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Date : 20161206


Dossier : T-690-15

Référence : 2016 CF 1346

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

YVONNE SOULLIÈRE

demanderesse

et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DU SANG

 SANTÉ CANADA

défenderesses

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intervenante

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La demanderesse dépose la présente requête en vertu des articles 8, 59 et 369 des Règles des Cours fédérales, demandant les mesures de redressement suivantes :

        i.            Une ordonnance radiant les paragraphes 3 à 6 et 8 de l’avis de comparution de la Société canadienne du sang [la SCS ou la défenderesse]; les paragraphes 4, 5 et 80 à 116 du mémoire des faits et du droit de la SCS [mémoire de la SCS]; les paragraphes 3, 5 à 15 et 30 de la réponse de la SCS au mémoire des faits et du droit de l’intervenante, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») [réponse de la SCS].

  1. À titre subsidiaire, une directive de la Cour sur la manière de s’opposer et, si nécessaire, de répondre aux autres motifs soulevés par la SCS dans les paragraphes précisés au sous‑paragraphe (i).

[2]               J’ai rendu une décision à l’audience rejetant la mesure demandée au sous-paragraphe (i), mais qui fournissait, avec le consentement de la défenderesse, la directive demandée au sous‑paragraphe (ii), visant à déposer un mémoire qui ne dépasse pas 12 pages d’ici le 28 février 2017. Ce faisant, j’ai aussi promis que suivraient de brefs motifs et que l’on peut retrouver ci-dessous.

II.                Contexte factuel

[3]               Le 2 février 2012, Yvonne Soullière [la demanderesse] a accompagné sa fille handicapée, Yanhong Dewan, faire un don de sang. La clinique de phlébotomie à laquelle elle s’est rendue à La Salle, en Ontario, était exploitée par la SCS.

[4]               La demanderesse a demandé des mesures d’accommodement pour le handicap de sa fille consistant dans la traduction du questionnaire médical du donneur dans un langage qui lui est familier. La SCS a refusé à Mme Soullière ou à qui que ce soit de traduire le questionnaire médical du donneur dans un langage compris par Mme Dewan.

[5]               Mme Soullière a déposé la plainte sous-jacente contre la SCS [la plainte] auprès de la Commission le 7 décembre 2012 (dossier de la commission no 20120986), ainsi que contre Santé Canada à la même date (dossier de la commission no 20121051), pour discrimination aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [la loi].

[6]               Le 8 février 2013, la SCS s’est opposée à ce qu’une enquête soit menée au sujet de la plainte en vertu des articles 40 et 41 de la Loi. Le 18 décembre 2013, la Commission a décidé de traiter la plainte, considérant que la SCS offrait un service lorsqu’elle sélectionne des donneurs de sang potentiels. Elle a donc renvoyé la plainte à un enquêteur. Le 29 décembre 2014, des rapports d’enquête ont été rédigés relativement aux deux plaintes contre la SCS et Santé Canada et ont été remis aux deux parties respectives. Des observations sur les rapports d’enquête ont ensuite été présentées en réponse. La défenderesse SCS a continué d’affirmer que donner du sang n’est pas un « service » au sens de l’article 5 de la Loi.

[7]               La Commission a ensuite rejeté les allégations de discrimination contre la SCS dans une lettre datée du 26 mars 2015. Elle a décidé, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, de rejeter la plainte, car « compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen [approfondi] de celle-ci n’est pas justifié ». En bref, même en admettant que la sélection de donneurs de sang est un service, l’enquêteur n’a trouvé aucune raison de mener une enquête plus poussée relativement à de la discrimination.

[8]               Puisque la Commission n’a présenté aucun motif, il est constant que le rapport de l’enquêteur constitue les motifs de la Commission : voir la décision Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, aux paragraphes 37 et 38. La plaignante (maintenant demanderesse) a ensuite fait deux demandes de contrôle judiciaire qui vont être entendues l’une après l’autre à Toronto les 15 et 16 mai 2017. (La requête qui fait l’objet de la présente décision concerne strictement la défenderesse SCS.)

