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Date : 20170609


Dossier : T-1958-16

Référence : 2017 CF 563

Montréal (Québec), le 9 juin 2017

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

RICHARD TIMM

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]          M. Richard Timm en appelle d’une décision de M. le protonotaire Morneau [le protonotaire] ayant accueilli la requête en cautionnement pour dépens présentée par le Procureur général du Canada [PGC] et ayant ordonné à M. Timm de verser un cautionnement de 6 640,00$ le ou avant le 17 avril 2017, à défaut de quoi sa demande de contrôle judiciaire serait rejetée et le dossier suspendu jusqu’au dépôt dudit cautionnement.

[2]          Le présent appel s’inscrit dans le contexte plus large de la demande de contrôle judiciaire que M. Timm a présentée le 30 septembre 2016 pour contester la décision au troisième palier rendue le 26 juillet 2016 par la sous-commissaire principale, Mme Anne Kelly, en réponse à son grief.

[3]               Dans ce grief, M. Timm soutenait avoir été victime de harcèlement et de discrimination et avoir subi des répercussions négatives sur sa santé physique et mentale dû à l’utilisation de veilleuses de nuit par les agents du Service correctionnel du Canada [SCC] dans l’établissement de La Macaza où il était alors détenu. La sous-commissaire principale a maintenu en partie le grief, mais elle a rejeté l’allégation de discrimination, qu’elle a considérée non fondée puisque M. Timm ne la basait sur « aucun des motifs de distinction illicite ».

[4]          Un autre grief, collectif celui-là, et dont M. Timm est l’un des signataires, a par ailleurs aussi été déposé pour contester la même pratique, et une décision au troisième palier est attendue dans cette affaire.

[5]          Par ailleurs, en date du 5 janvier 2017, M. Timm doit au PGC la somme de 32 394,55$ en dépens impayés et il acquitte sa dette en versant une somme de 15,88$ par période de deux semaines.

[6]          Dans ce contexte, le PGC a présenté une requête en cautionnement pour dépens en vertu des règles 416(1)f) et g) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], réclamant le versement d’une somme de 6 640,00$ et la suspension de la demande de contrôle judiciaire en cours jusqu’à ce que cette somme ait été versée. Le PGC a alors soutenu que M. Timm lui devait des dépens impayés, que sa demande de contrôle judiciaire du 30 septembre 2016 était frivole ou vexatoire et qu’il ne détenait pas d’actifs suffisants pour payer les dépens s’il lui était ordonné de le faire.

[7]          M. Timm s’est opposé à cette requête d’une part en soutenant que sa demande n’était pas frivole ou vexatoire et d’autre part en s’appuyant sur la règle 417, plaidant son état d’indigence et le bien-fondé de sa demande de contrôle judiciaire. Il a aussi soutenu que la requête du PGC constituait un abus de procédure visant à empêcher la poursuite du dossier.

[8]          Tel que mentionné plus haut, le 17 mars 2017, le protonotaire a accueilli la requête du PGC, a ordonné à M. Timm de verser un cautionnement de 6 640,00$ le ou avant le 17 avril 2017, à défaut de quoi sa demande de contrôle judiciaire serait rejetée, et a suspendu le dossier jusqu’au dépôt dudit cautionnement.

[9]          Pour les raisons exposées ci-après, la Cour considère que le protonotaire n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant que M. Timm n’a pas prouvé son caractère indigent et le bien-fondé de sa demande, et rejettera donc l’appel.

II.                Décision contestée

[10]           Dans sa décision, le protonotaire a d’abord constaté que M. Timm devait bien au PGC la somme de 32 394,55$ à titre de dépens impayés, en date du 5 janvier 2017, pour conclure que le PGC rencontrait les exigences prévues à la règle 416(1)f). Ayant ainsi conclu, le protonotaire a considéré ne pas avoir à se prononcer sur l’autre motif soulevé par le PGC et prévu à la règle 416(1)g).

[11]           Le protonotaire a ensuite considéré que M. Timm n’avait pas « démontré en preuve à la hauteur des exigences de la jurisprudence son indigence et le caractère bien-fondé de sa demande de contrôle » et a donc conclu qu’il n’y avait pas lieu, en l’espèce, de refuser le cautionnement sollicité par le PGC suivant la règle 417.

