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Date : 20170418


 Dossier : IMM-3253-16

Référence : 2017 CF 368

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2017

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

AFSHIN NOROUZI

demandeur

et

LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS, ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Afshin Norouzi [M. Norouzi] demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada [SPR] en date du 22 juin 2016, où elle a constaté de la perte d’asile de M. Norouzi.

[2]               M. Norouzi conteste la raisonnabilité de la décision et soulève des questions constitutionnelles par rapport aux articles 7, 12 et 15 de la Charte. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur, M. Afshin Norouzi, est un citoyen de l’Iran.

[4]               Le 17 juillet 2001, M. Norouzi a fait une demande de réfugié à la frontière de Saint-Bernard-de-Lacolle, en provenance des États-Unis. Peu de temps après, la SPR a reconnu son statut de réfugié puisque la famille de son ex-conjointe, avec qui il avait eu des relations sexuelles hors mariage, lui proférait des menaces. M. Norouzi a obtenu son statut de résident permanent le 18 septembre 2003.

[5]               Après avoir reçu son statut de résident permanent, M. Norouzi est retourné en Iran à sept reprises entre 2003 et 2007, pour une durée totale d’approximativement dix-huit mois :

  1. novembre 2003 à avril 2004;
  2. juin à octobre 2004;
  3. décembre 2004 à février 2005;
  4. février 2006 à avril 2006;
  5. avril 2006 à mai 2006;
  6. janvier 2007;
  7. février 2007.

[6]               De plus, ces voyages en Iran furent facilités par l’utilisation d’un passeport iranien. En effet, M. Norouzi a fait une demande de renouvellement de passeport et l’a obtenu en février 2005. En 2009, il a obtenu un nouveau passeport iranien.

[7]               Le 4 juillet 2013, le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le Ministre] a déposé une demande de constat de perte de statut de réfugié en vertu du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [Loi]. Le 17 août 2015, M. Norouzi a déposé un avis de questions constitutionnelles ; toutefois, la SPR a déterminé dans sa décision du 18 janvier 2016 qu’elle n’avait pas de compétence pour traiter de ces questions.

[8]               Le 22 juin 2016, la SPR a accueilli la demande de perte d’asile du Ministre. M. Norouzi conteste cette décision.

III.             Décision contestée

[9]               La question devant la SPR était à savoir si M. Norouzi, par ses agissements, « s’est réclamé de nouveau et volontairement de la protection de l’Iran ». Pour y répondre, la SPR a premièrement contemplé le paragraphe 1 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui, avec l’aide du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés [Guide], décrit les conditions qui doivent être rencontrées pour qu’il y ait perte d’asile. Il y en a trois : (1) la libre volonté; (2) l’intention; et (3) le succès de l’action. La SPR a ensuite contemplé les paragraphes 121 à 125 du Guide, qui indiquent que « [s]i un réfugié demande et obtient un passeport national ou le renouvellement de ce passeport, il sera présumé, en l’absence de preuves contraires, avoir voulu se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité ». Enfin, elle s’est tournée sur le contexte et les faits du cas de M. Norouzi.

[10]           La SPR a fait plusieurs conclusions de faits pertinentes :

i. M. Norouzi a fait plusieurs voyages en Iran pour une durée approximative de dix-huit mois ;

ii. L’état de santé de sa mère était précaire ;

iii. Il a fait ses entrées en Iran à l’aide d’une personne-ressource; ses voyages ont cessé après qu’il ait perdu contact avec cette dernière.

[11]           La SPR a conclu que les « va-et-vient » de M. Norouzi, avant et après la prolongation de son passeport iranien, témoignaient de sa volonté de retourner en Iran. Le premier critère a donc été satisfait. La SPR était également d’avis que la prolongation de son passeport créait une présomption de son intention de se réclamer à nouveau de la protection de l’Iran. Bien que la SPR ait cru M. Norouzi quant aux troubles de santé de sa mère, elle a précisé que ce n’était pas suffisant pour réfuter cette présomption. En effet, il avait plusieurs membres de la famille en Iran qui auraient pu s’occuper de sa mère, et la SPR ne pouvait concevoir « que sa présence était requise pour l’ensemble de ces voyages et pour des durées de séjours aussi longs ». Plutôt, elle était d’avis que les séjours de M. Norouzi planifiés, nombreux, et de longues durées étaient pour des motifs autres que ceux présentés au tribunal. Enfin, la SPR a conclu que la prolongation de passeport de M. Norouzi, qui lui a permis de voyager avec succès en Iran, démontre le succès de l’action. Les trois conditions du Guide ayant été remplies, la SPR a conclu que M. Norouzi s’est effectivement réclamé de nouveau et volontairement de la protection de l’Iran, dont il a la nationalité.

