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Date : 20170410


Dossier : T-1532-15

Référence : 2017 CF 355

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2017

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

ENTRE :

VOLODYMYR HRABOVSKYY

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

MOTIFS ET ORDONNANCE

I.  Nature de la question

[1]  La Cour est saisie d’une requête en vue d’obtenir une ordonnance en application de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985 c F-7, déclarant que le demandeur, Volodymyr Hrabovskyy, est un plaideur vexatoire et qu’il doit obtenir l’autorisation des cours fédérales avant d’introduire d’autres instances devant elles.

[2]  La défenderesse demande aussi à la Cour d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) et ses pouvoirs inhérents pour rejeter les instances déjà introduites par le demandeur au motif qu’elles sont vexatoires et constituent des abus de procédure.

[3]  L’instance principale est une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par l’organisme aujourd’hui appelé Affaires mondiales Canada de ne pas intenter de poursuites contre la Norvège et l’Allemagne pour le compte du demandeur devant la Cour internationale de justice.

II.  Exposé des faits

[4]  Un résumé des instances figurant au présent dossier ainsi que d’autres procédures engagées par le demandeur est présenté ci-dessous. Il ne s’agit pas ici de présenter un résumé exhaustif puisque, selon le système interne des cours, le présent dossier comporte à lui seul 140 inscriptions.

A.  T-1532-15

[5]  Le 6 août 2015, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale. Le 9 septembre 2015, le juge Pelletier a renvoyé l’affaire à notre Cour.

[6]  Le 26 octobre 2015, le protonotaire Morneau a délivré une ordonnance rejetant la requête du demandeur au motif que [traduction] « sa lettre datée du 19 octobre 2015 manque de clarté et les justifications des réparations réclamées n’y sont pas présentées en termes clairs et précis ».

[7]  Le 30 octobre 2015, le demandeur a tenté de présenter des documents sans les avoir préalablement signifiés à la défenderesse. Par suite de cette omission, le protonotaire Morneau a émis une directive enjoignant au greffe de refuser le dépôt de tout document n’ayant pas été dûment signifié à la défenderesse.

[8]  Le 9 novembre 2015, en réponse à une demande de transmission de documents en la possession d’un tribunal soumise aux termes de l’article 317 des Règles, le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement a déposé un certificat attestant qu’il ne les avait pas en sa possession lorsque la décision a été rendue.

[9]  Le 10 novembre 2015, le protonotaire Morneau a refusé le dépôt d’autres documents. La défenderesse avait communiqué avec le greffe et constaté que les documents qui lui avaient été signifiés n’étaient pas exactement les mêmes que ceux qui avaient été déposés à la Cour la veille.

[10]  Le protonotaire a refusé d’autres documents le 12 novembre 2015, mais il a accepté de remplacer sa directive du 10 novembre 2015 par une ordonnance pour permettre au demandeur d’interjeter appel.

[11]  Le 16 novembre 2015, le demandeur a interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire Morneau et demandé son remplacement à titre de responsable de la gestion du dossier [traduction] « par du personnel plus compétent et connaissant mieux le droit international ».

[12]  Le 10 décembre 2015, le juge LeBlanc a refusé le dépôt du document de réponse du demandeur au motif qu’il contenait [traduction] « un avis de requête en radiation partielle de la réponse de la défenderesse à l’appel de l’ordonnance contestée par le demandeur, un affidavit à l’appui ainsi que des observations écrites concernant ladite requête en radiation inadmissibles en vertu des Règles de la Cour fédérale ».

[13]  Le 21 décembre 2015, la juge Mactavish a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre de l’ordonnance du protonotaire et ordonné que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

[14]  Le 29 décembre 2015, le demandeur a sollicité un nouvel examen de l’ordonnance de la juge Mactavish. Sa requête a été repoussée le 1er février 2016. Le 9 février 2016, le demandeur a porté cette décision en appel devant la Cour d’appel fédérale (dossier A-53-16).