[12]           Finalement, le protonotaire a indiqué ne pas avoir vu la requête du PGC comme un abus de procédure visant à empêcher la poursuite du dossier.

[13]           Le protonotaire ayant conclu que M. Timm n’avait pas démontré en preuve à la hauteur des exigences de la jurisprudence son indigence et le bien-fondé de sa demande de contrôle judiciaire, il semble opportun pour la Cour de détailler la preuve présentée par les parties dans le cadre de la requête en cautionnement.

[14]           Pour soutenir sa requête en cautionnement, le PGC a déposé un affidavit de Mme Rosemary Onyeuwaoma, agent financier au Bureau du Contrôleur Régional du Québec du SCC, étayant les sommes dues par M. Timm à titre de dépens; un affidavit de Mme Claudia Lapolla, adjointe juridique auprès du Bureau régional du Québec du ministère de la Justice du Canada, étayant les décisions impliquant M. Timm ainsi que l’estimation des dépens dans le cadre du dossier de contrôle judiciaire sous-jacent; et un affidavit de M. Guy Poudrier, sous-directeur de l’établissement carcéral de La Macaza, détaillant des modifications effectuées aux pratiques d’utilisation des veilleuses et des travaux visant l’installation d’interrupteurs individuels dans les cellules.

[15]           Par ailleurs, afin de s’opposer à la requête en cautionnement du PGC et pour invoquer l’application de la règle 417, M. Timm a déposé un affidavit daté du 6 mars 2017 dans lequel il affirme les éléments suivants:

                  Il est détenu depuis 1995;

                  Le 12 février 2016, il a fait parvenir une requête afin d’obtenir la directive du commissaire 566-4 permettant aux agents d’allumer les veilleuses de sa cellule à toute heure de la nuit;

                  En février 2016, il a participé à un grief collectif, qui a été rejeté par la coordonnatrice aux plaintes et aux griefs. Suite à ce rejet, il a présenté un grief individuel, qu’il a porté jusqu’au troisième palier. Le 30 août 2016, il a été informé que son grief au troisième palier avait été maintenu en partie;

                  Le 30 septembre 2016, les allégations de discrimination ayant été rejetées, il a porté cette décision en révision judiciaire;

                  Il reçoit un salaire de 63,50$ toutes les deux semaines;

                  Puisqu’il est détenu depuis plus de 22 ans et n’a jamais été libéré, il lui est impossible d’obtenir un prêt financier auprès d’une quelconque institution financière;

                  Les seuls actifs qu’il détient se trouvent dans son compte de détenu et se composent d’un montant de 172,02$;

                  Il verse un montant de 15,88$ toutes les deux semaines pour rembourser les dépens impayés au PGC, paiements qu’il effectue depuis 2013 à même son compte de détenu;

                  Il n’entretient aucun contact avec les membres de sa famille, excepté avec sa mère biologique;

                  Les contacts qu’il entretient avec sa mère biologique sont très limités et ne lui permettent pas d’obtenir une quelconque aide financière de sa part.

[16]           M. Timm y a joint les pièces suivantes :

                  RT-1 : Grief initial daté du 26 février 2016;

                  RT-2 : Grief au troisième palier daté du 22 mars 2016;

                  RT-3 : Réponse au grief final daté du 26 juillet 2016;

                  RT-4 : Avis de demande de contrôle judiciaire daté du 30 septembre 2016;

                  RT-5 : Déclarations de revenus de détenu en liasse, l’une pour la période du 1er février au 15 février 2017 affichant un solde 185,99$ et une dette de 32 345,54$, et l’autre du 15 février au 1er mars 2017 affichant un solde de 172,02$ et une dette de 32 329,66$.

III.             Questions en litige

[17]           La Cour doit confirmer la norme de contrôle applicable et examiner ensuite si le protonotaire a erré dans sa décision en lien avec la règle 416(1)g) et celle en lien avec la règle 417.

