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Date : 20170427


Dossier : T-1072-15

Référence : 2017 CF 414

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 avril 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

DALE KOHLENBERG

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales LRC, 1985, c F-7, Dale Kohlenberg (le demandeur) demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue au troisième palier d’un processus de grief le 10 décembre 2014 et le 2 juin 2015, concernant la description de travail attribuée au demandeur confirmant que sa description de travail est exacte. Le demandeur, lui-même avocat au ministère de la Justice, a plaidé sa propre cause devant la Cour.

II.  Exposé des faits

[2]  Le demandeur est un avocat au ministère de la Justice Canada (JC). Dans le cadre d’un exercice de reclassification de tous ses avocats du groupe professionnel LA, JC a distribué de nouvelles descriptions de travail génériques aux employés de ce groupe. Par conséquent, à la suite de cette reclassification, le demandeur a reçu au mois de novembre 2011, une description de travail de conseiller juridique – régions – LA-2A. Cette description de travail générique ne pouvait pas être modifiée; toutefois, avec l’accord du gestionnaire, elle pouvait être remplacée par une autre description de travail générique.

[3]  JC invitait ceux qui n’étaient pas d’accord avec la description de travail (ou la classification) attribuée en 2011 d’en parler aux gestionnaires. Le demandeur, qui faisait partie de ce groupe, a demandé qu’une description de travail et une classification qu’il croyait plus appropriée lui soient attribuées. À la suite de sa demande, il a rencontré deux avocats principaux du groupe de gestion de JC : Daryl Schatz (M. Schatz) et Michael Brannen (M. Brannen). M. Schatz est le directeur régional du portefeuille du droit des affaires et droit réglementaire. M. Brannen est le directeur régional adjoint du bureau de Saskatoon dans la région des Prairies. La réunion concernant la description de travail a eu lieu au mois de décembre 2011.

[4]  Environ six mois plus tard, le demandeur a reçu une description de travail révisée et modifiée (la description de travail). La description de travail, en date du 18 juin 2012, informait le demandeur que sa [traduction] « description de travail a été révisée et modifiée et confirmée au niveau et au groupe professionnel LAAAA02 [sic] en vigueur le 17 octobre 2011 ». Cela confirmait la classification du poste du demandeur au niveau LA-2A.

[5]  Le document de la description de travail avait été signé par l’équipe [traduction] « PRO OD&C Team, Ressources humaines, région des Prairies, ministère de la Justice Canada » à Edmonton en Alberta (région des Prairies). La description de travail était identique à celle attribuée au demandeur en novembre 2011 et la classification était au même niveau. Bien que les détails précis de la description de travail du demandeur lui ont été donnés dans deux documents distincts, notamment la description de travail LA-2A et le document de la description de travail révisée et modifiée, je me référerai dorénavant à la fois à ces deux documents comme étant la description de travail. Le demandeur avait déposé un grief sur la pertinence de la description de travail.

[6]  En application de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, LC 2003, c 22, article 2 (LRTSPF), le demandeur avait le droit de déposer deux griefs distincts : un grief contre la description de travail et un grief contre la classification. Le demandeur a déposé les deux griefs, toutefois, le grief de la classification reste en suspens jusqu’à la résolution du grief de la description de travail.

[7]  Le demandeur a déposé le grief contre la description de travail le 9 juillet 2012. Il y a déclaré que la description de travail ne décrivait pas exactement le travail qu’il fait ou auquel on s’attendait de lui. Il déclare qu’il existait trois descriptions de travail de niveau supérieur qui décrivaient son travail de manière plus exacte, dont deux au niveau LA-2B et une au niveau LA-3B.

[8]  Les différences entre ce qu’il a reçu et ce que le demandeur demande dans son grief de la description de travail sont matérielles; la description de travail qu’il demande offre à la fois un salaire et des droits à pension plus élevés.

[9]  Le demandeur était exclu des services de l’agent négociateur de JC, l’Association des juristes de justice (AJJ), parce qu’il avait fourni des conseils en matière de relations de travail à JC; il avait déjà occupé un poste de gestion à un niveau supérieur. Il était alors exclu aux termes de la convention collective entre l’AJJ et JC. Plus précisément, les questions pour lesquelles il a déposé des griefs étaient à l’époque du ressort de la convention collective entre l’AJJ et JC.

[10]  Cela dit, le demandeur avait droit à la même procédure de grief à trois paliers qui est accordée aux membres syndiqués de l’AJJ. Toutefois, s’il ne passe pas le troisième palier, le demandeur doit obtenir l’approbation et la représentation de l’AJJ pour renvoyer à l’arbitrage son grief devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (CRTEFP) : au paragraphe 209(2) de la LRTSPF.

[11]  Le grief du demandeur a été rejeté à tous les paliers. À la suite de la décision du troisième palier, pour suivre la formalité, il a renvoyé son grief à la CRTEFP pour procéder à son arbitrage, mais l’a fait sans l’approbation de l’AJJ. Par conséquent, la CRTEFP a refusé d’en accepter le ressort. Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision au troisième palier de son grief.

[12]  La question déterminante en l’espèce est celle de l’équité procédurale. Le demandeur prétend que l’équité procédurale ne lui a pas été accordée à chacun des trois paliers de la procédure de grief. Je vais donc présenter d’abord les éléments de droit qui gouvernent l’équité procédurale dans le contexte des griefs et des relations de travail, pour ensuite les appliquer aux faits présentés dans l’affaire en l’espèce.

[13]  Également en litige est la question de la norme de la décision raisonnable à l’égard de la décision, concernant la décision de l’agent du troisième palier, notamment la sous-ministre adjointe et dirigeante principale des Finances Marie-Josée Thivierge, qui a rejeté le grief du demandeur au troisième palier.

[14]  Dans le cadre de cette analyse, je vais examiner la norme de la décision raisonnable pour chacune des trois décisions. Toutefois, je dois noter que les fautes de procédures au deuxième et au troisième palier de la procédure de grief (les fautes du deuxième palier coulent dans le troisième) rendent la décision du troisième palier indéfendable dans le cadre d’un contrôle judiciaire; elle doit être annulée. Si la décision du troisième palier n’avait pas été défectueuse en application de l’équité procédurale (y compris les fautes de procédures du deuxième palier qui coulent dans le troisième), j’aurais pu confirmer que la décision du troisième palier était raisonnable.

III.  Normes de contrôle

[15]  Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43. Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

[16]  Notre Cour a accepté, et je suis d’accord, le fait que l’obligation d’équité procédurale qu’un employeur, comme JC, se doit d’accorder à la personne qui s’estime lésée, comme le demandeur, se situe au bas du continuum : Begin c Canada (Procureur général), 2009 CF 634, au paragraphe 9; Majdan c Canada (Procureur général), 2011 CF 146, au paragraphe 305 [Majdan]; Fischer c Canada (Procureur général), 2012 CF 720, au paragraphe 25; Tamborriello c Canada (Procureur général), 2014 CF 607, aux paragraphes 21 et 22; Chong c Canada (Procureur général) (1999), 170 DLR (4th) 641 (CAF), aux paragraphes 12 et 13; Gladman c Canada (Procureur général), 2016 CF 917, au paragraphe 32.

[17]  Néanmoins, comme nous le verrons ultérieurement, même si cette obligation se situe à la limite inférieure du continuum, elle ne cautionne pas une décision qui, au vu du contexte factuel, n’est pas fondamentalement équitable.

