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Date : 20170613


Dossier : IMM-1836-16

Référence : 2017 CF 578

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2017

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

BO HUA YUAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur, un citoyen chinois ayant statut de résident permanent au Canada, conteste une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 14 avril 2016, par laquelle elle a rejeté l’appel qu’il avait interjeté à l’encontre d’une mesure d’exclusion prise par la Section de l’immigration de la Commission en juin 2015, au motif qu’il a été estimé interdit de territoire pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[2]               La Section de l’immigration a conclu que le demandeur avait fait une fausse déclaration concernant sa vraie date de naissance lorsqu’il a présenté une demande de visa d’étudiant pour le Canada en 2002 – visa qu’il a reçu – de manière à donner l’impression qu’il était cinq ans plus jeune que réellement. À l’audience devant la SAI, le demandeur n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’exclusion prise par la Section de l’immigration. Il a plutôt demandé une mesure spéciale pour motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi.

[3]               Devant notre Cour, le demandeur affirme que la décision de la SAI par laquelle elle a rejeté sa demande en vue d’obtenir une mesure spéciale est déraisonnable et devrait, par conséquent, être annulée.

II.                Contexte

[4]               Les faits pertinents se résument comme suit. Le demandeur est au début de la quarantaine. Il a une épouse, Si Hui Wang (Kathy), et trois jeunes enfants, tous nés en Chine. Kathy a immigré au Canada en provenance de la Chine en 1997 et a reçu la citoyenneté canadienne en 2002. Le demandeur l’a rencontrée cette année-là, pendant qu’il étudiait au Canada. Après avoir terminé ses études en 2004, il est retourné en Chine où il a fait l’acquisition d’une entreprise, qu’il possède toujours. Cette entreprise fait principalement de l’importation et de l’exportation de vêtements avec les États-Unis. Kathy est retournée en Chine en 2005 et le couple s’est marié là-bas en mars 2008. Ils ont eu leur premier enfant la même année.

[5]               En 2009, Kathy a parrainé le demandeur pour qu’il obtienne le statut de résident permanent au Canada. Dans sa demande, le demandeur a fourni sa vraie date de naissance mais, sur les conseils d’un agent d’immigration, n’a pas divulgué l’histoire de sa demande antérieure de visa d’étudiant. Le demandeur a obtenu le statut de résident permanent à son arrivée à Toronto, le 26 janvier 2010. Toutefois, il est immédiatement retourné en Chine pour prendre soin de son père dont l’état de santé s’était détérioré. Le père du demandeur est décédé peu de temps après, puis sa mère est tombée malade et a finalement reçu un diagnostic de cancer. Le demandeur affirme que sa femme et lui sont devenus les principaux pourvoyeurs de soins de sa mère.

[6]               En mai 2014, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a informé le demandeur qu’il y avait certains problèmes avec ses demandes d’immigration précédentes. Peu de temps après, on l’a informé que l’affaire serait renvoyée à la Section de l’immigration pour qu’elle procède à une enquête en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi. Cette enquête a eu lieu le 4 juin 2015, et le même jour, le demandeur a été jugé interdit de territoire pour fausses déclarations, et la mesure d’exclusion a alors été prise.

[7]               Le demandeur a été entendu par la SAI le 26 février 2016. Il était arrivé au Canada, avec sa famille, deux mois auparavant. À l’audience devant la SAI, le demandeur a admis avoir sciemment fourni une fausse date de naissance lorsqu’il a présenté sa demande de visa d’étudiant en 2002, et a expliqué que l’agence des études à l’étranger qui l’aidait à l’époque lui avait dit que le fait de donner un âge plus jeune sur sa demande améliorerait ses chances d’obtenir le visa. Il a aussi expliqué que l’agent d’immigration qui l’a aidé avec sa demande de résident permanent lui avait conseillé de ne pas déclarer ses études antérieures au Canada. Par conséquent, il n’a pas contesté la validité juridique de la mesure d’exclusion. Comme il est dit précédemment, il a demandé une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire, conformément à l’alinéa 67(1c) de la Loi.

