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Date : 20170421


Dossier : IMM-3065-16

Référence : 2017 CF 395

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

RAHMA MANENO SULEIMAN

TAHJAIRA ABDULLA SALEH

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (Loi), de la décision d’un agent d’immigration du bureau de réduction de l’arriéré de Vancouver (agent des visas) en date du 28 juin 2016 (décision) qui a refusé la demande de résidence permanente au Canada pour motifs d’ordre humanitaire de Rahma Maneno Suleiman (demanderesse principale).

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  La demanderesse principale est une citoyenne de la Tanzanie âgée de 44 ans et réside au Canada depuis le 4 août 2010. Elle a huit enfants, dont deux résident au Canada et six résident en Tanzanie avec sa sœur. Des deux enfants qui résident au Canada, l’un a une citoyenneté américaine et l’autre une citoyenneté canadienne.

[3]  En 1995, la demanderesse principale a rencontré son conjoint de fait, Abdulla Mandero, avec qui elle a eu cinq enfants. À la suite du décès de M. Mandero en 2005, elle s’est mariée à son époux, Abdulla Saleh Ussi.

[4]  En 2007, la demanderesse principale et son époux se sont enfuis vers les États-Unis où leur fille Tahjaira est née. Le 4 août 2010, la demanderesse principale a quitté M. Saleh Ussi et est arrivée au Canada avec Tahjaira.

[5]  Le 31 août 2010, la demanderesse principale a demandé l’asile fondé sur ses opinions politiques et sa religion; demande qui a été refusée le 7 décembre 2011 par la Section de la protection des réfugiés (SPR). La demanderesse principale a demandé l’autorisation de demander un contrôle judiciaire de la décision et celle-ci a été refusée le 14 mars 2012.

[6]  Le 3 novembre 2011, la demanderesse principale et Tahjaira ont demandé la résidence permanente au Canada en tant que personnes à charge d’Abdulla Saleh Fatawi selon la catégorie des personnes protégées. La demanderesse principale et M. Saleh Fatawi ont une fille, Zunaira, qui est née le 9 décembre 2012. La demande de résidence permanente a été refusée le 7 septembre 2014. La demanderesse principale a alors présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) le 7 octobre 2014 fondée sur l’orientation sexuelle, le genre, l’ethnicité, la religion et ses opinions publiques. Toutefois, cette demande a été rejetée le 23 mars 2015 et une demande d’autorisation de demander un contrôle judiciaire de la décision a été refusée le 12 août 2015.

[7]  Le 14 janvier 2015, la demanderesse principale a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Celle-ci a été refusée le 18 mars 2015. Elle a demandé le contrôle judiciaire de la décision le 10 avril 2015, mais l’affaire a été abandonnée parce que la demande serait réexaminée par une autre agente des visas. Ce réexamen fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]  La décision a été communiquée à la demanderesse principale par l’agente des visas au moyen d’une lettre en date du 28 juin 2016 selon laquelle elle n’était pas admissible à une exemption de se soustraire des exigences législatives qui permettraient de traiter sa demande de résidence permanente au Canada.

A.  Résumé des faits

[9]  Lorsqu’elle a rendu sa décision, l’agente des visas a d’abord examiné les antécédents de la demanderesse principale. Cet examen comprenait son adhésion au Front civique uni, un parti politique qui s’oppose au parti politique au pouvoir de la Tanzanie; la violence politique dont ont été victimes la demanderesse principale et sa famille; ainsi que l’orientation sexuelle de la demanderesse principale et les incidents antérieurs concernant ses relations avec des femmes. En ce qui concerne ces relations, l’agente des visas a indiqué, plus précisément, qu’un incident concernant une relation avec une femme qui avait été exposée publiquement et qui avait entraîné des attaques contre les deux personnes et le départ de la demanderesse principale vers les États‑Unis avec son époux. L’agente des visas a également indiqué les circonstances dans lesquelles la demanderesse principale a quitté les États-Unis et est entrée au Canada.

B.  Établissement

[10]  L’agente des visas a ensuite examiné le degré d’établissement au Canada en indiquant que la demanderesse principale vivait au Canada depuis près de six ans, faisait du bénévolat dans la collectivité lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre (LGBT) et avait obtenu un certificat de compétences relatives aux caisses enregistreuses. Ces facteurs, ainsi que ses efforts de demander l’aide d’autrui, ont mené l’agente des visas à conclure que la demanderesse principale était une personne débrouillarde qui avait démontré la capacité de s’intégrer. L’agente des visas a conclu, en se fondant sur l’intégration réussie de la demanderesse principale dans la société canadienne, qu’elle serait en mesure de s’adapter à l’environnement en Tanzanie, surtout puisqu’elle avait un réseau important de membres de la famille à cet endroit. De plus, l’agente des visas a tenu compte du travail bénévolat que la demanderesse principale a exécuté dans la collectivité LGBT. Toutefois, même si ce fait a été considéré positivement, il ne suffisait pas pour justifier une exemption des exigences législative de présenter une demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada.

C.  Orientation sexuelle

[11]  Dans le cadre de l’évaluation des risques et des conditions défavorables dans le pays d’origine, l’agente des visas a examiné la présumée orientation sexuelle de la demanderesse principale en tant que lesbienne. La demanderesse principale a indiqué qu’elle avait été victime de discrimination et de violence fondées sur son orientation sexuelle pendant qu’elle était en Tanzanie, en citant plusieurs incidents. Toutefois, elle n’avait pas fourni ces renseignements à la Section de la protection des réfugiés dans sa demande d’asile antérieure. Même si la demanderesse principale avait expliqué qu’elle avait été conseillée d’omettre ces renseignements pas son interprète, l’agente des visas a indiqué que l’interprète n’était pas présent à l’audience de la Section de la protection des réfugiés et n’était pas son représentant. En raison du retard de demander l’asile fondé sur l’orientation sexuelle, l’agente des visas a conclu que la demanderesse principale n’avait pas une crainte subjective.

[12]  Par ailleurs, même si l’agente des visas a accepté qu’il existe une discrimination et une violence sociale contre les minorités sexuelles en Tanzanie, peu de poids a été accordé aux arguments de la demanderesse principale selon lesquels elle avait été victime de discrimination et de violence personnelle pour ce motif. Plusieurs incidents, comme le viol correctif qui avaient été signalés aux autorités et le meurtre de son partenaire du même sexe, avaient donné lieu à des documents, comme un rapport de police et un certificat de décès. Cependant, la demanderesse principale n’a fourni aucun document justificatif. En raison d’éléments de preuve documentaire insuffisants pour corroborer ses arguments, l’agente des visas a conclu que la demanderesse principale n’avait pas établi qu’elle était ciblée et recherchée par les autorités tanzaniennes en raison de son orientation sexuelle.

[13]  De plus, en ce qui concerne la question relative à l’orientation sexuelle de la demanderesse principale, l’agente des visas a examiné les éléments de preuve documentaire, y compris l’évaluation psychothérapeutique effectuée par la Dre Patricia Durish, une lettre provenant du directeur des services de consultation à la Barbara Schlifer Commemorative Clinic (BSCC) et une lettre provenant du vice-président de Jukumuletu, une organisation auprès de laquelle la demanderesse principale fait du bénévolat.

[14]  Il existait plusieurs problèmes concernant l’évaluation de la Dre Durish; notamment, la conclusion selon laquelle la présentation de la demanderesse principale correspondait à son orientation sexuelle déclarée de lesbienne. L’agente des visas a conclu que l’évaluation de la Dre Durish était fondée sur des renseignements fournis par la demanderesse principale et que celle-ci avait mis l’accent sur ses partenaires féminines pendant l’entrevue en raison de son droit acquis dans le résultat et, par conséquent, l’agente des visas a accordé très peu de poids à l’évaluation.

[15]  La lettre de BSCC a ensuite fait l’objet d’une discussion. Cependant, comme l’évaluation de la Dre Durish, l’agente des visas lui a accordé très peu de poids parce qu’elle était fondée sur des renseignements fournis uniquement par la demanderesse principale plutôt que sur des éléments de preuve objectifs. On a également observé que la lettre ne décrivait pas les incidents de violence physique et sexuelle dont la demanderesse principale aurait été victime en Tanzanie.

