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Date : 20170510


Dossier : IMM-4212-16

Référence : 2017 CF 486

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ZHUOHUI MAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Mai, est un citoyen chinois qui a présenté une demande d’asile au Canada, parce qu’il craignait que les autorités gouvernementales chinoises le forcent à subir une stérilisation dans le cadre des politiques de planification familiale de ce pays. La Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de la charge qui lui incombait d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté pour un des motifs de la Convention ou, selon la prépondérance des probabilités, qu’il soit personnellement exposé à une menace à sa vie ou à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités.

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SAR a rendu une décision raisonnable; la présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

I.                    Contexte

[3]               Le demandeur et sa femme ont deux enfants : une première fille née en 1997 et une deuxième, née en 2002. Cette famille a été autorisée à avoir deux enfants, car elle détient un hukou (certificat de résidence) rural qui permet une exception à l’habituelle politique de l’enfant unique.

[4]               Après la naissance de leur deuxième fille, la femme du demandeur a dû se faire poser un dispositif intra-utérin. Cette dernière a également dû se soumettre à des suivis réguliers pour vérifier le dispositif intra-utérin et déceler toute grossesse. Des problèmes de santé ont ultérieurement forcé le retrait du dispositif intra-utérin, mais la femme a continué d’être soumise à des contrôles réguliers de grossesse.

[5]               Lors d’un de ces suivis, en 2010, on a découvert que la femme du demandeur était enceinte. La femme a dû subir un avortement et payer une amende. On l’a également obligée à porter un autre dispositif intra-utérin et à se soumettre à des contrôles réguliers du dispositif intra-utérin et de grossesse.

[6]               En octobre 2015, lors d’un autre suivi, on a découvert que la femme du demandeur était de nouveau enceinte. Elle a de nouveau été forcée à subir un avortement et à payer une deuxième amende. À cause de complications dues à l’avortement, la femme n’a pas été stérilisée. Le demandeur et sa femme ont alors été visés par une ordonnance de stérilisation.

[7]               Le demandeur a indiqué qu’ils ont commencé à se cacher le 10 octobre 2015, car la stérilisation devait être pratiquée le 20 octobre 2015. Le 20 octobre 2015, des responsables du service de planification familiale ont lancé une recherche pour les retrouver, et leurs filles ont été expulsées de l’école.

[8]               Le demandeur a obtenu un visa pour se rendre aux États-Unis le 16 décembre 2015. Il a présenté une demande de visa canadien le 15 janvier 2016; il a quitté la Chine le 12 février 2016 et a présenté une demande d’asile à son arrivée au Canada. Le demandeur a déclaré que sa femme est restée en Chine où elle se cache toujours des autorités.

[9]               Une audience a été menée devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la CISR, le 16 mai 2016. La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison de doutes quant à sa crédibilité et à l’existence d’une crainte subjective.

[10]           Le 7 septembre 2016, la SAR a confirmé la décision de la SPR et rejeté l’appel, en application de l’alinéa 111(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

II.                 Décision de la SAR

[11]           La SAR a pris en compte le délai de quatre mois qui s’est écoulé avant que le demandeur quitte la Chine, ainsi que la période d’un mois entre l’obtention de ses visas pour les États-Unis et le Canada. La SAR ne partage pas l’avis de la SPR lorsque celle-ci déclare que la période d’un mois entre l’obtention du visa américain et la présentation d’une demande de visa canadien constitue un facteur déterminant pour établir l’absence de crainte subjective; la SAR conclut en revanche que l’attente de quatre (4) mois, entre le moment où le demandeur a commencé à se cacher et son départ de la Chine, est importante eu égard aux conséquences que le demandeur craignait de subir.

[12]           La SAR a aussi examiné la conclusion de la SPR concernant le motif fourni par le demandeur pour expliquer pourquoi sa femme ne l’avait pas accompagné au Canada. Durant son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il aurait fallu à sa femme vingt (20) jours pour présenter une demande de passeport. La SPR a conclu que le demandeur n’avait fourni aucune réponse utile ni aucun motif raisonnable pour expliquer pourquoi il n’avait pas fait de demande de passeport au nom de sa femme durant les quatre mois précédant son départ de la Chine. La SAR est d’accord avec la SPR et estime que le manque d’informations fournies par le demandeur pour expliquer pourquoi sa femme ne l’a pas accompagné au Canada mine sérieusement les principales allégations à l’appui de sa demande.