IV.             Dispositions législatives pertinentes

[12]           L’article 108 de la Loi met d’avant les circonstances dans lesquelles une demande d’asile pourrait être rejetée ou perdue :

Rejet

Rejection

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108 (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of

the protection of their country of nationality;

b) il recouvre volontairement sa nationalité;

(b) the person has voluntarily reacquired their nationality;

c) il acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays de sa nouvelle nationalité;

(c) the person has acquired a new nationality and enjoys

the protection of the country of that new nationality;

d) il retourne volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré et en raison duquel il a demandé l’asile au Canada;

(d) the person has voluntarily become re-established in the country that the person left or remained outside of and in respect of which the person claimed refugee protection in Canada; or

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

[13]           Par conséquent, si M. Norouzi se trouve dans l’une des circonstances énumérées au paragraphe 1, il peut perdre son statut de réfugié en vertu du paragraphe 2.

[14]           Une fois que le statut de réfugié est perdu en vertu du paragraphe 2, les articles 40.1 et 46(1) de la Loi entraînent respectivement l’interdiction de territoire et la perte de résidence permanente :

Perte de l’asile — étranger

Cessation of refugee protection — foreign national

40.1 (1) La décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant la perte de l’asile d’un étranger emporte son interdiction de territoire.

40.1 (1) A foreign national is inadmissible on a final determination under subsection 108(2) that their refugee protection has ceased.

Résident permanent

Permanent resident

46 (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

46 (1) A person loses permanent resident status

...

[...]

c.1) la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile.

(c.1) on a final determination under subsection 108(2) that their refugee protection has ceased for any of the reasons described in paragraphs 108(1)(a) to (d);

[15]           Lorsqu’un étranger est interdit du territoire, l’article 44 de la Loi permet à un agent de préparer un rapport pour le Ministre (paragraphe 44(1)). Par la suite, le Ministre ou son représentant doit évaluer le bien-fondé du rapport et décider s'il convient de déférer l'affaire pour enquête à la Section de l'immigration. Selon l’article 45, la Section de l’immigration peut rendre les décisions suivantes :

Décision

Decision

a) reconnaître le droit d’entrer au Canada au citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté, à la personne inscrite comme Indien au sens de la Loi sur les Indiens et au résident permanent;

(a) recognize the right to enter Canada of a Canadian citizen within the meaning of the Citizenship Act, a person registered as an Indian under the Indian Act or a permanent resident;

b) octroyer à l’étranger le statut de résident permanent ou temporaire sur preuve qu’il se conforme à la présente loi;

(b) grant permanent resident status or temporary resident status to a foreign national if it is satisfied that the foreign national meets the requirements of this Act;

c) autoriser le résident permanent ou l’étranger à entrer, avec ou sans conditions, au Canada pour contrôle complémentaire;

(c) authorize a permanent resident or a foreign national, with or without conditions, to enter Canada for further examination; or

d) prendre la mesure de renvoi applicable contre l’étranger non autorisé à entrer au Canada et dont il n’est pas prouvé qu’il n’est pas interdit de territoire, ou contre l’étranger autorisé à y entrer ou le résident permanent sur preuve qu’il est interdit de territoire.

(d) make the applicable removal order against a foreign national who has not been authorized to enter Canada, if it is not satisfied that the foreign national is not inadmissible, or against a foreign national who has been authorized to enter Canada or a permanent resident, if it is satisfied that the foreign national or the permanent resident is inadmissible.