[16]  De plus, l’agente des visas a examiné les activités de bénévolat que la demanderesse principale a exercées au sein de la collectivité LGBT. Toutefois, il a été jugé que le travail de bénévolat de la demanderesse principale ne démontrait pas qu’elle était lesbienne parce que les organisations concernées étaient ouvertes aux personnes de toute orientation sexuelle. L’agente des visas a également rejeté la lettre provenant de Jukumuletu qui indiquait que la demanderesse principale était une lesbienne au motif que le vice-président n’aurait pas pu prendre connaissance de son orientation sexuelle d’une manière autre que par les déclarations propres de la demanderesse principale. En conséquence, peu de poids a été accordé à la lettre du vice‑président. Enfin, l’agente des visas a retenu l’argument selon lequel la demanderesse principale était atteinte d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) et d’une dépression, mais non celui selon lequel elle était une lesbienne.

[17]  La demanderesse principale avait également fourni plusieurs articles et rapports sur le traitement des minorités sexuelles en Tanzanie. Même si l’agente des visas avait accepté que la discrimination et la violence sociales contre les minorités sexuelles aient eu lieu, peu de poids a été accordé aux éléments de preuve documentaire parce que la demanderesse principale n’avait pas déposé d’éléments de preuve suffisants pour établir la façon dont ces questions toucheraient son retour en Tanzanie.

D.  Violence politique et religieuse

[18]  Dans la demande d’asile antérieure et dans la demande de résidence permanente actuelle de la demanderesse principale, celle-ci a déclaré qu’elle avait été confrontée à la violence politique et religieuse à maintes reprises en Tanzanie. Dans le refus de la demande d’asile, la Section de la protection des réfugiés avait rejeté les arguments de la demanderesse principale au motif qu’ils n’étaient pas suffisamment expliqués et qu’elle n’était pas crédible. En plus de la conclusion de la Section de la protection des réfugiés, l’agente des visas a également indiqué les éléments de preuve documentaire insuffisants pour étayer les arguments, comme des rapports médicaux, des rapports de police ou des lettres de membres de la famille. En raison de ces éléments de preuve justificative insuffisants, l’agente des visas a conclu que la demanderesse principale n’avait pas démontré qu’elle avait été victime d’une violence politique et religieuse. En conséquence, peu de poids a été accordé à ces arguments.

E.  Violence fondée sur le sexe

[19]  La demanderesse principale a également soutenu qu’elle avait été victime d’abus de la part de son époux tanzanien, M. Saleh Ussi. Cependant, l’agente des visas a souligné que M. Saleh Ussi était entré aux États-Unis avec la demanderesse principale et que rien dans les éléments de preuve n’indiquait qu’il retournerait ou qu’il était retourné en Tanzanie. En conséquence, la demanderesse principale n’avait pas établi qu’elle serait confrontée par des difficultés découlant de la violence de la part de M. Saleh Ussi.

[20]  De même, l’agente des visas a conclu que la demanderesse principale ne serait pas confrontée par la violence de la part de M. Saleh Fatawi, son époux canadien, qui aurait fait preuve de violence à son endroit. Il a été indiqué que le couple ne vivait plus ensemble et rien dans les éléments de preuve n’établissait qu’il la suivrait en Tanzanie.

[21]  L’agente des visas a reconnu que la violence fondée sur le sexe constituait un problème existant en Tanzanie. Toutefois, la demanderesse principale n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour établir qu’elle éprouverait des difficultés découlant d’une telle violence dès son retour. Par conséquent, peu de poids a été accordé à cette préoccupation.

[22]  De même, peu de poids a été attribué à un rapport sur les effets de la violence familiale sur les enfants. La demanderesse principale n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour établir que ses filles avaient subi des conséquences en raison des deux relations abusives antérieures ni que leur départ du Canada compliquerait davantage leur vie à cet égard.

F.  Problèmes de santé mentale

[23]  La demanderesse principale avait fourni des éléments de preuve selon lesquels elle suivait un traitement pour le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et la dépression. L’agente des visas a conclu que la demanderesse principale pourrait avoir des problèmes de santé mentale en raison de ses relations abusives antérieures, mais elle n’était pas convaincue que son retour en Tanzanie l’empêcherait d’obtenir des services de consultation appropriés. Le document de répertoire de recherche de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a été cité pour établir que les centres de [traduction] « guichet unique » en Tanzanie offraient des services de consultation et d’autres ressources. En conséquence, l’agente des visas a conclu qu’il existait des ressources en Tanzanie auxquelles la demanderesse principale pourrait avoir accès pour répondre à ses besoins émotionnels, médicaux et en santé mentale. En conséquence, l’agente des visas n’a pas conclu que les problèmes de santé mentale de la demanderesse principale lui causeraient d’éprouver des difficultés dès son retour en Tanzanie en raison d’un manque d’options en matière de traitement ou d’autres raisons.

G.  Intérêt supérieur de l’enfant (ISE)

[24]  Seulement six des enfants de la demanderesse principale ont été pris en compte parce que deux de ses enfants étaient âgés de plus de 18 ans au moment de la demande de résidence permanente. De plus, l’analyse était axée sur Tahjaira et Zunaira, les deux enfants au Canada, parce que la demanderesse principale n’avait pas indiqué comment l’intérêt supérieur des enfants en Tanzanie serait touché par son retour en Tanzanie.

[25]  L’agente des visas a reconnu que la violence contre les enfants en Tanzanie constituait un problème. Ce fait ressort clairement du Human Rights Report (rapport sur les droits de la personne) du Département d’État américain de 2015 qui a relevé précisément le châtiment corporel dans les écoles. L’agente des visas a conclu que la demanderesse principale pourrait relever ce problème et protéger ses enfants parce qu’elle était une mère aimante et nourricière et pouvait offrir un milieu aimant et tendre pour ces enfants dès son retour. Même si la demanderesse principale avait déclaré que ses enfants en Tanzanie avaient été violées dans le passé, l’agente des visas a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour corroborer ces énoncés, comme des rapports de police ou des documents de procédure, qu’elle n’avait pas établi que ces incidents étaient survenus et, par conséquent, peu de poids a été accordé à ces énoncés. L’agente des visas a également indiqué que la sœur de la demanderesse principale avait assuré une résidence sans violence aux six enfants en Tanzanie pendant six ans et qu’elle pourrait également offrir ce soutien à Tahjaira et à Zunaira.

[26]  De plus, l’agente des visas a conclu que l’éducation ne constituait pas un problème insurmontable à l’égard de Tahjaira et de Zunaira. La Tanzanie offre une éducation obligatoire et gratuite jusqu’à l’âge de 15 ans, dont des frais ne doivent être versés que pour les livres, les uniformes et les déjeuners. Même si le régime n’est pas parfait, les autorités tanzaniennes forment les enseignants et les parents au sujet des problèmes liés au châtiment corporel et à la violence faite aux enfants. Par conséquent, l’agente des visas a conclu qu’il était improbable que les enfants de la demanderesse principale soient assujettis au châtiment corporel en Tanzanie, surtout si elles étaient inscrites dans des écoles précises qui avaient mis fin à de telles punitions.

[27]  La demanderesse principale a également exprimé des craintes selon lesquelles ses filles seraient enlevées ou tuées au motif qu’elles détiennent des citoyennetés occidentales. Toutefois, cet énoncé n’a pas été corroboré par une preuve suffisante et peu de poids lui a été accordé. De plus, l’agente des visas ne voyait pas comment la citoyenneté des enfants serait révélée en Tanzanie.

[28]  Elle a ensuite examiné la question liée à l’exploitation sexuelle des enfants, surtout des filles en Tanzanie. Même si l’incidence de viol d’enfants est reconnue comme étant à la hausse en Tanzanie, l’agente des visas a conclu que la demanderesse principale n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour établir que ses filles seraient victimes d’exploitation sexuelle dès leur retour en Tanzanie. Elle était d’avis que la demanderesse principale était une mère aimante et nourricière qui serait en mesure de protéger ses enfants contre les milieux non sécuritaires. De même, il a été indiqué que les capacités de la demanderesse principale étaient suffisantes pour établir qu’elle pouvait protéger ses enfants de la violence générale du pays en Tanzanie. Ces capacités, en plus de la preuve insuffisante concernant la façon dont les enfants seraient assujettis personnellement à la violence, ont mené à la conclusion selon laquelle l’intérêt supérieur des filles de la demanderesse principale ne serait pas directement compromis si elles retournaient en Tanzanie.

