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Date : 20161103


Dossier : T-227-13

Référence : 2016 CF 1231

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

JOANNE SCHNURR POUR SON PROPRE COMPTE ET À TITRE DE DEMANDERESSE REPRÉSENTANTE

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La demanderesse, pour son propre compte et à titre de demanderesse représentante, a demandé ce qui suit par voie de requête en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 :

a)         Un privilège de procureur à l’égard du remboursement de loyer accordé à Darryl Schneider et Joy Schneider, Thomas Link et Debra Link, Brian Reeve et Sandra Reeve, Glenn Kitsch, Adolph Kurtz et Louise Kurtz, Murray Forrest et Rose Forrest, Norman Sens et Jane Sens (ci-après les « locataires défaillants de 1980 ») par Sa Majesté la Reine du chef du Canada, ou sa représentante, la Première Nation Sakimay, à la suite de l’établissement du loyer par la Cour en l’espèce;

b)         Une ordonnance constitutive de charge à l’égard de tout remboursement payable aux locataires défaillants de 1980, ou leur cessionnaire, par Sa Majesté la Reine du chef du Canada, ou sa représentante, la Première Nation Sakimay, à la suite d’une décision rendue après l’instruction de la présente action;

c)         Un privilège de procureur et une ordonnance constitutive de charge sur le droit de tenure à bail des locataires défaillants de 1980, ou leur cessionnaire, ainsi qu’une ordonnance d’enregistrement au Registre des terres indiennes;

d)         Une ordonnance d’adjudication de dépens de 1 350 $ payables immédiatement par chaque locataire défaillant de 1980, ou son cessionnaire.

[2]               La demanderesse demande qu’un privilège de procureur et une ordonnance constitutive de charge soient accordés à l’avocat du recours à l’égard du remboursement du loyer payé en trop par les locataires visés par une formule de bail de 1980 [le « bail de 1980 »] qui n’ont pas payé leur part des honoraires d’avocat et des frais de justice. Ces [traduction] « membres défaillants » sont énumérés à l’annexe A des présents motifs et sont les défendeurs dans la présente requête.

II.                Contexte

[3]               Les honoraires et les frais en litige constituent les frais de représentation par l’avocat du recours des membres d’un recours collectif intenté contre la défenderesse à l’égard d’une augmentation importante du loyer des propriétés de Crooked Lake, en Saskatchewan, appartenant aux membres du recours.

Chaque membre défaillant détient un droit de tenure à bail sur les terres de la réserve de la Première Nation Sakimay [« Sakimay »] situées à Crooked Lake.

[4]               La Shesheep Cottage Owners Association [la « SCOA »] et la Grenfell Beach Cottage Owners Association [la « GBCOA »] sont des associations non constituées en personne morale qui représentent les intérêts des propriétaires des chalets de Crooked Lake (même si les terrains sont loués, tous les chalets qui y sont construits appartiennent aux locataires). La SCOA représentait les intérêts des propriétaires des chalets se trouvant dans la réserve indienne Shesheep no 74A, alors que la GBCOA représentait les intérêts des propriétaires à l’égard des terres se trouvant dans la réserve indienne Sakimay no 74.

[5]               La défenderesse, pour le compte de Sakimay, a signifié des avis aux locataires de ces terres de réserve à la fin de 2009 et au début de 2010 pour les informer que leur loyer serait augmenté d’environ 700 % par année.

[6]               Par la suite, les deux associations ont retenu les services de Kevin J. Bell du cabinet Bell, Kreklewich & Chambers pour les représenter dans le litige à venir sur le loyer.

[7]               Tous les locataires assujettis au bail de 1980 ont fourni des autorisations écrites sous la forme de lettres de directives à la SCOA, par lesquelles ils autorisaient les administrateurs à les inclure dans les négociations et les procédures judiciaires et à donner des directives à l’avocat en leur nom et ils convenaient de payer leur juste part des frais de négociation et des frais judiciaires engagés par la SCOA.

