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Date : 20170413


Dossier : IMM-4612-16

Référence : 2017 CF 366

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2017

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

ISMAIL ABDIKADIR MUSE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Aperçu

[1]               Le demandeur, M. Ismail Abdikadir Muse, est un réfugié d’origine somalienne au sens de la Convention qui est arrivé au Canada avec sa mère en juillet 2000; il était alors âgé de dix (10) ans. Il a accumulé un nombre considérable de condamnations au criminel; la première remonte à 2005, lorsqu’il était considéré comme un jeune contrevenant, et la plus récente vise deux (2) délits commis en janvier et février 2015. En 2008, il a reçu un diagnostic de schizophrénie et il reçoit des soins continus en vertu d’une ordonnance de traitement en milieu communautaire. Outre ses problèmes de santé, le demandeur a des problèmes de dépendance.

[2]               Le 12 septembre 2011, un membre de la Section de l’immigration a pris une mesure d’expulsion à l’égard du demandeur pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C., 2001, ch. 27, (LIPR), lorsqu’il a été reconnu coupable d’un chef d’accusation d’introduction par effraction dans une maison d’habitation dans un dessein criminel, le 4 mai 2010, et d’un chef d’accusation de vol, le 16 mars 2011. Il s’agit de deux infractions punissables d’un emprisonnement à perpétuité en vertu des alinéas 344(1)b), 348(1)b) et 348(1)d) du Code criminel

[3]               Le demandeur s’est prévalu de son droit d’interjeter appel de la mesure d’expulsion devant la Section d’appel de l’immigration (SAI). La validité juridique de la mesure de renvoi n’a pas été contestée. Le demandeur a plutôt demandé une mesure spéciale pour motifs d’ordre humanitaire (CH) en vertu de l’alinéa 67(1)c) et du paragraphe 68(1) de la LIPR. La Section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel le 14 octobre 2016, ayant conclu que le demandeur n’était pas parvenu à la convaincre qu’il ne devrait pas être expulsé du Canada.

[4]               Le demandeur sollicite un contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel de l’immigration. Il soulève trois (3) problèmes : 1) la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte de la forte incidence que sa copine avait sur ses perspectives de réhabilitation; 2) elle a tiré une conclusion spéculative non étayée par la preuve; 3) elle a commis une erreur factuelle déraisonnable décisive.

II.                 Analyse

[5]               Il est bien établi que la décision de la Section d’appel de l’immigration d’accepter ou de refuser de prendre de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire est une décision discrétionnaire qui implique une appréciation des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit. Ses conclusions doivent être examinées en fonction de la norme de la décision raisonnable et exigent une déférence considérable de la part de la Cour (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa), 2009 CSC 12, aux paragraphes 52, 53 et 57 [Khosa]; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [Dunsmuir]; Dunne c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 835, au paragraphe 2).

[6]               Au moment d’examiner une décision selon la norme du caractère raisonnable, la Cour doit prendre en considération la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Khosa au paragraphe 59; Dunsmuir au paragraphe 47).

[7]               Le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a indûment fait fi de l’incidence positive que sa copine avait sur ses perspectives de réhabilitation. Il affirme que, depuis le début de leur relation en juillet 2015, il a complètement changé de vie. Il incombe à sa copine de veiller à ce qu’il respecte tous ses rendez-vous et qu’il participe au programme hebdomadaire conçu pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale et de dépendance, en dépit de l’opinion émise par un psychiatre en 2015 voulant qu’il soit incapable de suivre un tel programme en raison de sa maladie. Il a cessé de consommer des drogues et n’a pas fait l’objet de nouvelles accusations criminelles. Le demandeur affirme que les motifs invoqués par la Section d’appel de l’immigration ne mentionnent aucun de ces éléments de preuve, et ce, même si la Section d’appel de l’immigration a estimé que sa copine était crédible et bien intentionnée.

[8]               La Cour n’est pas convaincue par les arguments du demandeur.

[9]               La Section d’appel de l’immigration a estimé que la copine du demandeur semblait se préoccuper sincèrement du demandeur, mais qu’elle ne réussirait pas davantage que la mère de celui-ci à l’empêcher de commettre d’autres infractions. La Section d’appel de l’immigration a constaté qu’elle semblait être une jeune femme vulnérable en raison de ses propres circonstances personnelles. La Section d’appel de l’immigration a aussi observé que cette jeune femme ne semblait pas être très bien renseignée, car elle ignorait dans quel pays et sur quel continent le demandeur était né et qu’une mesure d’expulsion avait été émise à son encontre.

[10]           Il est vrai que, par son choix de termes lorsqu’elle a référé à la copine du demandeur comme n’étant pas « très bien renseignée », la Section d’appel de l’immigration peut avoir démontré un manque de sensibilité; cependant, un examen du témoignage de cette jeune femme confirme les conclusions de la Section d’appel de l’immigration à l’effet qu’elle n’était pas bien informée sur un certain nombre de faits d’une importance cruciale concernant la situation et les circonstances personnelles du demandeur. Par exemple, elle ignorait le nom de son médecin, et ce, en dépit du fait qu’elle a déclaré dans son témoignage qu’elle l’accompagnait à ses rendez-vous (pages 972 à 974 du dossier certifié du tribunal [DCT]), elle ignorait également que le demandeur avait déjà fumé du crack (page 974 du DCT), la date à laquelle il était arrivé au Canada (page 975 du DCT), l’endroit où il était né (page 980 du DCT), sa date de naissance exacte (pages 978 et 980 du DCT), le nom de la rue où il habitait (page 987 du DCT) ou s’il avait terminé ses études (page 987 du DCT). Dans son témoignage, elle a déclaré qu’elle était au courant du fait qu’il devait respecter certaines conditions d’immigration et qu’il faisait l’objet d’une mesure de renvoi du Canada, mais elle ignorait qu’il faisait aussi l’objet d’une mesure d’expulsion (pages 981 et 982 du DCT).