[18]  Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, aux paragraphes 57 et 62, la Cour suprême du Canada conclut qu’il est inutile de procéder à une analyse de la norme de la décision raisonnable si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Par rapport à ce lien, une décision au dernier palier d’une procédure de grief aux termes du paragraphe 208(1) de la LRTSPF est examinée selon la norme de la décision raisonnable : Girard c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2013 CF 489, au paragraphe 16; Tibilla c Canada (Procureur général), 2011 CF 163, aux paragraphes 17 et 18; Boucher c Canada (Procureur général), 2016 CF 546, au paragraphe 13.

[19]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[20]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable ne se veut pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.

IV.  Dispositions pertinentes

[21]  Au moment du dépôt de son grief au mois de juin 2012, le demandeur était un membre exclu aux termes de l’alinéa 59(1)c) de la LRTSPF et, par conséquent, n’était pas représenté par la convention collective des avocats syndiqués de JC. Il est établi en droit que ce statut de membre exclu a été confirmé en la matière par une ordonnance de la CRTEFP.

Postes de direction ou de confiance

Demande

Managerial or Confidential Positions

Application

59 (1) Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie, l’employeur peut présenter une demande à la Commission pour qu’elle déclare, par ordonnance, que l’un ou l’autre des postes visés par la demande d’accréditation est un poste de direction ou de confiance pour le motif qu’il correspond à l’un des postes suivants :

59 (1) After being notified of an application for certification made in accordance with this Part, the employer may apply to the Board for an order declaring that any position of an employee in the proposed bargaining unit is a managerial or confidential position on the grounds that

...

...

c) poste dont le titulaire dispense des avis sur les relations de travail, la dotation en personnel ou la classification;

(c) the occupant of the position provides advice on labour relations, staffing or classification;

...

...

[22]  Malgré le statut d’exclu, le demandeur avait toujours le droit de déposer un grief conformément à la procédure de grief de la LRTSPF, en tant que « fonctionnaire » :

Définitions

Definitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 (1) The following definitions apply in this Act.

...

...

fonctionnaire Sauf à la partie 2, personne employée dans la fonction publique, à l’exclusion de toute personne :

employee, except in Part 2, means a person employed in the public service, other than

...

...

i) occupant un poste de direction ou de confiance; ...

(i) a person who occupies a managerial or confidential position; or...

[soulignements ajoutés]

[emphasis added]

[23]  Aux termes de l’article 208 de la LRTSPF (dans la partie 2 de la Loi qui se rapporte aux griefs), un employé comme le demandeur a le droit de présenter un grief individuel dans des situations comme celle en l’espèce. Ceci n’est pas contesté.

[24]  Toutefois, en tant que fonctionnaire exclu qui n’est pas représenté par une convention collective, le demandeur ne pouvait pas accéder à l’arbitrage aux termes de la LRTSPF sans l’approbation de l’agent négociateur concerné; notamment en l’espèce, l’AJJ :

Renvoi d’un grief à l’arbitrage

Reference to Adjudication

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

209 (1) An employee may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

(b) a disciplinary action resulting in termination, demotion, suspension or financial penalty;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(c) in the case of an employee in the core public administration,

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(i) demotion or termination under paragraph 12(1)(d) of the Financial Administration Act for unsatisfactory performance or under paragraph 12(1)(e) of that Act for any other reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct, or

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

(ii) deployment under the Public Service Employment Act without the employee’s consent where consent is required; or

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

(d) in the case of an employee of a separate agency designated under subsection (3), demotion or termination for any reason that does not relate to a breach of discipline or misconduct.

Application de l’alinéa (1)a)

Application of paragraph (1)(a)

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

(2) Before referring an individual grievance related to matters referred to in paragraph (1)(a), the employee must obtain the approval of his or her bargaining agent to represent him or her in the adjudication proceedings.

[soulignements ajoutés]

[emphasis added]

[25]  Les décisions au dernier palier sont définitives et obligatoires dans le cas d’un grief individuel qui ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage aux termes de l’article 209 de la LRTSPF :

Décision définitive et obligatoire

Binding Effect

214 Sauf dans le cas du grief individuel qui peut être renvoyé à l’arbitrage au titre de l’article 209, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est définitive et obligatoire et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l’égard du grief en cause.

214 If an individual grievance has been presented up to and including the final level in the grievance process and it is not one that under section 209 may be referred to adjudication, the decision on the grievance taken at the final level in the grievance process is final and binding for all purposes of this Act and no further action under this Act may be taken on it.

[26]  Un grief contre la description de travail suit la norme établie pour la procédure de grief des relations de travail. Les fonctionnaires exclus qui ne sont pas représentés par un agent négociateur dans le cadre d’une convention collective doivent suivre les procédures de grief dont il est fait mention dans le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79 (le Règlement).

[27]  Aux termes de l’article 64 du Règlement, la procédure applicable aux griefs individuels ne peut compter plus de trois paliers. Le décideur est un représentant de la partie patronale pour chaque palier. Le tableau suivant, qui a été produit par le défendeur, donne la liste des personnes qui agissent à titre d’agent pour chaque palier du processus de grief. J’ai ajouté, entre crochets, le nom et le titre des personnes concernées dans la présente affaire :

Palier

Agent de palier

Premier

Gestionnaire de l’employé ou superviseur du gestionnaire

[M. Schatz, directeur régional, portefeuille du droit des affaires et droit réglementaire]

Deuxième (et troisième)

Gestionnaire de niveau progressivement plus élevé

[M. Shenher, directeur régional par intérim, région des prairies]

Final

Sous-ministre (peut être délégué)

[Mme Thivierge, sous-ministre adjointe et dirigeante principale des Finances]

V.  Aperçu et analyse des trois paliers de la présente procédure de grief

A.  Premier palier du grief déposé devant M. Schatz et approche générale

[28]  Chacun des agents de palier devait, à chacun des trois paliers de la procédure de grief, connaître la décision ou les décisions qui suivent. Je vais donc examiner chacun des trois paliers selon la norme de l’équité procédurale et la norme de la décision raisonnable. Cela dit, je procède ainsi seulement pour les motifs d’analyse et de mise en contexte, parce que seule la décision du troisième palier fera l’objet du contrôle judiciaire. Je procède ainsi également parce que le demandeur a soulevé des questions concernant les trois décisions, et parce que l’équité procédurale, ou bien les décisions du premier ou du deuxième palier de grief étaient déraisonnables, et pouvaient couler de l’une vers l’autre et avoir un impact sur la décision du troisième palier.

[29]  Le premier palier de grief a été entendu par le gestionnaire du demandeur, M. Schatz. Le 9 juillet 2012, le demandeur avait en fait déposé son grief à M. Brannen. Au mois de novembre 2012, le demandeur a présenté une note de service à M. Schatz à titre d’agent du premier palier, dans laquelle il donnait un aperçu de son grief contre la description de travail. Je dois souligner que le demandeur avait, au contre-interrogatoire, accepté une structure de grief où l’agent du premier palier devait toujours être le gestionnaire de l’employé en question.

[30]  Dans sa note de service du mois de novembre 2012, le demandeur exposait ses objections à la description de travail qui lui avait été attribuée. Il demandait également à M. Schatz de retirer volontairement sa participation à titre d’agent du premier palier pour les motifs de partialité. Le demandeur prétendait qu’étant donné que M. Schatz a confirmé la description de travail qui faisait l’objet du grief du demandeur, M. Schatz serait incapable d’agir impartialement comme agent de palier. Cela, selon le demandeur, occasionnerait une crainte raisonnable de partialité et priverait le demandeur de son droit à une audience équitable.

