Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160925


Dossier : IMM-3986-16

Référence : 2016 CF 1118

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

ANDRIY RYABININ, MARYNA ZADROZHNA VLADYSLAV ZADOROZHNYI, ANDRIY RYABININ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE

[1]               Les demandeurs déposent une requête en sursis de leur renvoi en Ukraine, prévu aujourd’hui même.

[2]               Les demandeurs forment une famille, soit le père, la mère et leurs deux enfants mineurs. Ils sont arrivés au Canada en août 2015 et ont demandé l’asile peu après. Le 14 mars 2016, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a conclu que leur revendication du statut de réfugiés n’avait aucun fondement crédible. La Cour a rejeté leur demande subséquente d’autorisation d’un contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Le 13 juin 2016, les demandeurs ont soumis une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR].

[3]               Le 29 août 2016, les demandeurs ont reçu l’instruction de se présenter pour leur renvoi en Ukraine le 10 septembre 2016. La mesure de renvoi a été révoquée le 9 septembre. Le 10 septembre 2016, une nouvelle convocation pour renvoi a été signifiée aux demandeurs. La convocation indiquait que le renvoi était prévu le 25 septembre 2016. Quand ils ont reçu la nouvelle convocation pour renvoi, ils ont déposé une requête en sursis de la mesure auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], au motif qu’un renvoi en Ukraine de Vladyslav, leur fils de 15 ans, irait à l’encontre de son intérêt compte tenu de son état mental. En juin 2016, après une tentative de suicide par intoxication avec des antidépresseurs, Vladyslav a reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique [TSPT] et de trouble de l’adaptation avec humeur mixte anxieuse et dépressive. Selon le diagnostic, sa peur de retourner dans son pays d’origine constituait le principal déclencheur de sa tentative de suicide.

[4]               Le 23 septembre 2016, un agent d’exécution de la loi dans les bureaux intérieurs [agent] a rejeté leur requête en sursis. L’agent a estimé que Vladyslav était médicalement apte à voyager s’il était accompagné de ses parents et d’une infirmière, qui pourrait lui prêter assistance en cas de crise d’angoisse. L’agent a ajouté que l’ASFC avait communiqué avec les agents des services frontaliers ukrainiens et que ceux-ci avaient garanti qu’en cas de besoin, ils pourraient fournir une assistance médicale à Vladyslav à son arrivée à Kiev. Tel qu’il est mentionné au début de la présente ordonnance, les demandeurs sollicitent un sursis à leur renvoi qui leur permettrait de déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent au motif d’un manquement à l’équité procédurale et de son caractère déraisonnable.

[5]               L’octroi d’un sursis à une mesure de renvoi est l’exception (Tesero c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 148, au paragraphe 47). Selon le critère en trois volets découlant de l’arrêt Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF) [Toth], un sursis sera accordé si le demandeur a fait la preuve (1) que sa demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse à trancher; (2) qu’il subirait un préjudice irréparable si le sursis ne lui est pas octroyé et que la mesure de renvoi est exécutée, et (3) que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR]). Il s’agit d’un critère cumulatif, qui exige donc que le demandeur satisfasse aux trois volets (Vieira v. Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2007 FC 626, au paragraphe 43).

[6]               Dans le cas d’une requête de sursis faisant suite au refus d’un agent de renvoi d’en différer l’exécution, tel qu’en l’espèce, il est aussi constant que la Cour « doit aller plus loin que l’application du critère de la “question sérieuse” et examiner de près le fond de la demande sous-jacente », et qu’elle doit être convaincue de la « vraisemblance que [cette demande] soit accueillie » (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 RCF 682, au paragraphe 10 [Wang]).

[7]               La Cour ne doit pas perdre de vue la discrétion très restreinte dont jouit l’agent de renvoi pour ce qui est de différer l’expulsion, dans la mesure où sa principale fonction, aux termes de l’article 48 de la LIPR, LC 2001, ch. 27, est de veiller à ce que la mesure de renvoi soit exécutée « dès que possible ». Selon la jurisprudence, le seul pouvoir de l’agent est de déterminer quand, et non si, une mesure de renvoi doit être exécutée, et son exercice est réservé aux cas où le demandeur serait clairement exposé à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain, ou dans des situations urgentes temporaires, par exemple s’il faut prendre des dispositions pour faciliter un déplacement (Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81).

