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Date : 20170626


Dossier : T-322-17

Référence : 2017 CF 559

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

Henry Mckenzie, David Ratt, Melissa Cook, Georgina Charles, Jeannie Olsen, Keith Olsen et Thomas Ratt

demandeurs

et

le conseil de la bande indienne Lac La Ronge, représenté par Tammy Cook-Searson (en sa qualité de chef), Leon Charles, Linda Charles, Mcivor Eninew, Lawrence Halkatt, Ivwin Hennie, Larry McKenzie, Keith Mirasty, Ann Ratt, Bernice Roberts, John Roberts, Sam Roberts, Cheryline Venne (en leur qualité de conseillers) et le directeur général des élections de la bande indienne Lac La Ronge, Milton Burns

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS MODIFIÉS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire (la demande) de la décision de la bande indienne Lac La Ronge (la bande) d’utiliser la version de 2016 de la Lac La Ronge Indian Band #353 Election Act, Band 12, Treaty 6 (la Loi électorale ou la Loi) et son règlement connexe, le New Election Regulations (le nouveau Règlement électoral) pour l’élection au sein de la bande tenue le 31 mars 2017, de même que de la décision du conseil de bande de nommer Milton Burns (M. Burns) au titre de directeur des élections.

I.                   Contexte

[2]               Les demandeurs en l’espèce, qui sont également les défendeurs dans une requête en radiation déposée relativement au présent contrôle judiciaire, sont Henry McKenzie, David Ratt, Melissa Cook, Georgina Charles, Jeannie Olsen, Keith Olsen et Thomas Ratt (les demandeurs). Les demandeurs sont tous des membres de la bande.

[3]               Les défendeurs en l’espèce, qui sont les demandeurs dans la requête en radiation, sont la bande et M. Burns (collectivement les défendeurs). La bande est une bande au sens de l’alinéa 2(1)c) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5. M. Burns est le directeur des élections, nommé en vertu de l’article 4 de la Loi électorale, qui a supervisé l’élection tenue le 31 mars 2017.

[4]               La bande a tenu son élection selon la coutume et la Loi électorale de la bande. En vertu d’une résolution du conseil de bande (RCB), la bande n’adhère pas à la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5, et au Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015-86.

[5]               La Loi électorale a été adoptée pour la première fois en 2001. Elle a été mise à jour en 2016 afin de tenir compte de corrections apportées à des erreurs de typographie et d’impression. Aucune modification de fond n’a été apportée à la Loi électorale entre la version de 2001 de la Loi (la Loi électorale de 2001) et la version de 2016 de la Loi (la Loi électorale de 2016).

[6]               Le 13 février 2017, ou autour du 13 février 2017, la chef et le conseil ont approuvé le New Election Regulations (le nouveau Règlement électoral), adopté en application de l’alinéa 64b) de la Loi électorale de 2016. Le nouveau Règlement électoral établissait les procédures, formulaires et autres règles administratives pour la tenue d’élections au sein de la bande.

[7]               Au début de 2017, la chef et le conseil ont nommé M. Burns au titre de directeur des élections pour l’élection de 2017 au sein de la bande. Le 28 février 2017, la chef et les membres du conseil ont remis leur démission et fixé au 10 mars 2017 le jour de clôture des candidatures pour les six réserves de la bande indienne Lac La Ronge. Le vote par anticipation a eu lieu le 24 mars 2017, et le scrutin final s’est déroulé le 31 mars 2017. Tammy Cook-Searson a été élue chef, et douze conseillers ont été élus.

II.                Les questions en litige

A.                Requête préliminaire

[8]               Les défendeurs ont déposé une requête en vue de faire radier la demande pour défaut de suivre le processus et la procédure appropriés, conformément à ce qu’exige la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, et les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. La requête a été entendue au cours de l’audition relative à la demande.