Premier palier de grief

[31]  L’audience du premier palier de grief a eu lieu le 9 novembre 2012. Le demandeur s’est présenté à l’audience du grief et a répété la demande de retrait qu’il a faite dans sa note de service à M. Schatz; encore une fois, cependant, M. Schatz a refusé de se retirer des procédures. Le demandeur a quitté l’audience et dit avoir agi ainsi pour éviter de donner l’impression qu’il consentait à ce que M. Schatz agisse en tant qu’agent de palier au premier palier. Sur ce point, je me permets de glisser une parenthèse pour signaler que le demandeur aurait pu rester « sous réserve », quoique cela n’ait eu aucune importance.

[32]  Le 28 novembre 2012, le grief du demandeur a été rejeté (premier palier). Après avoir examiné la demande du demandeur, M. Schatz a décidé qu’une crainte de partialité n’était pas justifiée et qu’il n’y avait aucun motif qui l’obligeait à se retirer en tant qu’agent de palier au premier palier :

[traduction]

En tant que gestionnaire délégué responsable de la distribution des tâches et des responsabilités, je crois être le mieux placé pour examiner cette question et décider si les tâches et les responsabilités qui vous ont été attribuées sont décrites de manière exacte dans votre description de travail selon la représentation qui en a été faite.

[33]  Selon moi, cette conclusion est amplement justifiée.

[34]  M. Schatz a noté que le demandeur déclarait que sa description de travail ne décrivait pas adéquatement ses tâches liées à la prestation de services juridiques spécialisés, la complexité de sa charge de travail et le rôle de chef d’équipe qu’il jouait au sein du groupe consultatif. Toutefois, M. Schatz a conclu :

[traduction]

Ayant eu l’occasion d’évaluer le travail que vous avez rédigé ainsi que les tâches qui vous ont été attribuées, je suis satisfait que votre description de travail actuelle décrive de manière exacte vos fonctions essentielles et vos responsabilités. Plus précisément, j’ai noté que la description contenait sous la rubrique « services axés sur le client » de votre description de travail, l’énoncé suivant :

« Fournit un large éventail de services et de conseils juridiques dans le secteur du droit, des ministères ou des agences qui lui ont été délégués, concernant en général des questions complexes dont l’étendue, la portée, les risques ou les impacts sont considérables, touchant souvent les intérêts de plusieurs clients dont des ministères, les enjeux horizontaux, la nécessité de diriger et de coordonner des équipes et des ressources, et qui ont des répercussions sur de multiples clients dont les ministères ou les politiques, les processus et les opérations fonctionnelles de l’agence, ainsi que potentiellement sur les lois qui nous gouvernent. »

[35]  Quoique le demandeur affirme le contraire, à mon humble avis, je ne vois aucun manque d’équité procédurale ni de décision déraisonnable dans la décision du premier palier.

[36]  Il n’y avait aucun manque d’équité procédurale parce que, en dépit de l’insistance du demandeur devant la présente Cour, ce dernier n’a pu fournir la preuve que M. Schatz est celui qui a pris la décision d’établir la classification du demandeur au niveau LA-2A ou d’établir le contenu de la description de travail générique faisant l’objet d’un grief. En fait, l’élément de preuve était que la décision concernant la description de travail (et la classification) a été prise par JC dans la région des Prairies à Edmonton. En plus, l’allégation de partialité est difficile à cerner dans le témoignage du demandeur qui affirme que l’agent de palier de premier niveau, dans la structure de la procédure de grief, doit toujours être le gestionnaire de l’employé en question. Dans l’affaire en l’espèce, ce gestionnaire était M. Schatz.

[37]  Dans leur intégralité, je rejette le bien-fondé des allégations du demandeur, telles qu’elles sont affirmées dans son affidavit et répétées verbalement dans son contre-interrogatoire, selon lesquelles la décision du premier palier aurait été prise de manière inappropriée parce que M. Schatz lui aurait refusé une description de travail de niveau supérieur parce qu’il voulait contenir les prix ou maintenir les frais actuels pour obtenir ainsi sa prime de rémunération au rendement. Il n’y a aucun élément de preuve qui appuie cette assertion.

Norme de la décision raisonnable du premier palier

[38]  En ce qui a trait à la norme de la décision raisonnable, je ne suis également pas en mesure d’être d’accord avec le demandeur. La décision est intelligible et transparente. Elle fait état des éléments de preuve présentés par le demandeur. M. Schatz a examiné les préoccupations du demandeur comme ce dernier les a résumées et y a répondu directement. Il a conclu que la description de travail actuelle du demandeur [traduction] « décrit de manière exacte vos fonctions essentielles et vos responsabilités ». Il a souligné les dispositions particulières contestées dans la description de travail et, à mon humble avis, a fait raisonnablement le parallèle entre ce que le demandeur faisait et le contenu de la description de travail. Étant donné le degré de déférence accordé, je suis satisfait de la décision de M. Schatz qui est défendable au regard des faits et du droit et, comme mentionné auparavant, qui ne fait pas défaut à l’équité procédurale.

B.  La décision du deuxième palier présenté devant M. Shenher

[39]  Le grief du demandeur a ensuite été envoyé à l’agent de palier du deuxième palier, le directeur régional par intérim de la région des Prairies, M. Shenher. En plus de contester le bien-fondé de la description de travail, le demandeur a également soulevé la question de la partialité au premier palier. Aucune allégation de partialité n’a été faite contre M. Shenher.

[40]  Le grief du demandeur a été rejeté au deuxième palier le 4 octobre 2013 (la décision du deuxième palier). M. Shenher a conclu que [traduction] « les fonctions essentielles font partie des compétences attribuées aux avocats classés LA 2 A »; il a affirmé que le travail que le demandeur décrit [traduction] « se traduit dans la description de travail » qui fait l’objet du grief. En rejetant le grief du demandeur, M. Shenher a déclaré qu’il [traduction] « appuie la décision du premier palier ».

[41]  La décision du deuxième palier ne fait pas mention des allégations de partialité contre M. Schatz. Je ne peux trouver M. Shenher fautif à cet égard; comme je l’ai conclu plus haut, il n’y avait aucun manque d’équité procédurale dans la décision du premier palier.

Équité procédurale de la décision du deuxième palier de grief

[42]  À mon humble avis, la décision du deuxième palier était teintée d’un manque d’équité procédurale. Je m’appuie sur plusieurs motifs pour arriver à cette conclusion.

[43]  Premièrement, en prenant sa décision sur les allégations du demandeur, M. Shenher avait devant lui la note de service négative produite par M. Schatz et M. Brannen (la note de service Schatz/Brannen). Cette note de service faisait partie du dossier présenté à M. Shenher en tant qu’agent de palier du deuxième palier de grief. Cette note de service, qui est matérielle à la décision et pertinente n’a pas été divulguée au demandeur : à mon avis, elle aurait dû l’être. De plus, la note de service Schatz/Brannen était inadmissible parce qu’elle contient des erreurs que le demandeur aurait pu corriger s’il avait eu l’occasion de le faire. Enfin, la note de service Schatz/Brannen est inadmissible en raison de sa nature et le fait qu’elle a été composée par l’agent de palier du premier palier de grief, M. Schatz, ou que ce dernier y a tout au plus collaboré.

[44]  Je vais présenter ces points en détail.

