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Date : 20170529


Dossier : T-1482-15

Référence : 2017 CF 528

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2017

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

MARCELLE LUSSIER

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le Procureur général du Canada [PGC] sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un réviseur indépendant le 30 juillet 2015 dans le cadre d’une demande de révision par un tiers indépendant [RTI]. Encadré par une directive interne de l’Agence du revenu du Canada [ARC] intitulée « Directive de l’Agence du revenu du Canada (ARC) sur le traitement des demandes de révision par un tiers indépendant (RTI) » [Directive], ce processus d’examen permettait jusqu’en mai 2015 aux employés de l’ARC de contester notamment les décisions du dernier palier de griefs liées à une rétrogradation pour des motifs non disciplinaires.

II.                Contexte

[2]               Madame Lussier est à l’emploi de l’ARC depuis 1988. Au mois d’août 1999, elle est promue à un poste de vérificatrice fiscale de groupe et niveau AU-01 pour une période à durée indéterminée.

[3]               Dès 2002, Madame Lussier éprouve des problèmes de productivité liés à une condition médicale. À la demande de l’ARC, elle rencontre divers professionnels de la santé afin d’évaluer ses limitations fonctionnelles au travail ainsi que les mesures d’adaptation à mettre en place pour optimiser son rendement. Elle est affectée à des postes de groupes et niveaux inférieurs tout en maintenant une protection salariale au poste de vérificatrice de groupe et niveau AU-01. En 2007, elle est réintégrée à son poste de vérificatrice de groupe et niveau AU-01, puis en 2008, pour une période de neuf (9) mois, elle est nommée à titre intérimaire à un poste de vérificatrice de groupe et niveau AU-02.

[4]               En 2010, suite aux lacunes observées par la gestion de l’ARC dans son rendement au travail dans le poste de vérificatrice de groupe et niveau AU-01, l’ARC décide d’affecter Madame Lussier à un poste d’agent de programme d’observation de groupe et niveau inférieurs SP-04 tout en maintenant son salaire de groupe et niveau AU-01.

[5]               Après une période d’essai de neuf (9) mois, l’ARC avise Madame Lussier le 18 juillet 2012 que la décision a été prise de la rétrograder à un poste de commis général de bureau de groupe et niveau SP-02. On lui indique qu’en raison de ses limitations fonctionnelles, elle n’atteint pas les attentes de rendement du poste d’agent d’observation de groupe et niveau SP-04.

[6]               Le 10 août 2012, Madame Lussier présente un grief individuel contestant sa rétrogradation. Elle allègue que l’ARC n’a pas mis en œuvre les mesures d’accommodement raisonnables compte tenu de sa condition médicale.

[7]               Le grief de Madame Lussier est rejeté le 13 août 2013. Tout en reconnaissant que les problèmes de rendement sont reliés à la condition médicale de Madame Lussier, l’ARC considère que Madame Lussier n’est pas en mesure de répondre aux exigences de son poste malgré les mesures d’accommodement prises pour l’aider à atteindre ses objectifs.

[8]               Puisque sa rétrogradation n’est pas liée à des motifs disciplinaires ou d’inconduite et que son grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique en vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail de la fonction publique, LC 2003, c 22, art. 2 [LRTFP], Madame Lussier présente une demande de RTI le 10 septembre 2013.

[9]               L’ARC refuse initialement de référer le grief au processus de RTI au motif que la demande a été soumise neuf (9) jours hors délai. Cette décision est contestée devant cette Cour et le 6 janvier 2015, le juge Michel M.J. Shore accueille la demande de contrôle judiciaire. Il statue que la demande de RTI soit réexaminée conformément à ses motifs (Lussier c Canada (Revenu national), 2015 CF 10 [Lussier]).