[9]               La requête en radiation a été traitée comme une question préliminaire relative à la demande. Les questions de la requête en radiation sont les suivantes :

1)      Convient-il de radier la demande parce que l’affidavit de Henry McKenzie, souscrit le 28 avril 2017 (le second affidavit McKenzie), a été signifié en contravention de l’article 306 des Règles des Cours fédérales, et parce que le second affidavit McKenzie et les affidavits de Keith Olsen (l’affidavit Olsen), de David Ratt (l’affidavit D. Ratt) et de Thomas Ratt (l’affidavit T. Ratt) ne respectent pas les articles 80 et 81 des Règles des Cours fédérales?

2)      Convient-il de radier la demande parce que les demandeurs ont omis de se conformer à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, qui prescrit que le procureur général du Canada et ceux des provinces doivent être avisés au moins dix jours avant une audition portant sur une question constitutionnelle?

3)      Convient-il de radier la demande en raison de son caractère théorique?

(1)               Les affidavits

[10]           J’ai examiné le contenu des affidavits contestés, les principes régissant la radiation d’affidavits, établis dans les Règles des Cours fédérales et la jurisprudence pertinente. Je conclus qu’il faudrait radier les paragraphes suivants des affidavits soumis par les demandeurs, parce qu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit inappropriés, comme il est discuté dans l’analyse qui suit.

1)      Second affidavit McKenzie – l’ensemble de l’affidavit, puisqu’il n’a pas été signifié conformément à l’article 306 des Règles des Cours fédérales ou ne respecte pas les paragraphes 80(3) et 81(1) de ces mêmes Règles;

2)      Affidavit Olsen – les paragraphes 10 et 11;

3)      Affidavit D. Ratt – les paragraphes 7 à 11, 13 à 15, 18 et 19;

4)      Affidavit T. Ratt – les paragraphes 11 et 13 à 16.

(2)               L’argument constitutionnel

[11]           J’estime qu’il n’y a pas de question constitutionnelle en litige; par conséquent, les dispositions portant sur les avis à donner de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales ne s’appliquent pas.

[12]           Les défendeurs avancent que l’opposition des demandeurs à l’utilisation de la Loi électorale de 2016 et du nouveau Règlement électoral est essentiellement une contestation constitutionnelle de la loi. Ils citent l’affaire Montgrand c. Birch Narrows Dene Nation and Kathy Maurice, 2012 CF 1428 (non publiée) [Montgrand], concernant la proposition que les contestations de la validité des lois et règlements électoraux des Premières Nations soulèvent une question constitutionnelle qui nécessite qu’un avis soit signifié au procureur général du Canada et à ceux des provinces, conformément à l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales.

[13]           Les demandeurs, en l’espèce, se demandent si la chef et le conseil ont (1) la compétence pour corriger des erreurs typographiques dans la Loi électorale de 2001, sans respecter le processus de révision et de modification prévu à l’alinéa 64a) de la Loi électorale de 2001, et (2) la compétence pour édicter un règlement, comme le nouveau Règlement électoral. Ces questions concernent la saine administration de la Loi électorale de 2001, de la Loi électorale de 2016 et du nouveau Règlement électoral, et l’exercice d’une compétence à cet égard, et ne représentent pas des questions constitutionnelles.

[14]           En outre, la présente affaire se distingue de l’affaire Montgrand, précitée. Le demandeur dans l’affaire Montgrand contestait la loi électorale de la Nation dénée de Birch Narrows, au motif qu’elle contrevenait à l’article 15 de la Charte. En l’espèce, bien que les affidavits D. Ratt et T. Ratt contiennent des arguments selon lesquels le nouveau Règlement électoral contrevient aux droits des membres de la bande garantis par la Charte, aucune question liée à la Charte n’a été soulevée devant la Cour. Par conséquent, en l’espèce, l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas.

(3)               Caractère théorique

[15]           Enfin, même si la mesure de réparation souhaitée par les demandeurs dans leur demande est devenue théorique, je juge qu’il convient que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour entendre certaines questions, pour les motifs soulignés ci-dessous.

B.                 La demande

[16]           Étant donné mes conclusions concernant la requête en radiation, je reformulerais les questions de la demande de la manière suivante :

1)      La loi électorale de 2016 est-elle une loi promulguée en bonne et due forme et constitue-t-elle la bonne loi à utiliser pour les futures élections au sein de la bande?

