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Date : 20170421


Dossier : IMM-3558-16

Référence : 2017 CF 386

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

LEKSI GJOKA

Demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ CANADA

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, ch. 27 [la Loi] d’une décision rendue le 2 août 2016 [la décision] par la Section d’appel de l’immigration [SAI] et la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada laquelle rejette l’appel du demandeur interjeté quant au refus de la demande de résidence permanente de son épouse présentée en qualité de membre du regroupement familial.

II.                 FAITS

[2]               Le demandeur est un citoyen albanais de 35 ans. Il est arrivé au Canada en 2006 en tant que réfugié et a obtenu la résidence permanente en 2013. Sa demande de statut de réfugié était fondée sur un conflit opposant sa famille à une autre famille de sa ville natale de Shkoder; il n’est pas retourné en Albanie depuis son arrivée au Canada.

[3]               En décembre 2012, le demandeur a voyagé au Monténégro et a rencontré la femme qui est devenue son épouse, Silvana Gjoka [Silvana], par l’entremise d’un membre de leurs familles mutuelles. Un mois plus tard, les deux familles ont accepté que le demandeur et Silvana se marient. Le demandeur est retourné au Canada et a échangé avec Silvana par téléphone.

[4]               En juin 2013, le demandeur est retourné au Monténégro et a contracté un mariage civil avec Silvana le 22 juillet 2013. Les familles n’ont pas assisté à ce mariage qui n’a pas été consommé. Cinq jours après le mariage civil, le demandeur est revenu au Canada.

[5]               Le 18 septembre 2013, le demandeur a soumis une demande visant à parrainer Silvana dans le cadre de son immigration au Canada. Un agent des visas l’a convié à une entrevue le 14 février 2014. Le 12 juin 2014, l’agent des visas a refusé la demande en vertu du paragraphe 4 (1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement] au motif que le mariage n’était pas authentique et que Silvana l’avait contracté principalement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège sous le régime de la Loi.

[6]               À la suite de ce refus, le demandeur est retourné au Monténégro et a organisé un mariage avec Silvana le 21 juillet 2014 en présence d’environ 300 invités. Depuis, le demandeur a régulièrement effectué des allers-retours du Canada au Monténégro afin de passer du temps avec Silvana.

[7]               Le demandeur et Silvana ont porté la décision en appel devant la SAI. L’audience s’est déroulée sur deux demi-journées, le 19 mai 2016 et le 13 juin 2016.

III.               DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]               La SAI, dans sa décision du 2 août 2016, a conclu que Silvana n’était pas admissible à l’immigration au Canada en qualité de membre du regroupement familial.

[9]               La SAI a d’abord examiné la décision de l’agent des visas. La demande a été refusée pour cause de mauvaise foi en vertu du paragraphe 4 (1) du Règlement. Celle-ci était fondée sur les suivantes : les incohérences entre les formulaires de demande et les déclarations dans les entrevues; l’absence des familles à la cérémonie de mariage civil; l’absence de célébration de mariage après le mariage civil; les conditions de logement de Silvana après le mariage; et la maigre preuve présentée de communications téléphoniques et de photos. L’agent des visas a conclu que le mariage n’était pas authentique et avait uniquement été contracté dans le but d’acquérir un statut ou en privilège sous le régime de la Loi.

[10]           La SAI a ensuite examiné les historiques du demandeur et de Silvana; y compris les circonstances dans lesquelles ils se sont rencontrés et épousés. La SAI a également fait état des événements qui ont suivi le mariage civil.

[11]           Ensuite, la SAI a abordé le témoignage du demandeur. À la question à savoir si Silvana avait déjà été mariée, le demandeur a répondu : [traduction] « Pas à ma connaissance ». Cette réponse a éveillé les soupçons de la SAI; car les facteurs tels que l’âge et le statut familial sont habituellement examinés dans les mariages arrangés.

[12]           La SAI a également été troublée par le témoignage du demandeur voulant que Silvana ne connût pas la raison de son exil de l’Albanie. La SAI a estimé qu’il était inhabituel que Silvana ne cherche pas à savoir pourquoi le demandeur ne visitait jamais sa famille malgré la simplicité de franchir la frontière en l’Albanie et le Monténégro; et a conclu qu’ils n’ont probablement pas échangé ces renseignements, car le mariage n’était pas authentique.

[13]           Ensuite, la SAI s’est interrogée sur l’absence des familles du mariage civil. Tandis que Silvana a affirmé que cette absence s’expliquait par l’horaire chargé des familles, elle avait écrit dans sa demande que les époux prévoyaient célébrer leur mariage au Canada. Ceci est apparu comme étrange à la SAI, car il semblait plus simple de célébrer leur mariage en Albanie en raison de la proximité des membres de leurs familles. De plus, l’intention de célébrer le mariage au Canada venait rehausser l’importance de la cérémonie de mariage civil.

[14]           La SAI a ensuite évalué l’appartenance et les croyances religieuses du couple. Le demandeur a témoigné que Silvana et lui n’avaient pas vécu ensemble après le mariage civil en raison des coutumes catholiques voulant qu’ils doivent attendent après la cérémonie religieuse. De plus, les époux croyaient que le processus d’immigration serait assez rapide de façon à ce qu’ils puissent célébrer leur mariage au Canada. Au surplus, ils estimaient que les membres âgés de leurs familles auraient du mal à se rendre au Monténégro. Par conséquent, ils n’ont pas célébré leur mariage immédiatement. La SAI a mis en doute plusieurs éléments dans ce témoignage : il n’y avait aucun signe religieux dans les photos de la célébration de mariage; le demandeur a ensuite témoigné qu’il ne lui était pas venu à l’esprit d’organiser une cérémonie catholique; et les photos montraient des gens âgés à la cérémonie. La SAI a conclu, à la lumière de ces éléments, que la célébration avait eu lieu pour étoffer la demande de parrainage. De plus, la SAI a soutenu que la célébration de mariage n’avait pas tenu compte des intentions du couple au moment du mariage civil.

[15]           La SAI a remarqué, dans son examen de leurs déclarations, que les membres de la famille et les amis du demandeur avaient omis de mentionner la cérémonie de mariage civil, soulevant davantage de doutes quant aux intentions du couple au moment de celle-ci.

[16]           La SAI a souligné des incohérences dans les déclarations du couple quant à la journée de la demande de mariage. Le demandeur a témoigné que Sandu Marku, la mère de Silvana, et sa tante étaient présentes. Or, Silvana a témoigné que seuls M. Marku et sa sœur étaient présents, bien qu’elle ait déjà affirmé que la demande de mariage s’était effectuée en présence de sa mère et de la belle-sœur du demandeur. Le demandeur a également affirmé qu’il n’avait pas revu Silvana entre le moment de leur première rencontre et l’été de 2013. Silvana a témoigné qu’ils s’étaient revus quelques jours après la demande de mariage. La SAI n’a pas estimé que les explications fournies quant à ses lacunes étaient raisonnables, particulièrement en regard de l’importance de ce moment.

[17]           La SAI a également estimé que le témoignage du demandeur était vague et dépourvu d’explications suffisantes, notamment : il ne pouvait pas se souvenir du nom de l’hôtel où le mariage avait été consommé; il ne pouvait pas apporter de précisions quant à leurs conversations; il n’était pas en mesure de se souvenir si ses amis avaient rencontré Silvana au cours de leurs visites en Albanie; et il y avait des incohérences entre ses réponses et celles de son épouse quant à la fréquence des visites de celle-ci auprès de sa famille.

[18]           La SAI a également été préoccupée par les incohérences entre le témoignage du demandeur quant à ses déplacements au Monténégro et les documents à l’appui de ceux-ci.

[19]           La SAI a aussi conclu que les réponses de Silvana étaient vagues dans son témoignage. Notamment, elle ne pouvait se souvenir de quelque moment mémorable que ce soit avec le demandeur, du nom du village où le couple avait habité pendant des mois et du moment où elle avait reçu sa bague de fiançailles ou des gens en présence. Il y avait des incohérences entre ses réponses à savoir si le demandeur avait parlé à ses cousins au Canada et elle ne pouvait nommer le nombre de fois qu’elle avait vu le demandeur au cours de son voyage au Monténégro en décembre 2013.

[20]           Au surplus, la SAI a soulevé des incohérences entre les réponses du couple. Le demandeur a affirmé avoir envoyé 2 000 $ à Silvana tous les mois ou mois et demi en quatre à cinq paiements; Silvana a témoigné avoir reçu des versements de 500 $ ou de 1 000 $, mais ne pouvait se rappeler de la fréquence. De plus, le demandeur a témoigné que le couple n’avait jamais résidé chez des parents, mais Silvana a affirmé qu’ils avaient vécu à la résidence d’un parent à Tuzi, au Monténégro.

[21]           L’absence d’éléments de preuve quant aux plans d’avenir du couple témoignait également, de l’avis de la SAI, que le mariage n’était pas authentique. Il n’y avait aucun plan précis, hormis le désir d’enfants indiqué par le demandeur dans son témoignage.

[22]           La SAI a pris en compte la fréquence des voyages du demandeur au Monténégro après la cérémonie de mariage civil; cependant, elle a également souligné que celui-ci s’y était rendu en juin 2012, avant de rencontrer Silvana. La SAI a conclu que ces visites avaient également pour objectif de visiter d’autres membres de sa famille.

[23]           De même, la SAI a tenu compte des éléments de preuve présentés par le demandeur; plus particulièrement les factures d’appels téléphoniques, les factures d’un bijoutier; et l’évaluation d’une bague de fiançailles. Néanmoins, la SAI a estimé que la faible connaissance du couple de l’un et de l’autre, malgré le nombre de communications, ne correspondait pas à un mariage authentique. Au surplus, l’incapacité du demandeur à se souvenir du voyage au cours duquel il a présenté la bague de fiançailles à Silvana a soulevé des doutes à savoir si celle-ci n’avait pas été achetée pour étoffer leur demande.