[15]  Le 20 mai 2016, le demandeur a déposé une lettre intitulée [traduction] « Demande de services projetés », dans laquelle il sollicite une aide financière pour intenter des poursuites en Norvège. Le 1er juin 2016, le protonotaire Morneau a refusé le dépôt de la lettre, ainsi que la lettre du demandeur intitulée [traduction] « Demande de directive » et son nouvel avis de requête. Pour ce qui concerne les lettres du demandeur, le protonotaire a déclaré que la Cour n’en tiendrait pas compte [traduction] « parce qu’elles contiennent de multiples requêtes qui, même si elles relèvent de sa compétence, ne peuvent pas être introduites par voie de lettre ». Le protonotaire a ajouté que le nouvel avis de requête, [traduction] « ne peut pas non plus être déposé, car un avis de requête figure déjà au dossier ».

[16]  Le 3 juin 2016, le demandeur a présenté une autre requête en appel de l’ordonnance du 1er juin du protonotaire.

[17]  Le 6 juin 2016, le demandeur a voulu déposer d’autres lettres, mais les mêmes motifs ont été invoqués pour les refuser.

[18]  Le 10 juin 2016, le demandeur a déposé une requête afin de solliciter notamment des [traduction] « recours extraordinaires contre la Couronne en responsabilité criminelle et civile de l’officier de justice et des employés du greffe de la Cour » :

1. Requête pour que l’instance 3 (erronément inscrite au dossier 1-T-1532-15) se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale – Règles, article 384

2. Requête en vue d’engager un recours extraordinaire contre la Couronne au titre de la responsabilité criminelle et civile de l’officier de justice-du protonotaire – Règles, paragraphe 1.1(1); Convention des Nations Unies contre la corruption, article 19 et paragraphe 26(4); Code criminel du Canada

3. Requête en renvoi de l’instance 3 (erronément inscrite au dossier 1-T-1532-15) à la chambre criminelle aux fins du procès de l’officier de justice-du protonotaire pour les infractions criminelles – Règles, article 49; Convention des Nations Unies contre la corruption, article 19, paragraphes 11(1), 26(3) […]

4. Requête pour que l’instance 3 (une demande) soit traitée comme une action (poursuite contre la Couronne pour incompétence du protonotaire et des employés du greffe de la Cour) – Règles, paragraphe 61(4); Loi sur les Cours fédérales, paragraphe 18.4(2)

5. Réclamation de dommages-intérêts compensatoires de 7,53 milliards de dollars pour préjudices causés par l’incompétence de l’officier de justice de la Cour (d’appel) fédérale du Canada – Convention de Vienne sur le droit des traités, paragraphe 48(2)

6. Transmission sans délai à la Norvège de copies du jugement Barcelona Traction (Cour internationale de Justice), page 20, section 10

7. Appel de l’ordonnance du 8 juin 2016 du protonotaire – Règles, paragraphe 51(1)

8. Transmission de documents en la possession du tribunal – Règles, paragraphe 317(1)

[19]  Le 14 juin 2016, le demandeur a présenté une autre requête dans laquelle il réclame le recouvrement de frais judiciaires et extrajudiciaires antérieurs et d’autres réparations.

[20]  Le 29 juin 2016, la juge St-Louis, dorénavant chargée de la gestion du dossier, a convoqué les parties à une courte audience. Elle a expliqué sa décision comme suit :

[traduction] La Cour constate que le demandeur a déposé un certain nombre de requêtes et de demandes qui sont soit inintelligibles, soit particulièrement difficiles à relier à la demande de contrôle judiciaire susmentionnée. La Cour remarque en outre que la défenderesse n’a malheureusement pas donné suite auxdites requêtes et demandes.