[8]               Les circonstances étaient similaires dans une affaire relative à une formule de bail de 1991 [le « bail de 1991 »] qui a donné lieu à la présentation d’une demande d’autorisation d’un recours collectif par David Piot à la fin du mois de mai 2010. À la suite de cette demande, deux catégories de locataires ont été reconnues : les locataires visés par le bail de 1991, pour lesquels M. Piot était le demandeur représentant, et les locataires visés par le bail de 1980, pour lesquels Mme Schnurr était la demanderesse représentante.

[9]               La demanderesse représentante et le demandeur représentant ont convenu d’obtenir des instructions auprès des associations avant de prendre des mesures ou de donner des directives à l’avocat du recours.

[10]           Au bout du compte, après un appel de l’ordonnance initiale autorisant un recours collectif, la juge Mary Gleason (alors juge de notre Cour) a rendu une ordonnance de certification le 23 janvier 2013. Comme par le passé, l’ordonnance de certification, l’avis de certification et les documents de retrait ont été envoyés à chaque propriétaire de chalet conformément à l’ordonnance.

[11]           Aucun des locataires visés par le bail de 1980, incluant les membres défaillants, n’a choisi de se retirer du recours collectif.

[12]           L’avis de certification, qui fait partie de l’ordonnance de certification, contenait les renseignements suivants sur les coûts attribués aux membres du recours :

[traduction]

COMBIEN ME COÛTERA MA PARTICIPATION AU RECOURS COLLECTIF?

L’avocat du recours a une entente avec les deux associations concernant les honoraires et les débours. Quelle que soit l’issue de la poursuite, les honoraires et les débours seront remboursés à l’avocat du recours. Les honoraires et les débours de l’avocat du recours seront répartis au prorata entre les associations selon la catégorie de membres qu’elles représentent. En tant que membre du recours, votre association vous facturera au prorata les honoraires et les débours de l’avocat du recours.

Le recours collectif suppose que vous êtes membres de la Shesheep Cottage Owners Association ou de la Grenfell Beach Cottage Owners Associations. Vous vous êtes entendu avec votre association pour payer votre juste part des honoraires et des débours de l’avocat.

Les honoraires et les débours versés par votre association à M. Bell couvrent seulement les questions communes de la poursuite. Si vous avez des questions individuelles qui n’ont aucun lien avec les questions communes des membres du recours, vous devrez faire vous-même une entente financière avec Kevin Bell ou avec un avocat de votre choix.

[13]           La juge Gleason a conclu que les détenteurs de parcelles devaient assumer à parts égales les honoraires de l’avocat et les coûts du litige. Cette conclusion était la même que celle énoncée dans l’ordonnance de certification antérieure du juge Near, qui a fait l’objet d’un appel.

[14]           La SCOA a réparti en parts égales les honoraires de l’avocat et les coûts du litige entre les détenteurs de parcelles. Le total pour chaque parcelle a été évalué à 3 075 $ pour la période allant de décembre 2009 jusqu’au printemps 2016. Au moment du dépôt de la présente requête, une somme de 58 267,38 $ n’avait toujours pas été payée.

[15]           La Cour a rendu un jugement en faveur des locataires visés par le bail de 1980 en septembre 2016. Un appel a été interjeté à l’égard de cette décision, et le travail effectué sur cette affaire pour le compte des membres du recours visés par le bail de 1980 se poursuivra.

[16]           Même si certains membres du recours visés par le bail de 1980 ont affirmé qu’ils avaient omis de payer parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec les directives fournies au sujet de l’instruction du litige, aucun ne s’est retiré du recours ou n’a sollicité à la Cour une ordonnance l’autorisant à embaucher son propre avocat.

[17]           Même s’ils ne se sont pas retirés du recours et qu’ils n’ont pas sollicité l’ordonnance susmentionnée, les membres défaillants ont eu l’avantage d’être représentés par l’avocat du recours, qui a protégé leurs intérêts.

[18]           Les thèses des membres défaillants sont les suivantes :

                     il n’y a aucun lien contractuel direct entre l’avocat du recours et les membres défaillants, et il n’y a donc aucune obligation de payer;

                     la requête a été déposée après le délai de prescription de deux ans applicable en Saskatchewan;

                     il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens afférents à la présente requête d’un montant de 1 350 $ par membre défaillant.