[16]           Or, selon le paragraphe 228(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement], si le Ministre trouve que le rapport est bien fondé, mais la raison d’interdiction de territoire est au titre du paragraphe 40.1(1) de la Loi (la perte d’asile), l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi est automatiquement l’interdiction de séjour.

V.                Questions en litige

[17]           L’appelant met d’avant deux questions en litige dont la deuxième relève des questions constitutionnelles :

  1. La décision de la SPR était-elle raisonnable ?
  2. Est-ce que l’effet cumulatif des articles 40.1, 46(1)(c.1), et 108(1) de la Loi enfreint aux articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

VI.             Norme de contrôle

[18]           Pour ce qui a trait à la première question, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles, acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para. 47, [2008] 1 R.C.S. 190).

VII.          Analyse

A.                Raisonnabilité de la décision

[19]           M. Norouzi soutient que, lors de l’audience, la SPR a omis de considérer la preuve suivante qui démontre une absence d’intention de se réclamer de la protection de l’Iran :

a)      M. Norouzi est retourné en Iran pour les fins de son divorce, qu’il ne pouvait plus gérer à partir du Canada ;

b)      M. Norouzi est retourné en Iran en raison de l’arrestation de son frère par les policiers et la demande de sa mère, qui voulait qu’il aille à sa recherche ;

c)      Ses retours en Iran étaient sous d’extrêmes précautions, avec l’aide d’un facilitateur aux passages douaniers ;

d)     Le déménagement de la maison familiale dans un nouveau quartier à distance de la famille de son ex-conjointe.

[20]           Il cite Yuan c. Canada, 2015 CF 923 [Yuan], [2015] A.C.F. no 919 où le juge Boswell a entamé une analyse contextuelle pour voir si le réfugié s’était réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine. Le juge Boswell a d’abord traité de la présomption relative à l’acquisition d'un passeport. Il a noté que cette présomption est étayée par le Guide, a reçu l'approbation judiciaire, et a conclu qu’« il était raisonnable pour la SPR de s’appuyer sur cette présomption » (Yuan, précité, au para. 31, citant Nsende c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 531 au para. 14, [2009] 1 R.C.F. 49 ; Canada (Sécurité publique et Protection civile c. Bashir, 2015 CF 51 au para. 59, [2015] A.C.F. no 36 ; Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CF 459 au para. 42, [2015] A.C.F. no 448). Bien qu’il ait accepté la conclusion de la SPR que le demandeur s’était effectivement réclamé de nouveau de la protection de la Chine, il a précisé que cette conclusion contredisait les autres conclusions de fait de la SPR et, par conséquent, n’était pas raisonnable. Ce n’est malheureusement pas le cas de M. Norouzi.

[21]           Sur ce point, la SPR a conclu que les agissements de M. Norouzi ont « créé une présomption d’intention de se réclamer à nouveau de la protection de l’Iran de la part de l’intimé », et qu’il n’a pas réussi à réfuter cette présomption. Je suis d’avis que la SPR a complété une analyse contextuelle pour y en arriver : elle a pris en compte le fait que M. Norouzi a renouvelé son passeport iranien, l’état de santé précaire de sa mère (qui n’a d’ailleurs pas été réfuté par la SPR), et le fait qu’il avait des membres de la famille en Iran qui auraient pu prendre soin de sa mère. C’est en bon droit de la SPR de donner plus de poids à ces éléments qu’à ceux mentionnés par M. Norouzi au paragraphe 19 ci-haut (éléments qui ont été pris en compte par la SPR dans le paragraphe 28 de sa décision). De plus, cette présomption est particulièrement forte lorsqu’un réfugié utilise son passeport national pour se rendre dans ce pays (Abadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 29 au para. 16, [2016] A.C.F. no 33 [Abadi]).

[22]           Par conséquent, je suis d’avis que la décision de la SPR était raisonnable et satisfait les critères de Dunsmuir, précité.

