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Date : 20170508


Dossier : T-655-15

Référence : 2017 CF 465

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2017

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

ATLANTIC CONTAINER LINES AB

demanderesse

et

CERESCORP COMPANY

défenderesse

et

APM TERMINAL GOTHENBURG AB

mise en cause

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                    Aperçu

[1]               La demanderesse, Atlantic Container Lines AB (« ACL »), exploitait le cargo porte‑conteneurs « HS Beethoven » en application d’un contrat d’affrètement à temps. Alors que le bateau se faisait décharger à Halifax par la défenderesse, Cerescorp Company (« Ceres »), une pile de huit conteneurs de 20 pieds a basculé vers la cale de chargement numéro 4 du navire, causant des dommages au navire et au chargement. ACL a intenté le présent recours contre Ceres afin d’obtenir une réparation pour les dommages causés et plaide que la chute des conteneurs est due à l’utilisation négligente de la grue par Ceres pendant les opérations de déchargement. Plus précisément, ACL allègue que les nombreuses tentatives infructueuses du grutier pour fixer le cadre de préhension mécanique sur le conteneur supérieur de la pile ont causé l’effondrement de la cargaison.

[2]               Ceres a d’emblée contesté la demande d’ACL en affirmant que l’effondrement a été causé, du moins en partie, par le mauvais alignement longitudinal des conteneurs au bas de la cargaison, ce qui a entraîné un mauvais alignement vertical des conteneurs empilés au-dessus. Ceres plaidait initialement en défense que le mauvais alignement avait uniquement été causé par la négligence de la responsable du chargement des conteneurs au port de chargement à Gothenburg, en Suède, soit la compagnie de manutention APM Terminal Gothenburg AB (« APM »). Ceres a par la suite ajouté la compagnie comme partie défenderesse mise en cause.

[3]               Ceres dépose maintenant la présente requête visant à modifier sa défense et sa demande reconventionnelle afin de soulever une nouvelle cause alléguée du mauvais alignement des conteneurs, soit [traduction] « l’organisation intrinsèquement dangereuse et ne respectant pas les normes des glissières cellulaires verticales de la cloison et des barres d’espacement du plafond de ballast de la cale de chargement 4 ». Ces modifications proposées allèguent qu’ACL a été négligente en ne décelant pas ce défaut, en ne prenant pas les précautions nécessaires pour éviter le mauvais alignement et en omettant d’aviser Ceres du danger.

[4]               Les modifications proposées ajoutent également comme cause de l’effondrement que le chargement d’une pile verticale de huit conteneurs de 20 pieds va à l’encontre des pratiques de l’industrie et que cette action a créé, en plus de mauvais alignement des conteneurs et de façon autonome, une condition intrinsèquement instable et dangereuse dont ACL est responsable.

[5]               ACL ne conteste pas que le fait de plaider que l’effondrement des conteneurs a été causé par un état intrinsèquement dangereux du navire ou par la méthode de chargement et que l’affréteur connaissait ou aurait dû connaître cette condition mais a omis d’en aviser le débardeur constitue une défense raisonnable.

[6]               ACL conteste toutefois les modifications pour les motifs suivants :

              Les modifications divergent radicalement des actes de procédure antérieurs;

              Les allégations ne sont soutenues par aucun élément de preuve et sont vouées à l’échec;

              Les modifications sont tardives;

              Les modifications sont préjudiciables puisque la preuve a été perdue et que les recours d’ACL contre l’armateur sont possiblement prescrits.

[7]               Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accepter les modifications proposées, à la condition que les détails sur la façon dont les glissières cellulaires verticales de la cloison et les barres d’espacement du plafond de ballast n’étaient « pas conformes aux normes et intrinsèquement dangereuses » soient fournis.

II.                 Divergence radicale

[8]               En application de l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, il est possible de radier un acte de procédure lorsqu’il diverge d’un acte de procédure antérieur. Les modifications qui pourraient être radiées en vertu de l’article 221 des Règles des Cours fédérales si elles faisaient déjà partie des actes de procédure ne devraient pas être permises (Pembina County Water Resource District c. Manitoba, 2008 CF 1390).

