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Date : 20170601


Dossier : T-997-16

Référence : 2017 CF 538

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er juin 2017

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ROSS MATTHEW

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 1er juin 2016 du commissaire adjoint de la Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires de l’Agence du revenu du Canada (ARC), dans laquelle le commissaire adjoint a rejeté la demande présentée par M. Matthew de remise de sa dette fiscale en souffrance.

[2]               Dans la demande, le « Ministre du Revenu national/Agence du revenu du Canada » est nommé en tant que défendeur. Toutefois, conformément à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, le Procureur général du Canada est le défendeur approprié, et une ordonnance modifiant l’intitulé de la cause en conséquence sera émise.

[3]               M. Matthew a déclaré faillite en juin 1990, date à laquelle sa dette fiscale totale était de 210 693 $. En juin 2008, son syndic de faillite a été libéré, ce qui ne fut cependant pas le cas de M. Matthew. Le 17 juin 2008, sa dette fiscale pour les années d’imposition antérieures à 1991 s’élevait à 130 555 $. Bien qu’il n’ait pas été libéré de son obligation légale de payer la dette contractée avant la faillite, l’ARC ne peut prendre aucune mesure pour recouvrer cette dette en raison du délai de prescription de dix ans prévu par le paragraphe 222(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1. Le 7 avril 2016, la dette fiscale de M. Matthew pour les années 1995, 1996 et 1998, y compris les intérêts, s’élevait à 282 183 $. L’ARC ne prend aucune autre mesure pour recouvrer ce montant que la retenue des crédits et des remboursements à mesure qu’ils deviennent exigibles.

[4]               Le 20 mai 2014, M. Matthew a déposé une demande de remise. À cette date, il avait 74 ans et était veuf. Sa demande consiste en une lettre d’une page, sans pièces jointes, dans laquelle il précise sa situation. Dans sa demande, il fait plusieurs affirmations selon lesquelles l’ARC est responsable de la dette dont il doit aujourd’hui s’acquitter. Il déclare ce qui suit : (i) à cause de l’ARC, il a dû déclarer faillite en juin 1990; (ii) son syndic de faillite a obtenu ses REER et ses pensions et, comme il croyait comprendre, a également payé une importante taxe sur le revenu à l’ARC (bien qu’il ne sache pas si le syndic de faillite a réellement versé de l’argent à l’ARC); (iii) les frais judiciaires que lui et sa femme ont payés étaient élevés (dans une décision de la Cour canadienne de l’impôt, les frais judiciaires de sa femme dépassaient les 40 000 $); (iv) ils n’ont pas pu interjeter appel d’une décision et son épouse a payé l’ARC et les frais de justice; (v) sa femme est décédée en 2004 en grande partie en raison du stress et des problèmes financiers causés par l’ARC; (vii) depuis la mort de sa femme, il reçoit le supplément de revenu garanti; (viii) il est devenu malade et incapable de travailler en 1990 à cause des actions intentées par l’ARC contre sa femme et lui; (ix) il a été licencié en 1990 et n’a pas réussi à retrouver un emploi depuis; (x) il a récemment été obligé de se rendre en ambulance aux urgences, il est à la fin de sa vie, ne peut pas se permettre de payer un avocat et n’est pas en mesure, en raison de son état de santé, d’interjeter appel de l’une des décisions judiciaires; et (xi) il a une pression sanguine extrêmement élevée et il vit seul dans une réserve autochtone (bien qu’il ne soit pas autochtone).

[5]               Une ordonnance de remise est un recours extraordinaire qui permet au gouvernement du Canada de fournir un allègement total ou partiel des impôts, des intérêts, des pénalités ou d’autres dettes dans certaines circonstances lorsque cet allègement n’est pas par ailleurs disponible en vertu des lois en vigueur. Les ordonnances de remise sont régies par les paragraphes 23(2) et (2.1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, ch. F-11. Elles sont accordées par le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre du Revenu national (le ministre). Le ministre a délégué ce pouvoir au commissaire du Revenu (le commissaire), le premier dirigeant de l’ARC, qui a délégué à son tour le pouvoir au commissaire adjoint.

