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Date : 20170427


Dossier : IMM-3263-16

Référence : 2017 CF 415

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

ASMA ASIM

MAIDA MAJEED

MUHAMMAD MOHID

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               Mme Asma Asim et ses deux enfants, Maida Majeed et Muhammad Mohid (les demandeurs), sont des citoyens du Pakistan. Ils ont demandé l’asile au Canada parce qu’ils craignent un groupe extrémiste inconnu. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leur demande d’asile après avoir conclu qu’ils pouvaient se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Pakistan. La présente demande sollicite le contrôle judiciaire du refus de leur demande d’asile.

II.                 Contexte

[2]               Avant d’arriver au Canada, les demandeurs vivaient à Lahore, où le fils aîné de Mme Asim fréquentait une madrasa les fins de semaine. Peu après le début des cours à la madrasa, les parents ont remarqué la présence de textes extrémistes dans les affaires de leur fils, et ils ont découvert que l’enseignement était donné par des extrémistes. Les parents, après avoir retiré leur fils de la madrasa, ont reçu des appels de menaces. Le 16 mars 2016, deux individus ont tenté de faire monter leur fils de force dans une voiture, mais ils ont été éconduits par un garde de sécurité. Les parents, craignant pour la sécurité de leur fils, se sont enfuis à Islamabad.

[3]               À Islamabad, le fils est tombé malade, et le père l’a amené dans une clinique. Deux hommes sont entrés dans la clinique et le fils a identifié l’un deux comme l’un des prédicateurs de la madrasa. Le père a fait de son mieux pour repousser les deux hommes, jusqu’à ce qu’un fourgon de la police arrive sur les lieux. Les deux individus se sont enfuis. Le 29 mars 2016, Mme Asim a quitté le Pakistan pour se rendre aux États-Unis avec ses deux enfants et, le 12 avril 2016, elle est entrée au Canada, où elle a réclamé l’asile.

[4]               Le 30 juin 2016, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs. Dans ses motifs, elle explique qu’en dépit de la crédibilité des allégations à la base du récit des demandeurs, il existait au moins une PRI pour eux à Faisalabad, au Pakistan, où Mme Asim est née. Quand la possibilité de réinstallation a été évoquée comme solution de rechange à fuir le Pakistan, les demandeurs n’ont pas soulevé de problème majeur.

[5]               La SPR a mentionné que Faisalabad était une grande ville de 3,5 millions d’habitants et que, malgré le climat incontestable d’insécurité générale, rien ne permettait de croire que les demandeurs y seraient plus à risque que le restant de la population. La SPR a ajouté qu’avant les incidents de la madrasa, les demandeurs vivaient tranquillement à Lahore, où l’instabilité ambiante est tout aussi réelle.

[6]               Selon la SPR, le dossier de preuve insuffisant ne l’avait pas convaincue que le fils aîné avait été à ce point affecté par le traumatisme subi qu’une réinstallation à Faisalabad était inenvisageable. Sans nier que le Canada puisse sembler un lieu de choix pour s’installer, la SPR n’y a pas vu un argument suffisant pour conclure au caractère déraisonnable de la PRI suggérée.

[7]               La SPR a estimé que les demandeurs seraient exposés tout au plus à une simple possibilité de persécution s’ils déménageaient à Faisalabad. Par surcroît, comme le groupe extrémiste craint par les demandeurs n’est pas connu, il est impossible de déterminer si ses membres vont ou pourraient pourchasser les demandeurs ailleurs dans le pays.

[8]               Enfin, la SPR souligne que les demandeurs ont encore de la famille au Pakistan, dont le mari et le beau-frère de la demanderesse principale. Aucune preuve d’une quelconque tentative du groupe extrémiste de prendre contact avec des membres de la famille des demandeurs ou de les retrouver n’a été donnée. De plus, aux dires d’un ancien domestique des demandeurs qui s’est rendu à leur domicile pour y récupérer d’importants documents, il n’y avait aucun signe de tentative d’introduction par effraction. La SPR n’a pas pu trouver de preuve crédible indiquant que le groupe était à la recherche des demandeurs. Ayant conclu que les demandeurs seraient exposés tout au plus à une simple possibilité de persécution, mais vraisemblablement à aucune menace à leur vie, ni à aucun risque de traitements ou peines cruels et inusités ou de torture, la SPR a rejeté leur demande d’asile.