Comme il est manifeste que la nature foncièrement expéditive du processus de contrôle judiciaire a été perdue de vue dans le dossier, la Cour estime indiqué à ce stade-ci de convoquer les parties à une courte audience. Cette audience permettra à la Cour d’obtenir de plus amples renseignements et des précisions sur les objectifs des diverses requêtes et demandes du demandeur afin de décider de l’orientation à donner à l’instance pour être en mesure de trancher les requêtes et demandes en suspens.

[21]  Après la conférence de gestion d’instance du 21 juillet 2016, la juge St-Louis a ordonné le rejet de toutes les requêtes précédentes du demandeur et la suspension de la présente instance pour une période de 90 jours pour permettre à la défenderesse d’examiner la possibilité de déposer une requête en application de l’article 40. Le 21 octobre 2016, elle a prolongé la suspension jusqu’au 16 janvier 2017.

B.  Dossier A-53-16

[22]  Il s’agit du dossier d’appel de l’ordonnance de la juge Mactavish, à l’égard duquel 110 inscriptions figurent au système interne des cours.

[23]  Le demandeur a déposé son avis d’appel le 9 février 2016.

[24]  Le 22 février 2016, le juge de Montigny a rejeté la requête en dépôt présentée par le demandeur.

[25]  Le 19 avril 2016, le juge Stratas a refusé le dépôt du dossier d’appel du demandeur au motif de sa non-conformité aux Règles et de son caractère prématuré (il n’avait pas convenu de son contenu avec la défenderesse). Le même jour, le juge a rejeté la lettre et la requête présentées par le demandeur le 2 mars.

[26]  Le 29 avril 2016, le demandeur a déposé une requête en réexamen de l’ordonnance du 19 avril du juge Stratas. Le juge de Montigny a rejeté la requête le 17 mai 2016.

[27]  Le 20 mai 2016, le demandeur a déposé une lettre intitulée [traduction] « Demande de services projetés » ainsi qu’une « Demande de directive ». La juge Gleason a refusé le dépôt des documents au motif [traduction] « qu’ils contiennent de multiples requêtes qui, même si elles relèvent de la compétence de la Cour, ne peuvent pas être introduites par voie de lettre ».

[28]  Le 14 juin 2016, le demandeur a déposé une requête en recouvrement de frais judiciaires et extrajudiciaires engagés antérieurement relativement à deux actions intentées en Norvège et à une autre intentée en Allemagne, ainsi que de frais liés à ces trois actions qu’il a engagés en Belgique, au Canada, en Israël, en Allemagne, en France et en Norvège. Le 6 juillet 2016, le juge Stratas a refusé le dépôt du dossier de requête et ordonné le rejet de la requête.

[29]  Le 18 juillet 2016, le demandeur a sollicité un réexamen de cette ordonnance et de la directive. Le 17 août 2016, le juge Stratas a rejeté ces requêtes.

[30]  Le 25 juillet, le demandeur a déposé une requête dans laquelle il demandait le renvoi de l’instance à la chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec et d’autres réparations. Le 17 août 2016, le juge Stratas a rejeté la requête.

[31]  Le 19 septembre 2016, le juge Stratas a ordonné au demandeur de déposer un dossier d’appel en bonne et due forme dans un délai de 30 jours. Le 29 septembre 2016, le demandeur a déposé une requête en autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada, laquelle a été rejetée par le juge Boivin le 28 octobre 2016.

[32]  Le 4 novembre 2016, le demandeur a déposé une requête en autorisation de dépôt de son dossier d’appel. Le 30 novembre 2016, le juge Rennie a rejeté la requête. Le même jour, le juge a signifié aux parties un avis d’examen de l’état de l’instance.

[33]  Le 24 mars 2017, la Cour a rejeté le dossier au motif que les observations du demandeur n’avaient [traduction] « absolument pas répondu à l’avis d’examen de l’état de l’instance ». La juge Gauthier a constaté que [traduction] « l’instance devrait être rejetée en bloc pour la même raison puisque l’appelant n’a pas répondu à l’avis d’examen de l’état de l’instance; il a de ce fait empêché que l’action qu’il a lui-même intentée progresse, sans pour autant fournir d’échéancier quant aux mesures à prendre pour assurer un règlement expéditif ».