[19]           Il convient de noter que les membres défaillants n’affirment pas qu’ils paieront leur part de ces frais aux associations ou à la demanderesse représentante.

[20]           Il convient également de prendre en considération que la défenderesse dans le recours collectif n’a jamais tenté de prouver que son loyer était [traduction] « convenable » en vertu du bail de 1980. Sa défense consistait plutôt à présenter un calcul différent dont le résultat serait un [traduction] « loyer » se situant entre le loyer demandé et le loyer préconisé par la demanderesse.

La défenderesse devra donc de l’argent aux membres du recours, quelle que soit l’issue de tout appel (les montants individuels doivent être déterminés).

III.             Analyse

A.                Compétence

[21]           Les défendeurs n’ont pas contesté la compétence de la Cour pour accorder la réparation demandée, à l’exception de l’ordonnance susmentionnée.

La demanderesse a présenté des arguments détaillés.

[22]           En toute déférence, il n’est pas valable que la demanderesse s’appuie sur l’article 425 des Règles pour justifier l’ordonnance constitutive de charge proposée. L’ordonnance de certification qui indique de quelle façon les coûts du litige doivent être payés ne constitue pas une [traduction] « ordonnance prévoyant le paiement d’une somme d’argent » conformément à l’article 425 des Règles. Cela ne veut pas dire que la Cour ne pourrait pas rendre une telle ordonnance au besoin en vertu de sa compétence en matière de recours collectifs. De même, le jugement de la Cour sur le recours collectif ne constitue pas une ordonnance prévoyant le paiement d’une somme d’argent précise; il confirme plutôt la méthode de calcul qui doit être utilisée pour calculer le loyer et devrait donner lieu à un jugement sur le paiement d’un remboursement.

[23]           Cependant, je conclus que, en vertu de l’article 66 de la loi de la Saskatchewan intitulée The Legal Profession Act, 1990 (Loi de 1990 sur la profession d’avocat), SS 1990-91, ch. L‑10.1, et du paragraphe 56(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, la Cour peut accorder un privilège de procureur et une ordonnance constitutive de charge. Ces lois énoncent ce qui suit : [traduction]

The Legal Profession Act, 1990

66(1)    Un membre dont les services ont été retenus à titre de poursuivant ou de défendeur dans une instance devant une cour ou un tribunal peut demander à la cour de rendre une ordonnance lui accordant un privilège ou une charge sur les biens personnels recouvrés ou conservés qu’il n’a pas en sa possession en garantie des honoraires et des frais qu’il a convenablement engagés lors de la prestation des services liés à l’instance, y compris ses honoraires d’avocats.

(2)        Dans le cadre d’une demande fondée sur le paragraphe (1) ou pour l’exécution d’une ordonnance prise en vertu du paragraphe (1), un juge peut rendre une ordonnance qu’il estime indiquée pour le paiement du privilège ou de la charge sur le bien recouvré ou conservé.

(3)        Un membre possède un privilège ou une charge sur les biens appartenant à un client qu’il a en sa possession et qui peuvent servir à couvrir tous les honoraires et les frais que le membre a convenablement engagés dans la prestation de services juridiques au client.

(4)        Le paragraphe (3) ne prévaut pas sur les exceptions relatives à un privilège de procureur en vertu de la common law.

(5)        Sur présentation d’une demande par un client, la Cour peut, selon les conditions qu’elle estime indiquées, ordonner au client de mettre en possession d’un membre les biens qui ont été conservés en vertu du paragraphe (3).

Loi sur les Cours fédérales

56 (1) Outre les brefs de saisie-exécution ou autres moyens de contrainte prescrits par les règles pour l’exécution de ses jugements ou ordonnances, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale peut délivrer des moyens de contrainte visant la personne ou les biens d’une partie et ayant la même teneur et le même effet que ceux émanant d’une cour supérieure de la province dans laquelle le jugement ou l’ordonnance doivent être exécutés. Si, selon le droit de la province, le moyen de contrainte que doit délivrer la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale nécessite l’ordonnance d’un juge, un de ses juges peut rendre une telle ordonnance.