[24]           Finalement, la SAI a fait état de facteurs positifs, y compris la fréquence des voyages du demandeur au Monténégro et la bague de fiançailles. Toutefois, la SAI a conclu que les facteurs positifs ne permettaient pas de contrebalancer les préoccupations de l’agent des visas; notamment en raison des incohérences dans les témoignages des époux; du manque de preuves étayant la comptabilité présumée du mariage; du manque de connaissance des époux quant au passé de l’un et de l’autre; et de l’absence de plan d’avenir.

[25]           Bien que Silvana n’ait pas de famille immédiate au Canada, la SAI a mentionné qu’étant l’aînée d’une fratrie de quatre, son entrée au Canada pourrait faciliter l’immigration éventuelle de ses frères et sœurs.

[26]           La SAI, après avoir examiné toute la preuve, a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage n’était pas authentique et avait été contracté principalement pour faciliter l’entrée de Silvana au Canada. Conséquemment, l’appel a été rejeté.

IV.              POINTS EN LITIGE

[27]           Le demandeur conteste les points suivants en lien avec sa demande :

(1)   L’allégation de la SAI voulant que l’intention principale de Silvana soit d’obtenir une voie d’entrée au Canada, puis de parrainer sa famille est spéculative et ne repose sur aucune preuve.

(2)   La SAI a omis de tenir compte du contexte culturel et a, par conséquent, rendu une décision déraisonnable en se fondant sur des incohérences sans envergure et en appréciant mal la preuve à l’appui de la demande.

V.                 NORME DE CONTRÔLE

[28]           La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir) a tranché qu’il n’était pas toujours nécessaire d’analyser la norme de contrôle. La cour de révision peut adopter une norme de contrôle déjà établie de façon satisfaisante par la jurisprudence antérieure quant à une question particulière. Si cette recherche n’est pas fructueuse, ou dans l’absence de précédents pertinents et conformes aux nouveaux développements dans les principes de common law relatifs au contrôle judiciaire, la cour de révision devra tenir compte des quatre facteurs formant une analyse de la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 48.

[29]           Cette Cour a statué que l’appréciation de l’authenticité d’un mariage est une question mixte de fait et de droit, ce qui commande la norme de la décision raisonnable : Bercasio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 244 au paragraphe 17.

[30]           L’analyse d’une décision au regard du critère de décision raisonnable portera sur « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour devrait seulement intervenir si la décision était déraisonnable au sens qu’elle ne figure pas parmi les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.              DISPOSITIONS LÉGALES

[31]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes à la procédure :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

...

...

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[32]           Les dispositions suivantes du Règlement sont pertinentes à la procédure :

Mauvaise foi

Bad faith

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

...

...

Catégorie

Family class

116 Pour l’application du paragraphe 12 (1) de la Loi, la catégorie du regroupement familial est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

116 For the purposes of subsection 12(1) of the Act, the family class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of the requirements of this Division.

Regroupement familial

Member

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

(a) the sponsor’s spouse, common-law partner or conjugal partner;

VII.            ARGUMENTS

A.                 Demandeur

(1)               Affidavit de tiers

[33]           Le demandeur a déposé un affidavit de tiers plutôt qu’un affidavit personnel pour deux raisons. D’abord, l’affidavit d’un tiers peut être présenté à l’appui d’une demande de contrôle, pourvu que toute erreur alléguée dans la demande soit manifeste au vu du dossier, ce qui est le cas de l’espèce : Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1407 au paragraphe 24. Deuxièmement, le demandeur et Silvana étaient à l’extérieur du pays ont moment du dépôt, ce qui générait des difficultés logistiques pour le dépôt d’affidavits personnels.

(2)               Spéculation

[34]           Le demandeur soutient que la SAI a spéculé quant à l’intention de Silvana, sans que celle-ci repose sur la preuve. La SAI a conclu que le mariage avait été contracté principalement dans le but de permettre à Silvana d’entrer au Canada afin qu’elle puisse ensuite faciliter l’immigration de sa famille au Canada. En outre, la séquence du témoignage utilisée pour justifier cette conclusion a été prise hors contexte. Au surplus, la réponse n’avait pas été fournie spontanément par le demandeur. En effet, il s’agit d’une réponse à une question suggestive de la part de la SAI, ce qui en diminue la valeur probante.

[35]           Hormis ce témoignage, il n’y avait aucune autre preuve appuyant la conclusion de la SAI voulant que le mariage soit une ruse. Outre son mariage au demandeur, Silvana n’a aucun intérêt évident pour le Canada : elle est âgée de 18 ans et provient d’un village rural en Albanie; elle ne parle pas anglais; elle n’a aucun antécédent d’emploi; elle n’a jamais vécu loin de sa famille; elle n’a que des cousins éloignés au Canada; et elle n’a jamais tenté d’entrer au Canada. Il n’y a également aucune preuve démontrant qu’elle serait même en mesure de satisfaire au revenu minimal requis pour parrainer sa famille. Par ailleurs, cette préoccupation n’a jamais été communiquée à Silvana, ce qui constitue un manquement à son droit à l’équité procédurale.

[36]           En outre, la SAI a omis d’examiner les preuves démontrant l’authenticité du mariage. Par exemple, le fait que le demandeur ait déposé une demande de parrainage peu de temps après le mariage civil indique plutôt vraisemblablement que le couple désirait être réuni aussi rapidement que possible et fonder une famille. Au surplus, le report de la célébration du mariage était causé par l’incapacité du demandeur à retourner en Albanie. Le demandeur a également connu une interruption d’emploi, engendrant une perte de revenu, en raison de ses fréquents voyages au Monténégro pour être en compagnie de son épouse à la suite du refus de sa demande.

(3)               Contexte culturel

[37]           Dans Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 122 [Gill] aux paragraphes 7 et 8, le juge Barnes a statué que la SAI doit veiller à ne pas se reporter à des concepts qui reflètent davantage les valeurs associées à un mariage occidental. En outre, elle ne devrait pas, dans son appréciation de la preuve, s’attarder à des éléments mineurs, non concluants et non pertinents tout en ignorant des éléments de preuve importants et contradictoires.

[38]           Le demandeur avance que la SAI n’a pas compris que les interactions entre mari et femme en Albanie ne correspondent pas aux normes de la culture occidentale. Dans sa décision, la SAI écrit : « [...] il est tout simplement invraisemblable qu’elle n’ait pas posé de questions à l’appelant à propos de son passé ou que la famille de la demandeure ne se soit pas renseignée, étant donné que l’appelant a peur de retourner en Albanie au point de séjourner au Monténégro plutôt que d’entrer en Albanie ». D’abord, la conclusion voulant que Silvana n’eût pas posé de questions sur le passé du demandeur est inexacte : elle connaissait l’existence de la vendetta, mais elle n’a pas cherché à obtenir davantage de détails, car elle a compris que le demandeur ne souhaitait pas aborder ce sujet. Ceci est confirmé par le témoignage de Silvana lors de son entrevue avec l’agent des visas le 18 février 2014 ainsi que par le témoignage du demandeur à l’audience de la SAI. Deuxièmement, les détails entourant les décès ou les tragédies ne font pas partie de la coutume des mariages arrangés en Albanie, une société patriarcale où les femmes dépendent des hommes et leur sont subordonnées. Il est raisonnable, considérant le contexte culturel, que Silvana n’ait pas connu les détails de la vendetta à l’encontre du demandeur; et ceci ne devrait pas être perçu comme un défaut d’authenticité.

[39]           Le demandeur soutient également que la SAI a mal interprété les coutumes entourant la célébration du mariage. En outre, il n’est pas nécessaire d’y retrouver une composante religieuse; mais les invités se rassemblent pour célébrer l’union publiquement. La SAI a remarqué le manque d’éléments religieux dans la célébration du mariage, mais le défendeur a clarifié à l’audience que la culture albanaise nécessitait la déclaration de l’union à la communauté avant que le mariage puisse être consommé. La SAI a mal compris cette coutume et a tiré une conclusion négative de l’absence de composantes religieuses dans la célébration du mariage.

(4)               Documents et preuves à l’appui

[40]           Le demandeur soutient que la SAI était portée à spéculer et à écarter des parties importantes de la preuve de sa décision.

[41]           La SAI a conclu que le couple avait célébré le mariage uniquement pour les besoins de la demande de parrainage et pour dissiper quelques-uns des doutes entretenus par l’agent des visas. Or, le demandeur a expliqué que la décision de tenir la célébration du mariage en 2014 émanait de la prise de conscience que le processus de parrainage serait long et que Silvana ne pourrait pas habiter avec la famille du demandeur dans l’intérim. L’omission par la SAI de mentionner l’explication du demandeur est déraisonnable et assimilable aux défauts cernés dans Paulino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 542 et Basra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 535. En l’occurrence, les décideurs avaient écarté des éléments de preuves sans les pondérer.

[42]           Le traitement par la SAI des déclarations des amis et des membres de la famille du demandeur soulève les mêmes problèmes. En l’espèce, plutôt que de se concentrer sur les éléments qui figuraient aux documents, la SAI s’est concentrée sur les éléments qui n’y figuraient pas; ce qui est une erreur susceptible de révision : Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 729 au paragraphe 11 [Mahmud]. Le demandeur affirme qu’il était déraisonnable de la part de la SAI de tirer des conclusions négatives du fait que les lettres ne mentionnaient pas le mariage civil, surtout à la lumière de l’explication rendue par le demandeur dans son témoignage relativement à l’importance de la célébration publique du mariage dans la culture albanaise.