C.  Dossier T-1351-16

[34]  Le 15 juillet 2016, après la suspension de l’instance ordonnée par la juge St-Louis dans le dossier T-1532-15, le demandeur a déposé une déclaration désignant Sa Majesté la Reine, le ministère de la Justice, le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, le ministère de la Justice du Québec, le ministère des Relations internationales du Québec et le protonotaire Morneau à titre de défendeurs (le protonotaire n’est cependant pas identifié dans l’intitulé). Le demandeur réclamait notamment des dommages-intérêts de 7,53 milliards de dollars au protonotaire Morneau et à la « la Couronne fédérale ». Le 16 août 2016, le juge Roy a ordonné la suspension de l’instance. Voici un passage de son jugement [traduction] « Non seulement le demandeur semble vouloir contester indirectement le jugement et les ordonnances de la Cour à l’égard de l’instance, mais il fait des allégations incendiaires de conduite irrégulière de la Cour, de ses officiers, de son personnel et d’autres intervenants. Il s’agit là de caractéristiques tendant à confirmer que la poursuite est vexatoire. »

[35]  Le 10 novembre 2016, un avis conjoint de désistement a été déposé.

D.  Dossiers T-1393-16, T-1394-16 et T-1396-16

[36]  Le 19 août 2016, le demandeur a intenté trois autres actions désignant à titre de défendeurs Sa Majesté la Reine, Affaires mondiales Canada et le ministère de la Justice, ainsi que le ministère de la Justice et le ministère des Relations internationales du Québec dans le dossier T-1393-16. Le 19 août 2016, le protonotaire Morneau a ordonné la suspension des trois actions. Il a affirmé à leur égard : [traduction] « Ces actions constituent une transgression et une contestation indirectes et des ordonnances des 25 juillet et 16 août 2016 de notre Cour, et présentent des caractéristiques encore plus manifestes d’une poursuite vexatoire. »

[37]  Le 10 novembre 2016, un avis conjoint de désistement a été déposé.

E.  Dossier 16-A-27

[38]  Le 22 août 2016, le demandeur a déposé une requête en dépôt d’un nouvel avis d’appel et en prolongation du délai pour ce faire.

[39]  Le 20 septembre 2016, le juge Rennie a rejeté la requête, au motif que [traduction« l’alinéa 337d) des Règles exige que l’avis d’appel contienne un “énoncé complet et concis des motifs qui seront invoqués”. L’avis d’appel est redondant et présente une argumentation-fleuve ainsi que de multiples renvois aux éléments de preuve. »

[40]  Le 29 septembre 2016, le demandeur a déposé une requête en autorisation d’appel à la Cour suprême. Le 28 octobre 2016, le juge Boivin a rejeté la requête.

F.  Instances devant la Cour suprême du Canada, dossiers 37282 et 37283

[41]  Le 8 novembre 2016, le demandeur a saisi la Cour suprême d’une requête en autorisation d’appel des décisions rendues dans les dossiers A-53-16 et 16-A-27.

[42]  Dans le dossier 37282, le demandeur a présenté un document intitulé [traduction] « Déni de justice au Canada » dans lequel il explique que l’appel met en cause [traduction] « l’applicabilité du droit en matière de protection diplomatique qui est appliqué dans les tribunaux de juridiction canadienne par rapport aux traités internationaux ».

[43]  Dans le dossier 37283, l’appel met en cause le déni de justice, la protection diplomatique, la représentation par le Canada devant la Cour internationale de Justice, les obligations découlant des traités et [traduction] « le recours du Canada à des documents faux et falsifiés émanant d’États étrangers (Norvège et Allemagne) présumés authentiques » (caractères gras dans l’original).