[10]           Devant le réviseur indépendant, Madame Lussier allègue notamment que les mesures d’adaptation prises par l’ARC pour l’aider à atteindre ses objectifs de rendement étaient déficientes et non conformes aux recommandations formulées par les professionnels de la santé consultés depuis 2002. Elle prétend avoir démontré qu’elle était en mesure de répondre aux exigences de son poste lorsque des conditions favorables étaient présentes. Elle demande donc au réviseur indépendant d’ordonner sa réintégration à un poste de groupe et niveau AU-01.

[11]           En réponse, l’ARC prétend que le réviseur indépendant n’a pas la compétence pour considérer les arguments de Madame Lussier relatifs à l’accommodement de sa condition médicale. Il soumet que les questions touchant l’obligation de prendre des mesures d’accommodement ou d’adaptation en milieu de travail relèvent de l’application ou de l’interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [LCDP]. Or, selon la Directive, un réviseur indépendant ne peut se prononcer sur des questions liées à l’interprétation ou à l’application de la LCDP.

[12]           Subsidiairement, l’ARC prétend que la rétrogradation de Madame Lussier était justifiée puisque l’ARC a mis en œuvre toutes les mesures d’adaptation recommandées par les professionnels de la santé pour permettre à Madame Lussier d’atteindre ses objectifs de rendement au travail et d’accomplir les tâches et fonctions liées à son poste de vérificatrice fiscale de groupe et niveau AU-01 et du poste d’agent de programme d’observation de groupe et niveau SP-04.

[13]           Le 30 juillet 2015, le réviseur indépendant accueille la demande de RTI et ordonne la réintégration de Madame Lussier à son poste de vérificatrice de groupe et niveau AU-01.

[14]           Sur la question de sa compétence, le réviseur indépendant reconnait qu’il n’a pas la compétence en vertu du processus de RTI pour entendre des demandes de RTI fondées sur la LCDP pour des raisons de discrimination. Il considère toutefois que la demande de Madame Lussier n’est pas fondée sur « la discrimination pour l’un des motifs nommés de la LCDP », mais plutôt sur la rétrogradation de Madame Lussier. D’avis que les mesures d’aménagement en milieu de travail relèvent d’un devoir légal fondamental de la part de l’employeur et que l’obligation d’accommoder un employé pour des raisons de santé n’est pas exclusive aux droits de la personne, le réviseur indépendant confirme qu’il a la compétence pour entendre la contestation de Madame Lussier et de déterminer si la rétrogradation était justifiée ou non.

[15]           Sur le fond du dossier, le réviseur indépendant conclut que Madame Lussier serait en mesure de fournir sa prestation de travail avec des mesures d’adaptation raisonnables mises en œuvre par l’ARC, et ce, malgré sa condition médicale. Il conclut également que l’ARC n’a pas démontré le caractère excessif de la mise en œuvre de telles mesures. À cet égard, il souligne que lorsqu’un plan d’action a été mis en place afin d’accommoder Madame Lussier et que le plan a été suivi avec minutie par le gestionnaire concerné, Madame Lussier a été en mesure de fournir sa prestation de travail et a même été nommée de façon intérimaire dans le poste de vérificatrice de groupe et niveau AU-02.

III.             Questions en litige

[16]           La présente demande soulève les deux (2) questions suivantes :

a)                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

b)                  Est-ce que le réviseur indépendant a commis une erreur révisable en concluant qu’il avait la compétence pour trancher la demande de révision de Madame Lussier?

[17]           Seule la question de compétence fait l’objet du litige. La conclusion du réviseur indépendant quant au bien-fondé de la rétrogradation ne fait pas l’objet de la présente demande.

IV.             Analyse

A.                Norme de contrôle

[18]           Le PGC prétend que la norme de contrôle applicable à la question de la compétence du réviseur indépendant est celle de la décision correcte. Il allègue que la question sur les mesures d’adaptation reliées à la condition médicale de Madame Lussier porte sur l’interprétation ou l’application de la LCDP, qui n’est ni la loi habilitante du réviseur indépendant, ni une loi étroitement liée à son mandat. Il ajoute que rien n’indique que le réviseur indépendant a acquis une expertise dans l’application ou l’interprétation des questions pouvant être liées à la LCDP.

