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Date : 20160906


Dossier : T-969-16

Référence : 2016 CF 1008

Montréal (Québec), le 6 septembre 2016

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE L’OUTAOUAIS

Requérante

et

SYNDICAT UNI DU TRANSPORT
(UNITÉ 591)

Intimé

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Nature de la requête

[1]               La présente requête écrite en vertu de la règle 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [« Règles »] vise à ordonner, conformément aux règles 423 et 431, l’exécution forcée d’une sentence arbitrale rendue le 5 mai 2016 par M. Renaud Paquet. Plus particulièrement, elle cherche à ordonner à l’intimé de prendre les mesures, notamment de divulguer les documents et renseignements nécessaires, pour que l’employeur puisse accomplir les tâches qui lui sont assignées par l’annexe « H » de la convention collective entre les parties.

II.                Aperçu

[2]               La requérante, Société de transport de l’Outaouais (STO), est une corporation offrant aux résidents des villes de Gatineau, Cantley et Chelsea un système de transport en commun urbain.

[3]               L’intimé, le Syndicat uni du transport, local 591, (Syndicat) est une association accréditée de salariés au sens du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 pour représenter les chauffeurs urbains et salariés d’entretien de la requérante.

[4]               Une convention collective de travail est intervenue entre les parties. Cette convention collective contient l’annexe « H » qui prescrit les tâches assignés à la STO pour l’administration de la couverture d’invalidité de longue durée des employés. L’annexe prescrit les tâches suivantes :

1.      Aviser l’assureur de tout changement affectant les syndiqués couverts ou leurs salaires aux fins de l’assurance invalidité de longue durée.

2.      Au besoin, fournir en temps opportun les renseignements et formulaires nécessaires aux syndiqués invalides afin que ceux-ci puissent commencer à recevoir au délai prévu par le régime le cas échéant, les prestations d’assurance-emploi à compter du début du temps prévu au régime s’il y a lieu.

3.      Fournir à l’assureur et le syndiqué toute l’information et les demandes de prestations nécessaires afin que le paiement des prestations d’invalidité de longue durée puisse commencer dans le délai approprié prévu au régime.

4.      Faire le suivi des dossiers de réclamations, s’il y a lieu.

5.      Facturer mensuellement le Syndicat pour les cotisations d’assurance collective (autres que celles d’invalidité de longue durée), cotisations syndicales et cotisations au fonds de pension autrement versées par un syndiqué lorsque celui-ci reçoit des prestations d’assurance-chômage.

[5]               Le 5 mars 2015, la STO a déposé un grief alléguant que le syndicat a violé la convention et, plus particulièrement, que, suite à un changement d’assureur, le syndicat a manqué à ses obligations en agissant comme si l’annexe « H » était caduque. D’ailleurs, le Syndicat aurait agi de manière à empêcher la STO de faire le suivi médical en ne transmettant pas les informations pertinentes aux dossiers d’invalidité à la STO.

[6]               Le 5 mai 2016, M. Renaud Paquet a rendu une sentence arbitrale avec le dispositif suivant :

DÉCLARE que l’annexe « H » de la convention collective demeure en vigueur même si l’assureur a changé le 1er janvier 2015;

ORDONNE au syndicat de prendre les mesures pour que l’employeur puisse, au plus tard le 20 mai 2016, pleinement accomplir les tâches qui lui sont assignées par l’annexe « H » de la convention collective.

[7]               En vue de faire respecter cette ordonnance, la requérante a demandé, par l’entremise d’une lettre du 16 mai 2016, les documents qu’elle juge nécessaires pour qu’elle puisse accomplir les tâches qui lui sont assignées par l’annexe « H ». Notamment, les documents que la requérante juge nécessaires sont les suivants :

1.      Copie du contrat d’assurance;

2.      Coordonnées et rôle des agents d’indemnisation attitrés aux dossiers, de leurs superviseurs et du responsable de compte;

3.      Tous les documents relatifs aux réclamations et à la facturation;

4.      Copie des formulaires de réclamation;

5.      Détail relatif aux procédures de réclamation et les délais de rigueur.

[8]               L’intimé n’a transmis aucun document et a indiqué, le 20 mai 2016, qu’il entendait contester la sentence arbitrale par le biais d’un pourvoi en contrôle judicaire. La requérante a réitéré sa demande pour ces documents le 20 mai 2016.

[9]               Le 3 juin 2016, l’intimé a déposé un pourvoi en contrôle judiciaire de la sentence arbitrale. Il n’y a eu, cependant, aucun sursis de la sentence arbitrale.