[44]  Le 9 mars 2017, la Cour suprême a refusé les deux dossiers et les multiples demandes non officielles du demandeur à l’étape de l’autorisation.

III.  Questions en litige

1)  La Cour devrait-elle rendre une ordonnance contre le demandeur en application du paragraphe 40(1) de la Loi sur les Cours fédérales?

IV.  Discussion

[45]  Les critères permettant d’établir si une partie est un plaideur vexatoire sont définis dans la décision Wilson c Canada (Agence du revenu), 2006 CF 1535 :

[29]  Pour rendre une ordonnance aux termes de l’article 40, la Cour doit être convaincue que M. Wilson a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou a agi de façon vexatoire au cours de la présente instance et des instances connexes. J’ai conclu qu’il est approprié en l’espèce de prononcer pareille ordonnance parce que la conduite de M. Wilson au cours du litige a été vexatoire de façon persistante et qu’elle a été qualifiée d’abus de procédure de la Cour à plusieurs reprises.

[30]  La jurisprudence a interprété le terme « vexatoire » comme étant de façon générale synonyme de la notion d’abus de procédure : voir Foy c Foy (1979), 102 D.L.R. (3d) 342 (C.A. Ont.). Il n’est donc pas surprenant que l’une des caractéristiques notables d’un plaideur vexatoire soit sa propension à la remise en cause d’affaires qui ont déjà été tranchées en sa défaveur : Vojic c Canada (Ministre du Revenu national), [1992] ACF no 902 1re inst.)

[31]  Parmi les autres indices de comportement vexatoire, on trouve l’introduction d’actions ou de requêtes frivoles, la formulation d’allégations non fondées reprochant à la partie adverse, aux avocats ou à la Cour d’avoir posé des actes irréguliers, le refus ou l’omission de se conformer aux règles ou aux ordonnances de la Cour, l’emploi d’un langage scandaleux dans les actes de procédure ou devant la Cour, l’omission ou le refus de payer les dépens adjugés dans les instances antérieures et l’omission d’intenter des poursuites en temps opportun : Vojic, précitée; Canada c Warriner (1993), 70 F.T.R. 8, [1993] ACF no 1007; Canada c Olympia Interiors Ltd., [2001] A.C.F. no 1224, 2001 CFPI 859; Mascan Corp. c French (1988), 49 D.L.R. (4th) 434, 64 O.R. (2d) 1 (C.A. Ont.); Foy, précité; Société canadienne des postes c Varma (2000), 192 F.T.R. 278, [2000] ACF no 851; Nelson c Canada (Ministre de l’Agence des douanes et du revenu), [2002] ACF no 97, 2002 CFPI 77.

[46]  Dans la décision Holmes c Canada, 2016 CF 918, au paragraphe 12, la Cour précise qu’il n’est pas nécessaire que tous les critères soient présents pour qu’une personne soit déclarée plaideur vexatoire. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait mauvaise foi pour qu’une ordonnance soit prise en application du paragraphe 40(1) (Lavigne c Pare, 2015 CF 631, au paragraphe 14, conf. par 2016 CAF 153).

[47]  Je suis convaincue que le demandeur répond aux critères faisant de lui un plaideur vexatoire, pour les motifs suivants :

1)  Introduction d’instances frivoles

[48]  Il est tout à fait évident que le demandeur a présenté des requêtes frivoles que les tribunaux n’auraient pas le choix de rejeter. Les juges de notre Cour ont à maintes reprises souligné la nature frivole ou vexatoire des instances introduites. Le 16 août 2016, dans le dossier T-1351-16, le juge Roy a rendu une ordonnance soulignant les indices du caractère vexatoire de la requête du demandeur. Le protonotaire Morneau est parvenu à la même conclusion le 19 août 2016.