[19]           De façon subsidiaire, le PGC soutient que si la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, l’interprétation du réviseur indépendant quant à sa compétence n’est pas intelligible et n’appartient pas à l’une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).

[20]           Pour sa part, Madame Lussier fait valoir que la question de la compétence du réviseur indépendant découle non pas de l’interprétation ou de l’application de la LCDP, mais plutôt de l’interprétation de la Directive. Elle est d'avis que la norme applicable est celle de la décision raisonnable.

[21]           La première étape pour déterminer la norme de contrôle applicable est celle de vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. Si la jurisprudence ne l’établit pas, la Cour doit procéder à une analyse pour déterminer la norme de contrôle applicable (Dunsmuir aux para 57, 62, 64).

[22]           En l’espèce, les parties soutiennent que la jurisprudence n’a pas encore établi la norme de contrôle applicable. L’analyse de la norme de contrôle applicable à une décision rendue par un réviseur indépendant dans le cadre d’une demande de RTI a déjà été effectuée par cette Cour dans le dossier Canada (Agence des douanes et du revenu) c Kapadia, 2005 CF 1568 [Kapadia]. Dans cette affaire, la demanderesse avait sollicité l’annulation de la décision du réviseur indépendant qui avait ordonné qu’un processus de sélection soit recommencé au motif que la candidature de la défenderesse avait été écartée de manière arbitraire. La Cour a jugé que la norme de contrôle était celle de la décision raisonnable simpliciter (Kapadia aux para 8-15).

[23]           Puisque cette décision est antérieure à l’affaire Dunsmuir et que la Directive en l’instance est postérieure à celle dans l’affaire Kapadia, la Cour entend donc effectuer l’analyse relative à la norme de contrôle.

[24]           Selon la jurisprudence, il y a lieu de présumer que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision d’un organisme administratif qui interprète sa loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47 au para 23 [Edmonton East]; Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16 au para 46; McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 au para 21; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association), 2011 CSC 61 aux para 30, 34, 39 [Alberta Teachers’ Association]). Il en est de même lorsqu’il s’agit d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés (Dunsmuir au para 51).

[25]           Cette présomption est cependant réfutée en présence des quatre (4) catégories de questions identifiées dans Dunsmuir qui commandent l’application de la norme de la décision correcte, soit les questions constitutionnelles touchant au partage des compétences, les questions qui sont « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère[s] au domaine d’expertise de l’arbitre», les questions « touchant véritablement à la compétence », et les questions relatives à la « délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents » (Edmonton East au para 24; Dunsmuir aux para 58-61).

[26]           En l’instance, la question de la compétence du réviseur indépendant engage l’interprétation par le réviseur indépendant de la Directive régissant le processus de RTI.

[27]           Le processus de RTI a été établi conformément au paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, LC 1999, c 17 qui permet à l’ARC, en tant qu’« organisme distinct » pour les fins de la LRTFP, d’élaborer un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

[28]           En vertu de l’alinéa 51(1)g) de cette même loi, l’ARC peut prévoir, pour des motifs autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et préciser dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées.

[29]           La Directive est entrée en vigueur le 1er mai 2005. Elle s’applique aux différends qui impliquent soit (1) la dotation, conformément à la politique en dotation à l’ARC, ou (2) les relations de travail, dans certaines situations particulières, dont notamment le licenciement ou la rétrogradation d’un employé pour toute autre raison qu’un manquement à la discipline ou une inconduite.