2)      Le nouveau Règlement électoral est-il un règlement promulgué en bonne et due forme?

3)      Le directeur des élections doit-il être un ancien chef ou le chef actuel d’une bande indienne de la Saskatchewan?

C.                 Conclusions

[17]           Avec l’accord de l’avocat à l’audition, la validité de la Loi électorale de 2016 n’est pas en cause, puisqu’il a été convenu que les modifications apportées à la Loi électorale de 2001 étaient de nature purement administrative et ne portaient pas à controverse. En conséquence, les parties conviennent que la Loi électorale de 2016 n’est pas en litige.

[18]           J’estime que le nouveau Règlement électoral est valide, parce que la Loi électorale de 2001 et la Loi électorale de 2016 autorisent toutes deux le chef et le conseil à promulguer des règlements en vue d’une meilleure administration de la Loi, en vertu de l’alinéa 64b) de la Loi. Enfin, j’estime que le directeur des élections n’a pas à être l’ancien chef ou le chef actuel d’une bande indienne de la Saskatchewan.

III.             Analyse – Questions préliminaires

A.                Devrait-on radier les affidavits?

[19]           Les défendeurs affirment que le second affidavit McKenzie n’a pas été signifié, en contravention de l’article 306 des Règles, et qu’il ne respecte pas les paragraphes 80(3) et 81(1) des Règles des Cours fédérales. Les défendeurs affirment en outre que l’affidavit Olsen, l’affidavit D. Ratt et l’affidavit T. Ratt ne respectent pas le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, parce qu’ils contiennent une opinion, des arguments et des conclusions de droit inappropriés.

(1)               Le second affidavit McKenzie

[20]           L’article 306 des Règles des Cours fédérales est ainsi libellé :

306 Dans les trente jours suivant la délivrance de l’avis de demande, le demandeur signifie les affidavits et pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de la demande et dépose la preuve de signification. Ces affidavits et pièces sont dès lors réputés avoir été déposés au greffe.

306. Within 30 days after issuance of a notice of application, an applicant shall serve its supporting affidavits and documentary exhibits and file proof of service. The affidavits and exhibits are deemed to be filed when the proof of service is filed in the Registry.

[21]           Dans l’arrêt Blank c. Canada (Justice), 2016 CAF 189, au paragraphe 28, la Cour d’appel fédérale a déclaré que les affidavits à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire doivent être déposés dans les 30 jours suivant la date du dépôt de l’avis de demande, comme l’énonce clairement l’article 306, ou avec l’autorisation de la Cour, conformément à l’article 312. L’autorisation de déposer des affidavits relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour, pouvoir qu’elle exerce en fonction des éléments de preuve dont elle dispose et en se demandant si une ordonnance accordée en vertu de l’article 312 sert l’intérêt de la justice, en tenant compte des questions suivantes (Forest Ethics Advocacy Association c. Office national de l’énergie), 2014 CAF 88, au paragraphe 6 [Forest Ethics]) :

a) Est-ce que la partie avait accès aux éléments de preuve dont elle demande l’admission au moment où elle a déposé ses affidavits en application de l’article 306 ou 308 des Règles, selon le cas, ou aurait-elle pu y avoir accès en faisant preuve de diligence raisonnable?

b) Est-ce que la preuve sera utile à la Cour, en ce sens qu’elle est pertinente quant à la question à trancher et que sa valeur probante est suffisante pour influer sur l’issue de l’affaire?

c) Est-ce que l’admission des éléments de preuve entraînera un préjudice important ou grave pour l’autre partie?

[22]           En l’espèce, les demandeurs n’ont pas demandé l’autorisation de déposer le second affidavit McKenzie, soumis le 28 avril 2017, et rien n’indique qu’il a été signifié. La seule mention dans le dossier d’un affidavit soumis par Henry McKenzie concerne un précédent affidavit soumis avant le 13 avril 2017, auquel on fait référence dans l’affidavit de Melissa Brietkope.