B.                 Article 7 de la Charte

[23]           L’article 7 de la Charte garantit le « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Une analyse de la constitutionnalité d’une loi en vertu de l’article 7 se déroule en deux étapes : premièrement, le demandeur doit démontrer qu’il a, ou aurait, subi une atteinte à son droit, à sa liberté, ou à sa sécurité. Deuxièmement, le demandeur doit prouver que cette atteinte ne respecte pas ou ne respecterait pas les principes de justice fondamentale (Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9 au para. 12, [2007] 1 R.C.S. 350). Or, avant de procéder à une analyse sous l’article 7, il faut analyser si l’article 7 trouve application en les circonstances.

[24]           M. Norouzi soutient que l’application de l’article 7 est déclenchée par la gravité des conséquences qui seraient encourues pour M. Norouzi s’il était forcé à retourner en Iran, à savoir les menaces à sa vie et le risque supposément imminent de persécution. M. Norouzi s’appuie sur l’arrêt Charkaoui c. Canada, 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326, où la Cour suprême du Canada indique ce qui suit aux paragraphes 53 et 54 :

[53] L’application des garanties constitutionnelles accordées par l’art. 7 de la Charte ne dépend toutefois pas d’une distinction formelle entre les différents domaines du droit. Elle dépend plutôt de la gravité des conséquences de l’intervention de l’État sur les intérêts fondamentaux de liberté, de sécurité et parfois de droit à la vie de la personne. Par sa nature, la procédure des certificats de sécurité peut mettre gravement en péril ces droits, comme la Cour l’a reconnu dans l’arrêt Charkaoui. La reconnaissance d’une obligation de divulgation de la preuve fondée sur l’art. 7 devient nécessaire à la préservation de ces droits.

[54] En effet, les enquêtes menées par le SCRS jouent un rôle central dans les décisions relatives à la délivrance des certificats de sécurité et aux mesures d’interdiction de territoire qui en résultent. Ces certificats emportent des conséquences dont la gravité dépasse souvent celles de bien des accusations criminelles. Ainsi, les répercussions possibles du processus vont de la détention pour une durée indéterminée, au renvoi vers l’étranger, et parfois à des risques de persécution ou d’atteinte à l’intégrité de la personne sinon à sa vie.

[25]           M. Norouzi soutient également que l’article 7 de la Charte protège son intégrité physique, son intégrité psychologique, et contre le déchirement des liens familiaux, mais il n’explique pas en quoi cela est le cas.

[26]           À contrario, le Ministre soutient que l’article 7 n’est pas en jeu en l’espèce puisque (i) les faits ne permettent pas de procéder à une analyse de la constitutionnalité des articles ; et (ii) la question est prématurée puisque M. Norouzi n’est pas encore rendu à l’étape où il sera renvoyé du Canada. Je suis d’accord avec le Ministre sur ce point.

[27]           Il est bien établi que les non-citoyens n’ont pas un droit absolu de rentrer ou de demeurer au Canada et qu’un renvoi en soi ne déclenche pas l’application de l’article 7 de la Charte (Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51, [2005] 2 R.C.S. 539). M. Norouzi est rentré au Canada et a obtenu son statut de réfugié en 2002, et il est devenu résident permanent en 2003. C’est uniquement après la décision de la SPR le 22 juin 2016 (que j’ai d’ailleurs trouvée raisonnable) que M. Norouzi a perdu son statut de réfugié et est devenu interdit du territoire. Bien que l’article 44 de la Loi crée la possibilité qu’un agent puisse préparer un rapport qui sera envoyé au Ministre, cela n’a pas encore été le cas pour M. Norouzi. De plus, le Ministre doit confirmer le bien-fonds du rapport avant que le paragraphe 228(1) et la mesure de renvoi entrent même en jeu. Ainsi, il y a plusieurs étapes qui doivent être franchies avant que M. Norouzi soit actuellement renvoyé du territoire vers l’Iran, étapes qui n’ont pas encore été franchies.

[28]           Le défendeur cite les arrêts B010 c. Canada, 2015 CSC 58 (CanLII) 75, [2015] 3 R.C.S. 709 [B010] et Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68, [2014] 3 R.C.S. 431 [Febles], où la Cour suprême du Canada a statué que l’article 7 n’est pas engagé par une conclusion d’interdiction de territoire. La juge en chef écrit dans B010 ce qui suit :

[74]      Les appelants soutiennent subsidiairement que l’al. 37(1)b) de la LIPR viole de manière inconstitutionnelle l’art. 7 de la Charte car cet alinéa a une portée excessive du fait qu’il s’applique aux migrants qui s’entraident et aux travailleurs humanitaires. [...]

