsqu’elle a rendu sa décision faisant l’objet du contrôle.

III.  Principes juridiques régissant les décisions de la Commission

[22]  Avant de se pencher sur les questions soulevées par M. Majidigoruh, il convient d’examiner d’abord la nature et l’étendue des obligations de la Commission lors d’une enquête sur une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6.

[23]  La Cour suprême du Canada s’est penchée sur le rôle de la Commission dans l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, 140 D.L.R. (4th) 193. Dans cet arrêt, la Cour a fait observer que la Commission n’était pas un organisme décisionnel et que c’était au Tribunal canadien des droits de la personne qu’il revenait de trancher les plaintes en matière de droits de la personne. Le rôle de la Commission consiste plutôt à « déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante » (au paragraphe 53). Voir également Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, [1989] A.C.S. no 103 (SEPQA).

[24]  La Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour décider si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, la poursuite de l’enquête est justifiée : Halifax (Regional Municipality) c. Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, aux paragraphes 21 et 25, [2012] 1 R.C.S. 364. D’ailleurs, dans la décision Bell Canada c. Syndicat canadien des Communications, de l’Énergie et du Papier (1998), [1999] 1 C.F. 113, [1998] A.C.F. no 1609, la Cour d’appel fédérale a fait observer, au paragraphe 38, que « [l]a Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête » [Non souligné dans l’original].

[25]  Cependant, lorsqu’il s’agit de déterminer si une enquête plus approfondie est justifiée, la Commission doit utiliser un processus équitable.

[26]  Dans Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, [1994] A.C.F. no 181, conf. par 205 N.R. 383 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a examiné l’obligation d’équité qui s’applique aux enquêtes de la Commission. La Cour a constaté que, pour respecter sa responsabilité prévue par la loi consistant à instruire les plaintes pour motif de discrimination, les enquêtes de la Commission doivent être à la fois neutres et exhaustives.

[27]  En ce qui concerne l’exigence d’exhaustivité, la Cour a fait observer dans la décision Slattery qu’il « faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes » (au paragraphe 56). L’enquêtrice n’était pas tenue d’interroger chacune des personnes proposées par les parties : Slattery, précité, au paragraphe 69; voir aussi Miller v. Canada (Canadian Human Rights Commission) (re Goldberg) (1996), 112 F.T.R. 195, au paragraphe 10, [1996] A.C.F. no 735. « Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose » : Slattery, précité, au paragraphe 56 [Non souligné dans l’original].

[28]  Pour ce qui est de ce qui constitue une « preuve manifestement importante », la Cour a statué « que le “critère [de la preuve] manifestement importante” exige qu’il soit évident pour n’importe quelle personne rationnelle que la preuve qui, selon le demandeur, aurait dû être examinée durant l’enquête était importante compte tenu des éléments allégués dans la plainte » : Gosal c. Canada (Procureur général), 2011 CF 570, au paragraphe 54, [2011] A.C.F. no 1147; Beauregard c. Postes Canada, 2005 CF 1383, au paragraphe 21, 294 F.T.R. 27.

[29]  L’exigence d’exhaustivité de l’enquête doit également être examinée en tenant compte des réalités administratives et financières de la Commission. Eu égard à ces faits, la jurisprudence a établi que les enquêtes de la Commission n’ont pas à être parfaites. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, au paragraphe 39, [2005] A.C.F. no 543 :

Tout contrôle judiciaire d’une procédure de la Commission doit reconnaître que l’organisme est maître de son processus et doit lui laisser beaucoup de latitude dans la façon dont il mène ses enquêtes. Une enquête portant sur une plainte concernant les droits de la personne ne doit pas être astreinte à une norme de perfection. Il n’est pas nécessaire de remuer ciel et terre. Les ressources de la Commission sont limitées et son volume de travail est élevé. Celle-ci doit alors tenir compte des intérêts en jeu : ceux des plaignants à l’égard d’une enquête la plus complète possible et l’intérêt de la Commission à assurer l’efficacité du système sur le plan administratif. [Renvois omis].

[30]  La jurisprudence a aussi établi qu’il est possible de surmonter certaines failles dans les enquêtes en accordant aux parties le droit de présenter des observations concernant le rapport d’enquête : Slattery, précité, au paragraphe 57. Comme l’a mentionné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley, précité, les seules erreurs qui justifieront une intervention de la Cour sont « [l]es erreurs d’enquête qui sont à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne peuvent y remédier » (au paragraphe 38).