[8]               Cette disposition de la Loi est libellée comme suit :

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

[…]

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

[…]

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[9]               Le demandeur a dit à la SAI qu’en raison de la situation de ses parents, il avait seulement pu passer un à deux mois au Canada chaque année depuis qu’il avait obtenu le statut de résident permanent. Il a aussi témoigné que sa femme et lui avaient discuté de la possibilité de retourner au Canada parce que leurs enfants arrivaient à l’âge de la scolarité et qu’ils souhaitaient qu’ils reçoivent leur éducation au Canada. Il a dit que sa famille et lui vivaient dans la ville la plus polluée de Chine et que la salubrité alimentaire et l’éducation en Chine causaient problème et ne valaient pas celles du Canada. Le demandeur a aussi affirmé qu’étant donné qu’ils avaient la citoyenneté canadienne, ses enfants n’avaient pas de certificat de résidence en Chine, ce qui signifiait que pour les envoyer à l’école, sa femme et lui auraient à utiliser leurs contacts et à verser des pots-de-vin. Le demandeur a également indiqué qu’il prévoyait transférer son entreprise au Canada et que le fait de perdre sa résidence permanente serait un « gros problème » pour les membres de sa famille, puisqu’ils seraient sans doute obligés de retourner en Chine avec lui comme ils n’envisageaient pas vraiment que sa femme reste ici au Canada avec les enfants, parce qu’elle ne serait pas capable de prendre soin d’eux étant donné leur jeune âge. Enfin, il a affirmé à la SAI qu’il payait des impôts canadiens sur le revenu.

[10]           La SAI a rejeté l’appel parce qu’elle n’était pas convaincue que les considérations d’ordre humanitaire étaient suffisantes pour justifier la prise de mesures spéciales vu les autres circonstances de l’affaire. Appliquant les facteurs approuvés dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 [Chieu], et connus comme les « facteurs Ribic », la SAI a tiré les conclusions suivantes.

[11]           Premièrement, en ce qui concerne le degré d’établissement au Canada du demandeur, la SAI a conclu que ce facteur était un facteur négatif. Elle a conclu à cet égard que le demandeur :

a)         était retourné au Canada seulement environ un mois par année depuis son arrivée;

b)        possédait toujours un appartement de quatre chambres en Chine;

c)         exploitait toujours une entreprise en Chine, laquelle n’avait aucun client au Canada;

d)        demeurait chez des amis depuis son arrivée au Canada en décembre 2015;

e)         n’avait fourni aucun élément de preuve de son engagement dans la collectivité au Canada et aucun élément de preuve documentaire de ses plans en vue de déménager son entreprise au Canada.

[12]           La SAI a ensuite examiné la gravité des fausses déclarations ayant mené à la mesure d’exclusion et les circonstances entourant ces fausses déclarations, et a une fois de plus conclu que ce facteur était défavorable à la prise d’une mesure spéciale. Elle a conclu que les fausses déclarations du demandeur étaient nombreuses et faites avec l’intention de tromper les autorités de l’immigration. Pour la SAI, il s’agissait là d’une attaque grave à l’intégrité des lois de l’immigration du Canada. Troisièmement, sur la question des remords, la SAI a conclu que les incidences sur sa famille qui devrait quitter le Canada constituaient sans doute le facteur le plus contraignant à la source des remords du demandeur, mais que blâmer l’agent d’immigration pour les fausses déclarations n’était pas une indication de réels remords et avait joué en défaveur de son appel.

[13]           Quatrièmement, la SAI a regardé quelle incidence le renvoi du demandeur aurait sur sa famille au Canada. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas de famille directe au Canada, mais que sa femme avait ses deux parents au Canada, ainsi qu’une sœur avec laquelle elle est brouillée. Elle a accordé un poids neutre à ce facteur. Ensuite, la SAI a examiné les difficultés que causerait au demandeur son renvoi. Elle a répété qu’à cet égard, le demandeur avait passé très peu de temps au Canada depuis qu’il avait reçu son statut de résident permanent, qu’il possédait toujours une maison et exploitait une entreprise fructueuse en Chine, et qu’il avait omis de fournir un élément de preuve documentaire de ses plans pour s’établir au Canada ou du versement d’impôts canadiens sur le revenu. Elle a conclu que le demandeur continuerait à vivre la vie qu’il avait toujours vécue en Chine après son renvoi et, par conséquent, a accordé un poids défavorable à ce facteur.

[14]           Enfin, comme l’y oblige l’alinéa 67(1)c) de la Loi, la SAI a examiné l’incidence que le renvoi aurait sur les enfants du demandeur. Elle a d’abord souligné que les enfants étaient nés en Chine et que sauf durant les six semaines précédant l’audience, ils avaient vécu toute leur vie là-bas. Elle a de plus souligné que puisque les enfants étaient encore très jeunes et proches de leurs parents, le demandeur et sa femme étaient [traduction] « les meilleurs parents, en vivant ensemble, pour répondre à leurs besoins de manière responsable et efficace » (décision de la SAI, au paragraphe 31).