[75]      Quoi qu’il en soit, l’argument n’est d’aucune utilité puisque l’art. 7 de la Charte n’entre pas en jeu lorsque vient le temps de déterminer si un migrant est interdit de territoire au Canada selon le par. 37(1). La Cour a récemment conclu dans [Febles] que le constat d’exclusion de l’asile tiré en vertu de la LIPR ne déclenchait pas l’application de l’art. 7, car « même s’il est exclu du régime de protection des réfugiés, l’appelant peut demander au ministre de surseoir à une mesure de renvoi pour le lieu en cause si le renvoi à ce lieu l’expose à la mort, à la torture ou à des traitements ou peines cruels ou inusités ».

[Je souligne.]

[29]           M. Norouzi n’a fourni aucune preuve indiquant qu’il est assujetti à une mesure de renvoi ; l’article 7 de la Charte ne trouve donc pas d’application en l’espèce.

[30]           Tel que noté par le défendeur, ce que M. Norouzi semble contester est l’attente de douze mois entre la date de la décision de la SPR et la demande d’Examen des risques avant renvoi [ERAR]. M. Norouzi soutient également que l’effet cumulatif des dispositions de la Loi permet un renvoi sans évaluation des risques dans le pays d’origine, ce qui, selon lui, est contraire aux protections constitutionnelles. Dans ses plaidoiries écrites, M. Norouzi met l’emphase sur le fait qu’il n’a pas accès à un ERAR avant douze mois. Il cite Canada c. Farhadi, [2000] A.C.F. no 646, 2000 CanLII 15491 (CAF) où le juge Strayer statue que « pour que la décision de renvoyer une personne du Canada soit valide, il faut au préalable qu'une évaluation du risque ait été effectuée et qu'une décision ait été prise à cet égard conformément aux principes de justice fondamentale ». Sur cette prétention, je fais les observations suivantes :

[31]           Premièrement, tel que mentionné précédemment, M. Norouzi n’est pas encore le sujet d’une mesure de renvoi. Il ne s’agit que d’une possibilité permise par le régime législatif de la Loi. Deuxièmement, même si M. Norouzi doit attendre jusqu’au 22 juin 2017 avant qu’il puisse faire une demande d’ERAR, plusieurs options lui sont disponibles si une mesure de renvoi est prise contre lui : faire la demande de report de renvoi, contester le refus d’un agent d’exécution de reporter un renvoi en saisissant la Cour fédérale d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, présenter une requête en sursis d’un renvoi dans l’attente de l’issue de leur demande de contrôle judiciaire (Awtanah c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2016 CAF 144 au paragraphe 17, [2016] A.C.F. no 481; Peter c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CF 1073 au para. 167, [2014] ACF no 1132).

[32]           M. Norouzi n’est pas admis à demander une ERAR pour douze mois en vertu de l’alinéa 112(2)(b.1) de la Loi; il en est de même pour tous les réfugiés pour lesquels une demande d’asile a été rejetée par la SPR. La Cour d’appel fédérale a statué dans Awtanah que l’article 112(2)(b.1) de la Loi ne porte pas atteinte aux garanties prévues à l’article 7 de la Charte.

C.                 Article 12 de la Charte

[33]           M. Norouzi soutient également que l’effet cumulatif des articles 40.1, 46(1)(c.1), et 108(1) de la Loi constitue une violation des droits garantis à l’article 12 de la Charte. L’article 12 se lit comme suit :

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

[34]           Il se fie sur l’arrêt Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (PG), 2014 CF 651, [2014] A.C.F. no 679 [Médecins Canadiens], mais n’offre aucune explication quant aux raisons qui justifient sa position. Dans l’arrêt Médecins Canadiens, la juge Mactavish a statué que certains changements au Programme fédéral de santé intérimaire violaient l’article 12 de la Charte car ils avaient pour effet de faire subir un traitement défavorable à un groupe de personnes vulnérables, pauvres et défavorisées. Avant d’entamer son analyse sous l’article 12, la juge a rappelé que les traitements cruels et inusités sont ceux qui sont « excessi[fs] au point de ne pas être compatible[s] avec la dignité humaine » (Médecins Canadiens, précité, au paragraphe 613). Je ne vois pas la pertinence de cette décision à l’appui de la prétention de M. Norouzi, puisque, tel qu’établi lors de l’analyse sous l’article 7, il n’est pas encore rendu au point d’être renvoyé vers l’Iran.