[30]           Selon les sections 2C et 2F de la Directive, lorsqu’un employé fait une demande de RTI, le Bureau de gestion des différends [BGD] de l’ARC examine la demande pour déterminer si la demande est admissible et dans l’affirmative, assigne le dossier à un réviseur indépendant. Dès qu’il accepte de gérer un dossier, le réviseur indépendant communique avec les parties pour les informer de son mandat et confirmer sa compétence dans la révision du dossier. Il précise la nature du dossier et des questions à examiner et décrit le processus de révision et des délais à respecter (section 3F, paragraphe 2 de la Directive). Tout au long du processus, le réviseur indépendant applique les principes d’équité procédurale comme le droit d’être entendu et le droit de contester les arguments et consulter les documents de la partie adverse (section 3F, paragraphe 16 de la Directive). Il est également habilité à prendre des décisions concernant sa compétence ou le traitement des dossiers (section 3F, paragraphe 6 de la Directive). Au terme du processus de révision, il rend une décision finale et exécutoire dans un rapport final (section 3F, paragraphe 25 de la Directive).

[31]           Selon le paragraphe 28 de la section 3F de la Directive, dans les cas de rétrogradation, le réviseur indépendant peut adopter les mesures correctives suivantes : (1) ordonner la réintégration de l’employé ou son retour au groupe et au niveau de classification antérieurs, mais ne peut se prononcer sur des questions liées à l’interprétation ou à l’application de la LCDP; et (2) ordonner le paiement du traitement et des avantages perdus.

[32]           Dans ce contexte, la Cour est d’avis que le réviseur indépendant interprète sa loi constitutive, soit la Directive, pour déterminer s’il a la compétence pour trancher la demande de Madame Lussier d’être réintégrée dans son poste. De plus, et ce jusqu’à preuve du contraire, il doit être considéré comme détenant une connaissance approfondie des questions liées à l’emploi. La déférence à ses conclusions est donc de mise, favorisant ainsi l’application de la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir au para 54; Alberta Teachers’ Association au para 30).

[33]           Par ailleurs, la Cour considère que la compétence du réviseur indépendant soulève une question mixte de faits et de droit, à savoir si la décision de rétrograder Madame Lussier était justifiée compte tenu des obligations de l’ARC d’accommoder sa condition médicale. Ce facteur milite également en faveur d’une retenue judiciaire.

[34]           Enfin, la Cour est d’avis que la question de savoir si le réviseur indépendant a la compétence pour adjuger la demande de Madame Lussier n’appartient pas à l’une des catégories établies des questions qui commandent l’application de la norme de contrôle de la décision correcte.

[35]           Par conséquent, la Cour entend donc aborder la décision du réviseur indépendant sur sa compétence à trancher la demande de révision de Madame Lussier sous l’angle de la raisonnabilité. Suivant cette norme de contrôle, la Cour n’interviendra que si la décision ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47).

B.                 La compétence du réviseur indépendant

[36]           Le PGC soutient qu’il n’était pas loisible au réviseur indépendant de déterminer qu’il avait la compétence pour se prononcer et décider la question sur les mesures d’adaptation liées à la déficience de Madame Lussier et la contrainte excessive. Selon le PGC, cette question soulève une allégation de discrimination fondée sur la déficience de Madame Lussier et relève du domaine des droits de la personne dont notamment les articles 3, 7(b) et 15 de la LCDP. Or, selon la Directive, le réviseur indépendant ne peut se prononcer sur des questions liées à l’interprétation ou à l’application de la LCDP.

[37]           Pour sa part, Madame Lussier prétend que la décision du réviseur indépendant est conforme au libellé de la Directive. La Directive ne peut être interprétée comme évinçant la compétence du réviseur indépendant en matière d’accommodement.

[38]           Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis que la décision du réviseur indépendant sur sa compétence à trancher la demande est raisonnable, et ce même si ses motifs sont imparfaits à certains égards (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 12).

[39]           Le passage sur lequel s’appuie le PGC apparait au paragraphe 28 de la section 3F de la Directive. Or, ce paragraphe porte spécifiquement sur les mesures correctives que peut appliquer le réviseur indépendant. Un tableau y est inséré où l’on retrouve les mesures correctives applicables pour chacun des trois (3) types de dossiers prévus par la Directive: (1) dotation; (2) licenciement ou rétrogradation pour toute autre raison qu’un manquement à la discipline ou une inconduite; et (3) griefs liés à certaines politiques de l’ARC selon la Procédure de règlement des griefs portant sur les politiques de l’ARC. La Directive précise que dans les cas de licenciement ou de rétrogradation, le réviseur indépendant peut ordonner la réintégration de l’employé au groupe et au niveau de classification antérieurs mais ne peut se prononcer sur des questions liées à l’interprétation ou à l’application de la LCDP. Il est également prévu que le réviseur indépendant peut ordonner le paiement du traitement ou des avantages perdus.