[15]           La SAI a ensuite résumé de la façon suivante la preuve du demandeur concernant les difficultés qu’éprouveraient les enfants s’il devait être forcé de quitter le Canada :

[traduction] [32]     […] L’appelant et sa femme ont témoigné que ses [sic] enfants, depuis qu’ils avaient pris la citoyenneté canadienne, n’étaient plus considérés comme des citoyens chinois. Pour cette raison, ils doivent payer des assurances et subissent de la « discrimination » concernant les choix qui s’offrent à eux pour leur scolarité. En outre, l’appelant a témoigné que le smog est tellement important en Chine que les enfants doivent porter un masque lorsqu’ils jouent dehors, qu’il y a trop de circulation ce qui fait qu’il est dangereux pour eux de traverser la rue, et que la salubrité des aliments est questionnable, sa femme expliquant comment en Chine le yaourt était fabriqué à partir de cuir usé. L’appelant et sa femme ont témoigné que les enfants, dont l’un était inscrit, selon leur témoignage, à une école élémentaire de Vancouver Nord le mois dernier, souffriront grandement si leur père est renvoyé, parce qu’il est maintenant temps pour eux de retourner au Canada pour apprendre l’anglais.

[16]           La SAI a jugé que la preuve était [traduction] « très peu crédible ». Elle a répété que le demandeur n’avait fourni aucun élément de preuve documentaire concernant ses tentatives de déménager son entreprise au Canada ou de chercher des clients canadiens. Elle a aussi souligné le fait que le demandeur n’avait fait aucun effort pour déménager ses enfants au Canada avant de recevoir la mesure d’exclusion. La SAI a conclu ce qui suit :

[traduction] [32]     […] Tous les facteurs négatifs qu’invoquent l’appelant et sa femme ne sont pas crédibles, pour le simple fait qu’ils ont choisi de vivre avec leurs enfants en Chine jusqu’à ce que l’appelant reçoive une ordonnance de renvoi. L’appelant et sa femme ont estimé qu’il était dans l’intérêt supérieur des enfants de vivre en Chine jusqu’en décembre 2015, malgré que ces derniers aient la citoyenneté canadienne et aient le droit d’entrer et de vivre au Canada. Je juge que leur témoignage à cet égard manque de crédibilité. J’estime que l’intérêt supérieur des enfants, c’est de demeurer avec leurs deux parents. Les parents ont semblé capables d’élever leurs enfants depuis leur naissance en Chine, et le Tribunal n’accorde aucun poids à ce facteur dans le présent appel.

[17]           Le demandeur soutient que la décision de la SAI devrait être renversée, puisque la SAI n’a pas appliqué le bon critère en examinant l’intérêt supérieur des trois enfants, a mal compris la preuve relative à ses remords, n’a pas tenu dûment compte de son établissement étant donné que sa femme et ses enfants sont des citoyens canadiens, et a utilisé une mauvaise norme pour déterminer sa crédibilité et celle de ses témoins.

III.             Question en litige et norme de contrôle

[18]           La question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est la suivante : la décision de la SAI de rejeter la demande de mesure spéciale du demandeur peut-elle être annulée en fonction des motifs invoqués par le demandeur?

[19]           Il est bien établi en droit que les mesures envisagées par l’alinéa 67(1)c) de la Loi sont « exceptionnelles et discrétionnaires », surtout lorsque la validité de la mesure d’exclusion n’est pas contestée, comme c’est le cas en l’espèce (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 62 [Khosa]), et que la prise de telles mesures discrétionnaires est susceptible de contrôle suivant la norme de la décision raisonnable (Khosa, aux paragraphes 58 et 59; Aisikaer c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 708, au paragraphe 10 [Aisikaer]).

[20]           En conséquence, la Cour doit déférence aux conclusions de la SAI. Toutefois, elle doit être convaincue que la décision contestée de la SAI appartient aux issues possibles et acceptables et respecte les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. Dans sa décision, la Cour doit s’abstenir de soupeser de nouveau la preuve ou d’y substituer l’issue qui serait à son avis préférable parce que ce n’est pas son rôle lorsqu’elle exerce sa fonction de contrôle judiciaire (Khosa, au paragraphe 59).

[21]           En l’espèce, je suis d’avis que la décision de la SAI cause problème sur deux points : l’intérêt supérieur des enfants et les remords. Ainsi, étant donné l’importance du facteur de l’intérêt supérieur des enfants, cela a, à mon avis, contaminé la décision de la SAI à un point où je ne peux conclure qu’elle appartient aux issues possibles et acceptables.