[6]               À la réception d’une demande écrite de remise, la Section des remises et délégations peut demander au bureau local de l’ARC responsable du dossier du demandeur de procéder à un premier examen de l’affaire et de préparer un rapport local. Les fonctionnaires de la Section des remises et délégations examineront tous les rapports locaux ainsi que les autres éléments du dossier. Lors de l’examen de la demande, les fonctionnaires de la Section des remises et délégations préparent un rapport de recommandation qui est présenté au Comité de l’Administration centrale sur les remises (le Comité). Le Comité est chargé d’examiner l’affaire et de faire une recommandation. Le commissaire adjoint passe en revue la recommandation du Comité et les renseignements connexes et décide s’il faut ou non transmettre une recommandation positive au ministre. Si le commissaire adjoint est d’accord avec la recommandation du Comité de refuser une demande, le commissaire adjoint doit aviser le demandeur ou son représentant autorisé par écrit, en invoquant les motifs du refus. Si le Comité recommande l’approbation d’une demande, le ministère de la Justice, le commissaire adjoint, le commissaire et le ministre approuveront un projet de décret de remise. Une fois approuvé, le décret de remise est renvoyé au gouverneur en conseil qui a le pouvoir discrétionnaire final d’accorder ou non la remise.

[7]               En l’espèce, le Bureau des services fiscaux de Vancouver a procédé à un examen du cas de M. Matthew et a préparé un rapport local accompagné d’une recommandation selon laquelle la remise doit être rejetée. Par la suite, un analyste des politiques à la Section des remises et délégations a envoyé une note au Comité recommandant que la demande de remise soit rejetée. Le 14 avril 2016, le Comité a tenu une réunion et a approuvé cette recommandation.

[8]               Le défendeur a fourni un affidavit du commissaire adjoint qui a rendu la décision faisant l’objet du contrôle. Dans cet affidavit, il est confirmé qu’il a reçu un projet de lettre de décision préliminaire reflétant la recommandation du Comité, la demande de remise et les documents contextuels. Le commissaire adjoint a déclaré que s’il a pour habitude de consulter les fonctionnaires de la Section des remises et délégations lorsqu’il exige des éclaircissements ou des renseignements supplémentaires concernant le dossier ou les modifications à apporter à la lettre de décision, il n’a pas jugé nécessaire de le faire en l’espèce.

[9]               Dans une lettre datée du 1er juin 2016, le commissaire adjoint a pris la décision définitive de ne pas recommander la remise et cette décision fait maintenant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[10]           La lettre décrivait le processus entrepris par l’ARC pour examiner la demande et soulignait également certaines des circonstances qui appuieraient généralement une remise. Ensuite, la lettre résumait le fondement sur lequel reposait le refus de la demande.

[11]           À cet égard, la lettre précisait qu’une attention particulière avait été accordée à l’affirmation de M. Matthew selon laquelle il n’avait pas les ressources financières pour engager un avocat et que, en raison de son état de santé, il ne pouvait pas interjeter appel des décisions défavorables de la Cour canadienne de l’impôt. L’allégation selon laquelle il a subi des pertes importantes en raison d’actions prises par l’ARC a également été prise en considération. La lettre concluait que les difficultés financières personnelles de M. Matthew n’étaient pas extrêmes.

[12]           La lettre reconnaissait que si le paiement de la dette fiscale en cours pouvait constituer un revers financier, il n’y avait pas de circonstances atténuantes justifiant une remise. De plus, elle faisait remarquer que M. Matthew n’avait pas démontré qu’il existait des circonstances indépendantes de sa volonté qui l’auraient empêché de fournir les pièces justificatives appropriées pour les montants qu’il a demandés sur ses déclarations de revenus, de traiter ses affaires fiscales en temps opportun ou de faire un paiement de sa dette fiscale pour atténuer les intérêts qui s’accumulent.