(5)               Indices relatifs à la compatibilité

[43]           Le demandeur avance également que la SAI a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucune preuve indiquant la compatibilité présumée du couple; or, en l’espèce, on retrouve plusieurs éléments soutenant leur compatibilité : ils sont tous deux de Shkoder; le mariage a été arrangé par leurs familles; ni l’un ni l’autre n’ont été mariés auparavant; ils ont un niveau de scolarité semblable; ils parlent la même langue; et ils sont tous deux de confession catholique. Au surplus, la SAI s’est montrée démesurément pointilleuse quant à la réponse du demandeur à la question à savoir si Silvana avait déjà été mariée. En effet, l’anglais n’est pas la langue maternelle du demandeur et sa réponse [traduction] « Pas à ma connaissance », n’était qu’une tournure de phrase.

(6)               Incohérences

[44]           Le demandeur soutient que la SAI n’a pas abordé les éléments de preuve importants à sa disposition. En l’espèce, il affirme qu’elle s’est concentrée sur des incohérences non significatives dans le témoignage et les documents afin de conclure que le mariage n’était pas authentique. Au surplus, certaines des incohérences soulevées n’étaient pas véritablement des incohérences. Par exemple, le demandeur a témoigné que le couple n’utilisait aucun moyen de contraception, tout en soutenant que les époux ne tentaient pas de concevoir un enfant : il n’y a pas d’incohérence à y voir. Tout comme dans le témoignage du demandeur quant à la date de la cérémonie de mariage civil : la SAI a indiqué qu’il avait affirmé être resté au Monténégro un mois après le mariage civil, mais il a plutôt témoigné être arrivé au Monténégro un mois avant celui-ci. Cette erreur dans l’appréciation de la preuve a servi à appuyer la thèse de la SAI voulant que le demandeur tentait de mousser l’authenticité du mariage. Or, elle est infondée. La SAI a également soulevé l’incapacité du demandeur à se souvenir de détails comme le nom des hôtels, la durée des voyages et la fréquence des versements en argent; des oublis pouvant tous être raisonnablement expliqués par l’écoulement du temps. De façon similaire, l’incapacité du demandeur à se rappeler d’autres détails, notamment la fréquence des visites de Silvana auprès de sa famille, peut s’expliquer par des erreurs d’estimation et par le fait que les époux vivent séparément l’un de l’autre. Finalement, le fait que le couple discute de banalités et ne puisse se souvenir d’un événement notable de la semaine précédente ne constitue pas un facteur qui devrait servir à déterminer l’authenticité du mariage.

[45]           La SAI n’avait pas à fonder ses conclusions sur des questions non pertinentes et périphériques; en outre, les conclusions négatives relativement à la « [...] vraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas particulièrement clairs — lorsque les faits tels qu’ils ont été présentés sortent tellement de l’ordinaire que le juge des faits peut avec raison conclure qu’il est impossible que l’événement en question se soit produit [...] » : Divsalar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653 au paragraphe 24.

[46]           En l’occurrence, la SAI a essentiellement rendu des conclusions relatives à la vraisemblance reposant sur des déductions négatives non soutenues par les faits ou la logique et ignorant une preuve exhaustive à l’appui du demandeur. De plus, la décision est dénuée de sensibilité culturelle et ne tient pas compte des pratiques et des attentes inhérentes à la société patriarcale dans laquelle vit Silvana. Par ailleurs, les déductions et les conclusions de la SAI ne tiennent pas compte de la solide preuve à l’appui de la conclusion inverse.

B.                 Défendeur

(1)               Pondération de la preuve

[47]           La SAI est entièrement en droit de déterminer la vraisemblance et la crédibilité d’un témoignage et des éléments de preuve qui lui sont présentés; par ailleurs, la crédibilité et la pondération de la preuve sont des questions qui relèvent d’un tribunal. Le défendeur soutient que, dans la décision, la SAI a soulevé plusieurs incohérences et problèmes avec la preuve. Au surplus, il avance que les arguments du demandeur sont une tentative à peine voilée d’obtenir une nouvelle appréciation de la preuve et un autre résultat.

(2)               Conclusions fondées sur la preuve

[48]           Le défendeur soutient que les conclusions de la SAI étaient fondées sur l’ensemble de la preuve et que les motifs étaient axés, sans s’y limiter, sur l’authenticité du mariage du demandeur. La preuve a également servi à cerner l’intention principale derrière la relation, notamment à savoir si celle-ci visait à obtenir un statut en vertu du régime de la Loi. En outre, cette démarche était raisonnable, car si la preuve permet de conclure que le mariage n’était pas authentique, il existe donc une présomption que le mariage visait l’acquisition d’un statut : Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 417 [Kaur] au paragraphe 16.

[49]           D’ailleurs, la SAI n’a pas entrepris de spéculer sur l’intention du demandeur sans s’appuyer sur la preuve : elle s’est fondée sur le propre témoignage de celui-ci. Le demandeur a affirmé les suivantes :

[TRADUCTION]

[DEMANDEUR] : [...] Et deuxièmement, je voulais soumettre une demande aussi rapidement que possible, afin que nous soyons ensemble ici.

...

[DEMANDEUR] : La deuxième raison était, car je croyais que nous pourrions obtenir un visa rapidement.

...

M.  HARSANYI : D’accord. Donc, vous prévoyiez célébrer votre mariage ensuite. Vous aviez compris que quand vous dites visa, vous voulez dire parrainage des époux?

[DEMANDEUR] : Oui, j’ai pensé qu’il y aurait une autorisation, puis qu’elle viendrait ici et que nous célébrerions le mariage ici.

[50]           La SAI, en évaluant l’intention, a bien tenu compte du témoignage du demandeur relativement à son état d’esprit avant le mariage en 2013. Dans Gill, précité, au paragraphe 29, la Cour a confirmé que l’article 4 du Règlement comportait deux critères distincts : une évaluation à savoir si le mariage attaqué est authentique et une évaluation à savoir si le mariage a été contracté aux fins d’obtenir un statut en vertu du régime de la Loi. La dernière étant axée sur la question de connaître les intentions des parties au moment du mariage; et c’est ce qui a été le principal centre d’intérêt de la SAI dans l’espèce. Le défendeur soutient n’avoir commis aucune erreur susceptible de révision et que le demandeur cherche uniquement à obtenir une réévaluation de la preuve; or, ceci n’est pas le rôle de la Cour.

(3)               Contexte culturel

[51]           Le défendeur affirme que la SAI n’a pas omis de faire preuve de sensibilité culturelle. Dans l’espèce, le refus de la demande est plutôt fondé sur de nombreuses incohérences et contradictions dans les témoignages, sur le caractère vague des réponses et sur d’autres éléments sérieux. Le contexte culturel albanais, quoique considéré, ne permettait pas d’expliquer les incohérences dans la preuve. Le défendeur avance que le demandeur tente, par son argumentation, de détourner l’attention d’enjeux concrets, soit les doutes quant à sa crédibilité, lesquels sont énoncés dans les motifs.

[52]           La crédibilité est un élément central dans l’analyse de l’authenticité d’une relation : Keo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1456 au paragraphe 23. Par conséquent, la SAI n’a pas commis d’erreur en évaluant le témoignage eu égard aux circonstances de la relation et au type de mariage ainsi que les éléments de preuve contradictoires de cohabitation réelle en 2013 et en 2014. La jurisprudence exige que la SAI fasse preuve de sensibilité culturelle et évalue un mariage au sein du contexte culturel qui lui est propre, mais aucun critère précis n’a été établi pour déterminer l’authenticité d’une relation. Par ailleurs, le poids relatif à accorder à la preuve relève exclusivement du tribunal : Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 432 au paragraphe 23.

[53]           Contrairement à l’argument du demandeur, la SAI a dûment reconnu que les mariages arrangés en Albanie se produisent au sein d’une culture patriarcale. Néanmoins, dans l’espèce, la SAI n’a pu trouver d’explication raisonnable au fait que Silvana n’eut appris le motif de l’exil de l’Albanie de son mari qu’un mois avant son témoignage. Il ne s’agit pas d’une erreur spéculative découlant d’une insensibilité culturelle, mais d’une conclusion de crédibilité à laquelle la SAI pouvait raisonnablement parvenir et qu’elle a soupesée en regard de la preuve.

(4)               Incohérences dans la preuve

[54]           Le défendeur avance que la SAI n’a pas mal interprété la preuve quant au mariage religieux étant donné que le demandeur a clairement indiqué l’importance personnelle d’une cérémonie religieuse dans son témoignage. Par conséquent, la SAI avait le loisir de tirer des conclusions négatives de l’incohérence entre le témoignage du demandeur quant à l’importance d’une cérémonie religieuse et son autre témoignage voulant qu’il ne pût pas trouver une église catholique au Monténégro ou qu’il n’eût pas abordé cette question avec son épouse catholique. Le témoignage du demandeur quant à cet élément s’est avéré incohérent tout au long de l’audience, et a mené la SAI à douter des réponses du demandeur.

[55]           Le demandeur a témoigné de l’importance d’une cérémonie religieuse; son argument voulant que la SAI ait confondu la célébration du mariage avec une cérémonie religieuse est absurde, soutient le défendeur.

(5)               Preuve non ignorée

[56]           Le défendeur avance que la SAI n’a pas écarté les explications du demandeur quant à la célébration du mariage. Le SAI a évalué toute la preuve, notamment les photos démontrant des personnes âgées, et a remarqué qu’il n’y avait aucune indication de difficultés éprouvées lors du voyage. Ceci contredit le témoignage du demandeur voulant que le couple eût initialement choisi une cérémonie de mariage civil, car il aurait été ardu pour leurs parents âgés de se rendre au Monténégro. Étant donné cette contradiction, il était raisonnable que la SAI en vienne à conclure que le couple avait organisé une célébration de mariage dans le cadre de la demande parrainage, et aux fins de celle-ci, ainsi que pour dissiper les doutes de l’agent des visas.