IV.             Position des parties

A.                Position de M. Timm

(1)               Norme de contrôle

[18]           Bien qu’il n’ait pas précisé dans son mémoire la norme de contrôle applicable, le procureur de M. Timm a confirmé l’application des principes établis par l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 [Hospira] lors de l’audience.

[19]           M. Timm soumet que la requête du PGC constitue un abus de procédure visant à empêcher que sa demande de contrôle judiciaire soit débattue sur le fond. Selon lui, l’ordonnance rendue par le protonotaire lui cause préjudice et est fondée sur une conclusion de faits erronée. Il avance plus précisément que (1) la procédure de demande de contrôle judiciaire n’est pas frivole ou vexatoire et la règle 416(1)g) ne s’applique donc pas; (2) la règle 417 lui permet de faire obstacle à la requête puisqu’il satisfait à la définition d’indigence donnée par la jurisprudence de cette Cour; et (3) puisque sa cause est bien fondée.

(2)               Règle 416(1)g) : demande frivole ou vexatoire

[20]           M. Timm réfère d’abord à la règle 416(1)g) et soumet que la demande de contrôle judiciaire qu’il a intentée n’est pas frivole ou vexatoire, ceci en dépit du fait que le protonotaire ne se soit pas prononcé sur cette question.

[21]           M. Timm allègue qu’il avait la qualité requise pour déposer son grief individuel devant les différents paliers et qu’il devrait pouvoir faire contrôler la décision du troisième palier. Selon lui, son recours individuel est d’ailleurs unique et complètement en aparté du grief collectif.

[22]           M. Timm expose de surcroît qu’il a toujours agi de bonne foi lors d’actions en justice et qu’il continue de le faire dans la présente affaire.

(3)               Règle 417 : indigence

[23]           M. Timm réfère aux propos ci-après de la Cour d’appel fédérale dans Sauve c Canada, 2012 CAF 287 [Sauve] : « lorsqu’il apparaît que l’ordonnance de cautionnement pour les dépens aurait pour effet d’empêcher un demandeur indigent de défendre une cause par ailleurs bien fondée, la demande de cautionnement pour les dépens du défendeur doit normalement être rejetée, par souci d’équité » (au para 7).

[24]           M. Timm soumet que le maintien de l’ordonnance du protonotaire lui causerait un préjudice puisqu’il serait privé de la possibilité de faire valoir ses droits. Il s’appuie de nouveau sur les propos de la Cour d’appel fédérale : « même si le cautionnement pour les dépens est un mécanisme destiné à favoriser une saine administration de la justice, pour rechercher si un cautionnement est nécessaire, le juge doit s’assurer que le système judiciaire fonctionne de manière non seulement efficace, mais également de façon équitable pour toutes les parties concernées » (Sauve au para 7).

[25]           M. Timm plaide que le relevé de compte du détenu qu’il a déposé devant le protonotaire, dans lequel on retrouve un solde de 172,02$ en date du 1er mars 2017, démontre son indigence, d’autant plus qu’il est incarcéré depuis 1995 et qu’il affirme qu’il lui est impossible d’obtenir un prêt bancaire puisqu’il n’a jamais été remis en liberté. Il réitère également ne pas pouvoir considérer l’option de demander aux membres de sa famille de lui fournir un soutien financier considérant qu’il n’entretient aucun rapport avec ces derniers, mis à part de minces contacts avec sa mère biologique.

[26]           M. Timm soumet que l’accès à la justice ne devrait pas dépendre de ses capacités financières et qu’entreprendre une telle démarche de requête en cautionnement de dépens tend vers une utilisation d’un moyen détourné afin d’éviter un jugement sur le fond.

[27]           À l’audience, le procureur de M. Timm a ajouté que l’indigence devait être examinée de façon particulière étant donné que M. Timm est détenu depuis 22 ans et que sa situation diffère considérablement de celle des demandeurs visés par d’autres décisions de la Cour. Le procureur de M. Timm a admis que la décision du protonotaire ne serait pas erronée si M. Timm n’était pas un détenu. Ainsi, selon cette position, le fardeau de preuve exigé pour démontrer l’indigence devrait être contextualisé pour tenir compte de la situation particulière de M. Timm, celui-ci ayant déposé en preuve tout ce qu’il lui était possible de déposer, compte tenu de sa situation.