[31]  Lorsque, comme il a été mentionné précédemment, la Commission adopte les recommandations formulées dans un rapport d’enquête et fournit des motifs limités pour justifier sa décision, on considère alors que le rapport d’enquête expose le raisonnement adopté par la Commission aux fins d’une décision rendue en application du paragraphe 44(3) de la Loi : voir SEPQA, précité, au paragraphe 35; Bell Canada, précité, au paragraphe 30.

[32]  Cependant, si la Commission décide de rejeter une plainte à cause d’une enquête lacunaire, cette décision sera elle-même lacunaire, car « [s]i les rapports sont défectueux, il s’ensuit que la Commission ne disposait pas d’un nombre suffisant de renseignements pertinents pour exercer à bon droit son pouvoir discrétionnaire » : voir Grover c. Canada (Conseil national de recherches), 2001 CFPI 687, au paragraphe 70, 206 F.T.R. 207; voir aussi Sketchley, précité, au paragraphe 112.

[33]  Après avoir passé en revue le rôle et les responsabilités de la Commission en ce qui concerne le traitement des plaintes pour motif de discrimination, je vais maintenant examiner les arguments de M. Majidigoruh quant à l’injustice du processus suivi par l’enquêtrice de la Commission et au caractère inapproprié de l’enquête dans la présente instance.

IV.  Partialité de la part de l’enquêtrice

[34]  M. Majidigoruh soutient que l’enquêtrice qui a été chargée de faire enquête sur sa plainte en matière de droits de la personne a préjugé de l’issue de l’enquête. À l’appui de cet argument, il indique que, dès le début de l’enquête, l’enquêtrice lui a dit qu’elle ne croyait pas que sa plainte ferait l’objet d’une audience devant le Tribunal canadien des droits de la personne. Selon M. Majidigoruh, ce commentaire témoigne d’une étroitesse d’esprit de la part de l’enquêtrice. Il existe, toutefois, deux problèmes concernant cet argument.

[35]  Le premier est qu’aucun élément de preuve versé au dossier n’appuie cette allégation de M. Majidigoruh. La seule preuve dont je dispose est la déclaration de M. Majidigoruh dans son mémoire des faits et du droit et lors de l’audience, selon laquelle l’enquêtrice aurait formulé le commentaire en question. La déclaration sous serment, présentée par M. Majidigoruh à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, ne fait nullement mention de ce commentaire de la part de l’enquêtrice, de sorte que cet argument est dépourvu de fondement probatoire.

[36]  Le deuxième problème vient du fait que M. Majidigoruh n’a jamais parlé à l’enquêtrice elle-même de ses appréhensions quant à sa possible partialité, pas plus qu’il n’a abordé cette question dans les observations qu’il a présentées à la Commission en réponse au rapport d’enquête.

[37]  Or, toute objection à la compétence d’un organisme décisionnel administratif fondée sur une crainte raisonnable de partialité doit être soulevée à la première occasion, sans quoi la partie sera réputée avoir renoncé à son droit de s’opposer : voir, par exemple, les décisions de la Cour suprême du Canada dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, [1990] A.C.S. no 129, de la Cour d’appel fédérale dans Zündel c. Canada (Commission des Droits de la Personne) (en l’affaire du Congrès juif canadien) (2000), 195 D.L.R. (4th) 399, [2000] A.C.F. no 1838 (CAF) et In Re Human Rights Tribunal and Atomic Energy of Canada Ltd., [1986] 1 F.C. 103, à la page 112 (C.A.).

[38]  Comme M. Majidigoruh n’a pas soulevé cette question de partialité devant la Commission, il s’ensuit qu’il ne peut la soulever maintenant.

V.  Caractère suffisant de l’enquête de la Commission

[39]  M. Majidigoruh fait valoir que l’enquête était lacunaire sur un certain nombre de points.

[40]  M. Majidigoruh a fourni à l’enquêtrice un enregistrement audio de certaines portions d’une réunion entre lui et des représentants syndicaux qui, prétend-il, corrobore ses allégations voulant que son poste ait été supprimé pour des motifs discriminatoires. Dans le rapport d’enquête, l’enquêtrice mentionne qu’elle n’a pas écouté les enregistrements, car [traduction« il n’y avait aucun moyen d’authentifier les voix et de déterminer le contexte dans lequel cette conversation avait eu lieu ».