[8]             En l’espèce, même si j’admets, sans toutefois me prononcer, que les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent soulèvent une question grave au sens où la Cour l’entend dans la décision Wang, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont fait la preuve qu’un renvoi en Ukraine les exposerait à un préjudice irréparable. Il est de jurisprudence constante que le risque de préjudice irréparable doit être étayé par des éléments de preuve clairs, convaincants et non spéculatifs, et qu’il doit dépasser en gravité les conséquences habituelles d’une expulsion (Atwal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 427; Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000], 188 F.T.R. 39).

[9]                La preuve au dossier révèle que les problèmes de santé mentale de Vladyslav sont récents et essentiellement liés à la perspective de retourner en Ukraine. Sa première visite chez un médecin remonte à la fin d’avril 2016, soit quelques jours seulement après que l’ASFC a signifié à sa famille qu’elle faisait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire et qu’elle devait quitter le Canada. La tentative de suicide est survenue quatre jours après une nouvelle rencontre avec l’ASFC, au cours de laquelle les demandeurs ont dû signer une convocation pour renvoi fixant la date du départ au 2 juillet 2016. Vladyslav a également dû être amené aux urgences du Hospital for Sick Children de Toronto le 21 septembre 2016, où il a reçu un diagnostic de trouble anxieux. Cette visite a eu lieu le lendemain de la signification à la famille d’une convocation pour renvoi.

[10]           Cette situation diffère considérablement de celle qui était en cause dans l’affaire Tiliouine c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1146, à laquelle les demandeurs font référence dans leurs observations. Dans cette affaire, un sursis a été octroyé à une demanderesse souffrant de dépression et d’un TSPT grave et chronique qui avait fait une tentative de suicide bien avant son arrivée au Canada en raison des abus et de la violence physique et psychologiques extrêmes endurés dans son pays d’origine. En l’espèce, il n’existe aucune preuve que Vladyslav avait demandé ou reçu des soins médicaux pour des troubles de santé mentale avant son arrivée au Canada. Dans l’affidavit qu’elle a signé à l’appui de la requête en sursis, la mère de Vladyslav fait état de la nervosité, de l’irritabilité et des craintes qu’il manifestait lorsque la famille vivait en Ukraine. Toutefois, je constate que cette description est liée à des événements qui, allèguent les demandeurs, les auraient incités à quitter l’Ukraine. La SPR a jugé que ces événements, qui forment la base de la demande d’asile de la famille, n’étaient pas crédibles. Comme il a été mentionné précédemment, la Cour a refusé l’autorisation. Par conséquent, il faut envisager ces allégations avec prudence.

[11]           La gravité de l’état de santé actuel de Vladyslav n’est pas contestée, mais la preuve au dossier révèle que des mesures ont été prises pour atténuer le risque qu’il s’inflige un préjudice à lui-même et l’aider à gérer ses problèmes d’angoisse : Vladyslav ne rentre pas seul en Ukraine, d’où il est parti depuis moins d’une année, car il sera accompagné de son père, de sa mère et de son frère cadet; la famille voyagera avec une infirmière et les agents des services frontaliers ukrainiens mettront à sa disposition du personnel médical qui interviendra au besoin à l’arrivée à Kiev. De plus, les demandeurs n’ont pas fait la preuve qu’une fois en Ukraine, Vladyslav ne recevrait pas les soins dont il a besoin pour ses troubles anxieux, son TSPT et son trouble de l’adaptation. Même si des difficultés avec le système de santé ukrainien sont possibles, cette éventualité ne permet pas de conclure que Vladyslav n’aura pas accès aux soins voulus ou qu’il risque de subir l’équivalent d’un préjudice irréparable. Comme il a déjà été dit, des éléments de preuve clairs, convaincants et non spéculatifs sont requis pour démontrer un risque de préjudice irréparable. Il n’a pas été clairement établi si les soins dont Vladyslav a besoin seront disponibles en Ukraine.

[12]           Bien que je reconnaisse que la situation puisse s’avérer triste et déroutante pour Vladyslav, je ne suis pas convaincu que les circonstances de l’espèce justifient une mesure aussi exceptionnelle que le sursis au renvoi.


LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée.

« René LeBlanc »

Juge

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.