[29]  De plus, à l’appui de la conclusion selon laquelle l’intérêt des filles ne serait pas directement compromis, l’agente des visas a observé que les jeunes âges de Tahjaira et de Zunaira indiquaient qu’elles seraient en mesure de s’intégrer dans un nouveau milieu après une période d’ajustement initiale. Elle a également conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur de tous les enfants en Tanzanie si leur mère était avec eux. Par ailleurs, il serait dans l’intérêt supérieur de Tahjaira et Zunaira d’établir une relation avec leurs autres frères et sœurs.

[30]  Elle a indiqué que la sœur de la demanderesse principale aurait éprouvé des difficultés financières et que la demanderesse principale l’avait aidée. Cependant, la présumée aide financière offerte par la demanderesse principale n’a pas été corroborée par des documents, comme des bordereaux de paye ou des transferts bancaires et peu de poids a été accordé à cet argument. En outre, l’agente des visas a conclu que les difficultés financières ne constituaient pas un obstacle parce que l’éducation était gratuite en Tanzanie. En conséquence, elle a conclu que l’intérêt supérieur des enfants n’était pas directement compromis par le retour de la demanderesse principale, ainsi que de Tahjaira et de Zunaira, en Tanzanie.

[31]  Après avoir examiné tous les facteurs soulevés, l’agente des visas n’était pas convaincue que des motifs d’ordre humanitaire justifiaient une exemption aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[32]  Les demanderesses soutiennent que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. L’analyse de l’intérêt supérieur des enfants faite par l’agent était-elle raisonnable?

  2. L’analyse de l’agente des visas des éléments de preuve concernant la santé mentale était-elle déraisonnable?

  3. L’analyse de l’agente des visas des éléments de preuve concernant la sexualité de la demanderesse principale était-elle déraisonnable?

  4. L’agente des visas est-elle parvenue à une conclusion déraisonnable quant à la capacité de la demanderesse principale de se rétablir en Tanzanie?

[33]  Pour sa part, le défendeur soutient que la question à trancher dans la présente demande est la suivante :

  1. L’agente des visas a-t-elle commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a conclu que les circonstances de la demanderesse principale ne justifient pas une exemption aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR de l’exigence normale de demander le statut de résidente permanente à partir de l’extérieur du Canada?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[34]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de contrôle judiciaire en common law que la cour de révision doit procéder à une analyse des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[35]  La décision d’un agent des visas rendue en application de l’article 25 (1) de la LIPR peut faire l’objet d’une révision selon la norme du caractère raisonnable : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], au paragraphe 44; Madera c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 108, au paragraphe 6.

[36]  Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Khosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable, dans la mesure où elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[37]  Les dispositions suivantes de la LIPR sont applicables en l’espèce :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

...

...

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations —request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[38]  Les dispositions suivantes des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles), sont pertinentes en l’espèce :

Contenu

Content of affidavits

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

81 (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

[39]  Les dispositions suivantes des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (Règles de CIPR), sont pertinentes en l’espèce :

Affidavits

Affidavits

12 (1) Tout affidavit déposé à l’occasion de la demande d’autorisation est limité au témoignage que son auteur pourrait donner s’il comparaissait comme témoin devant la Cour.

12 (1) Affidavits filed in connection with an application for leave shall be confined to such evidence as the deponent could give if testifying as a witness before the Court.

VII.  THÈSES DES PARTIES

A.  Demanderesses

1)  Intérêt supérieur de l’enfant

[40]  Les demanderesses soutiennent que l’analyse de l’ISE était déraisonnable et incompatible avec la jurisprudence existante. L’analyse de l’ISE n’indique pas de manière adéquate l’intérêt des enfants, conformément à ce qui est exigé par l’arrêt Kanthasamy, précité. Au contraire, la décision était axée sur les deux enfants au Canada, Tahjaira et Zunaira.

[41]  En ce qui concerne Tahjaira, l’agente des visas n’a pas tenu compte de son renvoi vers les États-Unis, mais a plutôt mis l’accent sur le résultat privilégié qu’elle accompagne sa mère en Tanzanie. La demanderesse principale a déclaré qu’elle craignait que Tahjaira soit forcée de grandir sous les soins de l’État ou dans un foyer abusif aux États-Unis, mais cette possibilité n’a pas été abordée.Zunaira est une citoyenne canadienne, ce qui la distingue de sa sœur, qui est une citoyenne américaine. Toutefois, l’agente des visas n’a pas consacré une attention particulière à la citoyenneté de Zunaira en tenant compte de la possibilité de son renvoi de son pays de citoyenneté et elle n’a pas non plus comparé ses possibilités à celles de Tahjaira. Les demanderesses font valoir que, dans le cadre de l’analyse de l’ISE, la citoyenneté de Zunaira aurait dû avoir été expressément examinée.L’analyse de l’ISE était fortement axée sur la contestation des arguments concernant les conditions défavorables en Tanzanie, ce qui a limité l’analyse à un objectif indûment étroit. L’analyse était structurée de manière à réfuter l’argument des demanderesses concernant les conditions dans le pays d’origine et a omis de déterminer de manière adéquate l’intérêt des enfants. Ce qui est semblable à l’affaire Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258, au paragraphe 69, où l’agente n’a pas précisé l’intérêt supérieur concerné, autre que de déclarer que l’enfant devrait demeurer avec ses parents. En l’espèce, l’agente des visas a supposé que les deux enfants seront renvoyés avec leur mère, ce qui ne constitue pas une analyse appropriée de l’ISE. La Cour a également conclu dans Sahyouni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 352, aux paragraphes 4 et 5, que l’omission de tenir compte de la demande de la mère défunte d’être admise au Canada constituait une erreur susceptible de révision dans le cadre de l’analyse de l’ISE.

[42]  Dans la conclusion de l’analyse de l’ISE, l’agente des visas observe que la preuve est insuffisante pour établir que le fait de quitter le Canada afin de présenter une demande de résidence permanente aurait une incidence négative importante sur l’intérêt supérieur des enfants. Les demanderesses soutiennent qu’il s’agit d’une application des critères de difficultés inusités et injustifiés ou excessifs qui a été jugée être déraisonnable dans le contexte de l’ISE dans l’arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 59.

[43]  En ce qui concerne les enfants en Tanzanie, les demanderesses soutiennent que l’analyse visait à favoriser une décision défavorable. L’agente des visas a conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur de ces enfants d’avoir leur mère avec elles en Tanzanie, ce qui laisse la possibilité que la demanderesse principale puisse, si l’exemption pour motifs d’ordre humanitaire était accordée, les parrainer au Canada après avoir obtenu la résidence permanente, possibilité qui n’a pas été analysée.

[44]  Une analyse de l’ISE devrait favoriser le non-renvoi, mais l’agente des visas a adopté l’opinion contraire : arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475 [Hawthorne]. Les demanderesses soutiennent que l’agente des visas semblait avoir l’intention d’établir que les conditions en Tanzanie n’étaient pas suffisamment mauvaises pour justifier de ne pas renvoyer les enfants avec leur mère. Toutefois, en tant que demande de résidence permanente pour motifs d’ordre humanitaire, l’analyse devrait avoir été axée sur la question de savoir si la décision était bonne pour les enfants : décision Li c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 451, au paragraphe 1.

2)  Problèmes de santé mentale

[45]  Les demanderesses attaquent le fait que l’agente des visas a mis l’accent sur la question de savoir si des ressources étaient accessibles en Tanzanie aux fins du traitement en matière de santé mentale. Cela ne tient pas compte de l’effet du renvoi du Canada sur la santé mentale de la demanderesse principale. Les demanderesses soutiennent que la santé mentale de la demanderesse principale serait susceptible de s’aggraver en cas de renvoi, ce qui constitue la considération pertinente qui doit être déterminée et prise en compte.