[11]           La conclusion de la Section d’appel de l’immigration voulant que la copine du demandeur ne parvienne pas à l’empêcher de commettre d’autres infractions est également raisonnable, si l’on se fie aux rapports psychiatriques qui ont été versés au dossier, lesquels démontrent que son respect de ses rendez-vous médicaux ne s’était pas amélioré de manière significative depuis qu’il avait fait la connaissance de sa copine. La Cour constate que, dans son rapport de 2016, le psychiatre du demandeur mentionne que celui-ci [traduction] « rate souvent ses rendez-vous » avec lui. Il ajoute que, même si le demandeur se présente [traduction] « de son plein gré » pour recevoir ses injections, il est habituellement [traduction] « en retard de quelques jours, voire d’une semaine ».

[12]           Comme la Cour l’a mentionné à différentes occasions, son rôle ne consiste pas à réévaluer les éléments de preuve. La Section d’appel de l’immigration pouvait s’appuyer sur les témoignages du demandeur, de sa copine et de sa mère et on présume qu’elle a pris en compte tous les éléments de preuve qui avaient été versés au dossier. Ses conclusions sont à la fois raisonnables et soutenues par le dossier.

[13]           Le demandeur allègue également que la Section d’appel de l’immigration a tiré une conclusion spéculative non étayée par la preuve. En août 2015, le demandeur a bénéficié d’un sursis et a été mis en probation pendant une période de dix-huit (18) mois après avoir été déclaré coupable du vol d’une montre dans une bijouterie en janvier 2015. Le demandeur soutient que, lorsque la Section d’appel de l’immigration a conclu que [traduction] « certainement, le vol […] ne semble pas avoir été commis lorsque le demandeur se trouvait dans un état psychotique » et que ce vol [TRADUCTION] « était de toute évidence prémédité », la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte du témoignage d’expert du psychiatre qui avait été versé au dossier et qu’elle s’est donné le rôle d’une experte quand il s’est agi de déterminer si le demandeur était dans un état psychotique au moment où il a commis ce crime.

[14]           La Cour n’est pas de cet avis. Les commentaires de la Section d’appel de l’immigration concernant l’état psychotique du demandeur au moment où il a volé la montre, en janvier 2015, doivent être pris dans leur contexte approprié. Au moment de déterminer la probabilité que le demandeur commette d’autres infractions, la Section d’appel de l’immigration a reconnu que le comportement criminel du demandeur est en partie attribuable à sa maladie mentale. Elle mentionne explicitement les trois (3) rapports du psychiatre du demandeur et présente un bon aperçu de l’état et des problèmes du demandeur. En citant le rapport de 2014, la Section d’appel de l’immigration mentionne que le psychiatre du demandeur a déclaré que, même si la maladie du demandeur et son traitement contribuaient à son comportement illégal, ceux-ci n’étaient pas le seul facteur et que le demandeur commettait sans doute des vols pour subvenir à ses besoins de consommation. La Section d’appel de l’immigration a également observé qu’un mois après avoir volé la montre le demandeur avait été accusé de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic et qu’il avait sans doute commis cette infraction également pour subvenir à ses besoins de consommation.

[15]           À l’examen minutieux du dossier, la Cour conclut que l’affirmation de la Section d’appel de l’immigration concernant l’état mental du demandeur au moment où il a volé la montre était raisonnable. Les rapports psychiatriques de 2015 et de 2016 indiquent que l’état mental du demandeur était relativement stable depuis qu’il avait reçu son congé de l’hôpital en mai 2014 et que, même s’il éprouvait de la difficulté à respecter ses rendez-vous, il prenait généralement ses médicaments. En outre, dans son rapport de 2015, le psychiatre du demandeur a mentionné explicitement que les accusations en instance à son endroit relativement aux drogues donnent à croire qu’il consommait toujours des drogues et que cela pourrait expliquer en partie l’allégation de vol.

[16]           Le dernier problème soulevé par le demandeur dans ses observations écrites porte sur l’existence d’un couvre-feu. Il soutient que la Section d’appel de l’immigration a commis une erreur en déclarant que le demandeur [TRADUCTION] « ne pouvait pas se conformer à une simple condition telle que respecter un couvre-feu s’étendant de 22 h à 6 h ». Il allègue également qu’il n’était pas assujetti à un couvre-feu. Toutefois, à l’audience, le demandeur a reconnu que la Section d’appel de l’immigration faisait sans doute référence à un couvre-feu qui lui avait été imposé en raison de ses condamnations antérieures, comme l’indique le rapport narratif de la police de 2012 qui se trouve dans le dossier, couvre-feu que le demandeur n’a pas respecté.

[17]           Globalement, la Cour conclut qu’il était loisible à la Section d’appel de l’immigration, dans l’exercice de son pouvoir, de conclure que le demandeur n’avait pas démontré qu’il existait suffisamment de motifs pour justifier des mesures spéciales (Chung v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FCA 68, au paragraphe 27). La conclusion de la Section d’appel de l’immigration était raisonnable et sa décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Khosa, au paragraphe 59; Dunsmuir, au paragraphe 47).


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4612-16

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ISMAIL ABDIKADIR MUSE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 avril 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

Le 13 avril 2017

COMPARUTIONS :

Laura Setzer

Pour le demandeur

Sanam Goudarzi

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laura Setzer

Avocate

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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