(4)               Règle 417 : bien-fondé de sa demande de contrôle judiciaire

[28]           M. Timm soumet qu’il serait inéquitable de l’empêcher de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire alors qu’il a la qualité pour le faire, surtout compte tenu du fait que le grief au troisième palier a été maintenu en partie, démontrant ainsi forcément le bien-fondé de sa contestation.

[29]           M. Timm soutient que les agissements du SCC sont contraires aux directives mêmes du SCC et que son transfert de La Macaza à un autre établissement ne change pas le fait qu’il y a subi de la discrimination durant plusieurs mois, alors qu’il y était incarcéré.

[30]           Selon M. Timm, les questions soulevées dans son dossier sont d’une grande importance pour un détenu fédéral. Il soumet également qu’il est presque certain que sa demande de contrôle judiciaire n’échouera pas (Early Recovered Resources Inc. c Gulf Log Salvage Co Operative, 2001 CFPI 524 au para 30 [Early Recovered Resources]) puisqu’elle découle de gestes discriminatoires à son encontre et que ces mêmes gestes ont été posés, à leur face même, volontairement et sciemment afin de perturber sa qualité de vie.

B.                 Position du PGC

(1)               Norme de contrôle

[31]           En lien avec la norme de contrôle, le PGC a aussi, lors de l’audience, référé à la norme fixée dans la décision de la Cour d’appel fédérale dans Hospira.

[32]           Ainsi, le PGC soumet que le protonotaire n’a commis aucune erreur manifeste et dominante de droit ou de l’appréciation des faits justifiant l’intervention de cette Cour.

[33]           Le PGC soumet que M. Timm ne précise pas quel principe de droit le protonotaire aurait mal appliqué, ou quels faits il aurait manifestement mal appréciés. Il soumet également que l’affidavit du 18 avril 2017, soumis par M. Timm dans le cadre du présent appel, contient de la nouvelle preuve puisque les faits allégués aux paragraphes 10, 11, 16 et 18 n’étaient pas dans l’affidavit qu’il a soumis en réponse à la requête pour cautionnement.

(2)               Règle 416 (1)g): demande frivole ou vexatoire

[34]           Le PGC rappelle que le protonotaire n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur l’application de la règle 416(1)(g), et soumet que seule l’application possible de la règle 417 est en litige.

(3)               Règle 417: indigence

[35]           Le PGC soutient que la décision du protonotaire n’est pas erronée. La jurisprudence de la Cour a énoncé à maintes reprises les facteurs à considérer afin de détermine l’état d’indigence.

[36]           En l’espèce, M. Timm n’a pas satisfait ces facteurs. Il n’a pas prouvé avoir tenté d’emprunter de l’argent, n’a pas fourni de relevés bancaires extérieurs à l’établissement carcéral et n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas pu retenir le moindre actif qui précède son incarcération.

[37]           Tel qu’indiqué précédemment, le PGC plaide de plus que les faits allégués aux paragraphes 10, 11, 16 et 18 de l’affidavit de M. Timm n’étaient pas devant le protonotaire et ne peuvent donc être considérés par cette Cour en appel, soit :

10. Je ne possède aucun bien de valeur autre que mes effets personnels se trouvant dans ma cellule au pénitencier CFF;

11. Je ne détiens aucun bien immobilier et je n’ai aucune propriété;

16. J’ai demandé à ma mère biologique de m’aider au niveau financier, mais celle-ci m’a informé ne pas en avoir la capacité, considérant ses faibles revenus;

18. Je soumets que l’ordonnance du 17 mars 2017 rendue par le protonotaire Richard Morneau me cause et pourrait me causer un grave préjudice en m’empêchant de me défendre contre les agissements répréhensibles du SCC, tel qu’il appert de la pièce RT-6 (Ordonnance datée du 17 mars 2017).

[38]           Selon la jurisprudence, M. Timm devait s’assurer de ne laisser aucune question importante sans réponse devant le protonotaire, ce qu’il n’a pas fait.