III.               Question en litige

[9]               L’unique question soulevée par les demandeurs est celle de savoir si la SPR a fait une évaluation raisonnable de la PRI.

IV.              Analyse

[10]           Les demandeurs font valoir que la SPR a confondu les deux volets du critère relatif à la PRI. Ils plaident que le caractère raisonnable de la PRI n’est pas lié à l’absence de risque personnel pour eux. Selon les demandeurs, il s’agit d’une transposition maladroite d’une analyse fondée sur l’article 97 au critère relatif à la PRI. Par conséquent, puisque la décision de la Commission repose exclusivement sur ce critère, il y a lieu de la soumettre à un réexamen. Les demandeurs soutiennent que l’Observation no 14 formulée à la page 4 du rapport du Comité des droits de l’enfant (2013) confirme que la SPR livre une analyse erronée du critère relatif au refuge intérieur.

[11]           La preuve documentaire contredit la conclusion de la SPR comme quoi les enfants pourraient fréquenter l’école à Faisalabad, du fait que les écoles au Pakistan représentent souvent des cibles vulnérables pour les groupes extrémistes. Les demandeurs reprochent à la SPR d’avoir occulté cette réalité et, même si elle reconnaît les souffrances physiques et morales que la tentative d’enlèvement a infligées au fils aîné, d’avoir conclu à tort qu’il serait en sécurité à Faisalabad. Selon eux, le fait qu’il a cessé de fréquenter l’école au Pakistan et qu’il a repris ses études au Canada démontre amplement le caractère déraisonnable de la décision.

[12]           Les demandeurs invoquent la décision Chandidas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 257, pour étayer leur argument comme quoi la SPR n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ils allèguent que la SPR a conclu qu’il serait raisonnable pour eux de retourner au Pakistan après un examen axé sur les préjudices éventuels, alors qu’il aurait dû être axé sur l’intérêt supérieur des enfants. Les demandeurs estiment que la SPR aurait dû suivre les directives concernant les enfants demandeurs, mais que rien n’indique que ce soit le cas. C’est une erreur à leurs yeux.

[13]           Enfin, la SPR a conclu que rien ne permettait de croire qu’ils seraient pourchassés jusqu’à Faisalabad, en dépit des déclarations à l’effet contraire faites sous serment. Lors de son témoignage, Mme Asim a expliqué que les hommes qui sont entrés dans la clinique à Islamabad les avaient manifestement suivis. La conclusion contraire de la Commission était donc déraisonnable.

[14]           Les erreurs reprochées à la SPR sont susceptibles de contrôle selon la règle de la décision raisonnable (Abdalghader c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 581, au paragraphe 21 [Abdalghader]; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]).

[15]           Comme je ne puis souscrire aux arguments des demandeurs, je vais rejeter la demande.

[16]            Le critère à double volet applicable à l’analyse relative à l’existence d’une PRI est bien établi. La SPR doit être persuadée, selon la prépondérance des probabilités :

  1. qu’il n’y a pas de risque sérieux que le demandeur soit persécuté dans la région du pays où, selon la SPR, une PRI existe;
  2. que la situation dans ladite région est telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge (Chowdhury c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1210, au paragraphe 22 [Chowdhury]; Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 RCF 589 (CAF) [Thirunavukkarasu]).

[17]           Dans ses motifs, la SPR fait la démonstration qu’elle n’a pas confondu les volets du critère relatif à la PRI. Certes, elle a inversé l’ordre d’analyse (était-il raisonnable de chercher refuge et y avait-il menace de persécution), mais la décision n’en est pas pour autant déraisonnable. La SPR a tout d’abord établi qu’il serait raisonnable pour les demandeurs de se réinstaller à Faisalabad. Elle a ensuite déterminé qu’ils seraient exposés à une possibilité minime de persécution s’ils y déménageaient.