[9]                Je ne suis pas convaincue que les modifications proposées constituent une divergence radicale des actes de procédures initiaux de Ceres. Comme il a été mentionné, dès le départ, la position de Ceres était que l’effondrement a été causé par un mauvais alignement des conteneurs. Les modifications proposées ne reviennent pas sur cette allégation ni ne s’en écartent. Elles ajoutent plutôt que le mauvais alignement n’était pas « uniquement » causé par la négligence des personnes responsables de charger les conteneurs, mais qu’il était également causé par l’organisation des glissières cellulaires verticales de la cloison. À l’audience, l’avocat de Ceres a expliqué que les glissières cellulaires, qui sont en fait des rails de métal fixés sur les côtés de la cale visant à guider les conteneurs et à s’assurer qu’ils demeurent alignés pendant leur descente dans la cale, ne vont pas jusqu’au fond de la cale de chargement visée en l’espèce. Cette situation aurait pu, selon ce qu’il allègue, permettre aux conteneurs de se déplacer latéralement aux derniers moments de leur descente dans la cale. Ces mouvements latéraux auraient fait en sorte que le côté d’un conteneur reposait en angle sur les barres d’espacement horizontales fixées au fond de la cale de chargement (le plafond de ballast), entraînant un mauvais alignement vertical pour tous les conteneurs se trouvant au-dessus.

[10]           Les modifications ajoutent aussi l’allégation selon laquelle un empilement vertical de huit conteneurs de 20 pieds est intrinsèquement instable et dangereux, qu’il y ait ou non un mauvais alignement.

[11]           Ces faits supplémentaires ne sont pas en soi contradictoires aux faits soulevés par le passé ni ne sont mutuellement exclusifs. Ils sont cohérents et complémentaires aux actes de procédure initiaux de Ceres, qui a désigné le mauvais alignement et le chargement inadéquat des conteneurs comme étant des facteurs contributifs aux dommages.

[12]           La seule perspective à partir de laquelle les modifications proposées pourraient être perçues comme s’éloignant des actes de procédure antérieurs est qu’elles soulèvent la possibilité qu’une autre personne, soit l’armateur, soit responsable de l’effondrement. Les actes de procédure initiaux, qui faisaient uniquement valoir que le mauvais alignement découlait de la négligence des personnes ayant chargé les conteneurs, pointaient uniquement du doigt la négligence contributive des débardeurs de chargement et d’ACL. Du point de vue d’ACL, les modifications proposées, qui affirment que les anomalies structurales du navire constituent une cause contributive du mauvais alignement, changent cette dynamique en soulevant la possible responsabilité de l’armateur à l’égard d’ACL.

[13]           Les conséquences juridiques pour ACL pourraient être importantes si ces modifications étaient autorisées et obtenaient gain de cause, puisque cela ferait intervenir la responsabilité de l’armateur à l’égard d’ACL. Toutefois, les faits allégués dans ces modifications ne divergent pas des actes de procédure initiaux de Ceres et ne vont donc pas à l’encontre de l’alinéa 221(1)e) des Règles. La question des conséquences juridiques qu’aurait l’autorisation des modifications proposées pour ACL sera examinée de façon plus à propos dans l’analyse du préjudice.

III.               Modifications vouées à l’échec et insuffisance de la preuve

[14]           ACL soutient que les modifications proposées ne précisent pas suffisamment en quoi l’organisation des glissières cellulaires verticales et des barres d’espacement du plafond de ballast n’était pas conforme aux normes et était intrinsèquement dangereuse, ce avec quoi je suis d’accord. Ceci dit, je ne suis pas convaincue que les allégations, telles qu’elles sont proposées, constituent en l’espèce de simples affirmations d’une conclusion ou qu’elles indiquent une défense frivole, puisqu’il n’y a pas absence de tout fait substantiel ou de chance raisonnable de gain de cause. L’avocat de Ceres a fait valoir lors de l’audience une explication convaincante de la façon dont la discontinuité des glissières cellulaires, qui est bien visible sur les photographies prises au moment de la perte, pourrait avoir contribué au mauvais alignement longitudinal et vertical allégué. Je suis par conséquent convaincue que Ceres a connaissance des détails qui, s’ils sont fournis, définiront et encadreront adéquatement sa défense.