[40]           Compte tenu de l’emplacement de la limitation et qu’il s’agit du seul endroit où elle s’y retrouve dans la Directive, il est raisonnable de conclure que cette limitation est restreinte aux mesures correctives. La Cour estime convaincant l’argument de Madame Lussier selon lequel l’objet d’une telle restriction est d’empêcher que le réviseur indépendant applique les mesures correctives qui sont du ressort du Tribunal canadien des droits de la personne, prévues à l’article 53 de la LCDP. Ces mesures sont plus variées que celles prévues à la Directive et peuvent inclure notamment, le pouvoir d’ordonner l’adoption de programmes de promotion sociale, le paiement de dommages pour préjudice moral, le paiement d’une indemnité spéciale dans les cas d’actes discriminatoires délibérés ou inconsidérés ainsi que le paiement d’intérêts.

[41]           Contrairement aux prétentions du PGC, la Cour est d’avis que la limitation prévue au paragraphe 28 de la section 3F n’a pas pour effet d’empêcher le réviseur indépendant d’appliquer l’ensemble du droit en matière de droits de la personne.

[42]           Cette interprétation est cohérente avec la jurisprudence qui reconnait aux arbitres de griefs le pouvoir et la responsabilité de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur les droits de la personne et les autres lois en matière d’emploi pour le motif que l’attribution d’un tel pouvoir favorise un règlement rapide, définitif et exécutoire des conflits de travail (Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c SEEFPO, section locale 324, 2003 CSC 42 aux para 40, 41, 50, 52 [Parry Sound]; Tranchemontagne c Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14 au para 39 [Tranchemontagne]; Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52 aux para 21, 45, 53 [Figliola]).

[43]           Il est également reconnu qu’en raison de son caractère quasi constitutionnel, la législation en matière de droits de la personne doit recevoir une interprétation large et qui favorise une application accessible (Tranchemontagne aux para 33, 52; Figliola au para 53). Dans Tranchemontagne, la Cour suprême du Canada énonçait au paragraphe 26 de sa décision :

26        La présomption qu’un tribunal administratif peut aller au-delà de sa loi habilitante — contrairement à celle qu’il peut se prononcer sur la constitutionnalité — découle du fait qu’il est peu souhaitable qu’un tribunal administratif se limite à l’examen d’une partie du droit et ferme les yeux sur le reste du droit.  Le droit n’est pas compartimenté de manière à ce que l’on puisse facilement trouver toutes les sources pertinentes à l’égard d’une question donnée dans les dispositions de la loi habilitante d’un tribunal administratif.  Par conséquent, restreindre la capacité d’un tel tribunal d’examiner l’ensemble du droit revient à accroître la probabilité qu’il tire une conclusion erronée.  Les conclusions erronées entraînent à leur tour des appels inefficaces ou, pire encore, un déni de justice.

[44]           La LCDP reconnait elle-même que la résolution des questions relatives aux droits de la personne n’est pas du ressort exclusif de la Commission canadienne des droits de la personne [CCDP] et du Tribunal canadien des droits de la personne. Selon l’alinéa 41(1)b) de la LCDP, lorsqu’une plainte de discrimination a été déposée à la CCDP, la CCDP peut déclarer la plainte inadmissible si elle estime que la plainte pourrait être avantageusement instruite, dans un premier temps, selon une procédure prévue par une autre loi fédérale. Le législateur a donc envisagé la possibilité que d’autres organismes administratifs puissent se prononcer sur ces questions. Le procureur de Madame Lussier a d’ailleurs informé la Cour au moment de l’audience que la CCDP avait refusé le 20 août 2013 d’examiner la plainte déposée par Madame Lussier le 23 juillet 2013 en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la LCDP au motif que Madame Lussier devait d’abord déposer un grief en vertu de la LRTFP.