[23]           De plus, Beryl Macsymic, assistante juridique pour l’avocat des défendeurs, affirme que ses recherches dans les dossiers de la firme montrent que le second affidavit McKenzie n’a pas été signifié aux défendeurs. Ainsi, il semblerait que les défendeurs n’ont été mis au fait du second affidavit McKenzie que par son inclusion dans le dossier des demandeurs, signifié et déposé le 4 mai 2017.

[24]           Les demandeurs soutiennent que le second affidavit McKenzie a été signifié avec le dossier des demandeurs et que l’on doit considérer qu’il a été signifié dans les délais prescrits par l’article 306 des Règles, malgré le fait qu’il a été signifié une semaine trop tard. Les demandeurs ont la charge de convaincre la Cour qu’elle doit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire rendre l’ordonnance visée à l’article 312 des Règles (Forest Ethics, précité, aux paragraphes 4 et 5). Il n’y a pas d’excuse raisonnable justifiant le retard dans le dépôt et la signification du second affidavit McKenzie et, quoi qu’il en soit, j’estime que la preuve sous forme d’affidavit de Keith McKenzie n’aide pas la Cour, en ce sens qu’elle n’est pas suffisamment probante concernant les seules questions dont est saisie la Cour pour l’aider à décider du bien-fondé du présent contrôle judiciaire.

(2)               Les affidavits Olsen, D. Ratt et T. Ratt

[25]           L’article 81 des Règles des Cours fédérales est ainsi libellé :

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

81 (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

[26]           L’article 81 codifie le principe bien établi selon lequel l’affidavit a pour but de présenter les faits pertinents quant au litige sans commentaires ni explications, à moins que l’affidavit provienne d’une personne qualifiée pour donner une opinion d’expert (Canada (Board of Internal Economy) c. Canada (Attorney General), 2017 CAF 43, aux paragraphes 16 et 17 [Boulerice]). La Cour peut « radier des affidavits ou des parties de ceux-ci lorsqu’ils sont abusifs ou n’ont clairement aucune pertinence, lorsqu’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit [...] » (Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 47, au paragraphe 18). Toutefois, la Cour ne doit exercer son pouvoir discrétionnaire de radier un affidavit ou une partie de celui-ci qu’avec réticence et uniquement dans des cas exceptionnels, c’est-à-dire lorsqu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire, lorsqu’une partie pourrait subir un préjudice important, ou lorsque le fait de ne pas le radier pourrait nuire au bon déroulement de l’audition de la demande (Boulerice, précité, au paragraphe 29).

[27]           L’affidavit Olsen contient des faits qui dépassent la connaissance personnelle qu’en a Keith Olsen, de même que des opinions, des arguments ou des conclusions de droit aux paragraphes 4, 10 et 11. Dans la même veine, l’affidavit D. Ratt contient des faits qui dépassent la connaissance personnelle qu’en a David Ratt, de même que des opinions, des arguments ou des conclusions de droit aux paragraphes 7 à 11, 13, 15, 18 et 19. Enfin, l’affidavit T. Ratt contient des faits qui dépassent la connaissance personnelle qu’en a Thomas Ratt, de même que des opinions, des arguments ou des conclusions de droit aux paragraphes 11 et 13 à 16. Même si d’autres paragraphes des affidavits Olsen, D. Ratt et T. Ratt ont peu de valeur ou de poids, je ne suis pas convaincu qu’il faut les radier.

[28]           Par exemple, dans l’affidavit Olsen, au paragraphe 10, M. Olsen affirme que l’objectif que visaient la chef et le conseil en adoptant le nouveau Règlement électoral était d’éliminer toute concurrence concernant leurs postes d’élus. En outre, dans les affidavits D. Ratt et T. Ratt, ces derniers expriment des conclusions de droit quant à ce que comprennent les coutumes de la bande (paragraphes 13 et 15, respectivement). De la même façon, au paragraphe 8 de l’affidavit T. Ratt, M. Ratt avance que le nouveau Règlement électoral viole les droits qui lui sont garantis en vertu de la Charte.