[10]           La requérante a demandé à M. Paquet, par l’entremise d’une lettre datée du 6 juin 2016, de compléter le dispositif de sa décision en précisant les documents nécessaires pour satisfaire à l’annexe « H ». Suivant cette demande, l’arbitre Renaud Paquet a rendu une nouvelle décision le 31 août 2016 dans laquelle il conclue qu’il est functus officio et donc n’a pas la compétence pour préciser les documents auxquels la requérante a droit. La nouvelle décision a aussi noté que le litige devant lui ne concernait pas l’identification des documents précis qui devraient être fournis.

[11]           Le 21 juin 2016, la Cour fédérale a émis un certificat de dépôt de la sentence arbitrale conformément à l’article 66 du Code canadien du travail. Le 29 juin 2016, la requérante a signifié ce dépôt et a réitéré sa demande pour les documents et renseignements énumérés à l’intimé. À ce jour, aucun document ou information ne lui a été transmis.

III.             Loi pertinente

[12]           L’article 66 du Code canadien du travail prévoit comment une partie peut rendre exécutoire l’ordonnance d’un arbitre :

Exécution des décisions

Filing of orders and decisions in Federal Court

66 (1) La personne ou l’organisation touchée par l’ordonnance ou la décision de l’arbitre ou du conseil d’arbitrage peut, après un délai de quatorze jours suivant la date de l’ordonnance ou de la décision ou après la date d’exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale une copie du dispositif de l’ordonnance ou de la décision.

66 (1) Any person or organization affected by any order or decision of an arbitrator or arbitration board may, after fourteen days from the date on which the order or decision is made or given, or from the date provided in it for compliance, whichever is the later date, file in the Federal Court a copy of the order or decision, exclusive of the reasons therefor.

(2) L’ordonnance ou la décision d’un arbitre ou d’un conseil d’arbitrage déposée aux termes du paragraphe (1) est enregistrée à la Cour fédérale; l’enregistrement lui confère la valeur des autres jugements de ce tribunal et ouvre droit aux mêmes procédures ultérieures que ceux-ci.

(2) On filing an order or decision of an arbitrator or arbitration board in the Federal Court under subsection (1), the order or decision shall be registered in the Court and, when registered, has the same force and effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the order or decision were a judgment obtained in the Court.

[13]           La requête pour exécution forcée est déposée conformément à la partie 12 et aux articles 423 et 431 des Règles :

Compétence exclusive

Where brought

 

423 Toute question concernant l’exécution forcée d’une ordonnance relève de la Cour fédérale.

423 All matters relating to the enforcement of orders shall be brought before the Federal Court.

 

Accomplissement de l’acte par une autre personne

Performance by other person

 

431 Si une personne ne se conforme pas à l’ordonnance exigeant l’accomplissement d’un acte, la Cour peut, sur requête, sans préjudice de son pouvoir de la punir pour outrage au tribunal, ordonner :

431 Where a person does not comply with an order to perform an act, without prejudice to the powers of the Court to punish the person for contempt, on motion, the Court may order that

 

 

a) que l’acte requis soit accompli par la personne qui a obtenu l’ordonnance ou par toute autre personne nommée par la Cour;

(a) the required act be performed by the person by whom the order was obtained or by another person appointed by the Court; and

b) que le contrevenant assume les frais de l’accomplissement de l’acte, déterminés de la manière ordonnée par la Cour, et qu’un bref d’exécution soit délivré contre lui pour le montant de ces frais et les dépens.

(b) the non-complying person pay the costs incurred in the performance of the act, ascertained in such a manner as the Court may direct, and that a writ of execution be issued against the non-complying person for those costs.

 

IV.             Questions en litige

[14]           La requérante soumet les questions en litige suivantes :

1.      Cette honorable cour est-elle fondée d’enjoindre à l’intimée à se conformer à l’ordonnance de M. Paquet rendue le 5 mai 2016?

2.      Cette honorable cour peut-elle permettre à la requérante, afin d’accomplir les tâches qui lui sont assignées par l’annexe « H », de prendre possession des documents susmentionnés, en la possession de l’intimé, considérant les refus répétés de ce dernier?

V.                Question préliminaire

[15]           À la fin de ses représentations écrites, l’intimée demande que, malgré que cette requête a été présentée par écrit, la Cour convoque les parties à une audience afin de rendre une décision sur la requête. Cette demande par l’intimée n’est appuyée par aucun raisonnement.

[16]           Je suis en accord avec la requérante que, à défaut d’une indication de comment une audience aiderait la Cour à rendre une décision, il est préférable que je rende ma décision uniquement sur la base des dossiers de requête déposés par les parties.