56 (1) In addition to any writs of execution or other process that are prescribed by the Rules for enforcement of its judgments or orders, the Federal Court of Appeal or the Federal Court may issue process against the person or the property of any party, of the same tenor and effect as those that may be issued out of any of the superior courts of the province in which a judgment or an order is to be executed, and if, by the law of that province, an order of a judge is required for the issue of a process, a judge of that court may make a similar order with respect to like process to issue out of that court.

[24]           Dans Weight Watchers International, Inc v Burns et al, [1976] 1 FC 237, 62 DLR (3d) 374 (TD), le juge Kerr a conclu que la Cour avait compétence pour ordonner l’établissement d’une charge à l’égard du paiement de dépens taxables en faveur de l’avocat du défendeur. Les allées et venues du défendeur (le client de l’avocat) étaient inconnues. Le juge Kerr a conclu que l’affaire devrait être traitée en faisant l’analogie avec les règles applicables de la cour supérieure provinciale.

[25]           Conformément à l’article 56 des Règles, la Cour fédérale adopte le processus de la Cour supérieure pertinente. Cette règle consistant à adopter une loi provinciale en tant que loi fédérale est une technique législative fréquemment utilisée appelée incorporation par renvoi.

[26]           Par conséquent, la Cour peut établir le même processus et les mêmes ordonnances à l’égard du paiement des honoraires et des débours d’un avocat dans un dossier de la Cour fédérale comme le ferait la Cour du Banc de la Reine dans un dossier provincial.

B.                 Relation avocat-client

[27]           Il convient de préciser deux points :

                     Il existe une relation avocat-client entre l’avocat du recours et les défendeurs, qui bénéficient de cette relation.

                     Il n’est pas nécessaire que les défendeurs aient une relation avocat-client pour établir un privilège de procureur ou une ordonnance constitutive de charge.

[28]           L’ordonnance de certification confirme la relation avocat-client entre l’avocat et la demanderesse représentante. La demanderesse représentante représente les membres du recours et agit et donne des directives en leur nom. Par conséquent, l’avocat du recours a des obligations professionnelles envers tous les membres du recours. Ce lien est donc suffisant pour créer une relation avocat-client entre les défendeurs et l’avocat du recours.

[29]           Dans Fantl v Transamerica Life Canada, 2009 ONCA 377, 95 OR (3d) 767, au paragraphe 61, la Cour a souligné l’obligation potentiellement [traduction] « importante et prolongée » de l’avocat dans un recours collectif en affirmant que [traduction] « après certification, l’avocat du recours aura une relation avocat-client avec les membres du recours, avec toutes les responsabilités que cela implique, et cette relation durera jusqu’à ce qu’un règlement soit exécuté ou qu’une décision définitive soit rendue à l’égard de toute question individuelle ».

[30]           En l’espèce, le rôle des associations était de simplifier l’administration et d’agir comme intermédiaire entre les membres du recours et l’avocat du recours. Le paiement des honoraires est devenu particulièrement évident lorsque, le 5 février 2013, l’avocat a écrit aux membres du recours visés par le bail de 1980 pour les informer qu’il ne voulait pas recevoir des paiements réguliers à son cabinet en raison des frais rattachés à la comptabilisation de ces paiements. Il incombait aux associations d’assumer ce rôle administratif au nom des membres du recours.

[31]           Le rôle des associations pour ce qui est de simplifier l’administration et d’aider la demanderesse représentante à agir dans l’intérêt de tous les membres du recours, comme elle est tenue de le faire, n’atténue pas les obligations de l’avocat du recours envers tous les membres du recours, y compris les défendeurs, et n’atténue pas non plus les obligations des défendeurs de payer l’avocat du recours.

[32]           Le rôle susmentionné suffit pour trancher la question de la relation avocat-client. Cependant, l’avocat du recours aurait droit, dans de telles circonstances où les défendeurs ont bénéficié de ses efforts, à un privilège ou à une ordonnance constitutive de charge de toute façon.