IV.             Analyse

A.                L’intérêt supérieur des enfants

[22]           Le demandeur allègue que l’intérêt supérieur de ses trois enfants serait un facteur positif plutôt que neutre si la SAI avait tenu compte de tous les renseignements pertinents, notamment la meilleure option pour eux qui était de demeurer avec les deux parents au sein d’une famille singulière. Plus précisément, il affirme que la SAI a minimisé l’intérêt supérieur des enfants en se concentrant sur les actes passés de leurs parents, en omettant de tenir compte du fait qu’ils sont considérés comme des étrangers en Chine en raison de leur citoyenneté canadienne, et en ne tenant pas compte de toutes les possibilités les touchant.

[23]           Comme l’a reconnu la SAI, il est acquis en matière jurisprudentielle que l’intérêt supérieur des enfants est un facteur important auquel on doit accorder un poids considérable, en demeurant réceptif, attentif et sensible à cet intérêt (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 74 et 75 [Baker]; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 38 [Kanthasamy]; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 12 [Legault]). Il est également bien établi que la présence d’enfants n’appelle pas un certain résultat et que leur intérêt ne l’emportera pas toujours sur d’autres considérations ou ne signifiera pas qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire (Kanthasamy, au paragraphe 38; Legault, au paragraphe 12).

[24]           Toutefois, pour résister à un examen judiciaire, cet intérêt doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention eu égard à l’ensemble de la preuve » au cours d’une analyse qui dépend « fortement du contexte » (Kanthasamy, aux paragraphes 35 et 39; Baker, au paragraphe 75; Richard v. Canada (Citizenship and Immigration), 2016 FC 1420, au paragraphe 16). Il en est ainsi en raison de « la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant », comme son âge, ses capacités, ses besoins et son degré de maturité (Kanthasamy, au paragraphe 35).

[25]           Bien que ces lignes directrices aient été établies principalement dans le contexte de demandes pour des motifs d’ordre humanitaire déposées en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, je ne vois aucune raison de principe expliquant pourquoi elles ne devraient pas s’appliquer à la SAI dans le contexte d’une demande de prise de mesures spéciales faite en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, puisque dans les deux cas, le décideur a le devoir légal de prendre en considération, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par sa décision.

[26]           En l’espèce, je suis attentif au fait que comparer la vie au Canada, où il est fort possible qu’il y ait moins de pollution, une meilleure éducation et des aliments plus salubres que dans la plupart des pays du monde, à la vie dans le pays d’origine ne peut être déterminant de l’intérêt supérieur d’un enfant, puisque le résultat favorisera toujours le Canada. Toutefois, je ne suis pas convaincu que l’intérêt des enfants a été « bien identifié et défini » par la SAI puis examiné « avec beaucoup d’attention eu égard à l’ensemble de la preuve ».

[27]           À mon avis, il y a deux aspects problématiques à la décision de la SAI à cet égard. Premièrement, je suis d’accord avec le demandeur que la SAI a omis de prendre en considération l’intérêt supérieur des trois enfants, sous prétexte que les parents ont fait le choix de ne pas les emmener au Canada plus tôt. Cela a amené la SAI à accorder peu ou pas de crédibilité aux éléments de preuve se rapportant aux difficultés qu’éprouveraient les enfants à la suite de sa décision de rejeter la prise d’une mesure spéciale. En agissant ainsi, la SAI n’a pas, à mon avis, été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, puisqu’elle s’est concentrée sur les parents, et non sur les enfants. Il ne suffit pas de simplement nommer cet intérêt, comme l’a fait la SAI. Cet intérêt doit être évalué dans tout son contexte et, comme nous l’avons vu, selon une variété de points de vue, comme l’âge, le degré de dépendance, l’état de santé et l’éducation.

[28]           En l’espèce, aucune analyse de ce genre n’a été effectuée, malgré les éléments de preuve selon lesquels les enfants vivent de la discrimination institutionnelle et personnelle en raison de leur manque d’identité et courent un risque, du point de vue de la santé, en raison d’un environnement de mauvaise qualité. Ces préoccupations nécessitaient une certaine forme d’analyse mais elles ont été, pour ainsi dire, écartées parce que la SAI a eu l’impression qu’elles n’étaient pas crédibles, en raison de la conduite des parents, notamment de leur absence d’efforts pour déménager au Canada plus tôt qu’ils ne l’ont fait. C’était une erreur, surtout à la lumière des explications du demandeur, selon lesquelles il n’a pas déménagé plus tôt sa famille au Canada pour pouvoir prendre soin de son père et de sa mère malades.