[57]           Au surplus, il existe une présomption voulant que le tribunal ait examiné tous les éléments de preuve qui lui sont soumis, même s’il ne les aborde pas tous individuellement : Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125 au paragraphe 90. La seule absence de mention de tous les éléments de preuve ne suffit pas à renverser cette présomption : Vézina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 FC 900 au paragraphe 19. La Cour suprême, dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Newfoundland and Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au paragraphe 14, a statué que l’insuffisance des motifs, à elle seule, ne permet pas de casser une décision. En l’espèce, la SAI a fourni amplement de motifs pour satisfaire à son obligation d’équité en énonçant précisément les incohérences et en expliquant leur incidence sur la conclusion définitive. Par ailleurs, le contexte culturel a été pris compte, mais il ne permettait pas de les expliquer.

[58]           Contrairement aux représentations du demandeur, la SAI n’a pas omis de pondérer les éléments de preuve positifs en faveur du demandeur. En outre, ceux-ci ont été dûment pris en compte, mais ils ne permettaient pas de renverser les éléments négatifs, comme les témoignages vagues et contradictoires.

[59]           La SAI n’a pas commis d’erreur en soulignant que les lettres des membres de famille et des amis du demandeur ne faisaient pas mention de la cérémonie de mariage civil. Le demandeur a témoigné que les membres de leurs familles immédiates n’avaient pas assisté à la cérémonie de mariage civil, car ils étaient trop occupés. Ceci a soulevé des doutes dans l’esprit de la SAI, par conséquent, il était raisonnable que cet élément soit mentionné. De plus, la SAI n’a pas estimé que les lettres contredisaient la preuve du demandeur, mais qu’elle limitait la valeur de l’authenticité de l’intention en 2013.

[60]           La SAI a conclu qu’il n’y avait aucune preuve étayant les raisons pour lesquelles les familles estimaient que les époux étaient compatibles, ce qui n’est pas déraisonnable étant donné l’absence d’éléments de preuve présentés au tribunal à ce titre. Le défendeur soutient que rien n’obligeait le tribunal à être convaincu que le seul fait de partager la même nationalité, langue et religion était suffisant pour démontrer la compatibilité dans un but de déterminer l’authenticité d’un mariage.

[61]           Le défendeur souligne toute l’absurdité de prétendre que la SAI n’a pas examiné la preuve disponible : toute la preuve a été examinée, néanmoins, elle n’était pas convaincante. Par exemple, la SAI a tenu compte des éléments démontrant les voyages du demandeur au Monténégro, mais a tranché que ceux-ci n’étaient pas convaincants étant donné le peu de connaissances que les époux avaient l’un de l’autre et les autres éléments de preuve problématiques. Que la SAI ait mal interprété la date de départ du demandeur du Monténégro n’est pas un motif de révision, car sa décision n’a pas été fondée sur cette présumée erreur de droit. De plus, le demandeur n’a pas abordé les autres questions soulevées relativement à la fiabilité de son témoignage sur ses dates des voyages.

[62]           La SAI n’a pas omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents, et n’a ni rendue des conclusions relatives à la vraisemblance ni fondée sa décision sur des questions non pertinentes ou périphériques. Le tribunal pouvait tirer des conclusions négatives d’un témoignage vague et d’une incapacité à fournir des détails sur des événements notables étant donné le témoignage sur la fréquence des communications des époux.

[63]           La SAI est exclusivement autorisée à déterminer le poids relatif à accorder à la preuve étant donné l’absence d’un critère établi pour déterminer l’authenticité d’un mariage. La SAI est également en droit de décider de la vraisemblance et de la crédibilité de la preuve qui lui est présentée. La SAI pouvait raisonnablement parvenir aux conclusions et aux déductions énoncées dans sa décision en regard du dossier; par conséquent, il n’existe ainsi aucun fondement pour justifier la modification de celle-ci.

C.                 Réponse du demandeur

(1)               Intention principale du mariage

[64]           Dans Kaur, précité, les incohérences soulignées étaient importantes et irréconciliables et le juge Zinn a tranché que l’analyse de la SAI était raisonnable, car celle-ci avait fondé sa décision explicitement sur les incohérences dans le témoignage du couple. Or, dans l’espèce, la SAI a démesurément mis l’accent sur des futilités et a fondé sa décision sur le fait que les époux utilisent un processus écourté pour être réunifiés plus rapidement au Canada. Ce dernier élément est une erreur, car les dispositions sur le parrainage de la Loi ont pour objectif de réunifier les époux; ce qui serait en vain si le désir d’être réunis devenait un élément étayant la théorie du mariage de complaisance : Tamber c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 951 au paragraphe 19 [Tamber].

[65]           La SAI a déformé l’objectif et l’intention de la cérémonie de mariage civil. Le Canada a été choisi à titre de pays de réunification en raison du statut de réfugié du demandeur, lequel risque d’être persécuté en Albanie. Étant donné que le couple ne peut pas retourner en Albanie, les époux ont choisi une cérémonie de mariage civil simple, sans célébration de mariage traditionnelle.

[66]           La conclusion voulant que Silvana souhaite entrer au Canada dans le but de faciliter le parrainage de sa famille en vertu de la catégorie du regroupement familial n’est pas raisonnable; elle est spéculative et ne repose pas suffisamment sur la preuve. Cette conclusion n’est ni justifiée ni intelligible et ne se situe pas parmi les issues acceptables.

(2)               Insensibilité culturelle

[67]           La SAI a également conclu qu’aucune question n’avait été soulevée quant à la vendetta; or, cette conclusion ne repose sur aucun élément. En outre, Silvana a témoigné qu’elle connaissait l’existence de la vendetta, mais qu’elle n’avait pas cherché à obtenir plus de détails. Ceci est plausible dans une société patriarcale où la femme est soumise à l’autorité du mari. Le demandeur a témoigné qu’il ne voulait pas parler de mort ou de tragédie, mais la SAI a écarté cet élément au chapitre qu’il était « tout simplement invraisemblable ». Le demandeur avance qu’il s’agit d’une conclusion de vraisemblance spéculative qui ne peut être maintenue.

(3)               Facteurs de compatibilité

[68]           La décision indique « [qu’] aucune preuve n’a été présentée afin d’expliquer pourquoi leurs familles ont trouvé que les époux étaient compatibles », ce qui illustre clairement que la SAI n’a pas tenu compte des facteurs de compatibilité. La SAI ne s’est pas véritablement penchée sur la preuve et par conséquent, elle n’a pas dûment pondéré les éléments de preuve positifs et négatifs.

(4)               Surdépendance sur des incohérences et rejet d’explications raisonnables

[69]           La SAI s’est fondée sur des incohérences et des contradictions mineures, souvent seulement perçues, en plus d’effectuer un jugement de valeur problématique. Comme cité dans Tamber, précité, aux paragraphes 18-21, l’accent sur des incohérences futiles sans accorder suffisamment d’attention aux éléments de preuve de fond est une erreur. Par exemple, la SAI a écarté la célébration de mariage au motif qu’elle avait été organisée dans le seul but d’étoffer la demande, selon une incohérence inventée, bien que le demandeur ait témoigné que le couple n’avait pas prévu à l’origine d’organiser celle-ci au Monténégro pour ne pas imposer un voyage à leurs familles et à leurs amis. Cependant, ils ont finalement décidé de tenir la célébration de mariage au Monténégro en raison des circonstances engendrées par le refus de la demande de parrainage. Par conséquent, l’omission de tenir compte de cette explication est une erreur susceptible de révision : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 au paragraphe 17.

VIII.         DISCUSSION

[70]           Il y avait des incohérences dans la preuve présentée par Silvana et le demandeur, mais la SAI a commis des erreurs fondamentales dans sa décision qui exigent que le dossier soit soumis au réexamen par une SAI constituée différemment. De façon générale, ce n’est pas la pondération de la preuve par la SAI qui pose problème dans la décision. En l’espèce, la SAI a soit mal saisi les faits, écarté une réponse raisonnable, ou simplement ignoré des faits importants. Je suis d’accord avec bon nombre des points soulevés par le demandeur et j’aborderai les principaux éléments dans ce qui suit.

A.                 Processus rapide pour l’obtention d’un visa

[71]           La SAI a indiqué que : « l’appelant a déclaré que les époux s’étaient mariés civilement en pensant accélérer le processus d’obtention d’un visa au Canada pour la demandeure, je conclus que l’objectif principal du mariage était de faciliter l’entrée de la demandeure au Canada ». La SAI poursuit et va jusqu’à suggérer que « la venue [de Silvana] pourrait aider ses frères et sœurs à entrer au Canada à l’avenir ». La SAI avance clairement que l’intention du mariage civil est de permettre à Silvana d’entrer rapidement au Canada afin qu’elle puisse parrainer sa fratrie. Il n’y a aucune preuve permettant de soutenir cette conclusion.

[72]           La preuve du demandeur indique que, après la cérémonie de mariage civil, les époux attendaient la venue de Silvana au Canada afin qu’ils puissent être unis en tant que mari et femme.

[73]           Silvana s’étant vu refuser l’entrée au Canada, le demandeur a pleinement démontré son intention de vivre avec sa femme en multipliant les voyages au Monténégro, à grands frais, afin qu’ils puissent réunis comme époux. Il mentionne cette difficulté financière, mais il dit : « [...] encore une fois, je suis heureux d’être marié et c’est quelque chose de plus important que tout le reste; alors je vais continuer ainsi ».