Note de service Schatz/Brannen

[45]  M. Shenher, l’agent de palier du deuxième palier de grief a demandé à M. Schatz de lui fournir un rapport concernant le demandeur. M. Schatz était le gestionnaire du demandeur et il était également l’agent de palier du premier palier de grief. M. Shenher a fait cette demande presque neuf mois après que le demandeur a déposé son grief. M. Shenher a demandé à M. Schatz de répondre aux questions suivantes :

[traduction]

Quelles sont les tâches qui ont été attribuées ou qui n’ont pas été attribuées et à quelle période ces tâches ont été attribuées? Ces tâches font-elles partie de la portée d’une description de travail LA2A? Sinon à quel niveau ces tâches sont-elles classées et une paye par intérim a-t-elle été fournie à l’employé si ces tâches faisaient partie d’une classification de groupe et de niveau supérieurs? Si une paye par intérim n’a pas été fournie, pour quel motif cela n’a-t-il pas été fait?

Si Dale ne devait pas faire ces tâches, la gestion a-t-elle informé Dale qu’il ne devait pas les faire? Si oui à quel moment en a-t-il été informé, quelles étaient les tâches qu’il ne devait pas faire et Dale a-t-il travaillé dans la portée de sa description de tâche depuis que la classification a été faite?

[46]  Compte tenu du temps très long qu’il a pris avant de poser ces questions, la note de service Schatz/Brannen de huit pages date du 27 septembre 2013 et a par contre été préparée et remise dans l’espace de trois ou quatre jours. Elle avait été cosignée par M. Schatz et M. Brannen. Je rappelle que M. Brannen est un avocat de JC et un gestionnaire qui se rapporte à M. Schatz. M. Brannen avait rencontré à la fois le demandeur et M. Schatz pour discuter de la description de travail du demandeur au mois de décembre 2011.

[47]  La note de service Schatz/Brannen rapportait à la suite d’un long « contexte historique » que :

[traduction]

[...] aucune fonction de gestion ou de chef d’équipe n’avait été attribuée à Dale Kohlenberg.

S’il a reçu directement des demandes de services juridiques, soit il a répondu à ces demandes soit il les a déléguées unilatéralement à l’encontre du protocole qui a été établi depuis plusieurs années, comme indiqué ci-dessus.

[...]

CONCLUSION

Le matériel examiné ci-dessus ne soutient pas l’allégation que les attentes essentielles et les fonctions essentielles du travail qu’a fait Dale étaient hors de la portée de la description de travail LA-2A. Les fonctions requièrent généralement de solides connaissances, et ses activités se situent régulièrement dans les catégories d’activités principales, de pensée critique et d’analyse, de communication et d’interaction, de leadership, d’effort physique et sensoriel, et de milieu de travail qui se retrouvent dans une description de travail LA-2A.

Ces dernières n’excluent pas qu’il ait, sur demande, eu à remplir des fonctions qui requièrent des compétences supérieures qu’il peut très bien détenir. De même, particulièrement à cause des difficultés à attirer des avocats juniors à des postes de conseillers, Dale a dû remplir des services juridiques qui requièrent les compétences qui sont en deçà du niveau de la description de travail.

[48]  À l’appui de sa demande, le demandeur a fourni plusieurs exemples de son travail. M. Shenher a annexé certains de ces exemples dans sa demande d’information à M. Schatz. La note de service Schatz/Brannen donne une analyse et des commentaires sur ces produits, dont les opinions du demandeur, ses présentations PowerPoint, un mémoire, un accord, des courriels et des notes de service, des procès-verbaux et un protocole d’entente, un permis d’exploitation et d’occupation des terres de la Couronne, entre autres documents.

[49]  Le demandeur n’a pas été informé de la note de service Schatz/Brannen ni n’a eu l’occasion d’y répondre. Aucun motif ne m’a été donné qui explique pourquoi ce document n’a pas été divulgué au demandeur pour ses commentaires; la position de JC est qu’il n’y avait aucune raison de le faire. Étant donné que le demandeur ne connaissait pas l’existence de cette note de service, il ne savait pas non plus qu’il avait été cosigné par M. Schatz. Bien que la note de service Schatz/Brannen soit classée « Protégé B », elle a été présentée et donnée au demandeur dans le dossier certifié du tribunal (DCT) dans ce registre de la Cour, où le demandeur en a pris connaissance pour la première fois. La note de service Schatz/Brannen était au dossier présenté devant M. Shenher; elle fait maintenant partie des archives publiques.

[50]  Bien que l’obligation d’équité procédurale à chacun des paliers du processus de grief soit au bas du continuum pour ce type d’affaires, à mon humble avis, l’obligation existe toujours; on ne peut pas dire que l’obligation d’équité procédurale n’existe pas.

[51]  Les principes généraux entourant le contenu qui sont liés à l’obligation d’équité procédurale et rendus dans Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, au paragraphe 54 [Ré:Sonne] s’appliquent toujours. Plus précisément, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

[54]  Ces organismes doivent toutefois veiller à ce que, s’ils obtiennent des renseignements de tiers, cela ne porte pas atteinte aux droits de participation des parties, soit le droit de connaître et de discuter les éléments pertinents quant à la prise de décision, le droit d’être informé des motifs sur lesquels la décision pourra être fondée, et la possibilité de présenter des observations en conséquence. En définitive, le juge saisi de l’affaire doit rechercher dans chaque cas si, compte tenu de toutes les circonstances (y compris le respect des choix procéduraux), la procédure adoptée par le tribunal administratif pour rendre la décision était fondamentalement équitable, ce qui appelle un examen du contexte ainsi que des faits d’espèce.

[52]  Il y a eu manquement à cette obligation d’équité à plusieurs égards.

[53]  D’abord, ne pas divulguer la note de service Schatz/Brannen au demandeur faisait offense à la plus essentielle des règles d’équité procédurale; notamment, que le demandeur a le droit de connaître les accusations faites contre lui ou elle. En l’espèce, la note de service Schatz/Brannen donnait certains détails plutôt négatifs et critiques de divers produits du travail du demandeur, en plus de répondre aux questions de M. Shenher.

[54]  La note de service était incontestablement pertinente. Et elle était matérielle. À mon humble avis, cette note de service constituait, à plusieurs égards, les accusations contre le demandeur. Elle établissait le matériel sur lequel l’agent du deuxième palier de grief a pris sa décision. De mon point de vue, la note de service Schatz/Brannen est le facteur pondéré qui a influencé la décision de rejeter le deuxième palier de grief. Par conséquent, le demandeur avait le droit de l’avoir et le droit d’y répondre, même si l’obligation d’équité procédurale à cet égard se situe au bas du continuum.

[55]  Il n’y a aucune indication qui m’a été donnée pour illustrer que la Cour pourrait conclure que l’obligation de divulguer n’existe pas dans des cas comme celui en l’espèce. Ni, étant donné le retard à le demander, puis-je concevoir que des considérations d’urgence ou de retard justifient de ne pas divulguer la note de service au demandeur. Ni puis-je concevoir que le demandeur aurait pu, en effet, savoir ce que contenait la note de service de manière à pouvoir ou à devoir anticiper et répondre aux commentaires sans les avoir vus. Peu du contenu, sinon presque aucune information contenue dans la note de service Schatz/Brannen appartenait déjà au dossier.

[56]  Il y a une deuxième objection à cette note de service, notamment que l’agent du deuxième palier de grief n’aurait pas dû demander à l’agent du premier palier de grief de lui fournir autant de détails pour sa décision au deuxième palier de grief. En attachant des exemples du travail du demandeur à sa demande d’information, cela semblait inviter des commentaires sur pratiquement tous les exemples donnés par le demandeur. Les questions sont elles aussi très générales. Dans l’ensemble, à mon humble avis, cela donnait l’impression que l’agent voulait des réponses non seulement à ses questions générales, mais également un rapport substantiel concernant le demandeur et le travail qu’il a fait à JC.