[29]           Les affidavits Olsen, D. Ratt et T. Ratt ne sont pas de l’ordre de déclarations qui se limitent aux faits dont les déclarants ont une connaissance personnelle; les trois affidavits vont, en partie, au-delà de ce qui est admissible en vertu de l’article 81(1) des Règles. Plus particulièrement, ils sont remplis d’arguments juridiques.

[30]           Dans Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, aux paragraphes 42 et 43,  le juge François Lemieux a estimé que bien que certains paragraphes de l’affidavit du déclarant soient inappropriés, ils n’avaient pas à être radiés, puisque le fait de les laisser intacts ne causait aucun préjudice au défendeur, puisque les arguments juridiques pouvaient être reproduits dans le mémoire des faits et du droit du défendeur. En l’espèce, un certain nombre d’arguments dans les paragraphes contestés des affidavits Olsen, D. Ratt et T. Ratt sont de nature semblable et, même s’ils ont peu de poids, ils ne causent pas de préjudice aux défendeurs et ils ne devraient pas être radiés. Toutefois, certains paragraphes, qui contiennent des déclarations qui causent préjudice, seront radiés :

1)      Affidavit Olsen – les paragraphes 10 et 11;

2)      Affidavit D. Ratt – les paragraphes 7 à 11, 13 à 15, 18 et 19;

3)      Affidavit T. Ratt – les paragraphes 11 et 13 à 16.

B.                 Caractère théorique

[31]           Les défendeurs avancent que l’ensemble de la mesure de réparation demandée par les demandeurs est théorique, parce que les élections au sein de la bande ont eu lieu le 31 mars 2017. En l’absence d’un litige tangible, ils affirment que la totalité de la demande doit être radiée.

[32]           Dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski], la Cour suprême du Canada a fait état d’une analyse en deux temps pour décider du caractère théorique d’une affaire :

1)      En premier lieu, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique.

2)      En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire.

[33]           Les demandeurs souhaitent dans leur demande obtenir la réparation suivante : [traduction]

1)      une déclaration selon laquelle la Loi électorale de 2001 et non la Loi électorale de 2016 constitue la loi appropriée pour régir l’élection de 2017 au sein de la bande (question maintenant abandonnée);

2)      une déclaration selon laquelle le nouveau Règlement électoral est inopérant en ce qui concerne l’élection de 2017 au sein de la bande;

3)      une injonction provisoire et interlocutoire demandant à la bande de nommer un directeur général des élections qualifié et certifié;

4)      une injonction provisoire et interlocutoire interdisant au directeur général des élections d’empêcher des membres de la bande de poser leur candidature, en vertu du nouveau Règlement électoral;

5)      une injonction provisoire et interlocutoire visant à empêcher le directeur général des élections de disqualifier de potentiels candidats en se fondant sur une déclaration portant qu’ils sont en conflit d’intérêts, comme il est établi dans le nouveau Règlement électoral;

6)      l’adjudication de dépens.

[34]           Pour décider si la Cour doit ou non exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre une question théorique, il faut tenir compte de trois facteurs (Amgen Canada Inc. c. Apotex Inc., 2016 CAF 196, au paragraphe 16) :

1)   Absence de parties adverses. S’il n’y a plus de parties adverses qui défendent leur thèse, la Cour sera moins disposée à entendre l’affaire.

2)   Absence d’utilité réelle; gaspillage des ressources. Si une procédure n’aura aucun effet réel sur les droits des parties, elle a perdu son principal objectif. Les parties et la Cour ne devraient plus y consacrer des ressources limitées. Il s’agit là du souci d’économie des ressources judiciaires. Par contre, dans des cas exceptionnellement rares, la nécessité de clarifier une jurisprudence incertaine peut être d’une importance pratique si grande qu’une cour pourrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre un appel théorique.

3)   Excès de la compétence judiciaire. Dans certains cas, trancher une question de droit dans un appel théorique en l’absence d’un litige réel revient à légiférer dans l’abstrait, une tâche réservée au pouvoir législatif, et non pas au pouvoir judiciaire.