[35]           Le défendeur cite Barrera c. Canada, [1993] F.C.J. no 146 [Barrera], selon laquelle un demandeur ne peut invoquer l’article 12 de la Charte avant l’étape finale de l’expulsion :

La question de l'effet de l'article 12 sur le refoulement des réfugiés au sens de la Convention étant encore irrésolue, il s'agit ensuite de savoir si elle doit être traitée dans le présent appel. À mon avis, elle ne doit pas l'être car je partage l'avis de la Commission pour dire que le plaidoyer de l'appelant est présenté de façon prématurée, au mauvais décideur et à la mauvaise étape.

...

[...] c'est seulement son retour au Chili qui mettrait présumément l'appelant en danger aux termes de l'article 12, et c'est seulement le ministre qui est doté du pouvoir légal de le mettre ainsi en danger. Le ministre ne peut même pas prendre une décision en ce qui concerne le pays de renvoi tant que la question de l'expulsion n'est pas réglée par la Commission.

[36]           Bien entendu, même si le régime législatif dans Barrera n’est pas le même que celui de la Loi, les principes demeurent applicables. En l’espèce, le paragraphe 228(1) du Règlement ne peut prendre effet avant qu’un agent prépare un rapport en vertu de l’article 44, qui, encore une fois, n’est qu’une possibilité. Les prétentions de M. Norouzi à cet effet sont prématurés (Santana c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CF 477 au paragraphe 14, [2013] A.C.F. no 525.

D.                Article 15 de la Charte

[37]           Finalement, M. Norouzi soutient que l’effet cumulatif des articles 40.1, 46(1)(c.1), et 108(1) de la Loi constitue une violation des droits garantis à l’article 15 de la Charte, à savoir l’égalité devant la loi, la protection et les bénéfices de la loi. Plus particulièrement, il soutient que ces articles créent un régime discriminatoire entre les résidents permanents du Canada : alors que certains résidents permanents du Canada peuvent voyager ‘sans souci’ vers leur pays d’origine, il soutient que l’article 108 de la Loi a l’effet discriminatoire que les résidents permanents réfugiés risquent la perte de leur résidence permanente en voyageant ainsi.

[38]           Les deux parties s’entendent sur la façon de déterminer s’il y a une violation de l’article 15 de la Charte. Il faut procéder à une analyse en deux étapes (Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30 aux para. 16-21, [2015] A.C.S. no 30 [Première Nation] ; Withler c. Canada (PG), 2011 CSC 12 aux para. 61-66, [2011] 1 R.C.S. 396). Le premier volet consiste à analyser si, à première vue, une loi crée une distinction fondée sur un des motifs énumérés ou un motif analogue. Les motifs énumérés sont la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. M. Norouzi conteste la constitutionnalité de la Loi sur la base de son statut de réfugié; il faut donc d’abord analyser si le statut de réfugié a été reconnu, ou devrait être reconnu, comme motif analogue à ceux énumérés à l’article 15. Il soumet la définition de motif analogue comme étant « une caractéristique personnelle qui est soit immuable, soit modifiable uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle » (Première Nation, précité, au paragraphe 33).

[39]           De par sa nature, le statut de réfugié n’est pas une caractéristique immuable. Le régime législatif de la Loi prévoit que, dans certaines circonstances (telles celles décrites dans l’article 108), un résident permanent réfugié peut perdre son statut de réfugié. La différence de traitement entre les résidents permanents et les résidents permanents réfugiés n’est donc pas un motif analogue à ceux énumérés à l’article 15.