[74]           Le dépôt hâtif de la demande de parrainage après le mariage civil ne vient pas appuyer la conclusion voulant que le mariage ait été contracté pour permettre à Silvana de venir au Canada et de parrainer ses frères et sœurs. La preuve souligne que Silvana souhaitait venir au Canada afin de vivre avec son mari et de fonder une famille.

[75]           Le dossier indique également que les doutes de la SAI quant aux motifs d’immigration de Silvana au Canada ne lui ont jamais été dûment présentés. Par conséquent, elle n’a jamais eu la possibilité de réagir à cette préoccupation, ce qui constitue un défaut d’équité procédurale.

B.                 Contexte culturel — Les antécédents du demandeur

[76]           L’une des conclusions principales de la SAI se lit comme suit :

[11]      L’appelant est arrivé au Canada à titre de réfugié en 2006. Sa demande d’asile était fondée sur un conflit avec une autre famille de la région autour d’un droit sur une certaine zone de pêche. L’appelant a déclaré que le conflit n’exposait pas son épouse à un grand danger, mais le manque de connaissances de la demandeure au sujet du passé de l’appelant n’est pas une indication d’un mariage authentique. Il pourrait être raisonnable pour la demandeure de ne pas poser de questions à propos du passé de son époux si ce passé ne la touchait pas de quelque façon que ce soit. Toutefois, il est tout simplement invraisemblable qu’elle n’ait pas posé de questions à l’appelant à propos de son passé ou que la famille de la demandeure ne se soit pas renseignée, étant donné que l’appelant a peur de retourner en Albanie au point de séjourner au Monténégro plutôt que d’entrer en Albanie. Les deux époux sont de la même région de l’Albanie. L’appelant a déclaré qu’il est parfois difficile de franchir la frontière entre l’Albanie et le Monténégro à cause des agents des services frontaliers; pourtant la demandeure l’a traversée fréquemment afin de rendre visite à son époux au cours des années. De plus, le mariage aurait été célébré au Monténégro, avec 300 invités provenant de l’Albanie. Je dois présumer que l’appelant ne s’est jamais rendu au domicile de la demandeure, car ils ne se connaissaient pas avant le mois de décembre 2012. Si ce mariage devait durer toute une vie, la demandeure aurait logiquement questionné l’appelant sur la raison qui l’empêchait de retourner chez lui ou de lui rendre visite chez elle en Albanie. Même si leur communauté est patriarcale, c’est-à-dire que ce sont les hommes qui prennent les décisions importantes dans la famille, il n’est pas raisonnable que la demandeure n’ait pas été curieuse à propos du passé de l’appelant ou que ce dernier ne lui ait pas parlé des circonstances entourant sa décision de changer de vie en venant au Canada. Vraisemblablement, c’est parce que le mariage n’est pas authentique que les époux n’ont pas échangé cette information.

[77]           La preuve est claire : Silvana savait que le demandeur avait un passé difficile l’empêchant de retourner en Albanie, mais pour des raisons culturelles, elle n’a pas cherché à obtenir davantage de détails. De plus, il n’y a simplement aucune preuve devant la SAI voulant que la famille de Silvana n’ait posé aucune question au demandeur quant à sa crainte de retourner en Albanie.

[78]           Au cours de l’entrevue avec l’agent des visas du 18 février 2014, Silvana a confirmé la raison pour laquelle le demandeur était venu au Canada en 2006 : [traduction] « il y a eu un conflit avec une autre famille et ce n’est pas sujet dont il veut parler ». Elle explique également ne pas lui avoir demandé de détails en ces termes : [traduction] « Je ne lui ai jamais posé de questions, car j’ai compris qu’il ne voulait pas en parler ».

[79]           Au cours de son témoignage devant la SAI, le demandeur a confirmé que son épouse comprenait qu’il ne pouvait pas retourner en Albanie, en raison des risques pour lui, mais qu’elle ne connaissait pas les motifs sous-jacents : [traduction] « mais nous ne... nous ne répétons jamais les histoires de mort ».

[80]           Le demandeur s’est fait presser d’expliquer pourquoi n’avait-il pas relaté toute l’histoire à son épouse; voici l’échange à ce sujet :

[TRADUCTION]

M. STATHAKOS : Bien entendu. Et, est-ce que votre femme comprend ceci maintenant? Que vous vous exposez à des risques si vous retournez en Albanie? Et qu’ils sont sérieux --

[DEMANDEUR] : Oui, oui.

M. STATHAKOS : -- et qu’ils pourraient vous empêcher d’y retourner pour très longtemps.

[DEMANDEUR] : Oui, oui.

M. STATHAKOS : Connaît-elle les raisons sous-jacentes, le problème que vous avez-eu et qui vous a mis dans cette situation difficile? En avez parlé avec elle?

[DEMANDEUR] : Non.

M. STATHAKOS : Les familles en ont-elles parlé?

[DEMANDEUR] : Je ne suis pas certain si elle parle à ma mère ou à mes parents ou à qui que ce soit? Mais nous ne... nous ne répétons jamais les histoires de mort, alors nous n’en avons pas parlé.

M. STATHAKOS : Vous a-t-elle déjà posé des questions, vous a-t-elle déjà demandé ce qui s’est passé? Pourquoi? Pourquoi ne pouvez-pas retourner en Albanie? Quel est le problème?

[DEMANDEUR] : Comme je l’ai dit, elle n’a pas posé de questions.

M. STATHAKOS : Le lui avez-vous dit?

[DEMANDEUR] : Non.

M. STATHAKOS : Ne trouvez-vous pas cela bizarre? Ce problème vous a coûté beaucoup d’argent, vous a beaucoup compliqué la tâche de rencontrer, de marier votre épouse, et il n’a jamais été le sujet principal d’une discussion. N’est-ce pas étrange?

[DEMANDEUR] : Oui. Elle n’a jamais posé de question. Je ne lui ai jamais dit. Je vous dis que peut-être qu’elle en a parlé avec ma famille, mais je ne lui ai jamais dit et elle n’a jamais posé de question. Je connais son père... Je sais qu’il a eu un accident (inaudible), je sais ça, mais je ne lui ai jamais posé de question, et elle ne m’en a jamais parlé. C’est semblable. Je... Je ne lui pas demandé comment, et elle ne me l’a pas dit. Elle n’a pas... Nous avons laissé la situation telle quelle. Peut-être connaît-elle l’histoire, je présume que c’est le cas, mais nous n’avons pas parlé en long et en large. C’était une tragédie pour ma famille et moi-même. Je ne sais pas si elle se sent à l’aise de m’en parler, ou moi de le faire.

[Je souligne.]

[81]           Dans le contexte d’une société patriarcale où les mariages sont arrangés et les femmes sont entièrement subordonnées aux hommes, il n’y a rien de déraisonnable du fait que Silvana n’a pas questionné le demandeur sur la vendetta qui l’a poussé à venir au Canada en tant que réfugié et qui l’empêche de retourner en Albanie. La SAI n’a démontré aucune appréciation de ce contexte culturel et a abordé cette question du point de vue occidental. Il était également déraisonnable que la SAI affirme que Silvana n’était pas curieuse de connaître le passé du demandeur. Elle a expliqué à l’agent des visas qu’elle connaissait l’existence d’un conflit avec une autre famille, mais [traduction] « qu’il ne voulait pas en parler ». À l’audience de la SAI, Silvana a expliqué les suivantes :

Ils ont des problèmes avec une autre famille. Je n’ai pas cherché à connaître les détails. Ce ne sont pas des choses qu’une femme doit savoir. Ce sont des situations qui se règlent entre hommes seulement. Seuls les hommes les règlent, uniquement les hommes

[Je souligne.]

La SAI n’a aucun fondement pour conclure que « vraisemblablement, c’est parce que le mariage n’est pas authentique que les époux n’ont pas échangé cette information ».

C.                 Consommation du mariage et célébration religieuse

[82]           Sur cette question, la SAI indique :

[13]      L’appelant a déclaré que la demandeure et lui n’ont pas vécu comme un couple marié après l’enregistrement civil de leur mariage en juillet 2013, parce qu’ils sont tous les deux de confession catholique et qu’ils doivent attendre jusqu’à la cérémonie religieuse pour vivre comme mari et femme. Il a aussi déclaré qu’ils auraient eu à inviter tout le monde au Monténégro, ce qu’ils voulaient éviter, étant donné que le voyage était difficile pour les gens âgés. L’appelant a aussi cru qu’il serait rapide d’obtenir un visa et de célébrer le mariage au Canada. Pourtant, le tribunal ne dispose d’aucune preuve selon laquelle les époux ont été mariés dans une église catholique ou par un prêtre, à quelque moment que ce soit, même s’ils ont apparemment consommé le mariage et qu’ils ont vécu comme mari et femme en 2014. Les époux n’ont présenté aucun document montrant qu’une cérémonie religieuse a eu lieu, et les photographies montrent seulement une réception avec de la famille et des amis. Pendant son contre-interrogatoire, l’appelant s’est fait demander si une cérémonie religieuse avait eu lieu. Il a déclaré que la population du Monténégro est de confession orthodoxe et qu’il a tenté de trouver une église (une église catholique, je présume), sans succès. Lorsqu’il s’est fait demander si la demandeure et lui ont discuté de la possibilité qu’une cérémonie catholique ait lieu, il a déclaré que cela ne lui était pas venu à l’esprit. Le témoignage de l’appelant était incohérent au point où il avait peu de sens. Incidemment, des gens âgés figurent dans les photographies prises à la célébration au Monténégro en 2014. Pourtant, rien n’indique qu’il leur a été difficile de s’y rendre et d’assister à une célébration après le refus de la demande. Je conclus que ce couple a célébré un mariage en 2014 uniquement pour les besoins de la demande de parrainage et pour dissiper quelques-uns des doutes entretenus par l’agent des visas. Toutefois, la preuve de la célébration du mariage en 2014 ne règle pas adéquatement la question de leur intention au moment de leur mariage en 2013.

