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Date : 20170531


Dossier : T-1190-16

Référence : 2017 CF 535

Ottawa (Ontario), le mercredi 31 mai 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

HABITATIONS ÎLOT ST-JACQUES INC.

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET
LA MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Habitations Îlot St-Jacques Inc. en appelle d’une ordonnance émise par Monsieur le protonotaire Richard Morneau le 27 mars dernier.

[2]               La demanderesse cherche à amender sa demande de contrôle judiciaire du 14 juillet 2016. L’ordonnance du 27 mars refuse cet amendement. La demanderesse veut faire renverser cette décision grâce à l’appel qui est possible en vertu de la règle 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles].

I.                   Les faits

[3]               À la base de toute cette affaire est le Décret d’urgence visant la protection de la rainette faux-grillon de l’ouest (population des Grands Lacs / Saint-Laurent et du Bouclier canadien) [le Décret] , DORS/2016-211 adopté le 17 juin 2016 sur la recommandation de la Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada. Ce décret d’urgence est adopté en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LC 2002, ch 29).

[4]               Ledit Décret affecte un terrain dont la demanderesse s’est portée acquéreur en 2010 et qu’elle voudrait utiliser dans le but de faire du développement résidentiel. Selon la demande de contrôle judiciaire, près de 91% du lot détenu par la demanderesse serait affecté par le Décret dont l’effet est de restreindre sensiblement la jouissance du terrain ainsi affecté.

[5]               Les conclusions recherchées dans la demande de contrôle judiciaire sont que le décret d’urgence devrait être annulé et qu’il est inopposable à la demanderesse. La Cour devrait, selon la demanderesse, retourner le dossier à la Ministre de l’Environnement et du Changement climatique afin que soient consultés ceux qui seraient affectés par un tel décret. En effet, l’argument principal présenté dans la demande de contrôle judiciaire est que la demanderesse n’a pas été consultée avant que le décret ne soit passé par le Conseil privé. Subsidiairement, on demande que le Décret soit déclaré invalide uniquement à l’égard du lot appartenant à la demanderesse.

[6]               Grâce à une requête par écrit, Habitations Îlot St-Jacques Inc. demandait à cette Cour le 1er mars 2017 d’amender sa demande de contrôle judiciaire qui ne recherchait que la cassation du décret d’urgence. Se réclamant principalement de la règle 75, la demanderesse affirme que l’amendement recherché est en fait d’ajouter ce qui a été qualifié d’une conclusion subsidiaire en mandamus, mais sans modifier les faits au dossier. Or, alors que la demande de contrôle judiciaire en place vise l’annulation du décret d’urgence, l’amendement voudrait forcer la prise d’un règlement pour permettre indemnisation.

[7]               Malgré la déclaration que les faits au dossier n’avaient pas à changer, la demande d’amendement requérait qu’une preuve supplémentaire soit admise. En effet, la demanderesse voulait faire la preuve que la valeur de sa propriété avait diminué à cause du décret d’urgence. On pourrait penser que l’ajout de ces allégués servirait de fondation grâce à laquelle elle pourrait se mériter une indemnisation aux termes de l’article 64 de la Loi sur les espèces en péril. Cet article se lit de la façon suivante :

Indemnisation

Compensation

64 (1) Le ministre peut, en conformité avec les règlements, verser à toute personne une indemnité juste et raisonnable pour les pertes subies en raison des conséquences extraordinaires que pourrait avoir l’application :

64 (1) The Minister may, in accordance with the regulations, provide fair and reasonable compensation to any person for losses suffered as a result of any extraordinary impact of the application of

a) des articles 58, 60 ou 61;

(a) section 58, 60 or 61; or

b) d’un décret d’urgence en ce qui concerne l’habitat qui y est désigné comme nécessaire à la survie ou au rétablissement d’une espèce sauvage.

(b) an emergency order in respect of habitat identified in the emergency order that is necessary for the survival or recovery of a wildlife species.

Règlements

Regulations

(2) Le gouverneur en conseil doit, par règlement, prendre toute mesure qu’il juge nécessaire à l’application du paragraphe (1), notamment fixer :

(2) The Governor in Council shall make regulations that the Governor in Council considers necessary for carrying out the purposes and provisions of subsection (1), including regulations prescribing

a) la marche à suivre pour réclamer une indemnité;

(a) the procedures to be followed in claiming compensation;

b) le mode de détermination du droit à indemnité, de la valeur de la perte subie et du montant de l’indemnité pour cette perte;

(b) the methods to be used in determining the eligibility of a person for compensation, the amount of loss suffered by a person and the amount of compensation in respect of any loss; and

c) les modalités de l’indemnisation.

(c) the terms and conditions for the provision of compensation.