[caractères italiques dans l’original, références omises]

[35]           Dans Borowski, précité, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’en l’absence d’un réel litige, il peut subsister des conséquences accessoires à la solution du litige qui fournissent le contexte contradictoire nécessaire. La Cour suprême a utilisé l’affaire Vic Restaurant Inc. v. City of Montreal (1958), 17 DLR (2d) 81 [Vic Restaurant], au par. 359, comme exemple d’un cas où des conséquences accessoires peuvent permettre à la Cour de rendre un jugement relativement aux questions de l’affaire, malgré leur caractère théorique.

Après la vente du restaurant pour lequel on demandait le renouvellement du permis d’exploitation et de vente de boissons alcooliques, il n’était plus possible de délivrer le mandamus relatif au permis. Néanmoins, subsistaient des poursuites contre l’appelante pour infraction au règlement municipal que visait l’action en justice. La détermination de la validité du règlement avait des conséquences accessoires pour l’appelante et lui donnait l’intérêt requis pour agir qu’autrement elle n’aurait pas eu.

[36]           La décision de la Cour sur la question de l’efficacité du nouveau Règlement électoral aura un effet pratique sur les parties, peu importe que la question originale ait été réglée. En dehors du contexte d’une élection à venir, les membres de la bande ont un intérêt à savoir que le nouveau Règlement électoral a été promulgué en bonne et due forme. Par conséquent, j’estime que la conséquence accessoire liée à la détermination de la validité du nouveau Règlement électoral appuie l’idée que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’entendre les questions présentées dans la demande. Qui plus est, comme il a été dit plus haut, l’avocat des défendeurs a convenu que, nonobstant une absence d’éléments de preuve montrant que le nouveau Règlement électoral ait pu entraîner la disqualification de candidats au poste de chef ou de membre du conseil, ou en l’absence de tout appel interjeté en vertu de l’article 58 de la Loi électorale, il était raisonnable et utile aux parties que la Cour tranche la question de l’efficacité et de la légitimité du nouveau Règlement électoral.

[37]           Comme la requête en radiation a été entendue en même temps que la demande, il n’y a pas gaspillage des ressources de la Cour. En outre, les questions soulevées en l’espèce sont d’une importance publique pour la bande : il s’agit d’un cas où la dépense de ressources judiciaires, mesurée en fonction du coût social de l’incertitude du droit, favorise l’application du pouvoir discrétionnaire (Borowski, au par. 361).

[38]           Par conséquent, malgré le fait que l’ensemble des mesures de réparation demandées tournent autour de l’élection de 2017 au sein de la bande, laquelle a déjà eu lieu, et qu’il n’existe plus de litige concret et tangible, j’estime que la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire, étant donné l’importance qu’accordent les demandeurs à la validité du nouveau Règlement électoral, et le fait que la question pourrait à nouveau être soulevée lors de futures élections au sein de la bande. Qui plus est, comme il a été dit plus haut, les parties ont convenu à l’audience qu’une décision sur la question serait utile aux parties pour la suite de l’affaire.

IV.             Analyse – Application

A.                Norme de contrôle

[39]           Dans l’arrêt Johnson c. Tait, 2015 CAF 247, au paragraphe 28, la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable aux décisions de conseils de bande interprétant leur code électoral coutumier était celle de la décision raisonnable. Toutefois, dans l’arrêt Première nation de Fort McKay c. Orr, 2012 CAF 269, au paragraphe 11, le juge Stratas a souligné que la norme de la décision raisonnable, dans ce type d’examen, est similaire à la norme de la décision correcte et que la décision doit être justifiée par le libellé du code électoral, ou toute autre source de pouvoir.

B.                 Le Règlement électoral est-il un règlement promulgué en bonne et due forme?

[40]           Les avocats des parties ont convenu, à l’audition, que la seule question importante à examiner était celle de savoir si la chef et le conseil ont l’autorité pour promulguer le nouveau Règlement électoral, sans donner d’avis à l’ensemble des familles dans lesquelles résident un électeur ou plus. Les demandeurs affirment que la Loi électorale de 2016 et le nouveau Règlement électoral forment une seule loi, qu’ils appellent la Custom Act (Loi coutumière) de 2016 dans leur mémoire des faits et du droit. Ils affirment également que le conseil de bande ne peut modifier les qualifications concernant l’admissibilité à un poste au sein du conseil de bande sans consulter la bande.