[57]  Il n’était donc pas surprenant que M. Schatz commente abondamment sur le travail du demandeur en plus de répondre aux questions. La note de service peint un portrait plutôt négatif du demandeur.

[58]  Je ne doute pas, surtout dans de petits bureaux, que ce puisse être nécessaire à un agent de deuxième palier de demander à l’agent du premier palier de grief des renseignements précis quand cette information est nécessaire pour procéder à son enquête. Dans la présente affaire, toutefois, non seulement la demande faite par le deuxième agent est très exhaustive, les réponses l’étaient également. Raison de plus pour que le demandeur ait eu l’occasion d’y répondre.

[59]  À cet égard, la présente affaire rappelle la discussion dans la décision Majdan, précitée, où la présente Cour a conclu :

[40] J’estime que le Comité a également manqué à son obligation d’agir avec équité en n’accordant pas à la demanderesse la possibilité de répondre aux renseignements fournis par M. Vaillancourt. Le défendeur reconnaît que le Comité a cherché à se renseigner auprès de M. Vaillancourt pour clarifier en quoi consistaient les fonctions de la demanderesse lorsqu’elle occupait le poste en cause. Le défendeur soutient cependant que M. Vaillancourt n’a fourni au Comité aucun renseignement utile, de sorte qu’il n’était pas nécessaire que le Comité informe la demanderesse de ces renseignements et lui accorde la possibilité d’y répondre.

[...]

[42] Ainsi, contrairement à ce que prétend le défendeur, les renseignements communiqués par M. Vaillancourt n’étaient pas une simple répétition de ceux que la demanderesse avait soumis. Dans la dernière phrase, M. Vaillancourt explique que le titulaire du poste en cause était appelé à offrir ses conseils comme expert plutôt que comme chef ou gestionnaire. Il ne s’agissait pas là de renseignements banals ou neutres. La façon dont M. Vaillancourt a qualifié le poste en cause aurait de toute évidence justifié une classification inférieure à celle proposée par la demanderesse.

[43] Je ne retiens donc pas l’argument du défendeur suivant lequel les renseignements fournis par M. Vaillancourt n’ont eu aucun effet sur la décision du Comité. J’estime plutôt que la situation s’apparente à celle de l’affaire Bulat, précitée, dans laquelle le gestionnaire avait soumis des renseignements qui justifiaient une classification inférieure à celle réclamée par la personne qui s’estimait lésée. De même, dans le cas qui nous occupe, les renseignements communiqués par M. Vaillancourt nuisaient de toute évidence au grief de la demanderesse (ce qui est particulièrement problématique, compte tenu du fait qu’il n’était pas son supérieur et qu’il éprouvait vraisemblablement de l’animosité envers elle).

[...]

[47] Même si les griefs de classification ne donnent lieu qu’à une norme d’équité peu élevée, il s’agit d’un cas dans lequel le Comité ne s’est acquitté de son obligation qu’en paroles.

[60]  Dans la présente affaire, il n’y a même pas eu de paroles.

[61]  Un autre facteur doit être pondéré dans cette analyse. À mon humble avis, la manière dont la demande et la réponse se sont faites entre le deuxième et le premier agent de palier de grief, en plus de la nature de la demande et de la réponse, ont transformé ce qui devait être un processus de grief à paliers multiples en ce qui me semble être une boucle fermée; dans le dossier, il semble que l’agent de deuxième palier, qui a rejeté le grief qui lui a été présenté, comptait excessivement sur l’agent du premier palier qui a fait la même chose.

[62]  À mon humble avis, cela contrevient à la règle fondamentale qu’il faut non seulement que justice soit rendue, mais qu’il soit manifeste qu’elle a été rendue : R c Sheppard, 2002 CSC 26, au paragraphe 15; Société des Acadiens c Association of Parents, [1986] 1 RCS 549, au paragraphe 153; Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 RCS 259, au paragraphe 67 [Wewaykum]; Heron Bay Investments Ltd c Canada, 2010 CAF 203, au paragraphe 41, citant James c Canada (Ministre du Revenu national), [2000] JCF no 2135 (QL), 2000 CanLII 16700, aux paragraphes 51 et 52 (CAF) [James]; NCJ Educational Services Limited c Canada (Revenu national), 2009 CAF 131, au paragraphe 39, citant James.

[63]  Mon opinion sur ce point est renforcée par le fait que l’agent du deuxième palier de grief, à une exception près, n’a consulté aucune des personnes auxquelles le demandeur fait référence. Ce fait n’est pas contesté. L’exception est que M. Brannen a cosigné le rapport avec M. Schatz. Bien que je ne dise pas qu’en général toutes ou quelques-unes des sources à l’appui proposées par un demandeur doivent être consultées, mais le fait que pratiquement aucune d’entre elles n’a été consultée diminue l’apparence d’équité dans la présente affaire.

[64]  Celles-là ne sont pas mes seules préoccupations. Je me demande pourquoi la demande de M. Shenher pour de l’information additionnelle n’a pas été envoyée à M. Brannen plutôt qu’à M. Schatz, étant donné que M. Brannen n’était pas l’agent du premier palier de grief et qu’il avait des responsabilités de gestion. De plus, il avait l’expertise concernant la description de travail du demandeur, comme il a été démontré dans la note de service cosignée et envoyée à M. Shenher, et il accompagnait M. Schatz à l’entrevue du demandeur concernant sa description de travail au mois de décembre 2011.

[65]  À mon humble avis, il y a un bien-fondé dans l’assertion du demandeur que la note de service Schatz/Brannen contenait des erreurs concernant son rôle de [traduction] « chef d’équipe du groupe consultatif ». Un examen du matériel soutient ma conclusion que le demandeur était en effet un « chef d’équipe du groupe consultatif ». En effet, cela n’est pas contesté. Bien que le défendeur argumente que le rôle du demandeur comme chef d’équipe du groupe consultatif ne le qualifie pas de « chef d’équipe » dans le cadre des descriptions de travail des niveaux supérieurs, à mon humble avis, en conséquence de son rôle de « chef d’équipe du groupe consultatif », il était quand même un « chef d’équipe ».

[66]  À mon humble avis, toutefois, il n’y a pas de bien-fondé dans l’affirmation additionnelle du demandeur qu’un agent de palier du deuxième palier de grief ne devrait pas avoir ou n’aurait pas dû examiner la décision de l’agent du premier palier de grief. À mon avis, l’agent de palier du deuxième niveau de palier ne contrevient pas à l’équité procédurale s’il ou elle tient compte d’une décision prise au premier palier; bien que dans le processus de grief une audience de novo requiert qu’une décision soit prise de nouveau, je ne suis pas d’accord avec la position du demandeur qu’une décision prise dans un palier antérieur doit être ignorée au regard du droit : MacPhail c Canada (Procureur général), 2016 CF 153, au paragraphe 18, James c Canada (Procureur général), 2015 CF 965, aux paragraphes 98 et 99.

Norme de la décision raisonnable du deuxième palier de grief (conclusion subsidiaire)

[67]  Si la décision du deuxième palier de grief n’avait pas été teintée par la question de manque d’équité procédurale, j’aurais décidé qu’elle répondait à la norme de la décision raisonnable établie dans Dunsmuir. Comme dans la décision du premier palier, la décision du deuxième palier examine les allégations du demandeur par rapport à la description de travail en litige et conclut que le travail décrit par le demandeur [traduction] « se traduit dans la description de travail ». Bien que, comme le souligne le demandeur, elle conclue que le travail du demandeur est [traduction] « adéquatement » indiqué dans sa description de travail, et bien que je sois d’accord que le mot « adéquatement » n’est pas le mot le plus juste, la décision lue dans son ensemble, sans entreprendre une chasse au trésor d’erreurs, est raisonnable étant donné qu’elle est défendable au regard des faits et du droit.