[29]           Deuxièmement, malgré qu’elle ait été convaincue que la famille du demandeur constituait une unité familiale très unie et que, par conséquent, il était dans l’intérêt supérieur des enfants de demeurer avec leurs parents, la SAI n’a pas tenu compte de la possibilité que ce soit au Canada, puisque le demandeur a témoigné que telle était son intention si son appel était accueilli. Autrement dit, la SAI a reconnu que la séparation des parents devait être évitée, mais elle n’a pas traité correctement toutes les options qui auraient permis aux enfants de continuer à vivre avec leurs parents et à former une unité familiale très unie. Demeurer au Canada, plutôt que retourner en Chine, était, selon les éléments de preuve, une de ces options.

[30]           Je suis d’accord avec le demandeur que bien que les faits diffèrent, la décision Ferrer c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 356, appuie l’affirmation selon laquelle le défaut de la SAI d’envisager toutes les issues probables si l’appel du demandeur devait être accueilli constitue également une erreur susceptible de révision (Ferrer, au paragraphe 5).

[31]           Enfin, contrairement à l’argument du défendeur, je ne crois pas que l’affaire Wang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 304 [Wang], scelle le sort de la présente affaire. Dans la décision Wang, la Cour a conclu que la possibilité que la demanderesse ait à payer des frais pour que ses enfants aient accès à l’éducation et aux soins médicaux en Chine ne constituait pas une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive, au sens du paragraphe 25(1) de la Loi. Cette possibilité découlait de la politique de l’enfant unique de la Chine. En l’espèce, le contexte est différent, puisque les enfants du demandeur n’ont pas d’identité en Chine parce qu’ils sont citoyens canadiens et subissent de la discrimination pour cette raison. De plus, ils sont personnellement touchés par la pollution de la ville où ils vivent. Ces préoccupations méritaient d’être prises en considération dans leur contexte. Il ne s’agissait pas que d’une simple question d’avoir à payer une amende pour avoir accès aux services publics.

B.                 Remords

[32]           La SAI a estimé que le demandeur était un témoin honnête et crédible concernant les circonstances entourant les fausses déclarations, mais a conclu que blâmer son agent pour les fausses déclarations n’était pas une indication de réels remords. À mon avis, cette conclusion est déraisonnable, puisque je ne vois rien dans les éléments de preuve qui indique que le demandeur a tenté de justifier ses fausses déclarations en blâmant son agent. D’ailleurs, il a témoigné qu’il n’y avait personne d’autre à blâmer que lui-même pour ces actes et qu’il était prêt à en accepter les conséquences, mais qu’il espérait que la SAI tienne compte de la situation de sa femme et de ses enfants et rende une décision miséricordieuse. Il a dit la même chose dans une lettre qu’il a fait parvenir à CIC en juin 2014 après avoir été informé qu’il ferait l’objet de procédures d’interdiction de territoire. En supposant qu’elle ait été examinée par la SAI, rien dans la décision contestée n’explique pourquoi cette lettre n’a reçu aucun poids.

[33]           Il m’apparaît clairement que le demandeur a compris qu’il portait toute la responsabilité de ses fausses déclarations et je ne vois aucun fondement à la conclusion de la SAI, selon laquelle, d’une façon quelconque, il a jeté le blâme sur quelqu’un d’autre. Il y a une différence entre blâmer quelqu’un pour ses actes et être sincère en décrivant les circonstances entourant ses actes. Avec égards, la SAI n’a pas fait cette distinction.

[34]           Pour tous ces motifs, la décision de la SAI sera annulée et l’affaire sera renvoyée à la SAI pour un nouvel examen par un autre commissaire.

[35]           À l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, les parties ont demandé du temps pour traiter de la question de la possible certification d’une question pour la Cour d’appel fédérale. Les parties disposent donc de sept (7) jours à partir de la publication des présents motifs pour présenter des observations sur cette question. Ces observations doivent être présentées au moyen d’une lettre envoyée au greffe de la Cour à Ottawa (Ontario) et ne dépassant pas trois (3) pages.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La décision de la Section d’appel de l’immigration, datée du 14 avril 2016, est annulée et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour une nouvelle détermination par un tribunal différemment constitué.

3.         Les parties disposent de sept (7) jours à partir de la publication des présents motifs pour présenter des observations relativement à la certification, de la manière prévue au paragraphe 35 des présents motifs.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1836-16

 

INTITULÉ :

BO HUA YUAN c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Daniel Henderson

 

Pour le demandeur

 

 

Alison Brown

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Henderson & Lee Law Corporation

Avocats

Burnaby (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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