[83]           La SAI semble avoir mal compris la preuve à ce titre et, encore une fois, examine la question du point de vue occidental. En d’autres termes, du point de vue culturel, la preuve indique que pour qu’il y ait consommation du mariage, la grande célébration doit avoir lieu, et non la cérémonie religieuse. Cet élément précis a été clarifié dans la preuve et confirmé par le demandeur. La SAI a entièrement passé outre cette clarification.

[84]           Le procureur l’a remarqué et a cherché à clarifier la question pour la SAI :

[traduction]

M. STATHAKOS :

Q.        Si je peux me permettre, je crois que ce que Leksi a dit que la tenue de la grande cérémonie équivaut, pour la famille, à la compréhension traditionnelle que vous êtes véritablement unis?

[DEMANDEUR]       Oui.

Q.        Et que vous pouvez maintenant dormir ensemble comme mari et femme?

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Est-ce exact?

[DEMANDEUR]       C’est exact. Oui.

[85]           En concluant que le « couple a célébré un mariage en 2014 uniquement pour les besoins de la demande de parrainage et pour dissiper quelques-uns des doutes entretenus par l’agent des visas », la SAI a entièrement écarté l’explication du demandeur quant à la célébration :

[traduction]

M. HARSANYI : Puis, vous avez déposé une demande de parrainage peu après, n’est-ce pas?

[DEMANDEUR] : Oui. En septembre, je crois. Je crois que c’est en septembre.

M. HARSANYI : D’accord. Bon. Donc, la demande de parrainage a été présentée en septembre.

[DEMANDEUR] : Approximativement, je ne suis pas certain.

M. HARSANYI : D’accord. À un moment donné. Elle a été déposée, n’est-ce pas? Cet automne?

[DEMANDEUR] : Oui.

M. HARSANYI : D’accord. Le parrainage s’est-il bien déroulé? La demande, on s’entend.

[DEMANDEUR] : Ce ne s’est pas déroulé comme je m’y attendais. Non.

M. HARSANYI : D’accord. Que s’est-il passé? On vous demandait beaucoup de renseignements?

[DEMANDEUR] : Oui.

M. HARSANYI : Il cherchait à obtenir beaucoup de renseignements sur vos allers-retours en Albanie?

[DEMANDEUR] : Oui.

M. HARSANYI : Et ils voulaient des preuves que --

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : C’est lui le témoin... pas vous (rires).

M. HARSANYI : Vous avez raison, madame, je m’en excuse. Pardon. J’ai cru que comme c’était au dossier...

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Ce l’est. Donc, je ne sais même pas, j’ai lu ceci, donc --

M. HARSANYI : D’accord. J’essayais seulement, comme vous l’avez mentionné, de dresser le portrait de la situation, de ce qui se passait et des raisons pour lesquelles c’était plus long que la norme. Voilà tout. Normalement, à la (inaudible) section de l’immigration. Ce n’est pas vraiment un enjeu contesté, habituellement, le tribunal accorde une certaine latitude quant aux questions suggestives portant sur des éléments qui ne sont pas vraiment contestés.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Je ne sais pas si c’est le cas, mais il existe également un contre-interrogatoire (inaudible).

M. HARSANYI : Oui, d’accord. Donc, le processus était pas mal plus long... était-il plus long que ce à quoi vous vous attendiez?

[DEMANDEUR] : Oui. Ils me demandaient une chose et... je l’envoyais, puis j’attendais un autre mois ou deux, et ils me demandaient quelque chose d’autre. Et le processus s’est étiré jusqu’au moment où je me disais... où sa famille disait... bon, il faut finalement que notre fille se marie et parte vivre chez toi. Donc, fais quelque chose, parce qu’il y a eu des cas où les gens se sont mariés, puis la fille est restée chez ses parents pour encore, sept, huit ans, cinq ans. Et ils ont encore une fille là, vous voyez?

M. HARSANYI : Donc, elle vivait avec sa famille durant ce temps?

[DEMANDEUR] : Oui.

M. HARSANYI : Je vois. Alors sa famille faisait pression sur vous?

[DEMANDEUR] : Oui.

M. HARSANYI : Parce que le processus était long?

[DEMANDEUR] : Oui. Pas beaucoup de pression, je ne peux pas parler de pression énorme, je sais, mais j’ai entendu son grand-père dire qu’il n’aimait pas la garder si longtemps. Je voulais que les choses soient... vous savez, en ordre.

M. HARSANYI : Il n’était pas ravi de la situation.

[86]           Le demandeur a clairement expliqué que la célébration a eu lieu à ce moment, car il sentait que la famille de Silvana le pressait de célébrer le mariage et que la demande de parrainage prenait trop de temps. La SAI n’a pas expliqué pourquoi cette réponse pourtant plausible n’était pas acceptable.

D.                 Accentuer les omissions des documents

[87]           La SAI a également commis une erreur qui lui est souvent reprochée par cette Cour. La SAI a examiné les déclarations et les lettres des amis et des parents quant au mariage du couple, puis a conclu :

[14]      L’appelant a fourni des déclarations de la part de ses parents, de son frère et de ses amis selon lesquelles l’appelant et la demandeure se sont mariés le 21 juillet 2014, mais ils n’ont même pas mentionné le mariage civil en juillet 2013, ce qui remet encore plus en question leurs intentions au moment de leur mariage civil.

[J’ai omis les notes de bas de page.]

[88]           La preuve présentée par le demandeur à SAI indiquait que c’était la célébration du mariage qui signifiait véritablement la conclusion du mariage dans la culture du couple, en dépit de la cérémonie de mariage civil.

[89]           La SAI, par son défaut de tenir compte de cet élément culturel, a tiré une conclusion négative de l’absence de mention de la cérémonie de mariage civil de juillet 2013 par les amis et la famille. Ce faisant, elle s’est concentrée sur les renseignements absents de ces documents plutôt que sur ceux qui s’y trouvaient. Il s’agit d’une erreur susceptible de révision. Voir, par exemple, Mahmud, précité, aux paragraphes 11-12 et Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 464 aux paragraphes 22-23.

E.                  Preuve quant à la compatibilité

[90]           La SAI a repéré des incohérences et un manque de précision quant à certains détails entourant leurs rencontres et les gens qui étaient présents, les noms des hôtels et des endroits où ils ont séjourné, les moments des voyages, ainsi que la fréquence à laquelle le demandeur envoyait de l’argent à Silvana; tous des éléments qui peuvent évidemment être des indicateurs importants de l’authenticité d’une relation. Or, la SAI semble ignorer des éléments de preuve d’authenticité encore plus convaincants. Ce n’est pas qu’une question pondération. Par exemple, quant à la question de compatibilité, la SIA conclut « aucune preuve n’a été présentée afin d’expliquer pourquoi leurs familles ont trouvé que les époux étaient compatibles ».

[91]           La compatibilité est un élément des plus importants lorsqu’il faut décider de l’authenticité ou non d’un mariage. Or, la SAI a ignoré la preuve produite voulant que le mariage fût arrangé par les deux familles du couple provenant de la même région de l’Albanie, partageant la même culture, et tous deux étant à leur premier mariage. La SAI a également écarté la grande réception organisée pour le mariage au Monténégro à laquelle ont assisté plus de 300 invités. Elle a également ignoré le fait que la relation durait de puis quatre ans et que le demandeur, malgré le refus de la demande de parrainage, refusait de vivre séparé de son épouse et voyageait fréquemment, encourant des frais importants, au Monténégro où celle-ci vivait avec sa famille (ce qui est approprié pour un couple marié dans leur culture) afin de vivre une véritable vie d’homme marié. Le couple continue d’avoir des communications exhaustives et le demandeur soutient son épouse financièrement. Tous ces éléments sont indicateurs de la compatibilité au sein d’un mariage authentique. La SAI omet de mentionner quels seraient les autres éléments de compatibilités possibles manquants.

[92]           La conclusion négative quant à l’authenticité du mariage repose sur des incohérences relativement mineures lorsqu’il est question d’évaluer l’authenticité d’une relation. Par exemple, le demandeur ne pouvait pas se souvenir où ils avaient séjourné lorsque le mariage a été consommé et le couple ne pouvait fournir d’exemples, tirés de leurs conversations, d’événements notables ou qui démontraient une différence d’opinions. Il y avait d’autres incohérences, mais celles-ci ne faisaient pas le poids en regard de la prédominance de la preuve à l’appui de l’authenticité de la relation. Néanmoins, je ne suis pas en train de repondérer la preuve. J’affirme simplement que la SAI a ignoré la preuve quant à la compatibilité lorsqu’elle a conclu : « [qu’] aucune preuve n’a été présentée afin d’expliquer pourquoi leurs familles ont trouvé que les époux étaient compatibles ». Il y a également des erreurs dans les incohérences soulevées par la SAI. Par exemple, la SAI affirme que le demandeur est resté au Monténégro un mois après la cérémonie de mariage de juillet 2013; or, il a clairement témoigné que la cérémonie de mariage s’est tenue un mois après son arrivée au Monténégro. Voir la transcription, mai 2016, lignes 753-761.