C.  Troisième palier de grief devant la sous-ministre adjointe

[68]  Le demandeur a déposé un grief à la sous-ministre adjointe comme agente au troisième palier de grief. Dans ce contexte, et en plus de la demande du demandeur, la sous-ministre adjointe a reçu un rapport en date du 9 septembre 2014 provenant d’un conseiller principal des relations de travail Maximilian Baier (M. Baier). Le rapport de M. Baier recommandait le rejet de la demande de grief déposée par le demandeur. Comme ce fut le cas pour la note de service Schatz/Brannen, la note de service de M. Baier n’a pas été divulguée au demandeur qui n’a pas eu non plus l’occasion d’y répondre. Le demandeur argumente que cela était un manque d’équité procédurale particulièrement injuste parce que le rapport fournit de l’information à la fois non pertinente et vraiment incorrecte qui aurait eu une prépondérance dans la décision de la sous-ministre adjointe. Je suis du même avis.

Décision partiale

[69]  Le troisième palier de grief a été divisé en deux audiences distinctes. À la première audience du 6 novembre 2014, le demandeur a une fois de plus soulevé la question de la partialité. Dans sa décision en date du 10 décembre 2014, la sous-ministre adjointe a rejeté son allégation de [décision partiale] pour les motifs suivants :

[traduction]

Le processus de grief, qui est de nature administrative, s’harmonise à la procédure ministérielle de la délégation des pouvoirs en ressources humaines. Dans le cadre de la délégation des pouvoirs, il est entendu que la personne qui prend la décision au premier palier et au deuxième palier a participé d’une certaine manière à la question en litige ou en a une certaine connaissance. Cela dit, chacun des paliers du processus de grief est une audience de novo.

Votre position semble indiquer qu’il y aurait une crainte raisonnable de partialité dans la structure du processus de grief même, dans le sens que toute décision que je prends serait influencée par le décideur précédent. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, j’ai conclu que le concept de partialité ne s’applique généralement pas aux procédures quasi judiciaires comme le processus de grief du ministère.

[70]  La sous-ministre adjointe a également noté que, au moment du dépôt du grief, le demandeur n’a pas accusé l’agent du deuxième palier de grief de partialité.

[71]  Le demandeur avait deux objections de décision partiale. La première, selon lui, est qu’il n’est pas possible d’avoir une audience de novo si la décision précédente ou les décisions sont prises devant un agent de palier de grief subséquent. La deuxième, selon lui, est que la dernière phrase de l’extrait ci-dessus méprend la situation que, pour lui, le prétendu processus quasi judiciaire ne le concerne pas étant donné qu’il est un employé exclu. J’examinerai chaque catégorie séparément.

Question de novo

[72]  Sur la question de novo, j’ai déjà conclu que l’agent du deuxième palier de grief procède à une audience de novo équitable nonobstant qu’il ou elle ait la décision du premier palier dans le dossier à examiner. En l’espèce, je suis satisfait que l’audience de novo à laquelle se réfère la décision de partialité de la sous-ministre adjointe (et celle du rapport de M. Baier) concerne une procédure où à la fois le demandeur et le défendeur discutent d’une question de nouveau, en s’appuyant sur les mêmes éléments de preuve ou sur de nouveaux éléments de preuve, mais en tenant compte également d’une décision ou des décisions sous-jacentes appropriées et matérielles.

[73]  Je suis d’accord avec l’affirmation du défendeur qu’une audience de novo à chacun des paliers de la procédure de grief n’indique pas que le dossier antérieur est effacé. Par exemple, quand un grief passe à l’arbitrage, l’article 96 du Règlement exige que l’employeur dépose auprès de la Commission une copie des décisions rendues à l’égard du grief à tous les paliers de la procédure applicable. À mon avis, si l’AJJ avait approuvé sa demande d’arbitrage devant la CRTEFP, les trois décisions lui auraient été présentées. Cela confirme ma conclusion que l’utilisation de l’expression de novo dans ce contexte ne doit pas s’entendre au sens étroit du terme.

Question du mauvais critère

[74]  Ni suis-je convaincu que le demandeur ait un motif pour se plaindre qu’un mauvais critère a été utilisé parce qu’il était un employé exclu. Comme il a été mentionné auparavant, le fait d’être un employé exclu n’empêchait pas le demandeur à déposer comme tel son grief au CRTEFP; il l’aurait fait si l’AJJ lui avait donné l’approbation : au paragraphe 209(2) de la LRTSPF. Il n’y avait rien au dossier qui indiquait que l’approbation n’aurait pas été donnée; quand la sous-ministre adjointe a écrit sa décision de partialité, il n’y avait pas d’indication que l’AJJ aurait appuyé un grief du demandeur. Le demandeur a tort d’affirmer que l’arbitrage n’avait jamais été « une option » pour lui. Il n’y a eu aucune erreur dans l’application du critère en droit à cet égard.

[75]  Je suis également d’accord et sans conteste qu’il est bien établi en droit que la décision partiale, notamment le concept de partialité en général, ne s’applique pas aux processus quasi judiciaires comme ceux des griefs. Comme il est énoncé dans Brown et Beatty :

[traduction]

L’exigence d’impartialité, toutefois, ne s’applique pas aux étapes avant l’arbitrage. De plus, il a été établi que les considérations de partialité ne sont pas pertinentes dans la composition et l’opération de mécanismes internes de résolution des disputes avant la nomination d’un comité d’arbitres.

Donald JM Brown & David M Beatty, Canadian Labour Arbitration, ch 1, au paragraphe 1:5210; voir également Bande indienne Wewaykum c Canada, [2003] 2 RCS 259, au paragraphe 77; Ocean Port Hotel Ltd. c Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, aux paragraphes 19 à 24.

Décision de la sous-ministre adjointe sur le bien-fondé

[76]  Après la décision partiale, le demandeur a poursuivi son grief sur sa description de travail. Le 2 juin 2015, après l’audience devant la sous-ministre adjointe, son grief a été rejeté au troisième palier sur le motif du bien-fondé (décision du bien-fondé). La sous-ministre adjointe a conclu :

[traduction]

Concernant votre expertise, il est clair que vous possédez des connaissances hautement spécialisées dans le secteur du droit immobilier et, plus précisément, dans le secteur des transactions liées aux terres de la Couronne. J’ai noté la documentation que vous avez présenté qui indique que votre expertise dans ce secteur en droit est reconnue par les autres avocats et les intervenants. Toutefois, je m’attendrais d’un avocat qui pratique le droit dans un secteur spécialisé depuis longtemps comme vous l’avez fait, d’avoir acquis une expertise considérable dans ce secteur. Par conséquent, je ne crois pas que cette expertise se situe à l’extérieur des attentes normales d’un avocat au niveau LP-02, ni puis-je conclure qu’elle se situe à l’extérieur de la portée de votre description de travail actuelle.

En ce qui a trait à votre affirmation que vous agissez de facto à titre de chef d’équipe du groupe consultatif parce que vous coordonnez le travail de plusieurs personnes dans la région des Prairies, il m’a été indiqué que les employés à qui vous déléguez ces tâches sont des avocats ayant moins d’expérience, des techniciens juridiques et des membres du personnel administratif. Tout en tenant compte que vous coordonniez une partie de leur travail, je note également que vous ne prépariez pas d’évaluation de rendement annuel et qu’il n’y a personne qui se rapporte directement à vous.