[8]               Ainsi, l’avis de demande de contrôle judiciaire amendé tel que proposé par la demanderesse prévoirait la conclusion suivante qui viendrait s’ajouter aux autres déjà présentées :

Subsidiairement, ordonner au Gouverneur en conseil, conformément au paragraphe 64 (2), de prendre toutes mesures par règlement qu’il juge nécessaires à l’application du paragraphe 64 (1) de la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, ch 29, notamment fixer : a) la marche à suivre pour réclamer une indemnité; b) le mode de détermination du droit et indemnité, de la valeur de la perte subie et du montant de l’indemnité pour cette perte; c) les modalités de l’indemnisation.

La requête amendée ajoute trois paragraphes et trois pièces pour chercher à alléguer la différence de la valeur marchande du terrain affecté.

II.                La décision dont appel

[9]               Cette demande présentée comme étant une demande d’amendement a été rejetée par M. le protonotaire Morneau le 27 mars dernier (2017 CF 319).

[10]           En effet, le protonotaire a considéré qu’il s’agissait là de deux recours différents en contrôle judiciaire, ce qui contreviendrait à la règle 302 des Règles des Cours fédérales. Cette règle se lit de la façon suivante :

302 Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302 Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

[11]           Le protonotaire Morneau notait au paragraphe 5 que la demanderesse avait déjà déclaré devant la protonotaire Tabib, « de façon non-équivoque, que la seule et unique décision visée par la demande de contrôle judiciaire était celle du Gouverneur en conseil, en l’espèce le Décret d’urgence visant la protection de la rainette faux-grillon de l’ouest (population des Grands Lacs / Saint-Laurent et du Bouclier canadien ». Dit autrement, ce qui est en cause dans la demande de contrôle judiciaire originale est de la nature d’un certiorari, un des recours extraordinaires désignés à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7 [Loi sur les Cours fédérales]. L’amendement proposé est d’un autre ordre. Il est de la nature d’un mandamus. Or, comme on le constate à la seule lecture de l’article 18, certiorari et mandamus sont deux recours différents qui procèdent de la notion de contrôle judiciaire. Ils permettent l’intervention d’une cour supérieure mais leurs conditions d’exercice, tout comme d’ailleurs pour la prohibition et le quo warranto, sont bien différentes.

[12]           C’est ainsi que le protonotaire Morneau déclare au paragraphe 9 de son ordonnance :

[9]        L’aspect central et déterminant de la requête appert être l’ajout à la Demande d’une conclusion subsidiaire en mandamus. Or, ici un tel ajout ne serait pas de nature à aider dans la détermination des véritables questions litigieuses dans la Demande.

[13]           Loin de permettre de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties (Canderel Ltée c Canada, [1994] 1 CF 3 (CA)), ce que demande la demanderesse est d’ouvrir un autre front. Cette demande a été déclinée parce qu’elle n’est pas un amendement et elle permettrait deux recours dans la même demande de contrôle judiciaire.

[14]           Pour ce qui est de l’ajout au dossier de divers documents, il est aussi refusé puisque cet ajout est en support à la demande de mandamus que la demanderesse voudrait maintenant faire.

III.             Analyse

[15]           À mon sens, cette affaire trouve plus naturellement sa solution si on s’astreint à un examen rigoureux des remèdes recherchés. Cet examen mène inéluctablement à la conclusion que la demanderesse recherche un tout nouveau remède par l’« amendement » qu’elle présente. Il ne s’agit pas tant d’un amendement que d’une demande de contrôle judiciaire différente.

[16]           On peut alors considérer s’il y a lieu, en appel, de faire droit à l’argument en fonction de la norme applicable sur les appels de décisions rendues par un protonotaire.

[17]           La demanderesse recherche ce qu’elle présente comme deux amendements : une conclusion en mandamus pour forcer la mise sur pied d’un processus menant à indemnisation et la réception d’une nouvelle preuve qui traiterait de la valeur diminuée du lot affecté par le Décret. Je rappelle que les amendements proposés le sont dans le cadre d’un litige de la nature d’un certiorari où le demandeur veut faire casser le Décret en raison de vices allégués à l’équité procédurale.

[18]           Avant d’examiner de plus près les recours, il y a lieu de faire quelques commentaires relativement à la manière dont l’appel de la décision du protonotaire a été mené. Le mémoire des faits et du droit de la demanderesse ne traite pas de la norme à être appliquée en appel. Pourtant, c’est un élément essentiel. La demanderesse doit établir le standard à atteindre pour avoir gain de cause à son appel. Et la seule question qui se posait devant le Protonotaire Morneau était de savoir si l’amendement devait être permis. Comme on le verra plus loin, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir puisqu’il n’y a pas eu démonstration d’une erreur de refuser la preuve supplémentaire qui n’est que l’accessoire du principal, i.e. que la preuve soutenait la demande en mandamus et n’est pertinente qu’à cet égard. De plus, le mandamus est un recours distinct que le protonotaire pouvait décider de ne pas joindre au recours déjà entamé.