[18]           Même si le fardeau de la preuve leur incombait, les demandeurs n’ont pas réussi à faire la démonstration, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient exposés directement à une menace pour leur vie ou à un risque de traitements cruels et inusités partout dans leur pays, et en particulier à Faisalabad (Abdalghader, précitée, au paragraphe 22; Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 [CA]). Le critère exigeant qui s’applique à l’analyse du caractère raisonnable d’une PRI n’a pas été rempli en l’espèce (Khokhar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 449, au paragraphe 41).

[19]           La Cour d’appel fédérale a précisé que la PRI devait être réalistement accessible et qu’il devait être raisonnablement possible de surmonter tous les obstacles aux déplacements (Thirunavukkarasu, précité, aux paragraphes 14 et 15).

[20]           La conclusion de la SPR selon laquelle Faisalabad représentait une PRI découle de son analyse raisonnable comme quoi les demandeurs n’y seraient pas exposés à une possibilité réelle de persécution. Dans ces circonstances et compte tenu de la situation dans le pays, il a été établi qu’il ne serait pas déraisonnable pour eux d’y chercher refuge. La Commission a même divisé son raisonnement sous deux intertitres : 1) [TRADUCTION] « Est-ce raisonnable? » et 2) « Est-ce sécuritaire? ». Elle applique ainsi les deux volets du critère relatif à la PRI.

[21]           La SPR a examiné toutes les circonstances et s’est posé la question de savoir s’il serait raisonnable pour les demandeurs de déménager à Faisalabad, comme le démontrent les conclusions suivantes :

a)      [traduction] La demanderesse principale a affirmé qu’il serait déraisonnable pour elle et sa famille de se réinstaller à Faisalabad. La Commission a souligné que « quand elle a été interrogée à ce sujet, la demanderesse principale n’a pas dit que la réinstallation dans cette ville poserait un problème sérieux, si ce n’est que sa famille continuerait de craindre le groupe extrémiste inconnu » (paragraphe 9) [non souligné dans l’original].

b)      La demanderesse principale a déclaré qu’elle et son mari pourraient redémarrer leur entreprise immobilière dans n’importe quelle ville, et que les enfants pourraient fréquenter l’école (paragraphe 10).

c)      La Commission a ensuite examiné le climat ambiant d’insécurité qui règne à Faisalabad comme partout ailleurs au pays. Les motifs doivent être examinés en fonction du contexte et, en l’espèce, la Commission a observé que les demandeurs avaient vécu sans être inquiétés à Lahore avant l’incident de la madrasa, malgré le climat d’insécurité générale qui y régnait. La ville de Faisalabad ne représente donc pas un milieu de vie déraisonnable pour eux (paragraphe 10).

d)      La Commission a ensuite cherché à déterminer si le groupe extrémiste persécuterait les demandeurs à Faisalabad. Elle a procédé à un examen rigoureux afin de savoir si le groupe extrémiste allait ou pourrait chercher à retrouver les demandeurs dans une ville de 3,5 millions d’habitants.

e)      La SPR a fait remarquer que le mari de la demanderesse principale, son beau-frère et d’autres membres de sa famille n’ont pas été inquiétés par le groupe extrémiste. Il n’y a pas eu non plus d’introduction par effraction dans leur domicile. Les demandeurs n’ont pas réussi à prouver de manière crédible qu’ils seraient persécutés. Le seul élément de preuve produit a trait à une rencontre fortuite à Islamabad.

f)        Le mari et le père de la demanderesse principale sont toujours au Pakistan et ils vivent en sécurité, bien qu’ils affirment devoir se cacher. Les demandeurs sont en contact constant, mais ils ne savent pas quels efforts le mari doit faire pour ne pas être retrouvé par le groupe extrémiste. La SPR a conclu que le groupe s’est désintéressé d’eux.

[22]           La SPR a pris en compte l’état de santé mentale et physique du fils aîné aux fins de son analyse du caractère raisonnable. Aucune évaluation psychologique ne lui a été fournie, en dépit du rôle déterminant de pareille preuve lorsqu’il s’agit de déterminer si une PRI suggérée est raisonnable (Verma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 404).