[33]           Dans Bolton v Davies, 2014 BCSC 182, 237 ACWS (3d) 1053, un avocat a obtenu une ordonnance constitutive de charge à l’égard d’une somme qui n’appartenait pas au client de l’avocat pour le motif que cette somme avait été recouvrée dans l’intérêt bénéficiaire du client et d’une autre personne.

[34]           Dans Budinsky v The Breakers East Inc (1993), 15 OR (3d) 198, 106 DLR (4th) 370 (Ont Ct J (Gen Div)) [décision Budinsky, citée dans DLR], la Cour de l’Ontario (Division générale) a prononcé une ordonnance constitutive de charge en vertu de l’article 34 de la Loi sur les procureurs, L.R.O 1990, ch. S.15, à l’encontre des acomptes versés sur des copropriétés et des produits de la vente de copropriétés. Dans cette affaire, l’avocat du demandeur représentait un promoteur de copropriétés devant des propriétaires de copropriétés qui voulaient résilier leur convention d’achat et récupérer leurs acomptes. L’avocat a obtenu gain de cause; la Cour a accordé l’ordonnance constitutive de charge et a déclaré que la loi [traduction] « ne limite pas les biens assujettis à la charge aux biens de la personne qui a retenu les services de l’avocat » (Budinsky, au paragraphe 379). De même, la loi de la Saskatchewan qui s’applique dans cette affaire ne semble pas non plus imposer une telle restriction.

[35]           Dans Bloomaert v Dunlop, 24 Sask LR 261, [1930] 2 DLR 30, au paragraphe 35 (CA), la Cour d’appel de la Saskatchewan a énoncé ce qui suit : [traduction] « Conformément à ses dispositions, la Cour a le pouvoir, dans toute instance, de rendre une ordonnance constitutive de charge en faveur de l’avocat dont les services ont été retenus sur tout bien recouvré ou conservé par l’entremise de l’avocat en garantie de ses dépens taxés; il a souvent été établi qu’une charge peut être accordée non seulement sur le droit relatif au bien conservé qui appartient aux personnes qui ont retenu les services de l’avocat, mais aussi sur les droits relatifs au bien conservé qui intéresse d’autres personnes ayant bénéficié de ces services ». Même si cette affaire a été tranchée sur le fondement d’une ancienne loi (anglaise), je ne suis pas d’avis qu’un tel raisonnement est prescrit en vertu de la loi en vigueur.

[36]           Dans le présent litige, les remboursements de loyer et le nouveau taux de location ont été établis au profit des membres du recours. Je conclus que même si ce sont les associations qui entretenaient une relation avocat-client, les défendeurs qui ont bénéficié des services professionnels de l’avocat du recours doivent le payer.

[37]           Je ne vois pas la nécessité de tenir compte du fait que les associations sont des associations non constituées en personne morale, si ce n’est que pour signaler que dans de telles circonstances, les membres des associations ne bénéficient pas de la protection de la constitution en personne morale.

C.                 Prescription

[38]           Les défendeurs soutiennent que la présente affaire est frappée de prescription parce que la demande de paiement a été présentée en dehors du délai de prescription habituel de deux ans en vertu de la loi de la Saskatchewan intitulée The Limitations Act (Loi sur les délais de prescription), SS 2004, ch. L-16-1.

[39]           Même si les défendeurs avaient raison de dire qu’une relation avocat-client liait les associations et l’avocat du recours, ils n’ont pas produit des éléments de preuve montrant que les associations avaient effectué des paiements au cours des deux dernières années et que le délai de prescription serait rétabli si des paiements étaient reçus. Les défendeurs n’ont pas non plus produit des éléments de preuve indiquant qu’ils n’avaient effectué aucun paiement. En fait, certains défendeurs ont fait des paiements partiels après la signification du présent dossier de requête.

[40]           Comme il a été mentionné précédemment, l’ordonnance de certification ne constitue pas une ordonnance prévoyant le paiement d’une somme d’argent. Par conséquent, le fait que la demanderesse s’appuie sur le délai de prescription de dix ans prévu à l’article 7.1 de la loi intitulée The Limitations Act ne repose pas sur un fondement.