[46]  La décision examine également des questions non pertinentes, notamment s’il existait des éléments de preuve suffisants pour établir que la demanderesse principale était ciblée en raison de son orientation sexuelle ou si elle avait été victime de violence politique et religieuse. Ces questions, qui sont examinées plus tôt dans la décision, ne sont pas pertinentes aux problèmes de santé mentale.

[47]  L’agente des visas n’a pas examiné, au-delà de la difficulté émotionnelle, l’effet du renvoi sur la demanderesse principale. Plutôt que de comparer uniquement les ressources en matière de santé mentale entre la Tanzanie et le Canada, les demanderesses soutiennent que l’incidence du processus de renvoi, qui peut être traumatique et causer des problèmes de santé mentale, aurait dû être prise en considération.

[48]  De plus, les éléments de preuve concernant la santé mentale ont été traités de manière isolée. La Dre Durish a expliqué que la description de la demanderesse principale était difficile à suivre en raison de ses problèmes de santé mentale. Les demanderesses font valoir que, si l’agente des visas avait tenu compte du témoignage de la Dre Durish, elle aurait fait preuve de plus d’empathie et de compréhension, ce qui aurait pu contribuer à la décision.

3)  Orientation sexuelle

[49]  Même si elle ne l’a pas énoncé expressément, l’agente des visas doutait que la demanderesse principale était une lesbienne. Malgré le fait que la demanderesse principale a consacré son temps libre au sein de la collectivité LGBT, l’agente des visas conclut qu’il s’agit d’un élément de preuve insuffisant pour établir qu’elle est une lesbienne au motif que la collectivité accepte les personnes de toute orientation sexuelle. Même si l’on suppose que c’est vrai, rien dans les éléments de preuve n’étaye cet argument. De plus, la logique exige que même si elles sont ouvertes à tout le monde, les organisations LGBT sont susceptibles d’attirer des personnes LGBT.

[50]  Un poids minimal a été accordé à tous les éléments de preuve produits par des tiers concernant la sexualité de la demanderesse principale au motif qu’il s’agissait d’éléments de preuve par ouï-dire ou obtenus de personnes ayant une relation étroite avec la demanderesse principale. Par exemple, l’agente des visas a rejeté la lettre du vice-président qui indiquait que la demanderesse principale serait persécutée ou tuée en raison de son orientation sexuelle au motif qu’il ne pouvait pas avoir été témoin personnellement de ses préférences sexuelles ou avoir une connaissance personnelle de son orientation sexuelle. Au contraire, l’énoncé a été jugé être fondé sur les descriptions d’autres membres qui auraient établi des relations avec la demanderesse principale à la suite d’une participation de quatre ans.

[51]  L’agente des visas n’indique pas à quoi auraient correspondu des éléments de preuve suffisants. Il est possible de conclure qu’une relation de même sexe aurait constitué un élément de preuve de l’orientation sexuelle de la demanderesse principale, mais celle-ci n’a pas de partenaire à long terme. Notamment, l’évaluation de la Dre Durish indiquait que la demanderesse principale souhaite avoir une relation de même sexe, mais qu’elle n’en a pas établi une en raison de ses difficultés personnelles.

[52]  Les demanderesses soutiennent également que certains aspects des antécédents personnels de la demanderesse principale ont milité contre elle dans l’évaluation, notamment le fait qu’elle s’était mariée trois fois et qu’elle avait huit enfants. Toutefois, ce facteur est traité dans le rapport de la Dre Durish qui explique que les antécédents de la demanderesse principale avec des hommes n’étaient pas incompatibles avec le fait qu’elle est une lesbienne en raison de l’homophobie extrême en Tanzanie.

[53]  Les demanderesses attaquent également la conclusion selon laquelle la demanderesse principale n’avait pas une crainte subjective de persécution et de discrimination en tant que lesbienne, qui était fondée sur l’absence d’une orientation sexuelle à titre de motif dans sa demande d’asile antérieure. La demanderesse principale a expliqué que ce motif avait été omis en raison des conseils que lui avaient donnés des membres de sa collectivité linguistique. Elle ne parle ni le français ni l’anglais et elle s’est fiée au témoignage d’autres. En outre, à titre de membre d’une minorité sexuelle provenant d’une société extrêmement homophobe, la décision de la demanderesse principale de ne pas divulguer son orientation à des étrangers, y compris les autorités, reprend l’affaire Fah Ng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 583.

[54]  Les demanderesses invoquent également la décision VS c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1150 [VS]. L’agente des visas a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir la façon dont les questions liées à la discrimination et à la violence contre les minorités sexuelles en Tanzanie toucheraient la demanderesse principale dès son retour, mais les demanderesses indiquent que les conséquences pour une lesbienne qui entre dans un milieu extrêmement homophobe devraient être claires.

4)  Rétablissement

[55]  L’agente des visas a conclu que l’établissement réussi de la demanderesse principale au Canada démontre qu’elle pourrait s’intégrer également en Tanzanie. Toutefois, les éléments de preuve concernant la santé mentale démontrent que la demanderesse principale avait des limites qui toucheraient sa capacité de s’intégrer. De plus, le succès de la demanderesse principale au Canada au sein de la collectivité LGBT n’est pas susceptible de se reproduire en Tanzanie en raison de la discrimination et de la violence sociale.

[56]  La décision énonce également que la demanderesse principale était une personne débrouillarde et qui pouvait s’adapter qui était en mesure de s’enfuir d’une relation abusive après avoir été une victime pendant plusieurs années. Les demanderesses soutiennent que cet établissement réussi dépendait de la bonne volonté de diverses organisations civiles sociales et d’une représentation juridique et de services de consultation gratuits. Même si la demanderesse principale s’est établie de manière adéquate au Canada, cela ne prouve pas qu’elle est une personne débrouillarde qui pourrait s’épanouir dans un milieu difficile après une absence de neuf ans.

[57]  En résumé, les demanderesses soutiennent que la décision est déraisonnable. Elles font également valoir que l’agente des visas a manqué aux principes de justice fondamentale, mais elles ne l’expliquent pas davantage.

B.  Défendeur

[58]  En tant que question préliminaire, le défendeur attaque les paragraphes 12, et 14 à 21 de l’affidavit des demanderesses, qui contiennent des arguments et des conclusions qui ne relèvent pas de leurs connaissances et auxquels très peu, voir aucun, poids ne doit leur être accordé : article 81 des Règles, article 12 des Règles de CIPR.

[59]  Le défendeur soutient que le refus de l’exemption pour motifs d’ordre humanitaire en l’espèce ne concerne pas la détermination des droits juridiques d’un demandeur; au contraire, il s’agit d’un refus d’une demande d’exemption des exigences applicables auxquels les étrangers qui demandent la résidence permanente doivent se conformer. Dans ce contexte, l’agente des visas a tenu compte de tous les facteurs de manière appropriée, mais les demanderesses n’étaient pas en mesure de s’acquitter du fardeau qui leur était imposé en raison d’éléments de preuve insuffisants. Par conséquent, la décision ne justifie pas une intervention judiciaire.

1)  Intérêt supérieur de l’enfant

[60]  Le défendeur soutient que l’agente des visas a fourni une analyse détaillée de l’ISE fondée sur les renseignements fournis. La preuve n’établit tout simplement pas que l’ISE exigeait que les enfants demeurent au Canada; cette conclusion était fondée sur le fait qu’elles pouvaient demeurer avec leur mère et rejoindre leurs frères et sœurs en Tanzanie.

2)  Problèmes de santé mentale

[61]  En ce qui concerne le traitement de l’agente des visas des éléments de preuve concernant la santé mentale, le défendeur fait valoir qu’aucune erreur n’a été commise lorsque l’accent a été mis sur les options de traitement en Tanzanie parce que très peu d’éléments de preuve ont été déposés quant aux conséquences du renvoi sur la demanderesse principale. L’évaluation de la psychothérapeute n’évaluait pas les conséquences du retour et n’indiquait que le comportement dont a fait preuve la demanderesse principale lorsqu’elle a été interrogée quant à la possibilité d’y retourner. Le trouble de stress post-traumatique de la demanderesse principale ne justifie pas en soi une exemption pour motifs d’ordre humanitaire.