[41]           L’interprétation des demandeurs, selon laquelle il faut voir la Loi électorale et le nouveau Règlement électoral comme une seule et même loi, est erronée. Le nouveau Règlement électoral constitue un règlement délégué, distinct autant de la Loi électorale de 2001 que de la Loi électorale de 2016. L’alinéa 64a) de la Loi électorale de 2001 et de la Loi électorale de 2016 fait uniquement référence aux modifications apportées à la Loi. Promulguer un règlement ne constitue pas une modification à la Loi et, à ce titre, le conseil de bande n’est pas obligé de respecter le processus de délivrance d’un avis prévu à l’alinéa 64a). La question de savoir si le nouveau Règlement électoral est valide revient en fait à se demander si la Loi électorale donne au chef et au conseil de bande le pouvoir de promulguer des règlements. Le droit accordé au chef et au conseil de bande de faire des règlements a sa source dans l’article 64b) de la Loi électorale de 2001 et de la Loi électorale de 2016, qui énonce ce qui suit : [traduction]

Le CHEF ET LE CONSEIL peuvent approuver par une résolution du conseil de bande un règlement établissant les procédures, formulaires et autres règles administratives nécessaires à l’administration de la présente Loi.

[non souligné dans l’original]

[42]           Selon l’interprétation téléologique de cette disposition de la Loi électorale de 2001 et de la Loi électorale de 2016, le chef et le conseil sont autorisés à faire des règlements pour faciliter l’administration de la Loi, sans avoir à consulter les membres de la bande. Une règle établissant qui est qualifié pour se présenter à une élection et la procédure pour déterminer à quel moment un candidat est en conflit d’intérêts constitue une interprétation raisonnable de la définition de « procédures et autres règles administratives ».

[43]           Les faits en l’espèce se distinguent de ceux dans l’affaire Joseph c. Schielke, 2012 CF 1153, où la Première Nation Yekooche a ajouté, au moyen d’une réglementation, des « règles de révocation », qui prévoient la révocation et la disqualification pendant deux ans de tout conseiller si 40 % des électeurs admissibles signent une pétition pour sa révocation. Le juge Phelan a souligné que les règles de révocation modifiaient essentiellement le code électoral de la Première Nation Yekooche en retirant à une personne dûment élue le droit d’occuper une charge et même de présenter sa candidature à cette charge pendant deux ans (Joseph, précité, au paragraphe 26). En l’espèce, l’ajout d’une disposition sur les conflits d’intérêts, qui oblige un candidat en nomination à régler ses dettes avec la bande, ne modifie pas essentiellement la Loi électorale. En outre, l’affidavit Christiansen indique que les candidats nommés qui avaient une dette envers la bande à la date de leur nomination se sont, dans les faits, présentés comme candidats.

[44]           Que l’endettement constitue ou non un critère convenable pour se qualifier pour occuper un poste au sein du conseil relève d’une question administrative interne qui concerne le chef et les membres du conseil élus en bonne et due forme, et ce n’est pas le rôle de la Cour d’intervenir dans cette décision administrative, en l’absence d’arguments selon lesquels elle contrevient à la Charte. Qui plus est, que les procédures utilisées dans l’élection du 31 mars 2017 aient été ou non équitables ne constitue pas une question dont est saisie la Cour.

[45]           En fonction de l’analyse qui précède, j’estime que le nouveau Règlement électoral est un règlement valide et qu’il convient de l’utiliser pour les élections au sein de la bande.

C.                 Le directeur des élections doit-il être un ancien chef ou le chef actuel d’une bande indienne de la Saskatchewan?

[46]           Même si aucune des parties n’a soulevé cette question durant l’audition, les demandeurs affirment dans leur demande que la tradition de la bande est de nommer comme directeur général des élections un ancien chef ou un chef actuel, et ils avancent que la chef et le conseil ont commis une erreur en nommant M. Burns à titre de directeur général des élections, parce qu’il n’a jamais été et n’est actuellement pas le chef d’une bande indienne de la Saskatchewan.