[40]           Puisque M. Norouzi n’a pas pu établir le premier volet de l’analyse, à savoir que la Loi a un effet disproportionné à son égard du fait de son appartenance au groupe des résidents permanents réfugiés, je ne puis conclure que la Loi viole l’article 15 de la Charte.

VIII.       Questions pour certification

[41]           Lors de l’audience, M. Norouzi a proposé six questions pour certification à la Cour d’appel fédérale. J’ai demandé aux parties de déposer des soumissions quant à ces six questions. La première question, dont la certification n’est pas contestée par le défendeur, est la suivante :

Lorsqu’elle est appelée à décider si elle accueille ou non une demande de constat de perte d’asile présentée par le ministre en application, de l’alinéa 108(1)a) de la Loi et fondée sur des actions passées, la Commission peut-elle accueillir la demande du ministre sans examiner, lors de l’audience relative à la perte de l’asile, si la personne serait exposée à un risque de persécution à son retour dans son pays de nationalité?

[42]           Le défendeur soutient que la jurisprudence sur cette question n’est pas controversée, et cite, entre autres, Balouch c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 765, [2015] F.C.J. no 751. Dans cette décision, la juge Heneghan a conclu ce qui suit :

Bien que je reconnaissance que l'existence du risque est une préoccupation de premier plan lorsque la protection est réclamée, je ne suis pas convaincue que la question du risque est pertinente dans une audience relative à la perte de l'asile.

[43]           Or, la juge Heneghan a certifié la même question que celle proposée par M. Norouzi. Le défendeur cite également Abadi, précité, où le juge Fothergill a interprété Balouch comme voulant dire que le risque de persécution n’est pas un facteur pertinent dans une audience relative à la perte d’asile. Toutefois, ce n’était pas dans un vide contextuel, puisqu’il a précisé que : « la Cour d’appel fédérale n’ayant pas encore répondu à cette question, on ne peut reprocher à la SPR de ne pas avoir apprécié le risque de persécution que M. Shamsi courrait en Iran ».

[44]           Je suis d’avis que seule cette question parmi les six proposées par M. Norouzi relève d’une question d’importance générale et transcende l'intérêt des parties immédiates en l'espèce. En raison du fait qu’elle n’a pas ultimement été portée en appel dans la décision Balouch, et que le défendeur n’oppose pas sa certification, je certifierai la première question posée par M. Norouzi pour la Cour d’appel fédérale.

IX.             Conclusion

[45]           La décision de la SPR était raisonnable. Pour les raisons énoncées ci-dessus, l’effet cumulatif des articles 40.1, 46(1)(c.1), et 108(1) de la Loi n’enfreint pas aux articles 7, 12 et 15 de la Charte. La demande de contrôle judiciaire est rejetée et la question suivante est certifiée :

Lorsqu’elle est appelée à décider si elle accueille ou non une demande de constat de perte d’asile présentée par le ministre en application, de l’alinéa 108(1)a) de la Loi et fondée sur des actions passées, la Commission peut-elle accueillir la demande du ministre sans examiner, lors de l’audience relative à la perte de l’asile, si la personne serait exposée à un risque de persécution à son retour dans son pays de nationalité?


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
  2. La question suivante est certifiée :

Lorsqu’elle est appelée à décider si elle accueille ou non une demande de constat de perte d’asile présentée par le ministre en application, de l’alinéa 108(1)a) de la Loi et fondée sur des actions passées, la Commission peut-elle accueillir la demande du ministre sans examiner, lors de l’audience relative à la perte de l’asile, si la personne serait exposée à un risque de persécution à son retour dans son pays de nationalité?

« B. Richard Bell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3253-16

 

INTITULÉ :

AFSHIN NOROUZI c LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS, ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 mars 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 avril 2017

COMPARUTIONS :

Guillaume Cliche-Rivard et

Patil Tutunjian

 

pour le demandeur

 

Lisa Maziade

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Guillaume Cliche-Rivard

Doyon, Nguyen, Tutunjian & Cliche-Rivard

Montréal (Québec)

 

pour le demandeur

 

Procureur générale du Canada

Ministère de la Justice

Me Lisa Maziade

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 

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