3)  Orientation sexuelle

[62]  Aucune erreur n’a été commise dans l’appréciation de la preuve concernant l’orientation sexuelle de la demanderesse principale, qui n’avait pas été soulevée en tant que crainte devant la Section de la protection des réfugiés où elle aurait pu avoir été examinée. La preuve déposée était insuffisante pour établir que la demanderesse principale subirait des conséquences défavorables en raison des conditions dans le pays d’origine fondées sur son orientation sexuelle. Plus précisément, sa participation aux organisations LGBT ne suffit pas pour établir qu’elle est une lesbienne.

[63]  Même si la demanderesse principale avait donné une explication de l’omission de son orientation sexuelle dans sa demande d’asile, le défendeur soutient que l’agente des visas n’était pas tenue de conclure que l’explication était suffisante. La demanderesse principale n’a pas établi qu’une erreur a été commise dans l’examen de son omission de citer l’orientation sexuelle en tant que motif dans sa demande d’asile.

[64]  Puisque l’agente des visas n’avait pas accepté que la demanderesse principale était une lesbienne, l’espèce doit être distinguée de la décision VS, précitée.

[65]  Par ailleurs, l’agente des visas avait le droit d’examiner le comportement antérieur, y compris les antécédents personnels de la demanderesse principale dans le cadre de relations hétérosexuelles. La demanderesse principale aurait pu avoir déposé des éléments de preuve suffisants pour établir qu’elle était une lesbienne, mais elle ne l’a pas fait.

4)  Établissement

[66]  La conclusion selon laquelle la demanderesse principale pouvait se rétablir en Tanzanie n’est pas déraisonnable. Il existait des éléments de preuve, y compris l’existence d’un réseau familial, pour étayer cette conclusion.

[67]  En résumé, l’agente des visas a apprécié les éléments de preuve dans leur ensemble et a conclu qu’ils étaient insuffisants pour justifier une exemption pour motifs d’ordre humanitaire. En conséquence, la décision devrait être maintenue.

C.  Autre argument du défendeur

[68]  Le défendeur répète et invoque les observations antérieures et il ajoute les arguments ci-après.

1)  Manquement aux règles de justice naturelle

[69]  Le défendeur attaque l’argument des demanderesses selon lequel la décision n’était pas équitable puisque l’affirmation ne revêt aucun élément de preuve pour l’étayer, à l’exception des énoncés figurant à l’affidavit qui sont contraires à la conclusion de l’agente des visas. Cette observation n’est pas fondée et ne démontre pas comment les conclusions étaient fondées sur des éléments de preuve ou la logique.

2)  Caractère raisonnable de la décision

[70]  Le défendeur continue de soutenir que la décision est raisonnable. Même si la demanderesse principale indique que les incohérences concernant son témoignage à l’audience de la Section de la protection des réfugiés découlaient de son incapacité de concentrer, il ne semble exister aucun élément de preuve déposé devant la Section de la protection des réfugiés visant à expliquer ses difficultés. En conséquence, les conclusions de la Section de la protection des réfugiés concernant la crédibilité doivent être maintenues, ce qui les rend accessibles et pertinents aux fins de considération dans le contexte de la décision de l’agente des visas.

[71]  En outre, la conclusion de l’agente des visas selon laquelle la demanderesse principale était débrouillarde et pouvait s’adapter était fondée sur les documents présentés, y compris sa déclaration solennelle indiquant qu’elle a participé à de nombreuses activités bénévoles.

3)  Fardeau lié aux mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire

[72]  Les demanderesses ont omis de prouver qu’elles avaient atteint un degré d’établissement suffisant au Canada pour justifier une exemption aux termes de l’article 25 de la LIPR. La demanderesse principale a soutenu que son établissement dépendait de la bonne volonté de diverses organisations, ce qui appuie la conclusion de l’agente des visas. Toutefois, le défendeur fait valoir que puisque la plus grande partie de la famille des demanderesses est en Tanzanie, elle pourrait aider la demanderesse principale dans le cadre de son rétablissement.

4)  Intérêt supérieur de l’enfant

[73]  Dans l’arrêt Hawthorne, précité, aux paragraphes 5 à 8, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’analyse de l’ISE exige une décision quant au degré probable de difficultés de l’enfant causé par le renvoi du parent et une pondération avec les autres facteurs qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent. De plus, dans la décision Kharlan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 678, aux paragraphes 25 et 26, la Cour a conclu que l’arrêt Kanthasamy, précité, ne changeait pas la nature des décisions en matière de motifs d’ordre humanitaire; il incombe toujours aux demanderesses de justifier l’exemption, ce qu’elles n’ont pas fait en l’espèce. En outre, le défendeur invoque Puna c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1168, et Fernando c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1372, au paragraphe 16, à titre de jurisprudence supplémentaire pour étayer l’analyse de l’ISE dans le contexte de la Section d’appel de l’immigration.

VIII.  DISCUSSION

[74]  Les demanderesses ont soulevé quatre principales questions que je dois trancher de manière distincte.

A.  Intérêt supérieur de l’enfant

[75]  Vu les éléments de preuve déposés et les observations des demanderesses, il m’est difficile de comprendre certaines des allégations d’erreur qu’elles soutiennent maintenant avoir été commises en ce qui concerne l’analyse de l’ISE par l’agente des visas.

[76]  Les demanderesses font valoir que dans sa décision, l’agente des visas a mis l’accent sur les deux enfants de la demanderesse principale au Canada, excluant ainsi ses enfants à l’étranger.

[77]  L’agente des visas explique la raison pour laquelle il faut mettre l’accent sur les enfants au Canada :

[traduction]

La demanderesse compte un total de huit enfants, six en Tanzanie et deux au Canada. Les enfants de la demanderesse sont Hussain, Madrik, Jamal, Arafat, Mohammed, Kauthar, Tahjaira et Zunaira; leurs âges sont 20 ans, 20 ans, 18 ans, 15 ans, 12 ans, 9 ans, 6 ans et 3 ans, respectivement. Je souligne que Hussain et Madrik étaient âgés de plus de 18 ans au moment de la réception de la demande de résidence permanente de la demanderesse; par conséquent, l’intérêt supérieur des enfants, l’ISE, ne s’applique pas à leur égard. Selon IP 5.12, l’ISE [traduction] « s’applique aux enfants âgés de moins de 18 ans selon la Convention relative aux droits de l’enfant ». Même si Jamal, Arafat, Mohammed et Kauthar étaient âgés de moins de 18 ans au moment de réception de la demande de résidence permanente de la demanderesse, je souligne que la demanderesse n’a pas indiqué comment leur intérêt supérieur serait touché par son retour en Tanzanie, et par conséquent, je mettrais l’accent du sujet de l’ISE sur Tahjaira et Zunaira.

[Non souligné dans l’original.]

[78]  Vu la pénurie d’observations sur les enfants en Tanzanie, l’agente des visas ne pouvait qu’offrir une conclusion générale selon laquelle la demanderesse principale [traduction] « a trois enfants mineurs qui résident actuellement en Tanzanie; je conclus qu’il serait également dans leur intérêt supérieur d’avoir leur mère dans leur pays de résidence. Je conclus que la demanderesse peut offrir son amour et son soutien à tous ses enfants dès leur retour en Tanzanie. »

[79]  Il incombait aux demanderesses de présenter les facteurs qu’elles souhaitaient que l’agente des visas prenne en considération. L’agente des visas a traité les observations sur la violence contre les enfants, l’éducation, l’enlèvement, la violence sexuelle et l’abus. Sauf ces facteurs, les demanderesses n’indiquent pas ce que l’agente aurait dû avoir pris en considération à l’égard des enfants tanzaniens, à l’exception de l’énoncé de la demanderesse principale suivant : [traduction] « la possibilité que, si l’exemption pour motifs d’ordre humanitaire était accordée, ces enfants soient enfin parrainés au Canada par leur mère une fois qu’elle obtenait la résidence permanente n’a pas été examinée ».