[13]           Le défendeur a soulevé le caractère raisonnable de la décision comme la seule question dans cette demande. À mon avis, compte tenu de l’affidavit de M. Matthew, de ses observations écrites et de la décision dans son ensemble, on pourrait dire que cette demande soulève les trois questions suivantes, même si je suis d’accord pour dire que le caractère raisonnable de la décision est la question centrale :

1.           La décision du commissaire adjoint est-elle raisonnable?

2.           Le commissaire adjoint a-t-il entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

3.           Le droit à l’équité procédurale a-t-il été bafoué?

[14]           Les arguments de M. Matthew indiquent que la décision est déraisonnable parce qu’elle ne reflète pas la totalité de ses circonstances malheureuses, qui selon lui ont également été engendrées par les actions de l’ARC.

[15]           Dans son affidavit, M. Matthew reprend essentiellement les arguments présentés dans sa demande de remise. Il établit également plusieurs autres facteurs que notre Cour doit examiner. Notamment, M. Matthew met en cause le montant de sa dette fiscale. À cet égard, il déclare ne pas savoir comment l’ARC a calculé les montants dus. En outre, il allègue que les montants de revenus qui lui sont présentés par l’ARC sont incorrects étant donné qu’il était principalement au chômage après 1990.

[16]           Je suis d’accord avec l’affirmation du défendeur selon laquelle l’exactitude des cotisations fiscales établies qui ont entraîné la dette fiscale échappe à la compétence de notre Cour. La Cour canadienne de l’impôt a compétence exclusive pour examiner l’exactitude d’une cotisation : Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, au paragraphe 82. En outre, à moins d’être modifiée ou annulée lors d’une opposition ou d’un appel, la cotisation d’impôt est réputée valide et exécutoire. En conséquence, l’argument soulevé à cet égard ne peut pas être pris en considération par notre Cour.

[17]           Je suis également d’accord avec le défendeur que certaines parties de l’affidavit de M. Matthew contiennent des déclarations et fournissent des renseignements dont le commissaire adjoint ne disposait pas. Par conséquent, il ne peut pas être pris en considération : Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19.

[18]           Plus précisément, le décideur ne disposait pas des renseignements contenus au paragraphe 11 de l’affidavit au sujet de l’état de santé de M. Matthew et il ne pouvait pas non plus les prévoir. Par conséquent, ces renseignements ne sont pas recevables dans cette demande.

[19]           Je note que les communications adressées par M. Matthew à l’ARC se sont limitées à sa demande de remise d’une page. Les documents déposés par le défendeur indiquent que lors du processus de révision de la remise, l’analyste de la remise a fait des tentatives pour communiquer avec M. Matthew, mais que celles-ci ont échoué. En résumé, il a eu l’occasion de fournir les renseignements au sujet de son état de santé, mais il ne l’a pas fait.

[20]           Je conclus que la décision était raisonnable et conforme aux lignes directrices (les lignes directrices) que l’ARC a rédigées pour aider les personnes qui présentent des demandes de remise (voir le Guide de l’ARC concernant les remises d’impôt sur le revenu, de la TPS/TVH, de la taxe d’accise, des droits d’accise ou de la TVF en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques).

[21]           Plus précisément, et en ce qui concerne les difficultés extrêmes, les lignes directrices prévoient que l’on considère généralement qu’il y a difficultés extrêmement lorsque le revenu annuel de la personne (y compris celui de son conjoint) pour l’année pour laquelle la remise est demandée et pour chaque année subséquente est inférieur au seuil de faible revenu. En l’espèce, le commissaire adjoint a noté qu’à l’exception de trois années, le revenu de M. Matthew depuis 1987 était supérieur au seuil de faible revenu.

[22]           Le commissaire adjoint a également mentionné que d’après un rapport de crédit établi à l’automne 2014 et obtenu par l’ARC, M. Matthew n’avait aucune difficulté à respecter ses obligations financières à ce moment-là et qu’il avait acheté une maison en 2010, évaluée à 418 000 $, sans hypothèque. Cela confirme une fois de plus que les difficultés financières extrêmes ne sont pas apparentes.