VI.             Analyse

[17]           La requérante a raison d’affirmer que la sentence arbitrale est devenue exécutoire par son dépôt à la Cour fédérale et que, il s’ensuit donc, en l’absence de sursis de l’exécution, l’intimé doit se conformer à cette ordonnance. L’intimé n’a pris aucune mesure suite à la sentence arbitrale pour respecter l’ordonnance et il tente en vain de résister à l’exécution forcée de celle-ci.

[18]           Premièrement, au sujet de l’affirmation de l’intimé que ni la requérante ni ses employés n’ont subi de préjudice allégué, je note que (i) l’arbitre a ordonné à l’intimé de prendre les mesures pour que la requérante puisse pleinement accomplir les tâches qui lui sont assignées par l’annexe « H » de la convention collective, et (ii) l’intimée n’a rien fait en conséquence. À mon avis, il n’est pas nécessaire d’évaluer le préjudice afin de justifier l’exécution forcée d’une ordonnance.

[19]           Deuxièmement, l’argument de l’intimée selon lequel la requérante requiert l’exécution forcée découlant d’un contrat d’assurances qui n’existe plus doit être rejeté. L’intimé tente à nouveau un argument qui a été rejeté par l’arbitre. Cette question était centrale à la sentence arbitrale et, après avoir reconnu qu’il y avait eu un nouveau contrat d’assurances, l’arbitre a déclaré que l’annexe « H » demeurait en vigueur.

[20]           Troisièmement, l’intimé affirme à tort que l’ordonnance découlant de la sentence arbitrale est « purement déclaratoire ». Il est évident que, d’une part, l’arbitre a « déclaré » que l’annexe « H » de la convention collective était toujours en vigueur et, d’autre part, que l’arbitre a « ordonné » au syndicat de prendre les mesures pour que l’employeur puisse accomplir les tâches qui lui sont assignées. Je ne vois aucune raison de ne pas conclure que cette deuxième partie de la sentence arbitrale est exécutoire.

[21]           L’intimée soumet que l’ordonnance dans la sentence arbitrale n’est pas suffisamment précise pour que l’intimé puisse savoir comment s’y conformer. L’intimé cite Telus Mobilité c Syndicat des travailleurs en télécommunications, 2002 CFPI 1268 aux paragraphes 38 et suivants pour affirmer qu’une ordonnance doit contenir des directions spécifiques pour qu’une partie puisse raisonnablement s’y conformer. Il faut se rappeler que ces commentaires se situent dans le contexte d’une procédure pour outrage au tribunal et non pour exécution forcée. Ceci étant dit, il faut garder à l’esprit que l’intimé doit pouvoir savoir comment se conformer à une ordonnance étant l’objet d’une exécution forcée afin d’éviter des procédures pour outrage.

[22]           En l’espèce, l’intimé ne peut établir que l’ordonnance est ambiguë. L’ordonnance renvoie l’intimé à l’annexe « H » qui existe entre les parties depuis 30 ans (à travers plusieurs renouvellements de la convention collective) sans aucune indication de difficulté d’interprétation. Je ne vois aucune indication que l’intimé aie allégué devant l’arbitre que l’annexe « H » était ambigu. De plus, je ne vois aucune preuve que l’intimée a de la difficulté à interpréter ses obligations découlant de l’ordonnance.

[23]           Il s’ensuit des conclusions dans le paragraphe précédent qu’il n’est pas nécessaire ni approprié d’étendre la portée de l’ordonnance en ajoutant référence aux documents énumérés par la requérante. Ces documents sont simplement l’interprétation de la requérante de ce que l’ordonnance requiert et je ne prendrai aucune position sur cette question. Il suffit de réaffirmer que je ne suis pas persuadé que l’ordonnance, en renvoyant au texte précis de l’annexe « H », est ambiguë.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente requête pour l’exécution forcée de la sentence arbitrale rendue le 5 mai 2016 par M. Renaud Paquet soit accueillie avec dépens et que l’intimé prenne les mesures sans délai pour que l’employeur puisse pleinement accomplir les tâches qui lui sont assignées par l’annexe « H » de la convention collective.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-969-16

 

INTITULÉ :

SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE L’OUTAOUAIS c SYNDICAT UNI DU TRANSPORT (UNITÉ 591)

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 SEPTEMBRE 2016

 

REQUÊTE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), EN VERTU DE LA RÈGLE 369.

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Me Isabelle Carpentier-Cayen

Me Judith Séguin

 

POUR LA REQUÉRANTE

 

Me Maryse Lepage

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RPGL

Avocats

Gatineau (Québec)

 

POUR LA REQUÉRANTE

 

Bastien, Moreau, Lepage

Avocats

Gatineau (Québec)

POUR L’INTIMÉ

 

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