[80]  Toutefois, il s’agit d’un facteur que les demanderesses ont soulevé aux fins du présent contrôle judiciaire. Ce n’est pas un facteur que la demanderesse principale a demandé à l’agente des visas de prendre en considération concernant sa demande pour motifs d’ordre humanitaire. L’agente des visas n’était pas tenue de tenir compte de toutes les éventualités et possibilités futures. Quoi qu’il en soit, ce serait impossible. Il incombait à la demanderesse principale de présenter les éléments importants aux fins d’examen de l’intérêt supérieur de ses enfants tanzaniens et le fait est que la plupart des éléments de preuve et des observations visaient l’intérêt de ses enfants actuellement au Canada.

[81]  Par exemple, dans la décision Garas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1247, la Cour a indiqué ce qui suit :

[46]  Une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas une formule mathématique appliquée dans l’abstrait. L’agent n’a pas la responsabilité d’examiner tous les scénarios qui pourraient résulter du renvoi du demandeur ou d’examiner des questions essentiellement spéculatives. Le rôle de l’agent est d’évaluer les circonstances spéciales que la partie demanderesse soulève et de déterminer si ces caractéristiques justifient l’application d’une dispense exceptionnelle.

[47]  Par conséquent, je conclus qu’en l’espèce la demanderesse n’a pas soulevé la possibilité que ses enfants restent au Canada et que l’agente n’était donc pas tenue d’examiner les répercussions d’un tel scénario sur les enfants.

[Souligné dans l’original.]

[82]  Dans l’arrêt Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, la Cour d’appel fédérale a également confirmé ce qui suit au paragraphe 5 :

L’agent d’immigration qui examine une demande pour des raisons d’ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l’expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas « minimiser » cet intérêt : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Toutefois, l’obligation n’existe que lorsqu’il apparaît suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur, qu’une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l’appui de son allégation, l’agent est en droit de conclure qu’elle n’est pas fondée.

[Non souligné dans l’original.]

[83]  Les demanderesses indiquent également que l’agente des visas n’avait pas tenu compte de l’intérêt supérieur de Tahjaira, qui était, de naissance, une citoyenne américaine. Selon l’erreur alléguée, [traduction] l’« agente n’a pas tenu compte de son renvoi possible ou de son retour aux États-Unis, uniquement le résultat privilégié de l’agente qu’elle accompagne sa mère en Tanzanie ».

[84]  Une fois de plus, comme la décision l’indique clairement, selon les observations de la demanderesse [traduction] « il n’est pas dans l’intérêt supérieur des enfants de quitter leur vie au Canada vers la Tanzanie à cette étape cruciale de leur développement [...] ». Il n’y avait aucune indication que Tahjaira n’accompagnerait pas sa mère en Tanzanie ou que l’agente des visas devait tenir compte de son renvoi vers les États-Unis.

[85]  Les demanderesses soutiennent en outre que l’agente des visas ne porte [traduction« aucune attention au fait que Zunaira est une citoyenne canadienne ». La demanderesse principale semble croire qu’il s’agit d’un fait important parce que le [traduction] « droit est clair que les enfants qui sont des citoyens canadiens peuvent être renvoyés avec leurs parents vers un autre pays, le cas échéant » et les demanderesses ont tenté de clarifier cette préoccupation comme suit :

[traduction]

[20]  Aux fins d’éclaircissements, on ne soutient pas que le simple fait que Zunaira est une citoyenne canadienne lui donne et donne automatiquement à sa sœur et à sa mère le droit de demeurer au Canada. Le droit est clair que les enfants qui sont des citoyens canadiens peuvent être renvoyés avec leurs parents vers un autre pays, le cas échéant. Les demanderesses indiquent simplement que la citoyenneté de Zunaira, conjointement avec son âge et tous les autres facteurs liés à l’intérêt supérieur des enfants, auraient dû avoir été traités expressément par l’agente afin de produire une décision raisonnable. L’agent, lorsqu’il s’acquitte de son obligation de rendre une décision raisonnable, aurait pu avoir été guidée par les conseils du juge Snider :

Normalement, une méthode raisonnable à l’égard de cette difficile question de l’examen de l’intérêt supérieur de l’enfant consisterait à considérer l’obligation comme un ensemble d’éléments homogènes. À une extrémité de cet ensemble, il y aurait l’analyse approfondie requise dans le cadre d’une demande pour motifs de santé et de sécurité, telle que décrite dans la décision Baker, précitée. À l’autre extrémité, le décideur pourrait orienter son esprit de manière moins approfondie, mais néanmoins sensible, vers les enfants touchés par la décision.

[Renvois omis.]

[86]  Zunaira n’est pas une demanderesse dans le cadre de la présente demande. De façon concrète, elle pourrait n’avoir le choix que de demeurer avec sa mère et de l’accompagner en Tanzanie pour le moment. Toutefois, à titre de citoyenne canadienne, Zunaira est libre de revenir et vivre au Canada à l’avenir. Il n’est pas clair ce que les demanderesses estiment que l’agente des visas a omis de prendre en considération. Je suis d’avis que la décision offre une évaluation raisonnable de l’intérêt supérieur de Zunaira, vu les observations présentées à son égard.

[87]  Les demanderesses indiquent également que l’agente des visas n’a pas traité la possibilité que Tahjaira, à titre de citoyenne américaine, puisse être renvoyée [traduction] « vers les États-Unis ou la Tanzanie ». La demanderesse principale a mentionné la possibilité du renvoi de Tahjaira vers les États-Unis dans son affidavit portant sur les motifs d’ordre humanitaire au paragraphe 40 : [traduction] « J’ai également peur que ma fille soit retournée aux États-Unis ou en Tanzanie. Même si elle est citoyenne américaine, elle n’a que quatre ans et ne pourrait pas vivre sans moi. Je n’ai aucun droit d’entrer ou de demeurer aux États-Unis. Son père était abusif envers moi et n’aimait pas notre fille, et il indiquait souvent qu’il ne croyait pas être son père. J’ai peur qu’elle grandisse sous les soins de l’État ou dans un foyer abusif. » Toutefois, rien dans la preuve n’indique comment cet événement surviendrait et cet énoncé invite l’agente des visas à tenir compte de craintes spéculatives. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, selon les observations, Tahjaira quitterait le Canada avec sa mère pour se rendre en Tanzanie. Il n’était donc pas nécessaire pour l’agente des visas de tenir compte de conjectures quant à son renvoi aux États‑Unis. Si ce n’est pas l’intention de la demanderesse principale, toutes ses observations concernant les difficultés auxquelles Tahjaira serait confrontée en Tanzanie ne seraient pas pertinentes. Si la demanderesse principale veut dire que l’agente des visas a omis de tenir compte du fait que Tahjaira pourrait être renvoyé de la Tanzanie vers les États-Unis, rien dans les éléments de preuve n’indique donc qu’il s’agissait plus que d’une crainte de la demanderesse principale. Elle n’a présenté aucun élément de preuve ni aucune observation sur ce point et il lui incombait de le faire.

[88]  De façon plus générale, les demanderesses soutiennent que [traduction] « l’analyse de l’ISE est structurée comme une réfutation des arguments concernant les conditions dans le pays d’origine présentés par les avocates de Mme Suleiman » :

[traduction]

Cela mène à une erreur susceptible de révision commise par l’agente, notamment l’omission de déterminer de manière appropriée l’intérêt des enfants. Cela ne répond pas aux exigences selon lesquelles l’intérêt doit être bien déterminé et défini et doit faire l’objet d’un examen en tenant compte des éléments de preuve.

[89]  Le fait que l’agente des visas traite des arguments soulevés par les avocates des demanderesses ne constitue pas une erreur susceptible de révision. Il s’agirait d’une erreur susceptible de révision si elle ne l’avait pas fait. L’agente des visas a traité l’ISE dans la mesure où l’intérêt a été indiqué par les demanderesses ou qu’il était évident au dossier et dans la mesure où la preuve étayait les observations des demanderesses. Selon la conclusion principale de l’agente des visas à cet égard, comme à l’égard d’autres arguments, les demanderesses n’ont déposé aucun élément de preuve convaincant pour étayer les préoccupations qu’elles ont soulevées.