[49]  Plusieurs requêtes du demandeur ont été rejetées parce qu’elles ont été déposées par voie de lettre et que la Cour, dans l’hypothèse où elle en aurait eu la compétence, ne pouvait pas accorder les réparations réclamées. Le demandeur ne semble pas avoir appris de ses erreurs. Il a en effet déposé une nouvelle lettre, concurremment à son dossier de réponse pour la présente requête, dans laquelle il réclame diverses mesures de réparation, et notamment le report de l’instruction de la présente requête et la radiation de la requête de la défenderesse.

[50]  Le demandeur a de plus sollicité des réparations qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour (par exemple, le renvoi de dossiers à la chambre criminelle de la Cour du Québec).

[51]  Pour la plupart, les arguments du demandeur sont infondés, y compris ceux qu’il a avancés dans le cadre de la présente requête. Certes, il invoque des concepts de droit tels la compétence et les agissements, mais il ne semble guère en comprendre le sens et l’application.

[52]  La demande sous-jacente de contrôle judiciaire, tout aussi frivole, repose sur des allégations scandaleuses contre des gouvernements étrangers. Le demandeur sollicite une réparation qui n’est pas du ressort de la Cour. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

2)  Allégations d’actes irréguliers infondées contre la partie opposée, les avocats et la Cour

[53]  Le demandeur a formulé des allégations de cette nature contre le protonotaire Morneau, le personnel du greffe et l’avocate de la défenderesse. Plus particulièrement, il reproche à la défenderesse de s’être prêtée à des actes de fraude et d’intimidation, et d’avoir fait de fausses déclarations. Il impute à l’avocate de la défenderesse des actes de falsification, de parjure, d’entrave à la justice, d’abus de confiance et de corruption. Il accuse Affaires mondiales Canada d’actes criminels et d’entrave à la justice. Il qualifie de [traduction] « clandestines » les communications entre l’avocate de la défenderesse et le greffe.

[54]  D’autres allégations scandaleuses visent le protonotaire Morneau, qu’il taxe d’entrave à la justice, d’actes criminels et d’avoir agi dans [traduction] « l’intention frauduleuse de lui infliger des préjudices permanents irréparables ». Il a réclamé par conséquent des dommages-intérêts de 7,53 milliards de dollars au protonotaire Morneau et à la Couronne fédérale. Il a aussi demandé le renvoi de l’instance à la Cour du Québec afin qu’il puisse exercer des recours criminels à l’encontre des parties visées par ses accusations.

[55]  Des allégations analogues sont portées contre les gouvernements de la Norvège et de l’Allemagne, qu’il a également accusés d’entrave à la justice. Selon lui, le ministère du Travail de la Norvège [traduction] « a ordonné à toutes les agences internes de produire des documents falsifiés et de ne participer à aucune enquête portant sur les empoisonnements chimiques à l’Université de Bergen ».

[56]  Le demandeur a fait valoir par ailleurs que l’Université de Leipzig avait falsifié des documents et manipulé les procédures, et que la falsification de documents par les tribunaux allemands avait mis fin à son action. Apparemment, 50 avocats auraient refusé de le représenter en Allemagne [traduction] « par crainte de mettre au jour le national-socialisme et le racisme au sein de l’Université de Leipzig ».

[57]  Il a réclamé le remplacement du protonotaire Morneau, qui selon lui ne connaît rien au droit international, et il a adressé des remarques du même ordre à l’égard de la juge St-Louis, chargée de la gestion de l’instance.

3)  Refus ou omission de se conformer aux règles ou aux ordonnances de la Cour

[58]  Le dépôt d’un nombre considérable de documents a été refusé au demandeur en raison de leur non-conformité aux règles relatives à la forme ou à la signification. Apparemment, les ordonnances de la Cour n’ont aucune prise sur le demandeur puisqu’il continue de soumettre au greffe des dossiers et des lettres non conformes. Il a tenté d’introduire des requêtes en radiation dans des documents de réponse. Il a essayé de présenter ses revendications dans des lettres au lieu de le faire par la voie de requête. Il a aussi cherché à obtenir un jugement par défaut contre la défenderesse aux termes de l’article 210 des Règles, même si cette disposition ne s’applique pas aux contrôles judiciaires. Il a signifié des copies incomplètes de ses actes de procédure, ou tenté de déposer des actes de procédure avant de les avoir signifiés à la défenderesse.