[13]           Durant l’examen de la question portée en appel, la SAR a jugé que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans ses conclusions concernant la crédibilité du demandeur. La SAR met en effet en doute la crédibilité du motif invoqué par le demandeur pour quitter la Chine, c’est-à-dire la stérilisation forcée, parce que celui-ci n’a fourni aucune explication à l’appui.

[14]           La SAR a également mentionné le fait que la Chine a adopté une nouvelle politique qui autorise les couples à avoir deux enfants; cette nouvelle politique, entrée en vigueur le 1er janvier 2016, est un autre facteur qui doit être pris en compte pour évaluer les risques pour le demandeur. Comme la femme du demandeur a été autorisée à avoir deux enfants et que, dans certains cas, la nouvelle politique autorise les couples à présenter une demande pour avoir d’autres enfants, la SAR a jugé qu’il était moins probable qu’un troisième enfant entraîne l’imposition d’une amende. Et, même si une amende était imposée, il ne s’agirait pas d’un facteur suffisamment grave pour constituer une persécution.

[15]           La SAR a aussi conclu que les éléments de preuve crédibles étaient insuffisants pour établir que le demandeur subirait un traitement persécutoire de la part des responsables de la planification familiale s’il retournait dans sa province natale du Guangdong. La SAR a jugé que les éléments de preuve documentaires sur la situation au Guangdong ne permettaient pas d’étayer la crainte subjective de persécution du demandeur. Par conséquent, la SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur ne risque pas d’être soumis à une stérilisation forcée par les responsables de la planification familiale à son retour en Chine.

III.               Question en litige

[16]           La question principale à examiner en l’espèce est de savoir si la décision de la SAR, quant aux conclusions défavorables concernant la crédibilité du demandeur et au risque de stérilisation forcée, est raisonnable.

IV.              Norme de contrôle

[17]           Les décisions de la SAR qui portent sur des questions de droit et de fait sont examinées en regard de la norme de la décision raisonnable : (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica], au paragraphe 35).

[18]           De même, l’appréciation de la preuve et les conclusions quant à la crédibilité sont elles aussi examinées en regard de la norme de la décision raisonnable (Jin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595, au paragraphe 4).

[19]           La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

V.                 Analyse

A.                 Crédibilité

[20]           Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la preuve. Le demandeur relève plus particulièrement le passage suivant de la déclaration de la SAR : [traduction] « le demandeur était censé vivre caché, mais il a malgré tout été en mesure de se rendre à deux entrevues afin d’obtenir son visa pour les États-Unis ». Le demandeur soutient que la SAR commet une erreur en mettant sur le même pied la capacité du demandeur de se rendre dans un établissement gouvernemental américain et la capacité de sa femme de se rendre dans un établissement gouvernemental de la République populaire de Chine, et que la SAR laisse ainsi entendre que sa femme aurait pu sortir pour se procurer un passeport.

[21]           Cependant, après examen de la décision dans tout son contexte, il ne fait aucun doute que la conclusion défavorable de la SAR, quant à la crédibilité des arguments invoqués par le demandeur pour expliquer pourquoi sa femme n’avait pu obtenir de passeport, repose sur le fait que le demandeur a lui-même déclaré durant son témoignage qu’il n’avait pas fait de demande de passeport parce que cela aurait pris environ vingt (20) jours. Le demandeur n’a fourni aucune autre explication ni aucun autre élément de preuve pour justifier pourquoi il avait quitté la Chine sans sa femme.

[22]           Les décisions de la SPR et de la SAR reposent sur des conclusions générales quant à la crédibilité. Les conclusions de fait et les conclusions sur la crédibilité relèvent de la compétence fondamentale de la SPR et, compte tenu des connaissances spécialisées de la SPR et de son expérience, les décisions sur la crédibilité commandent une grande déférence (Khakimov c. Canada [Immigration, Réfugiés et Citoyenneté], 2017 CF 18, au paragraphe 23).