[39]           Le PGC plaide que la preuve d’indigence s’applique à tous, même aux détenus, ces derniers ne bénéficiant pas d’une présomption d’indigence selon la règle 417.

(4)               Règle 417: bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire

[40]           Le PGC soutient que le protonotaire n’a pas erré. Il plaide que la demande de contrôle judiciaire de M. Timm est devenue caduque puisque (1) la pratique contestée en lien avec l’utilisation des veilleuses n’a plus d’impact sur M. Timm depuis son transfert au CFF en date du 7 avril 2016; et (2) l’établissement La Macaza a instauré des mesures modifiant de façon significative l’utilisation des veilleuses depuis le dépôt initial des griefs du demandeur, de telle sorte que la situation visée par la demande n’existe plus.

[41]           De plus, le PGC soumet que M. Timm prétend avoir été victime de discrimination en vertu d’une pratique s’étant appliquée également à tous les détenus de La Macaza, sans toutefois identifier un motif illicite de discrimination. Le PGC souligne que, ni dans son affidavit en première instance, ni dans celui soutenant le présent appel, M. Timm n’a offert d’explication liée à l’importance ou au mérite de sa demande de contrôle judiciaire.

[42]           Le test de la règle 417 étant conjonctif, même si M. Timm avait réussi à prouver son indigence, il ne peut s’appuyer sur la règle 417 puisqu’il n’a pas démontré le caractère bien-fondé de sa demande de contrôle judiciaire.

V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[43]           La Cour d’appel fédérale a récemment déterminé que notre Cour doit contrôler une décision discrétionnaire d'un protonotaire selon la norme élaborée par la Cour suprême du Canada dans Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33. Ainsi, « la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait d'un juge de première instance est celle de l'erreur manifeste et dominante. Quant à la norme applicable aux questions de droit, et aux questions mixtes de fait et de droit lorsqu'il y a une question de droit isolable, la Cour suprême a conclu que c'est celle de la décision correcte » (Hospira au para 66).

[44]           La Cour siège ici en appel d’une décision discrétionnaire du protonotaire (Swist v Meg Energy Corp, 2016 FCA 283 au para 15 [Swist]). Ainsi, la Cour ne doit pas ici déterminer si M. Timm est ou non indigent, ou si sa demande de contrôle judiciaire est ou non bien fondée, mais plutôt déterminer si les conclusions du protonotaire à cet égard sont entachées d’une erreur manifeste et dominante.

[45]           À cet égard, la Cour d’appel fédérale dans Manitoba c Canada, 2015 CAF 57 (au para 9, citant Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 au para 46) a récemment rappelé ce que constitue ce « critère très exigent » qu’est l’erreur dite « manifeste et dominante » :

L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier. [Références omises.]

B.                 Règle 416(1)g) : demande frivole ou vexatoire

[46]           Tel que mentionné plus haut, le protonotaire n’a pas conclu au caractère frivole ou vexatoire de la demande de contrôle judiciaire tel que le prétend M. Timm, mais il a plutôt déterminé ne pas avoir à se prononcer sur cette allégation, s’étant déjà prononcé sur l’application de la règle 416(1)f).

[47]           Tel que l’a indiqué le protonotaire dans sa décision, la partie qui invoque la règle 416(1)f) n’est pas tenue de remplir d’autres exigences que celles requises par cet alinéa, soit que « le défendeur a obtenu une ordonnance contre le demandeur pour les dépens afférents à la même instance ou à une autre instance et ces dépens demeurent impayés en totalité ou en partie » (voir notamment Stubicar c Canada (Vice-Premier Ministre), 2015 CF 1034 au para 9).

[48]           Une fois cet état de fait démontré, la règle 417 permet de refuser d’ordonner la fourniture d’un cautionnement si la partie qui l’invoque fait la preuve de son indigence et si la Cour est convaincue du bien-fondé de la cause. Il s’agit d’un test conjonctif visant à éviter que des considérations financières prohibent l’accès à la justice (Mapara v Canada (Attorney General), 2016 FCA 305 aux para 6-7 [Mapara]; Nicholas v Environmental Systems (International) Ltd, 2009 FC 1160 au para 20 [Nicholas]).