[41]           La décision Thomas Gold Pettinghill LLP v Ani-Wall Concrete Forming Inc, 2012 ONSC 2182, 349 DLR (4th) 431, a d’ailleurs mentionné qu’un privilège de procureur n’est pas assujetti à un délai de prescription. La disposition de l’Ontario est similaire à l’article 15 de la loi de la Saskatchewan intitulée The Limitations Act.

[42]           Puisque l’article 66 de la loi intitulée The Legal Professions Act, 1990 incorpore la common law, la Cour a compétence en droit et en equity conformément à l’article 66 et au paragraphe 56(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[43]           La compétence en equity de la Cour qui lui permet de sanctionner l’avocat pour délai déraisonnable limite l’octroi d’un privilège de procureur.

Il n’y a aucun fait sur lequel s’appuyer pour appliquer cette compétence en equity à l’égard de l’avocat du recours.

[44]           Un autre facteur influe également sur la Cour. L’avocat du recours a continué d’agir au profit du recours et les défendeurs ont continué de bénéficier de ses services professionnels, mais ils ne veulent pas payer pour ces services. Les membres du recours ne peuvent pas tirer des avantages des services de l’avocat sans en assumer les inconvénients. L’avocat a poursuivi ses efforts jusqu’à ce jour. Par conséquent, tout acte qu’il a posé au profit du recours rétablit le délai de prescription, qui prendra alors fin lorsque son mandat en vertu de l’ordonnance de certification aura pris fin.

[45]           L’argument des défendeurs concernant la prescription est sans fondement.

D.                Pouvoir discrétionnaire d’accorder une réparation

[46]           Les défendeurs n’ont pas présenté d’arguments quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour. Compte tenu des faits, il n’y a aucune raison valable pour que la Cour n’exerce pas son pouvoir discrétionnaire en faveur de la défenderesse.

[47]           Il est inutile d’aller au-delà de la loi de la Saskatchewan qui est incorporée par renvoi dans la Loi sur les Cours fédérales. Dans Troelstra v Vos, 2005 SKQB 98, 264 Sask R 123, citant Tkach, Duchin & Bayda v Wood (1992), 88 DLR (4th) 304, 99 Sask R 256 (QB) [Tkach, Duchin & Bayda citée dans DLR], la Cour a conclu que les paragraphes 66(1) et 66(3) de la loi intitulée The Legal Profession Act, 1990 ont codifié la common law. Par conséquent, le privilège de procureur se présente comme un droit incomplet susceptible d’être appliqué au moyen de mécanismes comme une ordonnance constitutive de charge et inclut un privilège sur le dossier des clients.

[48]           Cependant, en Saskatchewan, les exigences d’une ordonnance constitutive de charge ont été décrites au paragraphe 311 de la décision Tkach, Duchin & Bayda, qui énonce quatre exigences : [traduction]

(1)        les services de l’avocat ont été retenus à titre de poursuivant ou de défendeur dans une instance devant une cour ou un tribunal;

(2)        des biens personnels ont été récupérés ou conservés à la suite des services rendus par l’avocat;

(3)        les biens personnels récupérés ou conservés ne sont pas en possession de l’avocat;

(4)        l’instance s’est conclue et l’imposition, au besoin, du compte d’honoraires et de dépens de l’avocat associés à l’instance est terminée, de sorte que la Cour est susceptible de savoir que la demande concerne des honoraires et des dépens convenables.

[49]           Les trois premières exigences nécessitent peu de commentaires. L’avocat a entrepris la poursuite; les défendeurs ont donc conservé leur droit sur leur bail et les remboursements de loyer ne sont pas en possession de l’avocat.

[50]           La quatrième exigence nécessite quelques commentaires. Le procès est terminé et un jugement a été rendu. Les membres du recours devaient payer leur avocat indépendamment de l’issue du litige, qu’il y ait eu gain de cause ou non.