[9]               Tel qu’il est mentionné ci-dessus, l’enquêteur avait admis que le processus de sélection pour le don du sang était un « service » au sens de la Loi. Cette question a constitué un litige important entre les parties tout au long de l’enquête. Devant la Cour, la défenderesse continue d’affirmer que non seulement, la plainte devrait être rejetée en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i), comme l’a décidé la Commission – mais aussi en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(ii) et de l’alinéa 41(1)c). En d’autres termes, la Commission pouvait – et devait – justifier sa décision de rejeter la plainte en vertu du fait que le processus de sélection des donneurs de sang ne constitue pas un service.

III.             Questions en litige et analyse

[10]           La demanderesse demande que la Cour radie toutes les observations faites par la SCS selon lesquelles la sélection pour le don du sang n’est pas un service. Dans ses observations écrites, la demanderesse a affirmé que la Commission a rendu trois décisions distinctes : 1) si les allégations de discrimination dans l’offre d’un service étaient fondées ou non; 2) si la politique, la pratique, la règle ou la norme reposait sur un motif justifiable; et 3) s’il y a eu défaut de prendre des mesures d’accommodement.

[11]           La demanderesse caractérise donc la défenderesse comme ayant [traduction] « partiellement eu gain de cause » puisque la défenderesse a seulement eu gain de cause sur la question de la non-discrimination en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, alors qu’elle a été déboutée pour ce qui est de son observation relative à l’alinéa 41(1)c) traitant de la question du « service ». La défenderesse, selon la demanderesse, avait l’obligation de déposer sa propre demande de contrôle judiciaire pour contester l’aspect de la cause pour lequel elle n’a pas eu gain de cause. La demanderesse appuie sa thèse sur plusieurs précédents, y compris l’arrêt Systèmes Equinox Inc. c. Canada (Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2012 CAF 51; la décision Larsson v Canada, [1997] FCJ no 1044 (Fed CA) et la décision Rex Go c. Canada (Procureur général), 2004 CF 471.

[12]           La demanderesse ne conteste pas le fait qu’une partie ne peut pas demander le contrôle judiciaire d’une décision en sa faveur. Cependant, la demanderesse cherche à éviter ce problème en affirmant que la décision faisant l’objet d’un contrôle correspond en fait à plusieurs décisions distinctes. Selon la demanderesse, la SCS aurait dû soumettre à un contrôle judiciaire la décision défavorable concernant la question du « service » séparément et elle ne peut pas le faire en l’espèce. Par conséquent, la requête repose sur la question de savoir si la décision d’instance inférieure était en fait une décision unique dans laquelle la demanderesse a eu entièrement gain de cause.

[13]           Comme il a été indiqué aux parties, la Cour est d’accord avec la thèse de la défenderesse. En fin de compte, la Commission n’a rendu qu’une décision il ne devrait pas y avoir d’enquête supplémentaire en vertu de la Loi. Les conclusions de l’enquêteur constituaient les motifs de cette décision. Au bout du compte, les divers motifs de l’enquêteur étaient les éléments constitutifs des motifs de la Commission de ne pas effectuer d’enquête complète. La question des « services » n’est donc qu’une des justifications potentielles de ces motifs. Il ne s’agit pas d’une décision supplémentaire en soi.

[14]           De plus, l’avis de comparution déposé par la demanderesse fait référence à [traduction] « la décision » de la Commission, et non [traduction] « aux décisions ».

[15]           En outre, je ne suis pas non plus d’accord avec l’argument de la demanderesse selon lequel la défenderesse n’a eu que [traduction] « partiellement gain de cause ». La défenderesse a eu entièrement gain de cause dans la décision pour laquelle elle a plaidé. Elle a partiellement eu gain de cause seulement dans le raisonnement juridique sur lequel ladite disposition de la Commission était fondée, en ce sens que, alors que la Commission n’a trouvé aucune raison justifiant une enquête approfondie sur la discrimination alléguée, elle a tout de même admis que la sélection des donneurs constituait un service aux termes de la Loi. Bien que tous les autres arguments de la défenderesse pour que la requête soit rejetée n’aient pas été admis, il y en a un qui l’a été, ce qui a suffi pour trancher en la faveur de la défenderesse.