[90]  Les demanderesses accusent en outre l’agente des visas d’avoir appliqué simplement les vieux critères de difficultés « inusités et injustifiés ou excessifs » selon un autre nom. Rien dans la décision n’étaye cet argument. L’observation de l’agente des visas selon laquelle la preuve n’étaye pas l’argument selon lequel le fait de quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente [traduction] « aurait une incidence négative importante sur l’intérêt supérieur des enfants concernés » ou que [traduction] « l’intérêt de la fille serait directement compromis », ne constitue pas une exigence que les demanderesses prouvent un niveau particulier de difficultés. Il s’agit d’un commentaire sur ce que les éléments de preuve établissent ou n’établissent pas.

[91]  À l’audience de la présente demande devant moi le 6 mars 2017, selon l’argument principal des demanderesses, l’agente des visas n’a pas pondéré de manière suffisante les avantages dans le cas où les enfants demeurent au Canada par rapport aux conséquences de leur retour en Tanzanie.

[92]  Toutefois, une lecture de la décision complète révèle que l’agente des visas adopte l’hypothèse habituelle selon laquelle il serait préférable que les enfants demeurent au Canada, mais, vu ce à quoi les enfants sont susceptibles d’être confrontés en Tanzanie, les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir qu’il y aurait une [traduction] « incidence négative importante sur l’intérêt supérieur des enfants concernés ». Ce qui comprend les enfants actuellement en Tanzanie, ainsi que les deux jeunes enfants (6 ans et 3 ans) actuellement au Canada avec la demanderesse. Je ne vois pas ce que l’agente des visas aurait pu faire de plus en ce qui concerne une comparaison. Selon la conclusion, même s’il était préférable que les jeunes enfants demeurent au Canada, il serait préférable que les enfants en Tanzanie aient leur mère et leurs sœurs avec eux et la mise en œuvre de ce résultat n’aura aucune incidence négative sur les enfants au Canada suffisamment élevée pour constituer un facteur important à la décision globale. Il est possible de ne pas souscrire à ce raisonnement et à cette conclusion, mais je suis d’avis qu’il est impossible de dire qu’ils sont déraisonnables.

[93]  Je conclus qu’aucune erreur susceptible de révision n’a été commise dans l’analyse de l’ISE par l’agente des visas.

B.  Évaluation des éléments de preuve concernant la santé mentale

[94]  Les demanderesses indiquent que l’agente des visas [traduction] « n’a pas tenu compte de l’effet du renvoi du Canada sur la santé mentale de la demanderesse principale » et elles affirment que [traduction] « sa santé mentale serait susceptible de s’aggraver si elle était renvoyée en Tanzanie [...] ». Les demanderesses n’offrent aucun élément de preuve pour étayer cette affirmation. Je ne vois rien dans le rapport du psychothérapeute qui indique que l’agente des visas devrait tenir compte de ce facteur. En plaidoirie devant moi, les demanderesses ont dit que le rapport de la Dre Durish indique clairement qu’elle était si traumatisée qu’elle ne pouvait pas composer avec la situation et ne peut même pas quitter la maison. Toutefois, la demanderesse principale a également déposé auprès de l’agente des visas un vaste éventail d’éléments de preuve de sa participation dans la collectivité lesbienne où elle est une bénévole active et efficace. Ces éléments de preuve n’indiquent pas que la demanderesse principale était si traumatisée qu’elle n’était pas en mesure de fonctionner. Quoi qu’il en soit, les conclusions de l’agente des visas englobent évidemment les difficultés psychologiques du renvoi en Tanzanie :

[traduction]

J’accepte qu’il puisse être difficile sur le plan émotionnel pour la demanderesse de retourner en Tanzanie en raison de son désir de demeurer au Canada. Toutefois, je conclus que des ressources sont accessibles en Tanzanie qui l’aideront à répondre à ses besoins émotionnels, médicaux et en santé mentale. Je suis convaincue que la demanderesse pourra obtenir un traitement en santé mentale sécuritaire, fiable et uniforme, y compris des services de consultation, dont elle a besoin pour traiter ses problèmes de santé mentale en Tanzanie. Je conclus que le fait que la demanderesse est au courant de ses problèmes de santé mentale fait en sorte qu’elle soit plus susceptible de recourir aux traitements en santé mentale qui sont accessibles en Tanzanie. Je conclus que la demanderesse a fourni des éléments de preuve insuffisants pour établir comment ses problèmes de santé mentale entraîneraient des difficultés dès son retour en Tanzanie en raison d’une pénurie d’options de traitement ou pour d’autres raisons.

[95]  L’analyse de l’agente des visas traite et englobe également l’affirmation de la demanderesse selon laquelle l’agente ne tient pas compte des effets du processus même du renvoi. Rien dans la preuve n’indique que la demanderesse principale ne pouvait pas voyager et l’agente des visas conclut de manière raisonnable que, peu importe ses besoins médicaux dès son arrivée en Tanzanie, rien n’indique qu’elle ne sera pas en mesure d’y répondre en Tanzanie.

[96]  En plaidoirie, les avocates des demanderesses ont souligné que le rapport de la Dre Durish constitue le [traduction] « fondement de la demande » parce qu’il explique de nombreux autres facteurs, comme la raison pour laquelle elle n’était pas en mesure de produire des documents. Les demanderesses soulignent les observations directes effectuées par la Dre Durish et soutiennent qu’elles n’ont pas réellement été traitées par l’agente des visas.

[97]  L’agente des visas a accepté entièrement que la demanderesse principale soit atteinte d’un trouble de stress post-traumatique et d’une dépression, mais ce qu’elle ne peut accepter est que le rapport de la Dre Durish, lorsqu’il est lu en tenant compte de la totalité des éléments de preuve, établit l’orientation de la demanderesse principale comme étant lesbienne. Il faut tenir compte du fait que le contexte global comprend ce qui suit :

  • a) l’omission de la demanderesse de soulever l’orientation sexuelle devant la Section de la protection des réfugiés pour aucune raison que l’agente des visas pouvait retenir;

  • b) une décision défavorable relative à l’ERAR à l’égard de laquelle une autorisation d’en appeler a été refusée lorsqu’elle s’est présentée devant notre Cour;

  • c) le fait que la demanderesse principale s’était mariée à trois hommes différents pendant sa vie et qu’elle avait huit enfants;

  • d) l’absence totale de documents pour étayer la description de ses antécédents relatifs à son orientation sexuelle et à ses activités sexuelles lorsqu’elle vivait en Tanzanie.

[98]  Le rapport de la Dre Durish indique que la crainte de la demanderesse principale de retourner en Tanzanie [traduction] « était manifeste », mais cela ne permet pas d’établir son orientation sexuelle. La Dre Durish peut dire que son [traduction] « empressement de discuter des expériences des membres de la collectivité LGBTQ au Canada et sa fixation sur ses partenaires féminines appuient les affirmations [de la demanderesse principale] concernant son orientation sexuelle ». Il se peut fort bien qu’il en soit ainsi, mais la Dre Durish ne tient pas compte du contexte global des antécédents de la demanderesse principale en matière d’immigration et de demande d’asile de la même façon qu’un agent des visas doit le faire.

[99]  L’agente des visas donne des motifs complets de la raison pour laquelle le rapport de la Dre Durish ne suffit pas, dans le contexte global de l’espèce, à établir une orientation sexuelle. Il est possible de ne pas souscrire à ces motifs, mais, une fois de plus, je ne peux dire qu’ils n’appartiennent pas aux [traduction] « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[100]  De plus, l’agente des visas n’a pas examiné la santé mentale de manière isolée. Il ne s’agit pas de problèmes relatifs à la mémoire ou à la description de la demanderesse principale qui a mené l’agente des visas à rejeter ses thèses. Les demanderesses ont simplement omis de produire des éléments de preuve suffisants pour étayer les affirmations faites par la demanderesse principale.

C.  Éléments de preuve concernant l’orientation sexuelle

[101]  La demanderesse principale indique que son orientation sexuelle – une lesbienne – constituait le facteur essentiel de la demande pour motifs d’ordre humanitaire parce qu’il touche à la fois les facteurs d’établissement au Canada et les conditions défavorables en Tanzanie.

[102]  L’orientation sexuelle de la demanderesse principale constituait un facteur particulièrement difficile à évaluer par l’agente des visas en l’espèce pour des raisons attribuables à la demanderesse principale même.