C.                 Règle 417 : indigence

(1)               La preuve de l’indigence

[49]           Devant le protonotaire, M. Timm devait faire la preuve de son indigence selon la prépondérance des probabilités (Heli Tech Services (Canada) Ltd c Compagnie Weyerhaeuser Limitée, 2006 CF 1169 au para 2 [Heli Tech Services]; Fortyn c Canada (2000), 191 FTR 12 au para 21 [Fortyn]). À l’égard de la preuve, « la norme exigée est rigoureuse; une divulgation franche et complète est requise » (Heli Tech Services au para 8; voir aussi Chaudhry v Canada (Attorney General), 2009 FCA 237 au para 10) afin qu’aucune question pertinente ne reste sans réponse (Fraser c Janes Family Foods Ltd, 2012 CAF 99 au para 37 [Fraser]).

[50]           Tel que mentionné précédemment, le recours à la règle 417 par la Cour est discrétionnaire (Swist au para 15); « la Cour doit mettre en balance plusieurs facteurs, y compris la force de la preuve dont elle dispose » (Coombs c Canada, 2008 CF 837 au para 4 [Coombs]). À cet égard, une simple déclaration du demandeur à l’effet qu’il est indigent n’est pas suffisante (Sauve au para 9; Fortyn au para 21). Le demandeur doit notamment démontrer qu’il n’a pas accès à du financement (Fraser au para 38). Tel que l’indique la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sauve, au paragraphe 10 :

Des éléments de preuve concrets doivent être présentés à l’appui d’une allégation d’indigence, y compris des renseignements financiers clairs et complets sous une forme compréhensible. Des déclarations de revenus, des relevés bancaires, des listes d’éléments d’actif et des états financiers (si possible) doivent t [sic] être produits. Une preuve de l’impossibilité de contracter un emprunt d’une tierce partie pour respecter l’ordonnance de cautionnement doit  également être présentée. L’accès aux ressources familiales et communautaires doit aussi être envisagé. Aucune question importante ne doit être laissée sans réponse.

[51]           Ainsi, un demandeur alléguant n’avoir aucune source de revenus autre que sa pension du Canada et sa pension de la sécurité de la vieillesse, qui fournit un affidavit à cet effet, mais sans joindre de pièce confirmant le solde de ses comptes bancaires ou d’autres données financières (Coombs au para 11) n’a pas démontré son indigence. La Cour reprochera également à un demandeur l’insuffisance de preuve à l’effet qu’il ne peut pas emprunter d’argent aux membres de sa famille, spécialement alors qu’il avait déjà reçu une telle aide financière par le passé (Mapara au para 13). En effet, il est approprié de considérer les autres sources de financement qui pourraient être accessibles au justiciable, dont celles provenant de sa famille (Nicholas au para 24). Dans l’arrêt Mapara, par exemple, la Cour a reproché aux affidavits des membres de la famille du défendeur leur manque de détails permettant d’expliquer pourquoi ceux-ci ne pouvaient plus venir en aide au défendeur.

[52]           Au contraire, la Cour d’appel fédérale dans Leuthold c Société Radio-Canada, 2013 CAF 95, avait été convaincue de l’indigence de l’appelante. Celle-ci avait démontré, par son affidavit appuyé d’autres pièces, que son revenu imposable annuel moyen était inférieur à 15 000$ USD et que les biens qu’elle possédait avaient une valeur limitée.

[53]           Somme toute, le décideur appelé à appliquer la règle 417 doit évaluer toute la situation financière d’un demandeur (Mapara au para  2).

(2)               La preuve offerte par M. Timm devant le protonotaire

[54]           Dans le cas qui nous occupe, le protonotaire a conclu que M. Timm n’a pas prouvé son indigence à la hauteur des exigences de la jurisprudence.

[55]           Rappelons que, pour soutenir son indigence, M. Timm a limité sa preuve devant le protonotaire à son affidavit et aux documents décrits aux paragraphes 15 et 16 du présent jugement.

