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Date : 20170412


Dossier : IMM-4314-16

Référence : 2017 CF 360

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

HASHIM FARAH ADAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) datée du 22 septembre 2016 (la décision). Dans cette décision, la Section d’appel des réfugiés confirmait une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), concluant que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La présente demande a été présentée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR.

I.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur est citoyen de la Somalie. Il allègue qu’il était propriétaire d’une boutique d’informatique avec son frère de 2003 à 2007 dans son village natal de Bulo Burte. Il comptait, parmi les clients de l’entreprise des membres du public et le gouvernement régional.

[3]  Le demandeur a affirmé que le groupe Al-Shabab l’avait attaqué et menacé en 2007. Le groupe exigeait qu’il cesse de travailler pour le gouvernement.

[4]  Al-Shabab a attaqué la boutique d’informatique du demandeur au mois d’octobre 2007. Le demandeur prétend qu’on a tiré sur lui. Il aurait par la suite fui à Mogadiscio. Au mois de novembre 2007, il a quitté la Somalie et s’est rendu en Afrique du Sud, où il a présenté une demande d’asile qui lui a été refusée. Il a toutefois reçu des autorisations d’emploi qui lui ont permis de demeurer dans ce pays.

[5]  Le demandeur a quitté l’Afrique du Sud en 2015 et s’est rendu au poste frontalier de Brownsville, au Texas. Il y a présenté une demande d’asile. Les autorités américaines l’ont interrogé au point d’entrée et ont mené une entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte (l’entrevue sur la crédibilité de la crainte). Sa demande d’asile a en fin de compte été rejetée et il est ensuite venu au Canada, où il a présenté une demande d’asile au mois de mars 2016.

II.  Décision de la Section de la protection des réfugiés

[6]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’avait pas été propriétaire d’une boutique d’informatique, qu’il n’avait pas travaillé pour le gouvernement et qu’il n’avait pas été blessé par balle par des membres d’Al-Shabab. La Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’était pas crédible pour trois motifs. Premièrement, et c’est le motif le plus important, il n’avait aucune documentation ni aucun témoin pour démontrer qu’il avait déjà possédé et exploité une boutique d’informatique. La Section de la protection des réfugiés a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle il n’avait aucun document parce que les transactions se faisaient au comptant à son entreprise. La Section de la protection des réfugiés s’est fondée sur le cartable national de documentation (CND) pour la Somalie qui indique que la technologie mobile de transferts de fonds était couramment utilisée. Deuxièmement, une incohérence importante a été constatée entre son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) dans lequel il a affirmé qu’il avait reçu des soins médicaux à l’hôpital après avoir été blessé par balle en 2007, et les notes de son entrevue sur la crédibilité de la crainte, dans lesquelles il a affirmé qu’il n’était pas allé à l’hôpital. Troisièmement, la Section de la protection des réfugiés n’a pas jugé vraisemblable qu’Al-Shabab eût menacé sa mère de mort et ne lui eût ensuite causé aucun préjudice lorsqu’elle a refusé de révéler l’endroit où il se trouvait.

[7]  Dans son formulaire FDA et à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, le demandeur a affirmé qu’il craignait Al-Shabab, en partie parce qu’il est soufi et qu’il est donc considéré comme un infidèle. Il a toutefois aussi témoigné qu’il n’avait jamais eu de problème avec Al-Shabab par le passé en raison de sa religion. La Section de la protection des réfugiés n’a pas examiné ou pris en compte la question de savoir s’il est soufi et n’a pas abordé la possibilité de persécution future pour ce motif. La Section de la protection des réfugiés a seulement constaté l’absence d’éléments de preuve démontrant qu’Al-Shabab l’avait ciblé en raison de sa religion. À mon avis, ce traitement de la question démontre que la Section de la protection des réfugiés a accepté l’identité du demandeur en tant que soufi.