[15]           Toutefois, tel qu’il est actuellement formulé, l’acte de procédure est si vague qu’il pourrait viser toute une gamme d’autres défauts, la nature des défauts allégués des barres d’espacements du plafond de ballast n’ayant pas non plus encore été expliquée. ACL est en droit de connaître et de comprendre la pleine portée de ces modifications, si elles sont autorisées. En l’espèce, le manque de précision ne constitue toutefois pas un motif pour refuser les modifications, mais est suffisant pour imposer, comme condition à l’acceptation des modifications, l’obligation pour Ceres de fournir ces détails.

[16]           ACL a invoqué les transcriptions des interrogatoires et la preuve documentaire dans une tentative pour démontrer que les modifications proposées n’ont pas de chance raisonnable d’obtenir gain de cause. Il n’appartient cependant pas à la Cour, dans le cadre d’une requête en modification, de soupeser la preuve contradictoire présentée par les parties afin d’établir la valeur et les chances de succès des modifications proposées. Dans l’arrêt Teva Canada Limitée c. Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176, sur lequel ACL se fonde, la Cour déclare que la proposition de modification peut être rejetée au motif qu’elle ne possède aucune chance réaliste de succès ou qu’elle est vouée à l’échec, lorsque la partie demandant la modification ne peut démontrer l’existence de quelque preuve que ce soit qui, si elle était crue, soutiendrait la conclusion demandée. Comme il a été mentionné, Ceres a satisfait ce seuil minimal en démontrant qu’on peut observer la discontinuité des glissières cellulaires sur les photos prises au moment de la perte et en présentant un argumentaire convaincant sur la façon dont cette discontinuité aurait pu causer un mauvais alignement. Il est possible qu’ACL puisse présenter une défense convaincante à ces allégations, mais les requêtes en modifications ne constituent pas des requêtes en jugement sommaire. Ceres n’avait pas, après avoir établi l’existence d’éléments de preuve crédibles au soutien de ses modifications, à réfuter la preuve contraire d’ACL ou à présenter ses meilleurs arguments pour démontrer qu’elle pourrait avoir gain de cause au procès.

IV.              Tardiveté

[17]           ACL affirme que Ceres aurait pu présenter plus tôt les allégations qu’elle souhaite à présent ajouter à sa défense. Je suis d’accord. Toutefois, le seul fait que des modifications auraient pu être apportées plus tôt ne les rend pas tardives et ne constitue pas un motif pour les rejeter.

[18]           Des modifications sont tardives et peuvent être rejetées lorsque le fait de les accorder retarderait indûment le déroulement d’un recours. En l’espèce, les modifications ont été proposées peu de temps après les interrogatoires préalables et avant que des rapports d’experts soient rédigés et qu’une date de procès ait été demandée. Les modifications, si elles sont autorisées, nécessiteront la modification des actes de procédure des autres parties et exigeront peut-être la tenue de nouveaux interrogatoires préalables, mais il n’y a pas d’indices pour l’instant que ces interrogatoires prolongeraient les procédures ou causeraient des retards importants pour la tenue du procès dans la présente affaire. Je suis d’avis que les retards qui pourraient être causés par ces modifications ne seraient pas injustifiés.