[23]           Contrairement aux arguments des demandeurs, la SPR a traité de manière raisonnable la preuve documentaire fournie pour démontrer que les terroristes prennent les écoles pour cibles. La preuve documentaire comporte des articles tirés du Web qui relatent des incidents survenus à Islamabad, montrent des graffitis trouvés à Faisalabad et racontent des incidents qui sont parfois liés à des écoles, mais pas forcément. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que rien n’empêchait les enfants de fréquenter l’école puisqu’ils avaient déjà fréquenté des écoles publiques et religieuses dans leur pays.

[24]           La preuve insuffisante n’a pas persuadé la SPR qu’une réinstallation dans son pays troublerait à ce point le fils que le choix de Faisalabad serait déraisonnable. Les demandeurs n’ont tout simplement pas réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve qui leur incombait.

[25]           Il était loisible à la SPR de soupeser l’ensemble des éléments de preuve et de parvenir à une conclusion différente de celle que lui ont suggérée les demandeurs. Étant donné l’insuffisance de la preuve, la conclusion de la SPR concernant les conséquences d’une réinstallation pour le fils aîné apparaît raisonnable. La phrase incomplète au paragraphe 12 des motifs semble le fruit d’une erreur de transcription qui ne saurait à elle seule invalider la décision.

[26]           L’argument des demandeurs selon lequel la SPR transpose une analyse de facteurs personnels en vertu de l’article 97 pour jauger la situation d’un pays est sans fondement. La SPR cherche à déterminer si un motif quelconque lui permettrait de conclure qu’il serait déraisonnable pour les demandeurs de se réinstaller à Faisalabad. Elle n’a trouvé aucun motif se rapportant à la situation générale du pays ou à un autre facteur.

[27]           Par conséquent, se fondant sur la prépondérance des probabilités, la SPR a conclu que le groupe extrémiste ne recherchait pas activement les demandeurs. Elle explique au paragraphe 17 que [TRADUCTION] « la preuve insuffisante ne permet pas de conclure que les demandeurs seraient exposés à plus qu’une possibilité minime de persécution s’ils se réinstallaient [à Faisalabad] ». Cette décision appartient à la gamme des issues raisonnables.

[28]           Les demandeurs s’insurgent contre le traitement que la SPR donne aux directives relatives aux demandeurs enfants et au critère de leur intérêt supérieur. Certes, la SPR doit prendre en considération la situation particulière des enfants à l’étape de l’examen initial de la demande d’asile, mais il ne lui est pas demandé de faire une analyse sur le fond de l’intérêt supérieur. La SPR a tenu compte de la situation du fils aîné, qui a fait l’objet de menaces et d’une tentative d’enlèvement, et notamment de son état psychologique.

[29]           Une analyse plus poussée de son intérêt supérieur serait plus indiquée dans le cadre d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire (Kim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 149). De plus, la mère était la demanderesse principale et la représentante attitrée des enfants, qui n’ont pas témoigné lors de l’audience. Par conséquent, cet argument doit lui aussi être rejeté.

[30]           Je ne trouve aucune raison d’intervenir dans la décision de la SPR, et j’estime qu’elle a tiré une conclusion raisonnable en disant que la famille ne serait pas à risque si elle vivait à Faisalabad. Je ne décèle pas non plus d’erreur dans l’analyse que fait la SPR de l’existence d’une PRI.

[31]           Je conclus qu’au vu de la preuve mise à sa disposition, la décision rendue par la SPR appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Il n’y a pas là d’erreur susceptible de contrôle.

[32]           Aucune question n’a été soumise pour être certifiée et aucune n’est à certifier.

[33]           La demande est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3263-16

LA COUR ORDONNE :

1.                  que la demande soit rejetée;

2.                  qu’aucune question ne soit certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3263-16

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ASMA ASIM,
MAIDA MAJEED,
MUHAMMAD MOHID c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 FÉVRIER 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

DATE DU JUGEMENT :

LE 27 AVRIL 2017

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

Pour les demandeurs

Teresa Ramnarine

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WAZANALAW

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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