[19]           Or, l’appel a été mené dans une bonne mesure comme s’il pouvait y avoir une audience de novo où la Cour pourrait substituer sa discrétion et son appréciation des faits à celle du premier décideur. J’en prends pour témoin les paragraphes 19 et 20 du mémoire des faits et du droit de la demanderesse. Elle se réclame alors de Bristol Myers Squibb Company c Apotex Inc., 2008 CF 1196. Cette affaire s’appuyait elle-même sur la fameuse décision dans Canada c Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425 (CA) [Aqua-Gem] qui déterminait la norme applicable en appel. Ce n’est plus le cas depuis qu’Aqua-Gem a été renversée par la Cour d’appel fédérale dans Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira]. Dorénavant, la seule norme en appel des décisions discrétionnaires des protonotaires est celle de tout appel en matière civile. Elle est celle décrétée par la Cour suprême du Canada dans Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235. Elle est ainsi décrite en peu de mots au paragraphe 66 d’Hospira :

[66]      La Cour suprême a exposé dans Housen la norme de contrôle applicable aux décisions des juges de première instance. Elle y a notamment établi que la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d'un juge de première instance est celle de l'erreur manifeste et dominante. Quant à la norme applicable aux questions de droit, et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu'il y a une question de droit isolable, la Cour suprême a conclu que c'est celle de la décision correcte (paragraphes 19 à 37 de Housen).

[Nos soulignements]

[20]           Il ne s’agit donc pas pour cette Cour d’accepter l’invitation de la demanderesse voulant « que le présent amendement est « vital » pour son dossier en ce qu’il permet d’ajouter un remède pouvant régler la situation dans son ensemble et demande à ce que le présent appel soit traité de novo. » (para 20, mémoire des faits et du droit) C’est plutôt à la demanderesse d’invoquer et de démontrer une erreur de droit isolable qui mènerait à la norme de la décision correcte, à défaut de quoi elle devra démontrer une erreur manifeste et dominante dans la décision du Protonotaire Morneau. Cette démonstration n’a pas été faite dans l’un et l’autre des amendements proposés.

[21]           La décision sous appel s’appuie sur deux propositions qui n’ont jamais été ébranlées. D’abord, les deux remèdes, qui prennent la forme de deux contrôles judiciaires, l’un en certiorari pour casser une décision de prendre un décret d’urgence et l’autre en mandamus pour forcer la prise de règlement pour pouvoir rechercher une indemnisation, sont complètement différents.

[22]           De façon imagée, le contrôle judiciaire de la nature d’un certiorari pourrait être vu comme étant davantage « défensif » en ce qu’il vise à faire casser une décision administrative rendue alors que le mandamus veut forcer l’exécution d’une action, étant en cela plus « offensive ». C’est ainsi que chaque recours a ses propres règles (voir Brown & Evans, Judicial Review of Administrative Actions in Canada, #1.3000 et autres et # 1200 et autres).

[23]           En l’espèce, il me semble qu’il est inattaquable que l’ajout du mandamus permettrait « dans une seule demande de contrôle judiciaire la contestation de deux processus décisionnels différents répondant à une dynamique factuelle et législative différente et indépendante. » (décision sous appel, para 10). Le recours original ne cherche qu’à faire casser le Décret. Ce Décret est pris conformément à l’article 80 de la Loi sur les espèces en périls. Il s’agit là du litige auquel la demanderesse voudrait, par amendement en vertu de la règle 75, greffer un nouveau recours. D’autre part, le mandamus désiré veut forcer une action en vertu de l’article 64 de la même Loi. On comprend pourquoi le Protonotaire Morneau parle de deux processus décisionnels différents. Les textes de loi invoqués diffèrent, les recours suivent leurs propres règles d’admissibilité et produisent des remèdes qui sont sans parenté.

[24]           La deuxième proposition du Protonotaire est que le test traditionnel, qui n’est d’ailleurs pas contesté en l’espèce, pour accepter un amendement est pris de l’arrêt Canderel Ltée c Canada, [1994] 1 CF 3 (CA). À tout stade d’une action, on peut modifier « aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses. » (p. 10) Comme le notent les auteurs Letarte, Veilleux et al dans Recours et procédure devant les Cours fédérales (LexisNexis, 2013), « plusieurs décisions autorisent des modifications lorsqu’elles sont sollicitées au cours de mise en état d’une instance et ont pour but de préciser des faits déjà en litige, sans pour autant ajouter de nouvelles causes d’action. » (#3-38) Je note que les auteurs précisent que l’amendement n’ajoute pas de cause d’action et qu’il précise les faits. Le Protonotaire a conclu que le but de la demanderesse était autre. D’une demande de contrôle judiciaire pour faire casser un Décret, l’amendement ajoute un nouveau recours afin d’obtenir éventuellement une indemnisation. L’amendement proposé ne précise pas les faits en litige quant à casser un décret; il ouvre plutôt un front différent.