[41]  Je conviens avec M. Majidigoruh que les motifs invoqués par l’enquêtrice pour refuser d’écouter les enregistrements sont déraisonnables. M. Majidigoruh aurait pu lui expliquer le contexte dans lequel ces discussions avaient été enregistrées, et lui dire de qui il s’agissait sur ces enregistrements. Au besoin, l’enquêtrice aurait pu ensuite demander aux personnes identifiées par M. Majidigoruh de confirmer la validité des enregistrements et le contexte dans lequel la conversation s’était déroulée.

[42]  Cela dit, ce ne sont pas toutes les lacunes dans une enquête qui compromettent une décision de la Commission. Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, la jurisprudence a établi qu’il est possible de pallier certaines failles dans les enquêtes en accordant aux parties le droit de présenter des observations concernant le rapport d’enquête : Slattery, précité, au paragraphe 57. Les seules erreurs pouvant justifier une révision judiciaire sont « [l]es erreurs d’enquête qui sont à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne peuvent y remédier » : Sketchley, précité, au paragraphe 38.

[43]  Ayant écouté les enregistrements en question, je ne suis pas convaincue qu’ils constituent une « preuve manifestement importante ». De plus, les bribes de conversation qui ont été enregistrées par M. Majidigoruh étaient très brèves, et M. Majidigoruh aurait pu facilement les résumer dans sa réponse au rapport d’enquête. Dans la mesure où le refus de l’enquêtrice d’écouter les enregistrements constitue une « erreur d’enquête », je suis convaincue qu’il s’agit toutefois d’une lacune à laquelle M. Majidigoruh aurait pu facilement remédier dans sa réponse. En réalité, M. Majidigoruh a résumé le contenu des enregistrements dans sa réponse; les commissaires auraient donc été informés du contenu de ces enregistrements au moment où ils ont rendu leur décision faisant l’objet du contrôle.

[44]  M. Majidigoruh soutient également que l’enquêtrice a fait une erreur en omettant d’interroger deux chefs d’équipe qu’il avait mentionnés. Dans le rapport d’enquête, il est indiqué que l’enquêtrice n’a pas interrogé les deux témoins [traduction] « car personne ne conteste le fait que le plaignant a été victime de harcèlement en milieu de travail ». M. Majidigoruh a abordé cette question dans sa réponse au rapport d’enquête, en précisant que ces témoins fourniraient des éléments de preuve, non seulement sur la personne qui le harcelait, mais également sur d’autres questions. Il n’a toutefois pas précisé comment les éléments de preuve de ces deux témoins viendraient étoffer sa plainte.

[45]  M. Majidigoruh a aussi eu l’occasion, dans sa réponse, d’aborder les autres erreurs qui, selon lui, ont été commises par l’enquêtrice de la Commission. Il a notamment indiqué que l’enquêtrice a commis une erreur en acceptant des éléments de preuve de représentants syndicaux qui, selon lui, étaient amis avec la direction. Il a en outre souligné à la Commission le fait que le harcèlement n’avait pas commencé en 2013, au moment où il a déposé sa première plainte, mais qu’il durait depuis 2010, ce qui, selon lui, minait la conclusion de l’enquêtrice selon laquelle les enquêtes sur ses plaintes internes avaient été menées en temps opportun. De plus, M. Majidigoruh a pu attirer l’attention de la Commission sur un courriel que l’on pourrait interpréter comme un élément témoignant du fait qu’il a informé son syndicat de son intérêt pour le poste de superviseur de quart. Cependant, aucune de ces questions ne constitue « des erreurs d’enquête qui sont à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne peuvent y remédier » : Sketchley, précité, au paragraphe 38.

VI.  Conclusion

[46]  Comme je l’ai mentionné au début de l’énoncé des motifs, il ne fait aucun doute que M. Majidigoruh a été profondément blessé par l’expérience qu’il a vécue dans son milieu de travail, et qu’il est très déçu de la décision rendue au sujet de sa plainte en matière de droits de la personne. Bien que je sois sensible à la position dans laquelle se trouve M. Majidigoruh, je ne suis pas convaincue qu’il ait été traité de manière inéquitable par la Commission, ni qu’une erreur susceptible de révision ait été commise dans le cadre de l’enquête sur la plainte.

[47]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Comme Jazz Aviation n’a pas comparu en l’instance, il n’y aura pas d’ordonnance d’adjudication des dépens.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire sans dépens.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-948-16

 

INTITULÉ :

VAHID MAJIDIGORUH c. JAZZ AVIATION LP

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

M. Vahid Majidigoruh

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Personne n’a comparu

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun avocat inscrit au dossier

Pour le défendeur

 

 

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