Les descriptions de travail LA-2A et LP-02 (description de travail des praticiens en droit) énoncent les tâches particulières d’encadrement, de transfert des connaissances et de délégation des tâches. Sous la rubrique des « activités principales », la description de travail indique : « [...] fournir de l’encadrement et le transfert des connaissances et déléguer des tâches à des avocats moins expérimentés, à des techniciens juridiques et aux membres du personnel d’administration (dont les adjoints juridiques) et coordonner le travail en fonction des questions qui ont été attribuées [...] fournir des commentaires aux gestionnaires pour les évaluations de rendement et autres motifs sur le rendement des avocats moins expérimentés, des techniciens juridiques, des étudiants et des membres du personnel qu’ils auront conseillés ou supervisés. » Cette partie de la description de travail tient compte du fait qu’il arrive souvent qu’un avocat de niveau LP-02 soit l’avocat principal dans une affaire et doit déléguer des tâches à des avocats juniors et à des techniciens juridiques et doit planifier et établir les priorités pour la provision de services juridiques. Je suis satisfaite que vos tâches quotidiennes et vos responsabilités soient telles qu’elles se traduisent dans la description de travail générique.

Concernant le profil et la nature délicate des dossiers que vous traitez régulièrement, la description de travail indique que les avocats LA-2A/LP-02 doivent : « fournir un large éventail de services juridiques complets aux clients dont les ministères et les agences [...] »; posséder « [...] de solides connaissances de droit [...] pertinentes aux affaires qui leur sont déléguées [...] »; « [...] fournir un éventail complet de services juridiques pour répondre aux besoins des clients, dont les ministères et les agences [...] »; « [...] fournir des conseils juridiques et des conseils sur les politiques juridiques, ainsi qu’une gamme complète de services traitant de questions difficiles ayant des impacts de grande portée [...]. » Selon l’information présentée devant moi, je suis satisfaite que la portée et la nature délicate des dossiers que vous traitez au quotidien se traduisent dans les exigences de la description de travail.

[77]  Il y a deux aspects de cette décision à examiner : si elle était teintée par le manque d’équité procédurale et si elle passe l’exercice de la norme de la décision raisonnable. À mon humble avis, la décision sur le bien-fondé est défectueuse en matière de procédure et doit être annulée. Si je n’avais pas tiré cette conclusion, j’aurais décidé qu’elle est raisonnable.

Équité procédurale de la décision du troisième palier de grief

[78]  La décision de la sous-ministre adjointe est défectueuse en matière de procédure et doit être annulée pour plusieurs motifs. Premièrement, la sous-ministre adjointe avait devant elle le rapport de M. Baier. Je comprends que de telles notes de service font partie des procédures dans le contexte des relations de travail à ce palier du processus de grief. En effet, le demandeur l’a reconnu lorsqu’il a demandé que le matériel qu’il avait présenté à M. Shenher au deuxième palier soit envoyé « au bureau [de la SMA] pour examen par l’agent du bureau des relations de travail [de la SMA] ou à son délégué [...] ». La sous-ministre adjointe a le droit d’avoir l’appui des membres du personnel des relations de travail.

[79]  Néanmoins, une question d’équité procédurale a été soulevée quand le demandeur n’a pas été informé du rapport de M. Baier, tout au plus en lui donnant soit une copie, soit un résumé approprié du rapport en question, en plus de lui accorder l’occasion d’y répondre. Pour les mêmes motifs fournis plus tôt pour la note de service Schatz/Brannen, le rapport de M. Baier aurait dû avoir été donné au demandeur pour qu’il puisse y répondre. Cela faisait partie du dossier présenté à la sous-ministre adjointe. Il contenait l’information pertinente et matérielle à l’affaire en question. Selon moi, il constituait le fondement de l’affaire contre le demandeur, par conséquent – selon les premiers principes – le demandeur a droit de l’avoir, même en reconnaissant que l’obligation d’équité procédurale est au bas du continuum dans ce contexte.

[80]  Une fois de plus, il n’y a aucune jurisprudence qui m’a été indiquée à l’appui de la décision de ne pas divulguer le rapport de M. Baier. Il n’y avait aucune considération pertinente d’urgence ou de retard qui m’a été signalée. On ne peut pas dire que le rapport contenait du matériel escompté et non litigieux. On ne peut dire non plus que le demandeur connaissait son contenu à l’avance et, par conséquent, n’avait pas besoin d’une occasion pour y donner ses commentaires.

[81]  Aucun motif ne m’a été donné qui explique pourquoi le rapport ne pouvait pas être divulgué au demandeur, bien que l’avocat du ministre ait noté [traduction] « un privilège des relations de travail ». Toutefois, aucune autorité ne m’a été signalée à cet égard. De toute façon, il est trop tard pour que le défendeur puisse revendiquer un privilège pour un document qui a déjà été divulgué au demandeur par son inclusion dans le DCT (et qui fait par conséquent également partie du domaine public). Dans la même veine, la Cour d’appel fédérale a récemment établi un précédent pour la revendication d’un privilège sur un document qui serait autrement inclus dans le DCT : Bernard c Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor, 2017 CAF 35.

[82]  À mon humble avis, le rapport de M. Baier contient des erreurs matérielles qui soutiennent davantage ma conclusion qu’il aurait dû être présenté au demandeur pour ses commentaires et réponses. Premièrement, le rapport indique que le demandeur [traduction« n’a pas répondu aux attentes dans son évaluation de rendement 2013-2014 ». Dans un grief de description de travail, cette déclaration est très matérielle et préjudiciable; elle met un nuage sur la connaissance du demandeur sur ce qu’il devait faire, p. ex., sa description de travail, l’affaire en litige. En tant que médisance, elle peut également toucher sa crédibilité sur ce qu’il a écrit avoir fait. Elle peut également insinuer que le demandeur n’a pas toutes les connaissances sur ce que sont exactement ses fonctions.

[83]  La déclaration était incorrecte; le demandeur a reçu trois évaluations de rendement où il [traduction] « répond pleinement » aux attentes et a obtenu la note [traduction] « dépasse » les attentes dans une autre. Aucune de ces évaluations positives n’a été notée au rapport. Le fait que le demandeur avait réussi à faire retirer au moyen d’un grief ce qui avait été une évaluation négative et le résultat était le remplacement de la note par « répond pleinement » aux attentes; c’est ce que M. Baier aurait dû mettre dans son rapport s’il voulait traiter de ce sujet de toute façon. Dans le contre-interrogatoire, la déclaration a été admise comme étant incorrecte.

[84]  Deuxièmement, le rapport notait que des mesures disciplinaires avaient été données au demandeur au cours de la même année à la suite de certains « comportements ». L’utilisation du mot « comportement » au pluriel indique qu’il y aurait eu plus d’un incident pour les motifs de mesures disciplinaires envers le demandeur. Toutefois, il n’y avait en fait qu’un seul comportement pour lequel il a reçu une mesure disciplinaire et la preuve indique qu’un grief a été déposé et a réduit à un cinquième de tout ce qui avait été évalué au départ. M. Baier ne pouvait pas donner de motif quant à la pertinence de ce commentaire dans le cadre d’un grief de description de travail. De plus, le rapport déclare que le demandeur ne préparait pas d’évaluation de rendement pour qui que ce soit, ce qui semble être inexact. Le rapport est, encore une fois, un rapport plutôt négatif en général.