[47]           Les défendeurs prétendent que les demandeurs confondent les postes de directeur des élections et de directeur des appels en matière électorale, et que la bande n’a jamais eu comme coutume de nommer un chef ou un ancien chef au poste de directeur des élections. Les défendeurs pensent aussi que les demandeurs sont peut-être confus, de telle façon qu’ils croient que la bande a l’obligation de se conformer aux exigences du Règlement sur les élections au sein de premières nations, qui exige que le directeur des élections soit un ancien chef ou un chef actuel.

[48]           Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que les demandeurs confondent les postes de directeur des élections et de directeur des appels en matière électorale, ou confondent les exigences de la Loi électorale de 2016 avec celles du Règlement sur les élections au sein de premières nations. Il n’y a aucun poste appelé « directeur général des élections » dans le régime de la Loi électorale de 2016. En vertu de l’article 2 de la Loi électorale de 2016, le directeur des élections est : [traduction]

[...] le directeur nommé en vertu des dispositions de la présente Loi pour assumer les tâches et les responsabilités qui pourraient lui être confiées afin d’administrer la présente Loi conformément à l’article 4 ci-après;

[49]           L’article 4 de la Loi électorale de 2016 se lit comme suit : [traduction]

Le conseil de bande peut autoriser le directeur des élections à exercer les attributions, pouvoirs et fonctions que le conseil de bande pourrait lui confier en vertu de la présente Loi.

[50]           Par contre, le directeur des appels en matière électorale est la personne nommée par le chef et le conseil en vertu de l’article 60, qui prescrit ce qui suit : [traduction]

De temps à autre, le chef et le conseil de bande doivent nommer un directeur des appels en matière électorale pour entendre les appels interjetés en vertu de l’article 59. Le directeur des appels en matière électorale doit être une personne qui été chef élu en bonne et due forme d’une autre bande indienne de la Saskatchewan.

[51]           Rien dans la Loi électorale de 2016 ne vient appuyer l’idée que le directeur des élections et le directeur des appels en matière électorale est une seule et même personne, ou que le directeur des élections doit avoir des qualifications semblables à celles du directeur des appels en matière électorale. En outre, l’affidavit Christiansen indique que la bande n’a pas pour pratique de nommer des chefs ou d’anciens chefs comme directeur des élections. Même si les affidavits D. Ratt et T. Ratt disent le contraire, je préfère le témoignage de Mme Christiansen, parce qu’il est fait de manière plus solide.

[52]           Par conséquent, j’estime que la décision de la chef et du conseil, selon laquelle le directeur des élections nommé n’a pas à être un chef ou un ancien chef, est raisonnable.

V.                Dépens

[53]           Même si l’intérêt public nécessitait que l’on tranche la question de savoir si le nouveau Règlement électoral avait été promulgué en bonne et due forme, à l’audition, l’avocat des demandeurs a convenu que toutes les autres questions de la demande n’étaient plus en litige. Ainsi, les défendeurs ont droit à leurs dépens pour la requête en radiation et la demande, taxés suivant la colonne III du tarif B.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1)                  Le nouveau Règlement électoral a été promulgué en bonne et due forme par la chef et le conseil de bande.

2)                  Il est raisonnable que la chef et le conseil de bande décident que le directeur des élections n’a pas à être l’ancien chef ou le chef actuel d’une bande indienne de la Saskatchewan.

3)                  Les demandeurs doivent rembourser aux défendeurs leurs dépens pour la requête en radiation et la demande, taxés suivant la colonne III du tarif B.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-322-17

 

INTITULÉ :

HENRY MCKENZIE ET AL. c. LA BANDE INDIENNE DE LAC LA RONGE ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 mai 2017

 

Ordonnance et motifs modifiés :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 juin 2017

COMPARUTIONS :

Loretta Pete Lambert

Pour les demandeurs

Peter V. Abrametz

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Semaganis Worme Legal

Saskatoon (Saskatchewan)

Pour les demandeurs

Abrametz & Eggum

Prince Albert (Saskatchewan)

Pour les défendeurs

 

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