[25]           La Règle 302 a sa raison d’être. Elle a été retenue par la Cour d’appel fédérale dans Zaghbib c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 182. Dans cette affaire, la Cour avait même refusé de transformer un recours en un autre, encore moins de maintenir deux tels recours dans une même demande :

[50]           Pouvons-nous renvoyer l’affaire à la Cour fédérale pour qu’elle juge si la décision de l’intimé était raisonnable? On convertirait ainsi ce qui a débuté par une demande de contrôle judiciaire pour obtenir un bref de mandamus en une demande de contrôle judiciaire pour obtenir l’annulation d’une décision. Comme il s’agit dans les deux cas d’une demande de contrôle judiciaire, on pourrait avancer qu’il s’agit d’une seule et même demande de contrôle judiciaire, assortie d’une demande de réparation qui été modifiée en cours de route. La réalité est un peu plus complexe, en ce sens que non seulement une autre réparation est sollicitée, mais une décision ou une mesure différente est en jeu.

[51]           Une modification de l’objet d’un contrôle judiciaire constitue essentiellement un nouveau contrôle judiciaire. Le paragraphe 72 (1) subordonne le contrôle judiciaire de toute mesure prise (« décision, ordonnance, question ou affaire » – prendre note de l’emploi du singulier) au dépôt d’une demande d’autorisation. Dans la même veine, l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, énonce que la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée. Ainsi, la proposition précédente relativement à « une seule et même demande de contrôle judiciaire » ne peut être retenue.

[52]           Le peu de décisions rendues par la Cour fédérale concernant cette question milite contre la proposition selon laquelle une demande de mandamus peut être convertie en une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue (voir Figueroa c. Canada (Affaires étrangères), 2015 CF 1341, [2015] A.C.F. no 1415 [Figueroa]; Farhadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 926, [2014] A.C.F. no 959 [Farhadi].

[Je souligne]

[26]           Essentiellement, la demanderesse propose la confusion des genres parce qu’elle voudrait élargir son litige. À mon avis, la décision dans Truehope Nutritional Support Ltd c Canada (Procureur général), 2004 CF 658 ne lui est d’aucune utilité. De fait, elle lui nuit. Dans cette affaire, notre Cour a permis une seule demande pour deux décisions. Le Juge Campbell a permis l’ordonnance en vertu de la règle 302; mais c’était parce que « les actes en question ne doivent pas porter sur deux situations de fait différentes, deux mesures de redressement recherchées, et deux organismes décideurs différents » (para 6). Les conditions présentées par le Juge Campbell ne sont pas présentes puisque, en notre espèce, les faits sont différents et les mesures de redressement le sont autant. La demanderesse veut maintenant alléguer la diminution de valeur de sa propriété à cause du Décret pour ainsi chercher à justifier un mandamus, et les redressements sont complètement différents. Dans un cas on voudrait que la Cour casse un Décret alors que dans l’autre on forcerait la prise de règlements aux fins d’un redressement compensatoire.

[27]           La demanderesse avait le fardeau de démontrer une erreur de droit ou démontrer une erreur manifeste et dominante. La question n’est pas pour la Cour de déterminer comment elle aurait exercé sa discrétion de novo, mais plutôt de constater si la demanderesse a établi qu’une erreur a été commise, l’erreur de droit faisant l’objet d’une norme de décision correcte alors que les autres types d’erreur font l’objet de la norme de l’erreur manifeste et dominante. Malheureusement pour la demanderesse, elle a échoué. Elle n’a pas établi une erreur de droit isolable et elle n’a pas davantage établi une erreur manifeste et dominante.

[28]           Il en est de même de la demande d’amender les faits de la requête. Ces faits nouveaux relatifs à la valeur de la propriété ne sont que l’accessoire du principal. Ils ne seraient pertinents que si une demande en mandamus est présentée puisqu’ils tendraient à établir le dommage causé en cas d’indemnisation. Les défendeurs ont plaidé que la perte de valeur n’est aucunement pertinente à une demande de contrôle judiciaire qui veut faire casser un décret visant la protection d’une espèce en péril. Le Protonotaire a accepté cette prétention. La demanderesse n’a prouvé aucune erreur nécessitant l’intervention de cette Cour.

IV.             Arguments nouveaux

[29]           À l’audience de l’appel, la demanderesse a plaidé pour la toute première fois que l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales avait une incidence sur le dossier. Cet article se lit ainsi :

Mandamus, injonction, exécution intégrale ou nomination d’un séquestre

Mandamus, injunction, specific performance or appointment of receiver

44 Indépendamment de toute autre forme de réparation qu’elle peut accorder, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d’exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition, soit selon les modalités qu’elle juge équitables.

44 In addition to any other relief that the Federal Court of Appeal or the Federal Court may grant or award, a mandamus, an injunction or an order for specific performance may be granted or a receiver appointed by that court in all cases in which it appears to the court to be just or convenient to do so. The order may be made either unconditionally or on any terms and conditions that the court considers just.