[103]  En premier lieu, elle n’a pas soulevé l’orientation sexuelle devant la Section de la protection des réfugiés pour des raisons que l’agente des visas a rejetées de manière raisonnable. De plus, la demande d’ERAR a été rejetée et la Cour ne lui a pas accordé l’autorisation de demander un contrôle judiciaire.

[104]  En deuxième lieu, la description des antécédents de la demanderesse principale concernant son identité sexuelle n’était étayée par aucun document. Par exemple, la demanderesse principale indique que le décès et la circoncision d’une partenaire du même sexe importante, Martha, lui avait été signalé par sa (la demanderesse principale) sœur. Toutefois, elle n’a fourni aucune lettre provenant de sa propre sœur ou tout autre document pour étayer sa description de ce qui s’est produit. Vu que la demanderesse principale n’avait pas mentionné l’orientation sexuelle devant la Section de la protection des réfugiés, des documents justificatifs étaient très importants.

[105]  En outre, évidemment, la demanderesse principale s’était mariée trois fois et elle est mère de huit enfants.

[106]  Toutefois, elle a choisi de se fier à une évaluation psychothérapeutique effectuée par la Dre Durish qui avait été demandée par les avocates de la demanderesse principale, ainsi qu’à une lettre provenant de la Barbara Schlifer Commemorative Clinic (où la demanderesse principale avait obtenu des services de consultation liés à l’abus physique et sexuel dont elle soutient avoir été victime en Tanzanie), à une lettre de l’APAA où la demanderesse principale exécutait un travail de bénévolat visant à aider les gais et les lesbiennes et à une lettre provenant de Jukumuletu, où elle avait été bénévole pendant quatre ans.

[107]  Le problème que l’agente des visas avait quant à l’évaluation de ces éléments de preuve déposés à une date ultérieure est le fait qu’ils ont été regroupés après la décision de la Section de la protection des réfugiés et après que la demanderesse principale avait décidé de faire valoir une identité lesbienne afin d’éviter de retourner en Tanzanie. Les éléments de preuve ont été regroupés de cette façon et à cette fin il est très difficile de les évaluer et l’agente des visas a donné des motifs pour lesquels les éléments de preuve déposés n’établissent pas une orientation sexuelle qui pourrait être invoquée. Vu les éléments de preuve insuffisants quant au passé et l’omission de la demanderesse principale de soulever l’orientation sexuelle dans le cadre de sa demande d’asile et le fait que les éléments de preuve ultérieurs ne sont pas provenus d’une personne qui avait été personnellement témoin ou qui avait une connaissance personnelle de l’orientation sexuelle de la demanderesse principale, l’agente des visas a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants.

[108]  La Dre Durish a expliqué que les antécédents de la demanderesse principale avec des hommes n’étaient pas incohérents avec le fait qu’elle est lesbienne, mais ils n’appuient évidemment pas l’argument qu’elle est une lesbienne.

[109]  La demanderesse principale affirme maintenant qu’afin de rectifier à son omission de soulever l’orientation sexuelle devant la Section de la protection des réfugiés, que les minorités sexuelles, surtout les personnes provenant de sociétés extrêmement homophobes, ne peuvent pas divulguer leur identité, et on ne peut pas s’attendre à ce qu’elles le fassent, à des étrangers dans toutes les situations, y compris les personnes en autorité. Toutefois, rien dans la décision ne suggère que l’agente des visas avait une telle attente. Elle a simplement accepté ce que la demanderesse principale lui avait dit (qu’une femme de Zancan lui avait dit que son orientation sexuelle ne constituait pas un motif de demande d’asile au Canada) et elle a indiqué que cette femme n’avait pas comparu à l’audience de la demande d’asile et que la demanderesse principale avait retenu les services d’avocates pour l’aider avec sa demande d’asile et qu’elle n’a pas soulevé l’orientation sexuelle.

[110]  Vraisemblablement, la demanderesse principale n’avait pas une relation avec une partenaire du même sexe au moment de sa demande pour motifs d’ordre humanitaire ou elle en aurait déposé une preuve à cet effet. Elle indique maintenant que [traduction] « ce n’est pas tout le monde qui a la chance d’avoir une relation d’engagement », mais ce point va dans les deux directions. Le fait qu’elle ne peut déposer aucun élément de preuve direct d’une relation avec une partenaire du même sexe ne signifie pas qu’elle ne souhaite pas en avoir une; mais il ne prouve pas qu’elle est une lesbienne et sans un autre élément de preuve plus objectif, il existe peu d’éléments de preuve pour réfuter le fait établi qu’elle s’est mariée trois fois et a huit enfants.

[111]  Si j’avais évalué ce facteur moi-même, j’aurais peut-être accordé à la demanderesse principale le bénéfice du doute, mais ce n’est pas mon rôle. Ce que je ne peux dire est que, vu les éléments de preuve dont était saisie l’agente des visas concernant cette question, les conclusions qu’elle a tirées n’étaient pas raisonnables et n’appartenaient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

D.  Capacité de se rétablir en Tanzanie

[112]  Selon le dernier argument des demanderesses, l’agente des visas est parvenue à une conclusion déraisonnable quant à la capacité de la demanderesse principale de se rétablir en Tanzanie.

[113]  Les demanderesses accusent l’agente des visas de faire preuve d’insensibilité lorsqu’elle a mentionné le fait que la demanderesse principale était débrouillarde et sa capacité de s’intégrer, mais l’argument principal des demanderesses est le suivant :

[traduction]

55.  La demanderesse principale a réussi à survivre au Canada, selon des conditions difficiles, pendant six ans. Pendant cette période, comme l’indique l’agente, elle a atteint un certain degré d’établissement. Toutefois, cet établissement n’est pas complet et dépend largement de la bonne volonté de diverses organisations civiles sociales, établies principalement dans les collectivités africaines ou LGBTQ, avec lesquelles elle a établi un lien en raison de son bénévolat. Elle a également bénéficié, pendant cette période, d’une représentation importante gratuite et de services de consultation gratuits.

56.  Un agent d’immigration peut décider que ce qui précède constitue un niveau d’établissement suffisant ou insuffisant au Canada en application duquel il peut accorder une exemption pour motifs d’ordre humanitaire des règles d’application habituelle en matière de résidence permanente. Cependant, il n’est pas raisonnable de tenter de soutenir, comme l’a fait l’agente, que ce qui précède établit que la demanderesse principale est une personne débrouillarde. La capacité de continuer de survivre ne devrait pas être confondue avec la capacité de s’adapter et de s’épanouir dans un milieu difficile après une absence de neuf ans.

[114]  Le [traduction] « milieu difficile » mentionné par la demanderesse principale suppose que son orientation sexuelle constitue déjà un fait établi et ce n’est pas le cas. De plus, comme l’indique l’agente des visas :

[traduction]

[L]a demanderesse est une personne instruite qui a suivi des études pendant 12 ans et qui a terminé ses études secondaires en Tanzanie. Elle est également une femme indépendante qui est une propriétaire d’entreprise et qui a obtenu un emploi à l’aéroport Zanzibar International. Je conclus qu’elle est une femme de culture qui a la capacité de protéger ses enfants de la violence générale en Tanzanie. Même si je reconnais que le niveau de vie en Tanzanie n’est pas le même que celui au Canada, je conclus que le législateur n’avait pas l’intention que l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) comble la différence entre le niveau de vie au Canada et celui d’autres pays.

[115]  L’agente des visas a également indiqué que des ressources sont [traduction« accessibles en Tanzanie qui l’aideront à répondre à ses besoins émotionnels, médicaux et en santé mentale » et que la plupart des membres de sa famille se trouvent en Tanzanie.

[116]  Rien de ce qui précède ne me semble insensible et ne peut être jugé comme déraisonnable.

IX.  Question à certifier

[117]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3065-16

INTITULÉ :

RAHMA MANENO SULEIMAN ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 mars 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :

Le 21 avril 2017

COMPARUTIONS :

Nicole Guthrie

Marjorie L. Hiley

Pour les demanderesses

Alexis Singer

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marjorie L. Hiley

Avocate

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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