(3)               Conclusion sur la preuve d’indigence

[56]           Ainsi, la Cour constate que la preuve déposée devant le protonotaire est laconique et note spécifiquement l’absence d’informations sur les actifs ou l’absence d’actifs de M. Timm à l’extérieur du milieu carcéral, l’absence d’affidavit de sa mère biologique quant à sa situation financière à elle et à l’impossibilité pour elle de prêter à M. Timm, de même que l’absence de documents confirmant l’impossibilité pour M. Timm d’emprunter auprès d’institutions.

[57]           Ainsi, compte tenu (1) du fardeau imposé à un individu afin de prouver son indigence; (2) des facteurs énoncés par la jurisprudence en lien avec la charge de cette preuve; (3) que la Cour ne peut créer une exemption particulière pour les détenus qui n’est pas prévue aux Règles; (4) des documents que M. Timm a présentés devant le protonotaire; et (5) de la discrétion conférée au décideur, la Cour ne peut conclure que le protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante en déterminant que les éléments mis en preuve ne permettaient pas de prouver un état d’indigence « à la hauteur de la jurisprudence ».

[58]           La Cour pourrait terminer son analyse ici, puisque le test de la règle 417 est conjonctif. Cependant, il semble opportun de se pencher aussi sur le caractère bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire de M. Timm.

D.                Règle 417 : bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire

(1)               La preuve du bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire

[59]           À l’égard de l’exigence du caractère bien-fondé de la demande, les deux parties ont fait référence à la décision de notre Cour dans Early Recovered Resources, dans laquelle le critère est ainsi discuté au paragraphe 30:

Comme je l'ai mentionné précédemment, selon le critère adopté en Ontario, tel qu'il est énoncé dans l'ouvrage Orkin, pour permettre à une société demanderesse indigente d'instruire son affaire sans avoir à fournir de cautionnement pour les dépens, il faut qu'il s'agisse d'une demande relativement à laquelle la demanderesse n'établit pas simplement qu'il est probable qu'elle soit accueillie, mais qu'il est presque certain qu'elle n'échouera pas. Cela me semble une norme plutôt élevée, qui pourrait être atténuée dans le cas d'une demande inhabituelle ou d'une demande difficile, mais qui est fondée. Il reste qu'un défendeur qui fait face à la demande formulée par une société demanderesse indigente, une demande face à laquelle il peut bien exister un bon moyen de défense, devrait jouir d'une certaine protection. [Nos soulignements]

(2)               La preuve offerte par M. Timm devant le protonotaire

[60]           Devant le protonotaire, M. Timm a limité ses représentations aux cinq points suivants : (1) il a subi un préjudice suite aux agissements des agents du SCC; (2) il est clair qu’il existe une véritable question litigieuse qui mérite d’être débattue au cours d’une véritable instruction puisque le grief au troisième palier a été maintenu en partie; (3) il a la qualité pour demander un contrôle judiciaire de ladite décision; (4) les questions qu’il soulève sont d’une grande importance pour un détenu fédéral et méritent qu’une attention particulière y soit portée en ce que des actes de harcèlement et de discrimination de la part de fonctionnaires publics y sont allégués; et (5) le résultat de sa demande pourrait avoir une incidence sur les conditions de détention en milieu fédéral. Cependant, il ne les a pas détaillés.

(3)               Conclusion sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire

[61]           La Cour constate que les prétentions de M. Timm à l’effet qu’il est presque certain que sa demande n’échouera pas sont de nature générale.

[62]           M. Timm n’a précisé, ni devant le protonotaire, ni même en appel, le motif illicite de discrimination ou les dispositions législatives mêmes invoquées au soutien de son allégation de discrimination. Ainsi, la Cour ne peut conclure que le protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante en déterminant que M. Timm n’avait pas prouvé le caractère bien-fondé de sa demande de contrôle judiciaire.

[63]           Ainsi, l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée en l’instance.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                       L’appel est rejeté;

2.                       Les dépens de 250,00$ sont accordés en faveur du PGC.

« Martine St-Louis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1958-16

 

INTITULÉ :

RICHARD TIMM c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 AVRIL 2017

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Pierre Tabah

Pour le demandeur

Erin Morgan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labelle, Côté, Tabah et associés

St-Jérôme (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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