V.                 Préjudice : perte de preuve

[19]           Comme l’ont reconnu de nombreuses décisions, des modifications peuvent être refusées si le fait de les accorder causait un préjudice à l’autre partie ne pouvant être compensé par l’adjudication des dépens. ACL soutient qu’elle subira un tel préjudice du fait que la preuve pertinente à ces modifications est désormais perdue. En effet, le navire a été vendu l’an dernier et est à présent détruit, de même que les documents et systèmes informatiques qu’il comprenait. Par ailleurs, ACL est incapable de retrouver le commandant du navire. Des situations comme celle-ci ont mené la Cour à conclure que les modifications causeraient un préjudice si grave à l’autre partie qu’elles devraient être refusées (Macneil v. The Queen, 2001 CFPI 470).

[20]           Il me semble toutefois que lorsque la perte de preuve est fortuite et que les modifications ont été proposées sans retards injustifiés, l’analyse de la Cour ne devrait pas s’arrêter uniquement au préjudice causé à l’autre partie. Dans son examen des modifications, la Cour doit tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire, de la simple équité, du bon sens et de l’intérêt prépondérant de la justice (Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1993] A.C.I. no 18, (1993) DTC 298, à la page 302, cité dans Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 RCF 459, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 30193, 6 mai 2004).

[21]            Il serait injuste de refuser une modification qui n’est pas tardive et soulève une cause défendable simplement parce que de la preuve qui aurait pu aider les deux parties a été perdue de façon inattendue, sans faute de la part de la partie demandant la modification. Dans un tel cas, il est approprié d’évaluer si la partie opposée aurait pu ou aurait sauvegardé la preuve si les modifications avaient été faites plus tôt. Si la Cour conclut que la preuve aurait été néanmoins perdue, il serait injuste que la partie contestant la modification bénéficie – et par conséquent que la partie demandant la modification souffre – de la perte fortuite de la preuve.

[22]           L’incident s’est déroulé en décembre 2013 et ACL a déposé sa demande introductive d’instance en avril 2015, soit 16 mois plus tard. Les procédures ont été liées en novembre 2015 et les interrogatoires préalables ont eu lieu au cours de l’été 2016, ce qui constitue une période relativement courte. Dès l’été 2015, APM a demandé à avoir accès au navire pour y effectuer une inspection de la cale de chargement 4. Le protocole d’inspection comprenait la mesure des glissières cellulaires verticales et longitudinales. Il a été prévu que l’inspection se tiendrait en mars 2016; elle n’a toutefois pu avoir lieu en entier puisque des conteneurs se trouvaient dans la cale. APM a réservé son droit de demander une nouvelle inspection lorsque le navire serait vide.

[23]           En octobre 2016, en répondant à des engagements pris lors de l’interrogatoire préalable, ACL a avisé les autres parties qu’elle venait tout juste d’apprendre que le navire avait été vendu et qu’il devait être démantelé. En fait, il semble à présent que le navire était déjà dans un parc à ferrailles en septembre 2016 et qu’il était possiblement déjà en processus d’être détruit. Je suis convaincue que la perte du navire et de tous les documents ou fichiers informatiques qui n’avaient pas déjà été sauvegardés ou copiés et qui auraient été laissés à bord constitue un événement fortuit et inattendu. Aucune des parties ne semble avoir été avertie de ce possible dénouement et il n’est pas allégué que l’âge et l’état du navire rendaient cet événement prévisible.

[24]           Toutefois, je suis d’avis qu’ACL savait ou aurait dû savoir, bien avant que Ceres fasse part de façon formelle de son intention de modifier sa défense, que le contenu trouvé dans l’ordinateur du navire et ses documents ainsi que la disposition physique des glissières cellulaires de la cale de chargement numéro 4 étaient pertinents. Le dossier qui m’est présenté dans le cadre de la présente requête montre que les engagements nécessitant la consultation des documents et des renseignements retrouvés sur l’ordinateur à bord du navire n’avaient pas encore été remplis en octobre 2016. Pendant l’interrogatoire préalable, Ceres a tenté de savoir s’il était possible que le navire avait donné sur la bande, possiblement pour plaider qu’en l’absence de glissières cellulaires au fond de la cale, cette inclinaison aurait permis aux conteneurs de se déplacer de l’alignement vertical du navire. Des demandes d’inspection des glissières cellulaires ont été présentées, mais n’ont pas été achevées. ACL connaissait bien ou aurait dû connaître, en faisant preuve de diligence raisonnable, l’importance du navire, des documents qu’il contenait et de son ordinateur pour cette partie de l’interrogatoire préalable. Cette conclusion est corroborée par une lettre adressée au juge chargé de la gestion de l’instance en août 2016 par l’avocat d’ACL, dans laquelle il affirme au nom de toutes les parties :