[30]           La façon de faire de la demanderesse pose problème à plus d’un égard. D’abord, cet argument prend par surprise les défendeurs en ce qu’aucun avis n’a été donné, qu’il soit dans l’avis d’appel ou dans le mémoire des faits et du droit. Cela en soi cause une autre difficulté puisque la Cour n’est saisie que d’un appel d’une décision du protonotaire qui ne se sera prononcé que sur ce qui était devant lui. Or, il n’a jamais été question devant le protonotaire Morneau de l’article 44. On peut donc se questionner sur l’à-propos de traiter dans le cadre d’un appel de la décision d’un protonotaire d’un argument qui n’a jamais même été soulevé devant ce décideur. Sans un débat plus exhaustif où les arguments seraient présentés plus complètement, il y a un risque de ne pas traiter de la question d’une manière appropriée.

[31]           C’est ainsi qu’il sera utile de délimiter la portée de l’article 44 et de déterminer s’il peut être soulevé dans le cadre d’un appel d’une décision d’un protonotaire alors que celui-ci ne peut s’être prononcé puisque la question ne s’est même pas posée devant lui. Plutôt que de refuser de considérer sans plus l’argument, parce que tardif, la Cour a préféré demander aux parties de lui présenter ses arguments par écrit.

V.                L’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales

[32]           Les parties ont fourni à la Cour des exposés supplémentaires relativement à l’argument lancé par la demanderesse en invoquant in extremis l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales.

[33]           La raison d’être de ces mémoires supplémentaires était d’expliquer l’utilisation proposée par la demanderesse puisqu’elle invoquait cet article pour la première fois lors de l’audition de l’appel. Étonnamment, la demanderesse n’a jamais expliqué dans son mémoire supplémentaire comment cette Cour pourrait, en appel, disposer d’un argument qui n’a jamais été devant le protonotaire. Le seul début d’explication, qui n’en est pas un, était que le protonotaire n’avait pas devant lui cette question puisqu’il ne pouvait ordonner le remède. Mais là n’est pas la question. Indépendamment de l’article 44, la demanderesse prétendait vouloir argumenter en faveur d’un mandamus au sein même d’une demande de contrôle judiciaire de la nature d’un certiorari. Il ne s’agissait que d’une demande d’amendement que le protonotaire avait la juridiction d’accorder même si le contrôle judiciaire, un mandamus ou un certiorari, est l’apanage du juge de la Cour fédérale. Que l’article 44 soit maintenant invoqué ne changerait rien : on parlait toujours d’un mandamus. Le protonotaire aurait pu considérer l’argument. Mais le mémoire supplémentaire, contre toute attente, a mué en une demande indépendante en mandamus.

[34]           Le mémoire supplémentaire, pour expliquer en quoi l’article 44 améliorait la position de la demanderesse lors de sa demande d’amendement pour joindre un mandamus à un certiorari, s’est transformée en une demande sui generis que la Cour se saisisse, sans autre support procédural, preuve ou argument, en une demande d’émission de bref de mandamus en vertu de l’article 44.

[35]           Une telle assertion procède d’une incompréhension de la procédure. Ainsi, la demanderesse fait la proposition encore plus surprenante que cette Cour, agissant en appel d’une décision d’un protonotaire, pourrait émettre dès maintenant une ordonnance de mandamus à l’égard de la passation de règlements, alors même que la Cour entend un tout autre recours visant l’annulation d’un décret. Cet élan d’enthousiasme de la demanderesse est mal expliqué. Il semble provenir de sa lecture de l’article 44 in fine.

[36]           En effet, la demanderesse semble croire que les mots « avec ou sans condition » créeraient une espèce de juridiction extraordinaire à la Cour fédérale. S’autorisant du mot « condition », on prétend que cela serait « lié aux conditions devant être en vigueur au moment de la mise en place du mandamus ». Ainsi, la demanderesse réfère aux conditions d’émission répertoriées dans Apotex Inc. v Canada (Attorney General), [1992] 1 CF 742 (CA) et semble lire les mots « sans condition » à l’article 44 comme permettant d’émettre un mandamus sans les conditions d’émission. Si je comprends la prétention, cela permettrait de passer outre aux conditions d’émission d’un mandamus. Il suffirait que cela paraisse juste et opportun à la Cour.

[37]           Ceci dit avec égard, cette prétention fondée essentiellement sur le mot « condition » est non avenue. C’est mal lire le texte de l’article 44 que de voir dans ce mot le remplacement des conditions d’émission du mandamus. Je reproduis à nouveau le texte de l’article 44 pour faciliter la compréhension :

Mandamus, injonction, exécution intégrale ou nomination d’un séquestre

Mandamus, injunction, specific performance or appointment of receiver

44 Indépendamment de toute autre forme de réparation qu’elle peut accorder, la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale peut, dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire, décerner un mandamus, une injonction ou une ordonnance d’exécution intégrale, ou nommer un séquestre, soit sans condition, soit selon les modalités qu’elle juge équitables.