F.                  Incompréhension des explications

[93]           La SAI a rendu les conclusions suivantes, mais omet de mentionner ou de comprendre que le demandeur a offert des explications aux préoccupations dont il question :

[12]      Les familles n’ont pas assisté à leur mariage civil en juillet 2013, ce qui est très étrange, étant donné qu’il s’agit d’un premier mariage pour les deux époux. De plus, la demandeure est l’aînée de quatre enfants dans sa famille, et il est logique de penser que sa famille souhaiterait participer à un événement de cette importance. Cela avait donc peu de sens pour l’agent des visas, et à l’audience, les raisons pour lesquelles la demandeure avait déclaré à son entrevue que les familles étaient occupées et qu’elles ne pouvaient pas assister au mariage n’ont pas été convenablement expliquées. La demandeure a écrit dans sa demande que [traduction] « Leksi souhaite organiser une célébration lorsque nous serons ensemble au Canada ». Ils ont également déclaré qu’ils avaient l’intention de célébrer le mariage au Canada. Cela est étrange, étant donné que les parents et la fratrie des deux époux résident en Albanie, qu’il est difficile d’obtenir un visa et qu’il faut beaucoup d’argent pour s’envoler vers le Canada pour assister à une célébration qui pourrait avoir lieu près de chez eux en Albanie. S’ils avaient réellement l’intention de célébrer leur mariage au Canada, cela aurait donc rehaussé la signification de leur mariage civil, ce qui sème le doute sur les raisons pour lesquelles leurs familles n’ont pas assisté au mariage en juillet 2013.

[J’ai omis la note de bas de page.]

[94]           Le demandeur a offert l’explication suivante :

[traduction]

[DEMANDEUR] : Ok. Ok. Je ne sais pas. Je ne crois pas qu’il était facile pour les personnes âgées de traverser la frontière. Je ne crois pas que c’était facile pour les gens de se rendre à mon (inaudible) ce n’est pas très près de moi, je ne veux pas -- Je ne voulais pas que personne dise : « Oh, nous devons aller (inaudible) ». Ou quelqu’un peut aller (inaudible).

M. STATHAKOS:

Q. Alors pourquoi serait-ce -- pourquoi aurait-ce été difficile ou inacceptable, par rapport à une cérémonie au Canada, où je présume que peu, voire aucune, de ces personnes auraient pu venir et célébrer --

[DEMANDEUR] : Oui.

Q. -- votre mariage.

[DEMANDEUR] : Oui. Mais je sais que peux dire à quelqu’un de chez moi : « viens au Canada pour mon mariage » et que quelqu’un ne peut pas -- c’est -- ce n’est pas comme si je les ridiculise, car ils ne peuvent pas, n’est-ce pas? Mais, si j’organise une célébration comme je l’ai fait, au Monténégro, je dois les inviter, et ils doivent venir. Même -- même s’ils ne le veulent pas, car s’ils ne viennent pas, je leur dirais : « Donc, tu n’es pas venu à mon mariage. Pourquoi, pourquoi donc? ». Et ils ne pourront pas dire « Oh, c’était trop loin. Ou j’étais trop vieux. Ou, c’était -- » des choses comme ça.

Q. Ils sont obligés -- plus obligés de venir? Car c’est proche.

[DEMANDEUR] : C’est -- c’est mon avis. C’est l’avis -- ça a toujours été l’avis de mes parents. C’est --

[95]           En d’autres termes, le demandeur a d’abord voulu permettre aux membres de sa famille d’éviter de se rendre à une célébration au Monténégro : le fait de tenir son mariage au Canada leur donnait une bonne porte de sortie. Il n’y aurait aucun malaise si quelqu’un ne pouvait pas se rendre au Canada. Or, comme cela s’est avéré impossible, la célébration s’est tenue au Monténégro et, comme le prévoyait le demandeur, plus de 300 personnes se sont senties obligées d’y assister et de faire le voyage. La SAI ne semble pas avoir compris cet élément essentiel et a complètement écarté les explications du demandeur à ce sujet.

G.                 Fonder une famille

[96]           La SAI a encore une fois écarté ou omis de comprendre un témoignage important et non contesté quant aux plans du couple de fonder une famille :

[19]      Les témoins ont fourni peu d’éléments de preuve relativement à leurs projets d’avenir. Même si l’appelant a dit que les époux avaient parlé d’avoir des enfants au début de leur relation, il a également dit qu’il avait décidé que la demandeure ne tenterait pas de devenir enceinte alors qu’elle habite en Albanie, parce qu’il serait difficile d’avoir un enfant pendant qu’elle vit avec la famille de l’appelant. Plus tard au cours de son témoignage, il a déclaré qu’ils n’avaient jamais recouru à la contraception et qu’il serait heureux si la demandeure devenait enceinte. Hormis ce témoignage incohérent, ils n’ont pas exprimé de projets concrets pour l’avenir. Voilà qui n’est pas révélateur d’un mariage authentique.

[97]           Or, le témoignage du demandeur sur cette question n’est nullement incohérent :

[traduction]

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Utilisez-vous un moyen de contraception?

[DEMANDEUR] : Non. Je ne l’ai pas fait. Je lui en ai parlé. « Sylvana » [sic], j’ai dit. Nous lui avons parlé. Si ça arrive, ça arrive. Si ça se produit, nous serons accueillerons le résultat, quel qu’il soit.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : D’accord.

[DEMANDEUR] : Je ne veux pas --- Je n'aime pas l'idée d'avoir des enfants et que tu sois ici et ça sera plus difficile pour toi. Et pour moi. J’ai une épouse et je suis ici, et je ne veux pas avoir, en plus, un enfant là-bas alors que je suis ici.

M. STATHAKOS : Merci. J’ai terminé mes questions.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Je vais -- Je dois approfondir cette question un peu. D’accord. Car -- Je n’ai pas entendu ce que vous avez dit. A-t-il dit que c’est -- parce qu’il ne veut pas dépenser? Je ne sais pas.

M. STATHAKOS : De dépenser de l’argent. Mais j’ai compris qu’il voulait dire de dépenser de l’argent sur des enfants.

[DEMANDEUR] : De dépenser de l’argent sur des enfants?

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Non, non, non. Je ne comprends --

M. STATHAKOS : Pas sur un moyen de contraception.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : -- pas pourquoi vous n’utilisez aucun moyen de contraception.

[DEMANDEUR] : Pourquoi utiliserai-je un moyen de contraception?

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Parce que vous avez pris la peine de mentionner que le moment ne serait pas opportun. Que vous n’êtes pas en position d’avoir un enfant.

[DEMANDEUR] : Non.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Avez-vous des relations sexuelles avec votre épouse?

[DEMANDEUR] : Oui, c’est le cas.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : D’accord. Donc, il y a un risque qu’elle tombe enceinte?

[DEMANDEUR] : Ce ne serait pas un drame. Ce n’est pas quelque chose --

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Personne n’a dit que ce serait un drame. Je vous demande s’il y a un risque que vous épouse ait -- ou tombe enceinte lorsque vous --

[DEMANDEUR] : Oui, c’est ça.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : -- avez des relations sexuelles avec elle.

[DEMANDEUR] : Oui, c’est ça.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : D’accord. Donc, vous -- vous avez du sperme, donc, elle pourrait, dans les faits, tomber enceinte?

[DEMANDEUR] : Oui.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : D’accord. Mais vous n’êtes pas en position d’avoir un enfant. Y a-t-il une raison pour laquelle vous n’utiliseriez pas de contraceptifs?

[DEMANDEUR] : Ça ne m’a jamais traversé l’esprit. Ça ne nous a jamais traversé l’esprit --

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Mais, vous avez songé à ne pas avoir d’enfants, mais pas à utiliser un moyen de contraception?

[DEMANDEUR] : Pas à (inaudible) pour ça. Ne pas avoir d’enfants. J’aimerais attendre, si c’est -- si quelque chose se produit, ça arrivera et je -- je serai heureux si c’est le cas. Je suis heureux si ça se produit. Je ne -- Je ne dirai pas « oh oh, qu’a-t-on fait? ». Ce ne serait pas ma réaction. Je dis seulement que je ne serais pas à l’aise qu’elle ait -- que nous ayons des enfants alors qu’elle est toujours là-bas et que je suis encore ici. Ce n’est pas une chose que nous --

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Donc, il n’y a pas de raison expliquant pourquoi vous n’utilisez pas de moyen de contraception?

[DEMANDEUR] : Non. C’est -- c’est --

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Il n’y a aucune raison. Ce n’est pas parce que vous ne voulez pas dépenser, comme ce que je croyais avoir compris.

[DEMANDEUR] : Non. Je suis -- Je suis vraiment désolé d’avoir dit cela. Je n’aurais jamais dû dire cela. Je -- Je me disais seulement, pourquoi devrais-je utiliser un moyen de contraception avec mon épouse. Pourquoi? Ce n’est pas comme si elle -- si elle tombe enceinte, je serai heureux de cela. J’en serai ravi. Mais je ne veux pas que ça se produise maintenant. Si vous me demandiez, si c’était en mon pouvoir, j’attendrais que certaines -- que cette situation soit résolue.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Je comprends tout à fait cela. Je ne comprends pas pourquoi vous n’utilisez pas de condoms ou la méthode du retrait, ou tout autre forme de contraception, si c’est un facteur pour vous ou que vous n’êtes pas en position d’avoir un enfant --

[DEMANDEUR] : Mais c’était --

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : -- parce que la situation est compliquée -- et que vous ne voulez pas les compliquer plus qu’elles ne le sont déjà, selon vos mots.

[DEMANDEUR] : Je pense avoir dit cela, peut-être ai-je exagéré par rapport à ma pensée. Je ne dis pas que je ne veux pas d’enfants avant qu’elle arrive ici ou que nous soyons à un point où nous avons que notre -- que nous vivons notre vie ensemble. Si elle tombe enceinte, je ne serai pas inquiet. Je serai vraiment heureux si ça se produit. Mais je ne tente pas de la faire tomber enceinte. Je crois que c’est que ce vous avez demandé à savoir. Je ne tente pas de la faire tomber enceinte.