[23]           En se fondant sur les éléments de preuve qui lui ont été présentés, la SAR a fait une évaluation indépendante des faits et a confirmé les conclusions défavorables de la SPR concernant la crédibilité du demandeur. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve et de substituer ses propres conclusions à celles de la SAR. Aucune interférence de la Cour n’est justifiée si la décision est raisonnable, que la Cour soit d’accord ou non avec les conclusions de la SAR.

[24]           Je conclus que la décision de la SAR concernant la crédibilité du demandeur est raisonnable. La SAR a procédé à une évaluation indépendante de la preuve au dossier et a, à juste titre, retenu les conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

B.                 Risque de stérilisation

[25]           Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant que la nouvelle politique de la Chine autorisant les couples à avoir deux enfants dissiperait ses craintes. Selon le demandeur, l’entrée en vigueur de cette politique ne change pas sa situation, car elle ne permet pas aux couples, même à ceux vivant en régions rurales, d’avoir un troisième enfant. Comme le demandeur et sa femme ont déjà deux enfants, rien n’a changé du point de vue des responsables de la planification familiale qui recherchent le demandeur pour qu’il subisse une stérilisation. Le demandeur allègue en outre que la documentation présentée à la SAR montre que les autorités gouvernementales ont recours à des tactiques indûment rigoureuses pour assurer le respect de leurs politiques (p. ex. avortements, stérilisations et parfois même incarcération).

[26]           Il était raisonnable pour la SAR de conclure qu’il y a une forte probabilité que le demandeur ne se retrouve pas en situation d’infraction à la loi, en particulier compte tenu du fait que le demandeur et sa femme ont été autorisés à avoir deux enfants, à une époque où la politique en vigueur était celle de l’enfant unique.

[27]           Enfin, il était également raisonnable pour la SAR de conclure que toute « amende » potentielle équivaudrait simplement à une amende, et non à de la persécution, car les éléments de preuve documentaires propres à la province du Guangdong (là où vit la famille du demandeur), qui ont été présentés, montrent qu’il existe un vaste système de frais d’assistance sociale qui s’appliquent aux naissances ne respectant pas la politique.

[28]           Les conclusions de la SAR sont conformes aux décisions antérieures de notre Cour selon lesquelles l’imposition d’une amende d’application générale ne suffit pas pour équivaloir à de la persécution. Dans la décision Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 610, la Cour indique ce qui suit :

[17] La Cour fédérale a déjà décidé que les amendes imposées à l’égard de la violation de la politique chinoise en matière de planification familiale n’ont généralement pas un caractère de persécution. Le défendeur invoque la décision rendue dans Lin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 66 FTR 207, 24 Imm LR (2d) 208 (C.F. 1re inst.), où le juge Paul Rouleau a souligné ce qui suit au paragraphe 6 : « les sanctions pécuniaires, prises pour faire respecter la loi, ne sont pas assimilables à de la persécution ».

[19] […] Bien que les amendes infligées aux mères non mariées soient supérieures à celles qui s’appliquent aux couples mariés, aucun élément de preuve n’établit que cette distinction est discriminatoire et encore moins qu’elle constitue une forme de persécution. Le seul fondement de l’argument de la demanderesse quant au caractère persécutoire de l’amende semble être le montant. Cependant, en l’absence d’élément de preuve ou d’argument à cet égard, la Cour n’a aucune raison de modifier la conclusion de la Commission selon laquelle l’amende n’a pas un caractère de persécution.

[29]           Il n’appartient pas à la SAR de prouver que le demandeur ne sera pas persécuté. C’est plutôt au demandeur qu’il incombe d’établir qu’il serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution s’il retournait en Chine (Sanmugalingam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 200, au paragraphe 10).

[30]           Après avoir fait une évaluation indépendante du dossier, la SAR a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de la charge qui lui incombait d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté pour un des motifs de la Convention ou, selon la prépondérance des probabilités, qu’il soit personnellement exposé à une menace à sa vie ou à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités.

[31]           Il s’agit d’une conclusion raisonnable qui doit faire l’objet de déférence de la part des tribunaux.

VI.              Conclusion

[32]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4212-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR est rejetée.

2.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4212-16

INTITULÉ :

ZHUOHUI MAI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 mars 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 10 mai 2017

COMPARUTIONS :

Diane B. Coulthard

Pour le demandeur

Christopher Crighton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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