44 In addition to any other relief that the Federal Court of Appeal or the Federal Court may grant or award, a mandamus, an injunction or an order for specific performance may be granted or a receiver appointed by that court in all cases in which it appears to the court to be just or convenient to do so. The order may be made either unconditionally or on any terms and conditions that the court considers just.

[38]           Comme on peut le constater, contrairement à la prétention de la demanderesse, le texte n’édicte pas que le mandamus peut être décerné sans que les conditions à son émission soient présentes. Ce que le texte prévoit plutôt est que les quatre recours de l’article 44 (mandamus, injonction, ordonnance d’exécution intégrale ou nomination de séquestre) peuvent donner lieu à des ordonnances qui elles seront sans condition ou selon des modalités équitables. De fait, la version anglaise est particulièrement explicite. Il ne s’agit évidemment pas des conditions nécessaires pour émettre l’ordonnance, mais plutôt des conditions à imposer dans l’ordonnance pour son exécution. Ainsi, l’article 44 ne dit pas que le mandamus peut être accordé sans les conditions d’émission; il dit plutôt que l’ordonnance émise peut ou non être assortie de conditions.

[39]           À mon avis, la demanderesse se méprend sur la portée de l’article 44. Cette disposition n’est pas unique à la Loi sur les Cours fédérales. Il s’agit d’un article attributif de compétence, sans plus. Il ne dit pas comment le recours doit être présenté à la Cour; il ne dit pas non plus que les conditions d’exercice des recours sont changées; il ne fait que dire que la Cour a cette compétence. Le juge Muldoon écrivait dans Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net (T.D.), [1992] 3 CF 155 :

Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral. Il semble clair que les articles 25 et 44 de la Loi sur la Cour fédérale, précités, satisfont à cette première exigence en attribuant compétence à la présente Cour. Ces deux dispositions n’ont aucun sens, sinon celui d’être attributives de compétence. Plus précisément, ensemble elles lui attribuent la compétence d’accorder une injonction, s’il lui paraît juste ou opportun de le faire, dans le cas où ce recours est exercé, entre administrés, en vertu du droit canadien, et ne ressortit pas à un tribunal constitué ou maintenu sous le régime d’une des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982.

(page 167)

[40]           En appel de cette décision (Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1996] 1 CF 804 [Canadian Liberty Net]), le Juge Strayer a dégagé l’origine de l’article 44 à la Supreme Court of Judicature Act, 1873 (UK), 36 & 37 Vict., ch 66. Le libellé du paragraphe 25 (8) de cette loi du Royaume-Uni qui procède de particularités du droit anglais et de son évolution était identique à plusieurs égards à notre article 44. La grande question qui se posait alors était de déterminer si la délivrance de l’injonction était limitée aux actions réelles ou éventuelles intentées ou qui pourraient l’être devant la Cour. Si le remède au mérite est de la juridiction d’une autre instance, par exemple le Tribunal des droits de la personne qui fournira un remède si approprié, l’injonction (ou le mandamus) peut-il être ordonné en attendant la conclusion d’une autre instance? En appel, l’injonction octroyée par le Juge Muldoon a été annulée. L’affaire s’est retrouvée en Cour suprême du Canada.

[41]           Dans Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626, le Juge Bastarache posait « la question de l’existence et de l’exercice approprié du pouvoir de la Cour fédérale d’accorder des injonctions dans le cadre de l’application d’une loi fédérale » (para 1). En l’espèce, la Commission canadienne des droits de la personne avait par requête demandé une injonction pour interdire la communication de messages téléphoniques, considérés par la Commission comme haineux, jusqu’à ce que le tribunal des droits de la personne dispose de plaintes. La Cour fédérale pouvait-elle émettre un tel remède? Y avait-il attribution de compétence par une loi fédérale?

[42]           Déjà, dans Fraternité des préposés à l’entretien des voies – Fédération du réseau Canadien Pacifique c Canadien Pacifique Ltée, [1996] 2 RCS 495 [Fraternité], la Cour suprême du Canada avait jugé qu’une cour supérieure provinciale pouvait émettre une injonction interdisant à l’employeur de modifier le statu quo jusqu’à ce qu’un grief ne soit décidé sur des changements d’horaires de travail décrétés par l’employeur. La disposition invoquée pour s’autoriser de compétence était l’article 36 du Law and Equity Act, RSBC 1979, ch 224 [Law Equity Act], de Colombie-Britannique dont le texte, encore une fois, a une très nette parenté avec l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales. Il se lisait :

36.  A mandamus or an injunction may be granted or a receiver or receiver manager appointed by an interlocutory order of the court in all cases in which it appears to the court to be just or convenient that the order should be made, and the order may be made either unconditionally or on terms and conditions the court thinks just. . . .

 

[TRADUCTION]  36.  Un bref de mandamus ou une injonction peut être accordé, ou un séquestre ou administrateur séquestre nommé, par ordonnance interlocutoire de la cour dans tous les cas où la cour juge juste et pratique de décerner une telle ordonnance, inconditionnellement ou aux conditions qu’elle estime justes . . .