[Je souligne.]

[98]           Ce n’est pas un témoignage incohérent.

H.                 Échanges téléphoniques

[99]           La SAI estimait que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment de détails sur leurs échanges téléphoniques :

[16]      Le témoignage de l’appelant était vague. L’appelant n’a pas pu se souvenir de l’endroit où il a résidé avec la demandeure après la célébration du mariage en juillet 2014, lorsque la demandeure et lui auraient consommé le mariage. En contre-interrogatoire, l’appelant a eu amplement l’occasion de témoigner, comme il lui a été demandé, sur le fait que les époux partagent leur vie, par exemple, en racontant un quelconque événement mémorable, drôle ou associé à un différend. Il n’a raconté aucun événement en particulier. L’appelant a déclaré avoir deux amis proches au Canada, mais il ne pouvait se souvenir si l’un d’entre eux avait rencontré son épouse lorsqu’il a rendu visite à sa famille en Albanie. L’appelant a déclaré que son épouse rend visite à sa propre famille tous les trois mois; la demandeure a pourtant déclaré qu’elle lui rend visite tous les mois. Pour replacer cela dans son contexte, les époux ont déclaré qu’ils se parlent par téléphone ou par un autre moyen électronique chaque jour ou aux deux jours, souvent pendant un long moment. Rien n’explique pourquoi l’appelant n’aurait pas pu fournir de précisions sur le contenu de ces échanges, comme il y aurait lieu de s’y attendre dans un mariage authentique.

[Je souligne.]

[100]       La SAI soutient que le demandeur « n’a raconté aucun événement en particulier », ce qui est tout simplement erroné. Voici le témoignage du demandeur à ce chapitre :

[traduction]

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Y a-t-il un élément dont vous avez parlé au cours des dernières semaines qui vous vient en tête? Y a-t-il eu des fiançailles dans votre entourage ou un mariage? Y a-t-il eu un décès dans -- dans --

[DEMANDEUR] : Oui. Son -- son cousin.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : -- vous savez, la région ou que s’est-il passé?

[DEMANDEUR] : Son cousin s’est fiancé.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : Son cousin s’est fiancé. S’agit-il d’un homme ou d’une femme?

[DEMANDEUR] : Un homme.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : À qui s’est-il fiancé -- s’est-il fiancé à quelqu’un de la région?

[DEMANDEUR] : Oui. Oui.

PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE : D’accord. Parlez-moi un peu de ceci. Racontez-moi ce qu’elle vous a dit.

[DEMANDEUR] : D’accord. Il s’est fiancé à une qui -- ils se connaissent depuis -- vous savez, longtemps. Pas longtemps. Je ne sais pas. Elle -- la fille, vivait aux États-Unis et ils -- ils parlaient de se fiancer et le gars a demandé à son père -- comme je l’ai fait -- nous avons demandé à Sander Marco d’aller le voir et de lui demander sa main, car ils se connaissent. Il est allé. Ils ont demandé. Ils sont revenus avec une réponse -- positive. Ils ont accepté. Ils sont fiancés. Elle vit aux États-Unis. Elle essaie de l’y faire venir, d’une façon ou d’une autre. Vous savez, de la parrainer.

[101]       Une fois encore, la SAI ignore simplement les éléments de preuve qui contredisent ses propres conclusions.

[102]       En résumé, la SAI effectue l’examen suivant :

[21]      Je tiens compte de certains facteurs favorables qui ont été présentés, par exemple, le nombre de fois où l’appelant est retourné au Monténégro depuis le mariage et l’achat d’une bague de fiançailles. Cependant, ces facteurs ne suffisent pas pour l’emporter sur les préoccupations de l’agent des visas. En fait, le témoignage de l’appelant et de la demandeure a confirmé que leur mariage n’est pas authentique. Il ne suffit tout simplement pas pour un couple de faire, après le refus, les choses associées à ce que l’agent des visas a considéré comme étant les motifs pour lesquels il a conclu que le mariage n’est pas authentique. Je reconnais que des gens qui ont conclu un mariage authentique font certaines choses uniquement dans le but de montrer que leur mariage est authentique. Par exemple, la SAI se fait souvent remettre des cartes de souhaits rédigées dans une langue que les parties ne connaissent pas bien, et qui ont été échangées uniquement pour les besoins de la demande. En général, ce type d’élément de preuve revêt peu de poids, mais n’a pas pour effet de miner l’authenticité du mariage. Ce n’est pas le cas dans la présente affaire. En dépit des séjours de l’appelant et de la bague de fiançailles qu’il a achetée, j’ai tenu compte du manque de connaissance que démontrent les époux l’un envers l’autre dans cette affaire. Les témoignages concernant le développement de leur relation étaient incohérents. Aucune preuve n’a été présentée afin d’expliquer pourquoi leurs familles ont trouvé que les époux étaient compatibles. De plus, peu d’explications raisonnables ont été avancées sur les raisons pour lesquelles ce n’est qu’un mois avant de témoigner en juin que la demandeure a entendu parler du passé de l’appelant et qu’elle a appris la raison pour laquelle il ne peut pas revenir chez lui en Albanie. J’ai également été frappée par l’absence de projets d’avenir. Étant donné que l’appelant a déclaré que les époux s’étaient mariés civilement en pensant accélérer le processus d’obtention d’un visa au Canada pour la demandeure, je conclus que l’objectif principal du mariage était de faciliter l’entrée de la demandeure au Canada. Je reconnais qu’elle n’a que des cousins au Canada, mais elle est l’aînée d’une famille de quatre enfants et sa venue pourrait aider ses frères et sœurs à entrer au Canada à l’avenir.

[103]       Or, il y avait une preuve considérable étayant les raisons pour lesquelles les familles estimaient que ce couple était compatible; c’est à la lumière de celles-ci qu’elles poursuivi les démarches et arrangé ce mariage. Par exemple, voici le témoignage du demandeur à ce chapitre :

[traduction]

M. HARSANYI:

Q. D’accord. Décrivez-nous, brièvement, comment cet arrangement s’est déroulé?

R. Mes -- mes parents me cherchaient une épouse et ils ont cherché à différents endroits -- puis, ils ont pensé que Sander Marco connaîtrait peut-être une femme qui correspondrait à ma -- vous savez -- ma personnalité et ma -- ou sa famille ont dit des bonnes choses au sujet de sa -- de cette famille. Et ma famille a fait ses recherches. À la suggestion de Sander Marco.

Q. D’accord. Puis, que s’est-il passé?

R. Puis ils m’ont envoyé -- mes -- mes parents, ils ont posé des questions sur cette famille. Ils ont demandé à avoir plus de renseignements. Ils ont conclu qu’ils aimaient bien cette famille. Puis, ils m’ont envoyé une photo de mon épouse.

Q. D’accord.

R. Et j’ai accepté cela.

Q. D’accord. Quand est-ce -- quand ce type de conversation s’est-il déroulé?

R. En 2012.

[104]       Silvana a également témoigné en ce sens :

M. HARSANYI :

Q. Quand est-ce que votre -- c’est une question délicate. Comment -- quand avez-vous compris que -- quand votre famille a-t-elle acceptée que Leksi soit votre mari?

[SILVANA] : Un peu de temps -- après que mon père ait parlé au père de Leksi. Puis mon père a fait des recherches sur Leksi. Puis mon père a posé des questions sur Leksi. Puis après (inaudible), ils se sont entendus pour que nous soyons fiancés sans -- sans -- oui. Ils se sont entendus que nous -- nous serions fiancés, en tenant compte du fait si nous nous plaisions ou pas. En tenant d’abord compte du fait que nous nous plaisions à l’un et à l’autre.

Q. Alors, quand vous dites : « ils se sont entendus pour que nous nous fiancions », vous parlez de votre père et de son père?

[SILVANA] : Oui. Oui. Ils se sont entendus (inaudible). Oui. Ils se sont entendus avec sa famille, alors ils se sont entendus que nous le soyons, en tenant compte du fait que nous nous plaisions mutuellement aussi.

[105]       La preuve est claire : les familles respectives ont posé les questions habituelles afin de s’assurer de la compatibilité du couple avant de procéder à ce mariage.

I.                    Conclusions

[106]       La décision comporte d’autres problèmes, mais il est inutile d’en dresser la liste complète. Considérant les précédentes, il est évident que la décision est déraisonnable et que le dossier doit être soumis à un nouvel examen.

[107]       Cette décision est particulièrement étrange, car le procureur de la SAI, dans ses dernières représentations, a affirmé les suivantes :

[traduction]

M. STATHAKOS :

[...] J’aimerais commencer par dire que je serais d’accord avec le procureur que, en comparaison aux nombreux dossiers que nous voyons, de refus de demandes maritales ou conjugales, devant la SAI, celui-ci comporte de bonnes preuves quant à l’authenticité du mariage en Leksi et Silvana.

(Dossier certifié du tribunal, p. 200, lignes 35-40, je souligne.)

[108]       Je suis on ne peut plus en accord avec ceci. Or, on pourrait penser tout le contraire à lecture de la décision. Il semble que la SAI a accordé tout aussi peu d’attention à son procureur qu’à la preuve devant elle. Ce défaut d’attention a été lourd de conséquences pour le couple. Il serait important de s’assurer que les époux ne subissent plus de préjudices sans motif valable.

IX.              Certification

[109]       Le procureur reconnaît qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est accueillie. La décision est annulée et le dossier est retourné pour réexamen à une SAI constituée différemment.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3558-16

INTITULÉ :

LEKSI GJOKA c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

Juge Russell

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 avril 2017

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

POUR LE DEMANDEUR

Maria Green

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bjorn Harsanyi

Barrister & Solicitor

Calgary (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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