4)  Omission ou refus de payer les dépens d’instances précédentes

[59]  En ce qui concerne les dépens, le demandeur n’a pris aucune mesure pour régler le montant de 350 $ précédemment ordonné par la juge St-Louis. La Cour ne peut pas non plus ignorer les coûts considérables que ses nombreuses instances frivoles et interminables ont entraînés pour la défenderesse.

5)  Refus d’intenter des poursuites en temps opportun

[60]  Dans la présente instance, le demandeur devait déposer son dossier en février 2016. Comme il ne l’avait pas déposé en juillet 2016, la juge St-Louis a suspendu l’instance. Dans le dernier jugement afférent au dossier A-53-15, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel du demandeur au motif qu’il avait empêché l’action de progresser. La Cour suprême a refusé ses demandes de prolongation de délais.

6)  Remise en cause de questions déjà tranchées

[61]  Le demandeur a saisi la justice de nombreuses questions déjà tranchées. En fait, il semble répéter les mêmes arguments incohérents dans toutes ses requêtes, sans chercher à mettre en relief les éléments pertinents à chacune. Le demandeur a aussi interjeté d’innombrables appels infructueux. Selon toute vraisemblance, il introduit des instances sans avoir d’objectif précis en tête et il n’arrive pas à circonscrire les aspects pertinents à chacune des étapes. Il se borne à réitérer ses arguments, comme si la procédure reprenait du début, au lieu de se centrer sur les questions à débattre. Comme le constate la juge Layden-Stevenson au paragraphe 77 de la décision Canada c Mennes, 2004 CF à 1731, ce qui précède est souvent définitoire d’une procédure vexatoire.

V.  Conclusion

[62]  Pour ces motifs, je conclus que le demandeur répond à de nombreux critères définitoires du plaideur vexatoire et qu’il continuera de saisir la Cour d’instances vexatoires et infondées si une ordonnance prise en application de l’article 40 des Règles ne l’en empêche pas. La requête soumise en application de l’article 40 de la Loi sur les Cours fédérales en vue de faire déclarer le demandeur plaideur vexatoire est accordée.

[63]  La défenderesse me demande en outre d’exercer le pouvoir discrétionnaire que me confère le paragraphe 221(1) des Règles, ainsi que les pouvoirs inhérents de la Cour pour rejeter toutes les instances déjà introduites par le demandeur qui sont en suspens devant la Cour. Au vu des circonstances, j’estime indiqué d’acquiescer à cette demande.

[64]  Ayant obtenu gain de cause, la défenderesse a droit aux dépens de la présente requête. Conformément au mémoire de frais déposé par la défenderesse, le montant des dépens est fixé à 2 000 $ et il est payable immédiatement.


ORDONNANCE

LA COUR DÉCLARE le demandeur plaideur vexatoire.

LA COUR ORDONNE également ce qui suit :

  1. Le demandeur ne pourra introduire aucune autre instance sans l’autorisation préalable de la Cour.

  2. Le greffe ne pourra autoriser le dépôt d’aucune autre instance sans l’autorisation préalable de la Cour.

  3. La présente instance introduite par le demandeur est rejetée au motif qu’elle est vexatoire et constitue un abus de procédure, sans possibilité de modification.

  4. Les dépens sont fixés à 2 000 $ et ils sont payables immédiatement à la défenderesse.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1532-15

 

INTITULÉ :

VOLODYMYR HRABOVSKYY c SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 avril 2017

 

MOTIFS ET ORDONNANCE :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Volodymyr Hrabovskyy

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Erin Morgan

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

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