Que les parties ont discuté et reconnaissent qu’il est possible que de la nouvelle preuve ressorte des interrogatoires préalables à venir, que les réponses aux engagements pris dans le cadre d’interrogatoires préalables antérieurs pourraient démontrer la nécessité d’ajouter l’armateur comme partie au litige et qu’il sera peut-être nécessaire de présenter des requêtes à la Cour pour justifier cet ajout.

[25]           Avant le mois d’août 2016, ACL avait la possibilité de sauvegarder la preuve et les renseignements nécessaires à la protection de ses droits et intérêts, ce qu’elle aurait dû faire. Je ne sous-entends pas ici qu’ACL a permis de façon délibérée que la preuve soit détruite, mais plutôt qu’en omettant d’entreprendre les démarches nécessaires pour sauvegarder la preuve qui était sous la possession, les soins et le contrôle de l’armateur alors qu’elle savait ou aurait dû savoir que cette preuve pouvait être pertinente au litige actuel et aux recours potentiels entrepris contre l’armateur, ACL a démontré qu’elle n’aurait pas agi différemment ou pris des mesures supplémentaires pour se prémunir de la perte de la preuve contenue sur le navire si Ceres avait présenté ses modifications plus tôt.

[26]           Il en va de même pour l’incapacité d’ACL à retrouver le commandant du navire. En outre, le dossier devant moi n’indique pas à quel moment ce témoin a cessé d’être à l’emploi de l’agence de recrutement responsable de sa présence sur le navire en 2013 ni pendant combien de temps après la fin de son emploi l’agence de recrutement aurait conservé ses coordonnées. Il est possible que l’accès à ce témoin soit perdu avant même qu’ACL entreprenne le présent recours.

[27]           Je conclus donc sur la question du préjudice subi par ACL en raison de la perte fortuite du navire, de la preuve qui était à son bord et du témoin à l’égard de sa capacité à répondre aux nouvelles allégations proposées qu’il est probable qu’elle aurait tout de même subi ce préjudice si les allégations proposées par Ceres s’étaient trouvées dans sa défense initiale. Je dois ajouter que le dossier devant moi suggère en effet qu’il est probable que de la preuve pertinente aux questions soulevées dans les actes de procédures proposés ait été perdue avec la destruction du bateau, mais qu’il ne démontre pas si cette perte de preuve aurait un plus grand impact sur la capacité d’ACL à se défendre ou sur la capacité de Ceres et d’APM à faire valoir leurs arguments.

[28]           Dans les circonstances, je conclus que le fait de permettre les modifications proposées n’entraîne pas une injustice pour ACL.

VI.              Préjudice : perte d’un recours

[29]           ACL plaide que si Ceres avait soulevé l’organisation non conforme aux normes et intrinsèquement dangereuse des glissières cellulaires dans sa défense initiale, elle aurait pu à ce moment demander réparation à l’armateur, mais que ce recours pourrait à présent être prescrit.

[30]           ACL a décidé de ne pas mettre l’armateur en cause ou de présenter de demande contre celui-ci, même si elle savait qu’APM et Ceres enquêtaient sur la disposition des glissières cellulaires et sur leur rôle dans l’incident. La lettre d’août 2016 précitée adressée à la Cour par l’avocat d’ACL démontre bien qu’ACL savait à ce moment qu’il était toujours possible que l’armateur soit impliqué dans le litige. Je ne suis pas persuadée que la conduite adoptée par ACL, qui a omis de protéger ses droits potentiels à l’égard de l’armateur, découle de la position prise par Ceres et je ne suis pas non plus convaincue qu’elle aurait agi différemment si Ceres avait proposé ses modifications plus tôt.