III.  La décision de la Section d’appel des réfugiés

[8]  La Section d’appel des réfugiés a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur puisse fournir des documents pour corroborer la propriété et l’exploitation de son entreprise d’informatique. La Section d’appel des réfugiés a reconnu que la Section de la protection des réfugiés s’était méprise en se fondant sur la technologie mobile de transfert de fonds parce qu’il n’y avait aucune preuve de son accessibilité à l’endroit où le demandeur faisait affaire. Néanmoins, la Section d’appel des réfugiés n’a pas cru qu’il n’acceptait que l’argent comptant et a conclu qu’il aurait eu recours au système d’envoi de fonds Hawala, surtout pour les transactions avec le gouvernement. La Section d’appel des réfugiés s’est fondée sur des éléments de preuve documentaire pour démontrer que les destinataires de paiements effectués au moyen du système Hawala doivent posséder une pièce d’identité quelconque. Je retiens toutefois l’argument du demandeur selon lequel la Section d’appel des réfugiés a mal compris la Réponse à la demande d’information SOM10593.E et le document source U4. Selon ces deux documents, après l’utilisation d’un code d’identité pour la transaction et la réception de fonds, aucun dossier n’est conservé de façon permanente. Cette erreur est toutefois sans importance parce que le problème n’est pas que le demandeur n’avait aucune preuve des paiements que son entreprise recevait, mais plutôt qu’il n’avait aucune preuve de quelque nature que ce soit permettant d’établir l’existence de son entreprise.

[9]  La Section d’appel des réfugiés a aussi relevé des incohérences dans les éléments de preuve, que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas mentionnées, et a conclu qu’elles minaient davantage la crédibilité du demandeur. L’une des incohérences concernait les éléments de preuve fournis par le demandeur visant à démontrer qu’il est soufi. Au point d’entrée, on lui a demandé : [traduction] « Quelle est votre religion? Si vous êtes musulman, de quel mouvement de l’Islam? » Il a répondu : [traduction] « Je suis de religion musulmane, sunnite. » Durant son entrevue sur la crédibilité de la crainte, on lui a demandé : [traduction] « Quelle est votre religion, si vous en avez une? » Il a répondu : [traduction] « Musulman. » Dans son formulaire FDR et dans son témoignage devant la Section de la protection des réfugiés, il a toutefois affirmé être de religion [traduction] « musulmane, sunnite, soufie ». La Section d’appel des réfugiés a jugé ces réponses incohérentes et a affirmé que le défaut du demandeur de mentionner son appartenance à la confession religieuse du soufisme aux États-Unis minait sa crédibilité.

[10]  La Section d’appel des réfugiés a souscrit à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés, jugeant non crédibles les éléments de preuve selon lesquels la mère du demandeur avait été menacée par Al-Shabab et n’avait subi aucun préjudice.

[11]  Le demandeur a affirmé que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en n’évaluant pas son risque de persécution future en tant que soufi. En examinant cette question, la Section d’appel des réfugiés a conclu que le demandeur n’était pas soufi parce qu’il n’avait produit aucun document le corroborant et parce qu’il ne s’était pas décrit comme soufi durant ses entrevues avec les autorités américaines.

IV.  Questions en litige

[12]  La question déterminante est celle de savoir si la Section d’appel des réfugiés était tenue de donner au demandeur l’occasion de faire des observations avant de conclure qu’il n’était pas soufi.

V.  Analyse et conclusions

[13]  À mon avis, il n’y avait aucune raison pour laquelle le demandeur aurait pu prédire que la Section d’appel des réfugiés remettrait en question son identité soufie. Son motif d’appel reposait sur son profil en tant que soufi, et sa plainte était que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas évalué son risque de persécution future en tant que soufi aux mains des membres d’Al-Shabab.

[14]  Étant donné que son identité en tant que soufi constituait une nouvelle question devant la Section d’appel des réfugiés, j’ai conclu que la Section d’appel des réfugiés était tenue de l’aviser qu’elle avait des doutes concernant son appartenance à la confession religieuse du soufisme.

VI.  Question à certifier en vue d’un appel

[15]  Le demandeur a proposé une question dans son mémoire des arguments, mais elle a été retirée durant l’audience. Le défendeur n’a posé aucune question.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande. Les paragraphes 50 à 56 inclusivement de la décision sont annulés, et seules les questions de savoir si le demandeur est soufi et, dans l’affirmative, s’il fait face à un risque de persécution à future par Al-Shabab pour ce motif sont renvoyées à la Section d’appel des réfugiés pour un nouvel examen par un autre commissaire.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4314-16

 

INTITULÉ :

HASHIM FARAH ADAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Michael Crane

 

Pour le demandeur

 

Prathima Prashad

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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