[43]           Ainsi, la Cour a disposé de deux questions. D’abord, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a juridiction pour émettre une injonction alors même que le Code canadien du travail, LRC (1985), ch L-2, ne prévoit aucun tel recours, se réclamant alors de l’article 36 du Law Equity Act. Ensuite, la Cour a conclu que le pouvoir ainsi conféré n’est pas limité aux cas où l’injonction n’est qu’accessoire à une cause d’action régulièrement engagée devant la cour supérieure, suivant en cela l’évolution jurisprudentielle au Royaume-Uni (para 15). La conclusion aura donc été :

16        Depuis, les cours canadiennes ont appliqué l’arrêt Channel Tunnel comme signifiant que les cours ont compétence pour décerner une injonction lorsqu’il y a une question justiciable, peut importe le ressort qui éventuellement la tranchera : Amherst (Town) c. Canadian Broadcasting Corp. (1994), 133 N.S.R. (2d) 277 (C.A.), aux pp. 279 et 281; R. c. Consolidated Fastrate Transport Inc. (1995), 125 D.L.R. (4th) 1 (C.A. Ont.), aux pp. 26 et 27. Voir aussi Kaiser Resources Ltd. C. Western Canada Beverage Corp. (1992), 71 B.C.L.R. (2d) 236 (C.S.), aux pp. 244 et 245. Cela concorde avec la reconnaissance plus générale dans tout le Canada selon laquelle une cour de justice peut accorder un redressement provisoire même si le redressement définitif sera accordé par un autre tribunal : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1992] 3 C.F. 155 (1re inst.) (inf. par [1996] 1 C.F. 804 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. déposée le 25 mars 1996*); St. Anne Nackawic et Weber, précités; Moore c. British Columbia (1988), 50 D.L.R. (4th) 29 (C. A.C.-B.); Retail Store Employees’ Union, Local 832 c. Canada Safeway Ltd. (1980), 2 Man. R. (2d) 100 (C.A.); O’Leary et Kelso, précités.

[Je souligne]

[44]           Deux ans plus tard, la Cour suprême étendait la portée de Fraternité à la Cour fédérale en appliquant l’article 44. Non seulement ne fallait-il qu’il y ait une cause d’action principale pour soutenir les recours de l’article 44, mais aussi la Cour fédérale était habilitée à accorder une injonction pour interdire certains comportements en vertu de la Loi sur les droits de la personne. On lit :

36        Comme l’indique clairement le texte de la Loi sur la Cour fédérale et le confirme le rôle additionnel qui est confié à cette cour par d’autres lois fédérales, dans le présent cas la Loi sur les droits de la personne, le Parlement a voulu conférer à la Cour fédérale une compétence administrative générale sur les tribunaux administratifs fédéraux.  Pour ce qui concerne son rôle de surveillance des décideurs administratifs, les pouvoirs confiés par une loi à la Cour fédérale à cet égard ne doivent pas être interprétés de façon restrictive.  Cela signifie que, lorsqu’il s’agit d’une question relevant clairement de son rôle de surveillance d’un organisme administratif, ce qui inclut la prise de mesures provisoires visant à régir des différends dont l’issue finale est laissée au décideur administratif concerné, la Cour fédérale peut être considérée comme ayant plénitude de compétence.

37        En l’espèce, je suis d’avis qu’il ressort clairement de l’objet de la Loi sur la Cour fédérale et de la Loi sur les droits de la personne que l’art. 44 confère à la Cour fédérale la compétence d’accorder une injonction dans le cadre de l’application de la Loi sur les droits de la personne.  Je fonde cette conclusion sur le fait que la Cour fédérale a le pouvoir d’accorder toute «autre forme de réparation» dans les affaires soumises au Tribunal des droits de la personne, et que ce pouvoir n’est pas altéré du seul fait que le Parlement a confié à un décideur administratif spécialisé le rôle de statuer sur le fond de ces affaires.  Comme je l’ai souligné plus tôt, les décisions et le fonctionnement du Tribunal sont assujettis de façon étroite aux pouvoirs de surveillance et de contrôle de la Cour fédérale, y compris son pouvoir de transformer les ordonnances du tribunal en ordonnances de la cour.  Ces pouvoirs équivalent à une «autre forme de réparation» pour l’application de l’art. 44.

[45]           On le voit bien, l’article 44 attribue une compétence. Cependant, il ne change pas les conditions d’émission du remède autorisé par l’article et il ne traite en aucune façon du support procédural nécessaire pour amener la demande de recours devant la Cour.