[85]  De ce rapport, l’attaque inexacte sur la compétence du demandeur est la plus sérieuse. À mon humble avis, elle faisait directement référence à la description de travail et sur ce qu’a fait le demandeur (plutôt sur ce qu’il aurait dit avoir fait). Il aurait dû avoir l’occasion de voir et de répondre au rapport. Compte tenu de toutes les circonstances, je ne suis pas en mesure de dire que le rapport n’avait aucun impact ni d’effet sur la décision de la sous-ministre adjointe. La décision de la Cour d’appel fédérale citée dans Ré:Sonne vise juste, même au bas du continuum de l’équité procédurale :

[83]  Ce n’est que dans les cas très évidents qu’une décision administrative entachée par un manquement à l’équité procédurale aussi grave que celui commis en l’espèce pourra être maintenue au motif qu’il n’aurait eu aucune incidence sur cette décision (voir, par exemple, Association canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada, Inc., [1991] 3 C.F. 626 (C.A.F.)). Nous ne sommes pas en présence d’un tel cas en l’espèce.

[86]  Une question additionnelle de manque d’équité procédurale se pose étant donné que la sous-ministre adjointe avait devant elle la note de service Schatz/Brannen qui avait été préparée telle quelle pour l’agent du deuxième palier de grief. Comme il a été mentionné ci-dessus, le demandeur n’avait pas vu la note de service Schatz/Brannen ni n’avait eu l’occasion d’y apporter ses commentaires. Je n’ai trouvé aucun motif qui empêche M. Shenher de la divulguer au demandeur. Pour les motifs établis ci-dessus et sous-jacents à ma conclusion que la note de service Schatz/Brannen aurait dû être divulguée au demandeur au deuxième palier de grief, elle aurait dû lui être divulguée au troisième palier. Ne pas l’avoir fait a vicié la décision du troisième palier. Je comprends que l’obligation d’équité procédurale est au bas du continuum. Toutefois, ne pas tenir compte de ce qui s’est passé en l’espèce correspond à dire qu’il n’y a pas d’équité procédurale dans ce genre d’affaires, ce qui ne cadre pas avec mon concept du droit devant une information pertinente et matérielle comme celle-là.

[87]  L’avocat du défendeur a noté que le demandeur pouvait faire une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale où il aura l’occasion de voir le dossier complet monté contre lui. Toutefois, le recours au contrôle judiciaire ne soutient pas la décision de JC de ne pas divulguer au demandeur les documents pertinents et matériels, y compris le matériel qui monte, ou qui en grande partie monte des accusations contre lui. Une audience dans la présente Cour n’est pas une mesure de redressement pour des recours procéduraux défectueux ci-dessous, si seulement la mesure de redressement normale était le nouvel examen. Le contrôle judiciaire dans notre Cour s’effectue sur le dossier; à mon humble avis, le dossier requis est celui produit par les agents de palier de griefs qui ont entendu les deux parties de manière essentiellement équitable. Tandis que dans l’affaire en l’espèce, notre Cour a examiné la norme de la décision raisonnable à l’égard de la décision, et non celle de la décision correcte. La Cour fédérale n’est pas simplement un autre palier du processus de grief, parce que bien que les agents de palier de grief abordent le bien-fondé d’une affaire, notre Cour ne l’aborde pas ainsi.

[88]  En m’appuyant sur cela, j’accorderais le contrôle judiciaire, annulerais la décision du troisième palier de grief et renverrais l’affaire pour nouvel examen aux termes indiqués ci-après dans les présents motifs. Je conclus qu’il n’y a pas de bien-fondé dans la demande du demandeur pour des instructions spéciales : Canada (Procureur général) c Gilbert, 2009 CAF 76, aux paragraphes 22 et 23.

Norme de la décision raisonnable du troisième palier de grief (à titre subsidiaire)

[89]  Si je n’avais pas conclu qu’il y avait des questions d’équité procédurale exigeant le nouvel examen du troisième palier de grief, ma conclusion aurait été que la décision de la sous-ministre adjointe était raisonnable. Comme il en est des deux décisions précédentes, la sous-ministre adjointe a examiné le poste du demandeur et a examiné ce que le demandeur faisait par rapport à la description de travail générique qui lui avait été attribuée. Bien qu’il soit déraisonnable à la sous-ministre adjointe de rejeter la déclaration du demandeur qu’il était « chef d’équipe » (le deuxième agent de palier a tiré la même conclusion déraisonnable), par rapport au dossier, la prépondérance des conclusions de la sous-ministre adjointe est défendable; ce que le demandeur faisait se traduit dans la description de travail en litige.

[90]  En examinant avec du recul la norme de la décision raisonnable à l’égard de la décision dans son ensemble, sans traiter le processus judiciaire comme une chasse au trésor d’erreurs, je suis d’avis que la décision du troisième palier est de surcroît intelligible et défendable au regard des faits et du droit comme il est établi dans Dunsmuir (à l’exception de la question d’équité procédurale).

VI.  Conclusion

[91]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent de palier de grief avec l’aide d’un autre conseillé des relations de travail, s’appuyant sur un dossier qui exclue la note de service Schatz/Brannen, la décision du deuxième palier et le rapport de M. Baier, mais qui comprend la décision du premier palier, entre autres documents que les parties seraient autorisées à présenter. Le demandeur a demandé une audience de 10 jours au plus qui lui aurait été accordée, selon lui, si l’arbitrage avait été possible, p. ex., si l’AJJ l’avait approuvée, mais en ce qui concerne l’affaire en l’espèce, ce sujet est matière à discussion avec l’agent de troisième palier de grief; par conséquent, aucune ordonnance de la sorte n’est rendue.

VII.  Dépens

[92]  Les deux parties demandent des dépens et dans le cours normal des choses des coûts suivent l’événement. À la fin de l’audience, j’ai demandé aux deux parties quel montant forfaitaire elles devraient recevoir dans l’éventualité de leur succès. Le demandeur a demandé 3 500 $ pour les honoraires et une somme de 1 713,77 $ pour les dépenses; le défendeur a demandé un montant forfaitaire de 1 500 $.

[93]  J’ai tenu compte d’un certain nombre de facteurs : le fait que la demande du demandeur a été accueillie; la règle générale que les dépens se règlent à la suite de l’événement; le fait, toutefois, que le demandeur est un plaideur non représenté pour qui rien n’indiquait qu’une rémunération était prévue; le fait que ce contrôle judiciaire est un peu plus complexe que d’autres. J’ai également tenu compte du bien-fondé de l’argument du demandeur concernant une ordonnance spéciale de dépens pour exprimer la désapprobation de la Cour du comportement du défendeur, mais j’en conclus autrement selon la preuve que cela est simplement une affaire évidente de manque d’équité procédurale qui doit être redressée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. À mon avis, un montant forfaitaire raisonnable qui comprend tout (y compris les honoraires, les dépenses, les taxes et autres montants mesurables) est de 2 500 $, que le défendeur devra payer au demandeur.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accordée et la décision de la sous-ministre adjointe en tant qu’agent de troisième palier de grief est annulée.

  2. L’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent de troisième palier de grief avec l’aide d’un autre conseiller des relations de travail.

  3. Dans le cadre d’un nouvel examen de la sorte, le nouvel agent de palier de grief devra procéder à l’examen d’un dossier qui ne comprend ni la note de service Schatz/Brannen, ni la décision du deuxième palier de grief, ni le rapport de M. Baier, ni la décision de l’agent du troisième palier de grief, mais qui devra inclure la décision de l’agent du premier palier de grief et tout autre document que les parties auraient l’autorisation de présenter.

  4. Le défendeur doit payer au demandeur des dépens de 2 500 $.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 22e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1072-15

 

INTITULÉ :

DALE KOHLENBERG c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 avril 2017

 

COMPARUTIONS :

Dale Kohlenberg

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Caroline Engmann

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour le défendeur

 

 

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