[45]           La Cour suprême du Canada s’est penchée sur la relation entre la compétence de la Commission des droits de la personne de l’Ontario et celle d’un arbitre de griefs dans l’affaire Parry Sound. Elle a affirmé que même si la Commission des droits de la personne de l’Ontario possède une plus grande expertise que les arbitres de griefs en matière de règlement de violations des droits de la personne, ceci n’est pas un motif suffisant pour conclure que l’arbitre de griefs ne devrait pas avoir le pouvoir de faire respecter les droits et obligations prévus par le Code des droits de la personne de l’Ontario en plus des autres lois en matière d’emploi. Elle a de plus mentionné les avantages de l’arbitrage, telles l’accessibilité et l’expertise, et que « l’existence d’une instance accessible et peu coûteuse pour le règlement des conflits en matière de droits de la personne augmentera la possibilité pour les employés lésés de faire valoir leur droit à un traitement égal, sans discrimination et, du même coup, encouragera l’observation du Code des droits de la personne ». Enfin, la Cour a souligné qu’il était « très important que de tels conflits soient réglés rapidement et d’une manière qui ne coupe pas les rapports entre les parties » (Parry Sound aux para 52-53).

[46]           En l’instance, la Directive a pour objet d’établir un cadre de résolution de litiges équitable, rapide et efficace du point de vue monétaire pour les employés qui souhaitent contester le rejet d’un grief et qui n’ont pas accès au recours en arbitrage prévu par la LRTFP (Lussier au para 22).

[47]           Le réviseur indépendant exerce le même rôle qu’un arbitre dans le domaine des relations de travail. La Directive réfère d’ailleurs au réviseur indépendant comme un arbitre externe dans la section « Introduction » où l’on décrit sommairement le processus de RTI. La Directive stipule explicitement que le BGD « assigne les dossiers à un arbitre externe ayant le mandat d’effectuer une révision et de prendre une décision finale [et] exécutoire... ».

[48]           Qui plus est, il est logique de s’attendre qu’un régime qui vise à adresser des situations de rétrogradation, pour des raisons autres que le manquement à la discipline ou une inconduite, traite de situations où il est allégué que l’employeur a enfreint ses obligations en matière d’accommodement. Si l’on retient l’interprétation proposée par le PGC, un employé désirant contester son licenciement ou sa rétrogradation à la fois sur une base de motifs non reliés aux droits de la personne et sur la base de motifs reliés aux droits de la personne serait forcé de scinder son recours et de procéder dans différents forums. L’employé risquerait donc de se retrouver sans recours. À tout le moins, l’on ne pourrait prétendre qu’une telle façon de procéder serait « efficace » et « rapide ».

[49]           Vu l’objet et le libellé de la Directive ainsi que la jurisprudence qui favorise une application accessible, rapide et efficace des lois en matière des droits de la personne, il est donc raisonnable d’interpréter la Directive comme conférant au réviseur indépendant la compétence pour se prononcer sur des questions qui portent sur le devoir d’accommodement de l’ARC.

V.                Conclusion

[50]           À la lumière de ce qui précède, la Cour est d’avis que la décision du réviseur indépendant quant à sa compétence à trancher la demande de Madame Lussier est raisonnable puisqu’elle fait partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47). L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

[51]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens au montant de 2 500,00 $ en faveur de Madame Lussier.


JUGEMENT dans T-1482-15

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Les dépens au montant de 2 500,00 $ sont accordés à la défenderesse.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1482-15

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c MARCELLE LUSSIER

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 juin 2016

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 29 MAI 2017

COMPARUTIONS :

Kétia Calix

Pour le demandeur

Jean-Michel Corbeil

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Goldblatt Partners LLP

Avocat(e)s

Ottawa (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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