[46]           Faisant fi de toutes les règles de procédure, la demanderesse invite la Cour, sur un appel d’une décision d’un protonotaire à « décerner un mandamus dès maintenant, si elle considère cette option comme étant opportune et juste » (mémoire des faits et du droit, para 16). Il est de fait inapproprié de demander maintenant de nouvelles conclusions alors qu’est valablement devant cette Cour seulement un appel de décision d’un protonotaire devant qui la question soulevée ne se trouvait pas. Mais plus fondamentalement, la demanderesse donne au texte de l’article 44 un sens que ni son libellé, ni la jurisprudence ne lui donnent. Il ne fait que donner une compétence que la Cour n’aurait peut-être pas si l’issue finale du litige ne trouvait pas sa conclusion devant cette Cour. Dans Canadian Liberty Net, l’issue finale était devant le Tribunal des droits de la personne; dans Fraternité, l’issue finale serait déterminée en vertu du Code canadien du travail devant une instance administrative. Dans les deux cas, des dispositions semblables donnaient juridiction à la Cour fédérale et à la Cour suprême de Colombie-Britannique pour accorder l’un des remèdes possibles en vertu des deux articles.

[47]           En fin de compte, la demanderesse recherche un mandamus et semble croire que l’article 44 a une portée extraordinaire permettant de passer outre à toutes les règles; pourtant, il n’est qu’attributif de compétence. Si l’on en croit la Cour dans Yellowquill c Assiniboine/Myran, (1995) 93 FTR 310, l’article 44 ne peut même pas être invoqué correctement contre un office fédéral. Seul l’article 18.1 est approprié. Sans aller aussi loin dans notre cas, je ne puis voir en quoi l’utilisation de l’article 44 pourrait être de quelque utilité à la demanderesse pour se distinguer de sa demande d’amendement pour y inclure une demande de contrôle judiciaire de la nature d’un mandamus. Dans les deux cas, elle recherche un remède en mandamus. Au plan procédural, le problème posé par la règle 302 est le même.

[48]           Malheureusement pour la demanderesse, l’article 44 n’a pas les propriétés magiques qu’elle cherche à lui donner. On ne peut voir en quoi l’article peut aider à accorder un amendement à la procédure originale pour y ajouter un recours en mandamus, évitant ainsi une collision frontale avec la règle 302. La compétence conférée à la Cour fédérale pour accorder un recours, comme par exemple dans l’affaire Canadian Liberty Net, ne change en rien l’obligation de diviser les recours. Le refus de ce faire n’a pas été démontré comme étant une erreur manifeste et dominante.

VI.             Conclusion

[49]           La seule question qui se pose en cette Cour est de déterminer si le protonotaire, dans l’exercice de sa discrétion de refuser l’amendement recherché, a commis une erreur manifeste et dominante. La demanderesse voulait ajouter des conclusions en mandamus à ce qui était une demande de contrôle judiciaire de la nature d’un certiorari. Il a refusé parce que l’amendement demandé n’aiderait pas dans la détermination des questions litigieuses qui sont relatives à un certiorari en vue de casser un décret. De plus, les conclusions en mandamus entrent en conflit avec la règle 302. La demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer une erreur manifeste et dominante de refuser un amendement.

[50]           Une fois comprises la nature et la portée de l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales, cet article n’est d’aucune utilité à la demanderesse. Il n’ajoute rien à la demande d’amendement qui veut ajouter un mandamus pour forcer l’adoption de règlements à une requête en contrôle judiciaire de la nature d’un certiorari pour faire casser un décret. L’article 44 confère compétence à la Cour fédérale là où elle ne l’aurait peut-être pas pour ordonner, par exemple, des remèdes tels des injonctions pour faire cesser des agissements pendant qu’un tribunal administratif procède à l’examen de certaines affaires pour en disposer finalement (sous réserve bien sûr de contrôle judiciaire). On peut penser qu’il en serait de même de requêtes pour émission de bref de mandamus dans le but de forcer une action d’un tribunal administratif en attendant une décision finale de sa part. Mais encore faudrait-il que les conditions d’émission soient présentées et démontrées.

[51]           Enfin, il n’y a pas d’erreur manifeste et dominante au refus du protonotaire de permettre une certaine preuve sur la valeur diminuée de la propriété de la demanderesse une fois que l’amendement aux fins de requérir un mandamus a été refusé. Cette preuve est sans pertinence quant à la question de déterminer si le Décret est illégal, la baisse de valeur ne changeant en rien la nature des questions à régler par l’obtention du contrôle judiciaire.

[52]           L’appel de la décision de monsieur le protonotaire Morneau du 27 mars dernier est rejeté. Les dépens à être taxés en conformité avec les règles 407 et 405 sont accordés en faveur des défendeurs.


Jugement au dossier T-1190-16

LA COUR STATUE que l’appel de la décision de Monsieur le protonotaire Morneau est rejeté, avec dépens en faveur des défendeurs.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1190-16

 

INTITULÉ :

HABITATIONS ÎLOT ST-JACQUES INC. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 mai 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 mai 2017

 

COMPARUTIONS :

Alain Brophy

 

Pour la demanderesse

 

Pascale-Catherine Guay

Virginie Harvey

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deveau Gagné Lefebvre Tremblay et Associés sencrl

Laval (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour les défendeurs

 

 

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