[51]           Rien ne porte à croire qu’une imposition est nécessaire. Les défendeurs ne prétendent pas que les honoraires et les dépens ne sont pas [traduction] « convenables », mais seulement qu’ils ne sont pas dus à l’avocat du recours.

[52]           Compte tenu de la position des défendeurs à l’égard de la présente requête, l’exigence de la common law d’établir une ordonnance constitutive de charge – que l’avocat n’est pas susceptible de toucher – est respectée.

[53]           La demanderesse soutient que d’importantes sommes d’argent ont été consignées à la Cour et que des remboursements importants seront versés, quelle que soit l’issue d’un appel.

Dans ces circonstances, l’établissement d’une charge sur le droit de tenure à bail des défendeurs ne s’est pas avéré nécessaire. Par conséquent, la Cour ne rendra pas une ordonnance constitutive de charge sans préjudice au droit de présenter une nouvelle demande d’ordonnance constitutive de charge sur le droit de tenure à bail.

[54]           Par conséquent, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire pour accorder une ordonnance constitutive de charge sur les remboursements qui doivent être versés à chaque défendeur.

[55]           Des dépens de 5 000 $ sont adjugés à la demanderesse dans la présente requête. Ces dépens sont payables sans délai et doivent être assumés en parts égales par les défendeurs et doivent être ajoutés à l’ordonnance constitutive de charge rendue dans la présente espèce.


ORDONNANCE

POUR CES MOTIFS, LA COUR DÉCLARE ET ACCORDE CE QUI SUIT :

1.                  La demanderesse a droit, par l’intermédiaire de son avocat, à une ordonnance constitutive de charge à l’encontre de chacun des défendeurs.

2.                  L’ordonnance constitutive de charge doit être établie à l’aide de la formule 459 des Règles des Cours fédérales, avec les adaptations nécessaires applicables à chaque défendeur.

3.                  L’ordonnance constitutive de charge s’appliquera à tous les remboursements versés aux défendeurs à l’égard du loyer payé en trop par les défendeurs ou leur cessionnaire à la suite de la décision de la Cour dans Schnurr v Canada, 2016 CF 1079, en plus de la part proportionnelle des dépens afférents à la présente requête.

4.                  La demanderesse doit signifier et déposer les ordonnances constitutives de charge individuelles proposées qui doivent être signées par la Cour.

« Michael L. Phelan »

Juge


ANNEXE A

Darryl Schneider et Joy Schneider

C.P. 658, Melville (Saskatchewan)  S0A 2P0

Thomas Link et Debra Link

C.P. 238, Grayson (Saskatchewan)  S0A 1E0

Brian Reeve et Sandra Reeve

C.P. 1207, Grenfell (Saskatchewan)  S0G 2B0

Glenn Kitsch

610, rue Priel, Saskatoon (Saskatchewan)  S7M 4K6

Adolph Kurtz et Louise Kurtz

C.P 1631, Melville (Saskatchewan)  S0A 2P0

Murray Forrest et Rose Forrest

C.P. 273, Cowessess (Saskatchewan)  S0G 5L0

Norman Sens et Jane Sens

C.P. 191, Grayson (Saskatchewan)  S0A 1E0

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-227-13

 

INTITULÉ :

JOANNE SCHNURR POUR SON PROPRE COMPTE ET À TITRE DE DEMANDERESSE REPRÉSENTANTE c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 novembre 2016

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Kevin J. Bell

 

Pour la demanderesse

 

Kenneth A. Ready, conseiller de la Reine

 

Pour les défendeurs,

DARRYL SCHNEIDER ET JOY SCHNEIDER, NORMAN SENS ET JANE SENS,

BRIAN REEVE ET SANDRA REEVE et

ADOLPH KURTZ ET LOUISE KURTZ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bell, Kreklewich & Chambers

Avocats

Melville (Saskatchewan)

 

Pour la demanderesse

 

McDougall Gauley LLP

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

Pour les défendeurs,

DARRYL SCHNEIDER ET JOY SCHNEIDER, NORMAN SENS ET JANE SENS,

BRIAN REEVE ET SANDRA REEVE et

ADOLPH KURTZ ET LOUISE KURTZ

 

 

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