[23]           Dans son affidavit, M. Matthew déclare que le prix d’achat de sa maison était en fait un loyer prépayé. Le commissaire adjoint ne disposait pas de cette information, la demande de remise n’en fait nullement mention et la Cour ne peut pas formuler d’hypothèses sur la question de savoir si ce facteur aurait pu avoir une incidence sur le résultat, et si oui, dans quelle mesure.

[24]           D’après les renseignements contextuels, le rapport de crédit de 2014 indiquait également que la cote de crédit de M. Matthew était bonne, ses cartes de crédit ayant été payées à temps, il aurait disposé d’environ 150 000 $ dans son FERR après un retrait en 2014, et bien que les arriérés pour les années d’imposition 1995, 1996 et 1998 aient été classés comme recouvrables, l’ARC ne prend pas de mesures de recouvrement.

[25]           À mon avis, en ce qui concerne cet élément de preuve et compte tenu des lignes directrices, il n’était pas déraisonnable que le commissaire adjoint ait conclu qu’il n’y avait pas de difficultés extrêmes.

[26]           Dans son affidavit, au paragraphe 12, M. Matthew semble dire essentiellement que le commissaire adjoint a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, sans dire exactement cela.

[27]           À mon avis, en l’espèce, rien ne prouve que le commissaire adjoint a appliqué les lignes directrices d’une manière automatique et qu’il n’a pas évalué l’ensemble des circonstances. Il convient de souligner que les observations faites par M. Matthew au commissaire adjoint étaient très limitées. Le commissaire adjoint a examiné toutes les circonstances qu’il a fait valoir. À mon avis, compte tenu de l’information limitée qui a été fournie, le commissaire adjoint n’a guère eu l’occasion d’entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et il ne l’a pas fait.

[28]           Plusieurs affirmations dans l’affidavit et les observations écrites de M. Matthew semblent directement s’inscrire dans la rubrique de l’équité procédurale. Dans ses observations écrites, il a déclaré qu’il avait fait sa demande de remise avant d’être trop malade pour exiger des soins médicaux ou un déménagement dans un établissement de soins de santé et qu’il avait l’impression que sa demande ne serait examinée qu’à une date ultérieure, une fois que davantage de faits sur sa situation seraient connus. Dans son affidavit, il a également reproché à l’ARC de ne pas lui avoir fourni de textes législatifs et de décisions judiciaires relativement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans le cadre du refus de demandes de remise, et il formule plusieurs autres affirmations concernant la divulgation de renseignements par l’ARC dans le dossier certifié du tribunal et autrement.

[29]           Le concept d’équité procédurale est variable et son contenu doit être déterminé dans le contexte spécifique de chaque cas et il doit tenir compte de toutes les circonstances : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 21 et 22. Dans la décision Première nation Waycobah c. Canada (Procureur général), 2010 CF 1188 (confirmation dans 2011 CAF 191), le juge de Montigny a confirmé qu’une procédure semblable à celle suivie en l’espèce satisfaisait à l’obligation d’équité. Cela est suffisant pour se prononcer sur les plaintes déposées concernant les nombreuses attentes procédurales de M. Matthew, dont aucune n’est envisagée dans la procédure de remise qui est expliquée dans les lignes directrices. En l’espèce, il est également précisé que l’ARC n’a pas créé d’attentes raisonnables selon lesquelles une procédure précise serait suivie.

[30]           Je conclus donc que la décision faisant l’objet du contrôle était raisonnable, que le pouvoir discrétionnaire du décideur n’a pas été entravé et que le processus procédural et les étapes procédurales suivis étaient justes. La présente demande est rejetée avec dépens, établis à 500 $, tout compris, payables par M. Matthew au défendeur.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : Le procureur général du Canada est désigné à titre de défendeur et la demande est rejetée avec dépens d’un montant de 500 $ payables par le demandeur au défendeur.

« Russel W. Zinn »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-997-16

 

INTITULÉ :

ROSS MATTHEW c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 avril 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Ross Matthew

 

Pour le demandeur

 

Max Matas

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ross Matthew

(pour son propre compte)

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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