[31]           En effet, il n’est pas clair qu’ACL dispose d’un recours valable à l’égard de l’armateur en fonction des nouvelles allégations de Ceres. Les modifications proposées par Ceres suggèrent qu’ACL devrait être tenue responsable de négligence contributive puisqu’elle savait ou aurait dû savoir que le navire n’était pas conforme aux normes ou que sa configuration était dangereuse. La nature apparente de la configuration prétendument fautive du navire ainsi que la connaissance et l’acceptation de cette situation par ACL constituent des éléments essentiels à la réussite de la défense de Ceres et pourraient être fatales à toute réclamation qu’ACL pourrait avoir à l’égard de l’armateur. En effet, Ceres peut difficilement faire valoir qu’ACL ait été négligente à l’égard de la configuration fautive du navire si celle-ci n’en avait pas connaissance ou ne pouvait en avoir connaissance; parallèlement, ACL peut difficilement alléguer que l’armateur devrait la dédommager de la configuration fautive du navire si elle a accepté la responsabilité du navire alors que le défaut était ou aurait dû être apparent. Cette situation, et non le défaut de Ceres d’alléguer plus tôt la configuration fautive, peut bien expliquer pourquoi ACL n’a pas jugé bon de mettre l’armateur en cause plus tôt. Quoi qu’il en soit, ACL n’a pas produit de preuve suggérant que sa décision de ne pas sauvegarder les droits qu’elle aurait pu avoir à l’égard de l’armateur résulte du défaut de Ceres de soulever formellement cette question dans ses actes de procédure.

[32]           Enfin, tant dans les documents qu’elle a présentés que dans sa plaidoirie dans le cadre de la présente requête, ACL n’a démontré qu’un recours qu’elle aurait pu avoir contre l’armateur était désormais prescrit; elle a plutôt préféré circonscrire ses observations à l’argument selon lequel il était « possible » que ses recours soient prescrits.

[33]           Dans les circonstances, je ne suis pas convaincue que le défaut de Ceres de soulever la configuration des glissières cellulaires comme fondement d’une négligence contributive a forcé ACL à renoncer à mettre l’armateur en cause ou à déposer un recours à son encontre ni qu’il est à présent difficile ou impossible de le faire.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.                  La requête de Cerescorp Company est accueillie.

2.                  Cerescorp Company est autorisée à signifier et à déposer, dans les 15 jours de la présente ordonnance, une défense modifiée et une demande reconventionnelle conforme à l’ébauche jointe à son dossier de requête, dans la mesure où elle y inclut les détails sur la façon dont les glissières cellulaires verticales de la cloison et les barres d’espacement du plafond de ballast n’étaient pas conformes aux normes et étaient intrinsèquement dangereuses.

3.                  Les dépens de cette requête sont payables par Atlantic Container Lines à Cerescorp Company quelle que soit l’issue de la cause; les droits d’Atlantic Container Lines à demander les dépens encourus par ces modifications sont toutefois réservés.

« Mireille Tabib »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-655-15

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ATLANTIC CONTAINER LINES AB c. CERESCORP COMPANY ET APM TERMINAL GOTHENBURG AB

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 avril 2017

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

ERIC MACHUM

KYLE EREAUX

 

Pour la demanderesse

ATLANTIC CONTAINER LINES AB

 

WILLIAM MOREIRA

 

Pour la défenderesse

CERESCORP COMPANY

 

MATTHEW WILLIAMS

JOHN HEDLEY

 

Pour la mise en cause

APM TERMINAL GOTHENBURG AB

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

METCALF & COMPANY

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour la demanderesse

ATLANTIC CONTAINER LINES AB

 

STEWART MCKELVEY

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Pour la défenderesse

CERESCORP COMPANY

 

RITCH WILLIAMS & RICHARDS

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour la mise en cause

APM TERMINAL GOTHENBURG AB

 

 

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