[16]           Vu mes conclusions sur la nature de la décision, les faits des questions soulevées par la demanderesse diffèrent, dans la mesure où elles impliquent toutes au moins deux décisions, dans lesquelles les décisions rendues étaient favorables et en partie défavorables à chacun des plaideurs.

[17]           Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, je ne suis pas d’accord pour dire que la défenderesse aurait dû faire sa propre demande de contrôle judiciaire en l’espèce. Il est clair dans la jurisprudence que la partie ayant gain de cause a le choix d’attendre une décision à l’étape prévu à l’article 44 avant de contester une décision de la Commission : voir la décision Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] 4 RCF 145, au paragraphe 24; la décision Mohawks de la Baie de Quinte c. Canada (Procureur général), 2014 CF 527, au paragraphe 5; la décision Canada (Procureur général) c. Hotte, 2005 CF 246, aux paragraphes 9 et 10, 15 et 39.

[18]           Dans sa situation, la défenderesse avait donc tous les droits d’attendre le résultat de la décision en vertu de l’article 44, décision qui a finalement été en sa faveur. Ayant reçu cette décision, la défenderesse ne pouvait pas la contester, puisqu’elle tranchait en sa faveur. Cependant, une fois contestée par la demanderesse au moyen du contrôle judiciaire, la défenderesse avait tous les droits de contester les motifs sous-jacents auxquels elle s’opposait. Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Attorney General) c. Dussault, 2003 CAF 5, au paragraphe 5 :

Il est certain qu’une partie qui a gain de cause mais qui n’endosse pas nécessairement les motifs rendus n’a aucun intérêt à s’attaquer au jugement, que ce soit par appel ou par demande de contrôle judiciaire. On attaque, en principe, un dispositif, pas les motifs qui y conduisent. Il est tout aussi certain, cependant, que si la partie adverse attaque le jugement, la partie qui a eu gain de cause a le droit, dans son mémoire s’il s’agit d’un appel ou dans son dossier s’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, de s’en prendre aux motifs du jugement attaqué pour les bonifier s’il y a lieu ou, comme en l’espèce, pour en démontrer le mal-fondé et qui sait, pour faire rejeter l’appel ou la demande pour des motifs autres que ceux qu’avait retenus le juge.

IV.             Dépens

[19]           Après avoir examiné les observations des deux parties au sujet des dépens, aucuns dépens ne seront adjugés pour tous les motifs avancés par la demanderesse, notamment la position financière de la demanderesse, sa motivation d’intérêt public et la réparation sollicitée, ainsi que la spécialité de son avocat appuyant l’intérêt public sans but lucratif, et les questions juridiques sous-jacentes soulevées.

V.                Directive sur le mémoire en réplique

[20]           La demande de la demanderesse visant à obtenir la possibilité de répondre à la question en litige relative au service (l’autre mesure de redressement demandée) est accueillie. Le mémoire en réplique devant être déposé avant le 28 février 2017, avec le consentement des autres parties au litige, ne devra pas dépasser 12 pages.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                la principale mesure de redressement demandée, c’est-à-dire la radiation des paragraphes relatifs au « service » des actes de procédures, est rejetée, tel que cela a été indiqué ci-dessus, au sous-paragraphe (i);

2.                l’autre mesure de redressement, c’est-à-dire une directive permettant à la demanderesse de déposer un mémoire en réplique, est accueillie. Ce mémoire ne devra porter que sur la question du « service » et devra comporter au plus 12 pages et être soumis d’ici le 28 février 2017 au plus tard;

3.                aucuns dépens ne seront adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-690-15

 

INTITULÉ :

YVONNE SOULLIÈRE c. LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DU SANG ET SANTÉ CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER DÉCEMBRE 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 décembre 2016

COMPARUTIONS :

Karen Phung

Tess Sheldon

 

Pour la demanderesse

 

Karen Phung

 

Pour la défenderesse

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DU SANG

 

Joseph Chang

 

Pour la défenderesse

Santé Canada

 

Ikram Warsame

 

Pour l’intervenante

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

ARCH Disability Law Centre

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DU SANG

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

SANTÉ CANADA

 

[vide]

Pour l’intervenante

 

 

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