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Date : 20170609


Dossier : T-1793-16

Référence : 2017 CF 567

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2017

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

BRADLEY FRIESEN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Bradley Friesen croyait avoir une bonne idée en décidant de tourner une vidéo montrant un hélicoptère glissant sur un lac alpin gelé, parmi des personnes jouant au hockey, pour une publication en ligne. Le ministre des Transports n’était toutefois pas du même avis et lui a imposé une amende de 1 000 $ pour avoir contrevenu à l’article 602.01 du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 [RAC]. Un comité de révision du Tribunal d’appel des transports du Canada (TATC) a confirmé cette conclusion et l’amende imposée, mais un comité d’appel a infirmé la décision du comité de révision. Il s’agit, en l’espèce, d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le procureur général du Canada en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch. F-7, à l’encontre de la décision rendue par le comité d’appel.

[2]               La présente demande est accueillie pour les motifs qui suivent.

II.                CONTEXTE

[3]               M. Friesen est pilote d’hélicoptère depuis environ 25 ans et il compte près de 3 500 heures d’expérience à son actif. Le 8 décembre 2013, M. Friesen a organisé un événement ayant pour but de tourner une vidéo pour YouTube montrant un hélicoptère glissant sur la glace parmi un groupe de personnes qui jouaient au hockey sur un lac gelé de la Colombie-Britannique. Dans la présente instance, cet événement a été décrit comme une « cascade » au sens de manœuvre périlleuse. La cascade a été exécutée avec l’aide d’un coordonnateur des cascades et de huit hockeyeurs, dont deux étaient des pilotes d’hélicoptère. Chaque hockeyeur était un patineur chevronné, certains ayant joué au hockey à un niveau semi-professionnel. M. Friesen pilotait l’hélicoptère.

[4]               Le 7 décembre 2013, soit la veille de l’événement, M. Friesen s’est rendu avec son hélicoptère sur un lac situé à proximité pour y mesurer l’épaisseur de la glace; elle était de 28 centimètres (11 pouces). Avant la tenue de l’événement, M. Friesen a pris diverses précautions, notamment en présentant aux participants un exposé sur les mesures de sécurité à suivre, en faisant la démonstration de l’hélicoptère glissant sur la glace et en indiquant aux hockeyeurs les positions qu’ils devaient occuper sur la glace, de chaque côté d’un espace libre de 3 mètres (10 pieds). Finalement, la manœuvre s’est déroulée sans incident, et la vidéo a été affichée en ligne. Après la publication de certains commentaires au sujet de cette cascade, M. Friesen a signalé l’événement aux responsables de Transports Canada en leur expliquant les mesures de sécurité qui avaient été prises.

[5]               Le 14 janvier 2014, le ministre des Transports a délivré à M. Friesen un avis d’amende de 1 000 $ pour contravention à l’article 602.01 du RAC. Le ministre alléguait que l’utilisation que M. Friesen avait faite de l’hélicoptère, en sa qualité de commandant de bord, avait été si imprudente ou négligente que cela aurait pu constituer un risque pour la vie ou les biens d’une personne.

[6]               M. Friesen a demandé une révision de l’avis d’amende. Sa demande de révision au premier niveau a été rejetée par le TATC, qui a maintenu la conclusion quant à la contravention et à la sanction pécuniaire imposée. M. Friesen a interjeté appel de cette décision auprès d’un comité d’appel du TATC. Dans une décision rendue le 20 septembre 2016, le comité d’appel a conclu que le ministre n’avait pas réussi à prouver que M. Friesen avait enfreint l’article 602.01 du RAC, et il a annulé la sanction pécuniaire de 1 000 $. C’est cette dernière décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire de la part du procureur général.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

A.                Décision rendue à la suite de la révision par le TATC

[7]               Durant l’étape initiale de révision, le seul témoin qui a comparu au nom du ministre a été Ross Bertram, un enquêteur pour Transports Canada, qui compte 13 ans d’expérience au sein de la Direction de l’application de la loi. Durant son témoignage, M. Bertram a déclaré que la cascade avait été une manœuvre dangereuse. Il a indiqué que les hockeyeurs auraient pu être frappés par l’hélicoptère ou par la pale de rotor, ou qu’ils auraient pu glisser sur la glace et être renversés par l’hélicoptère.

[8]               Il a ajouté que M. Friesen ne s’était pas procuré un certificat d’opérations aériennes spécialisées (COAS) avant d’exécuter la cascade. Une personne peut demander un tel certificat lorsqu’elle prévoit tenir une manifestation susceptible de créer des dangers supplémentaires ou de contrevenir au RAC. Selon M. Bertram, la présentation d’une demande de COAS aurait donné lieu à un échange de renseignements et, sous réserve de certaines conditions, une exemption aurait pu être accordée en vertu du RAC. Dans les éléments de preuve qu’il a présentés, M. Friesen a indiqué qu’il lui avait été impossible de demander un COAS, faute de temps. De plus, il croyait que ces certificats n’étaient délivrés que pour l’utilisation d’aéronefs commerciaux, alors qu’il était un exploitant privé.

[9]               M. Friesen a décrit les mesures de sécurité qu’il a prises avant et pendant l’exécution de la cascade. Dans un courriel en date du 10 décembre 2013 adressé à M. Bertram, M. Friesen a décrit ces mesures comme suit :

(a)          il a mesuré l’épaisseur de la glace la veille de l’exécution de la cascade;

(b)         il a confirmé que l’épaisseur de glace mesurée pouvait supporter le poids de l’appareil;

(c)          il s’est exercé à faire glisser l’hélicoptère sur la glace, en appliquant de 100 à 150 lb du poids de l’hélicoptère sur la glace;

(d)         le jour de la manifestation aérienne, il a tenu une première séance d’information sur les mesures de sécurité avec tous les participants;

(e)          il a personnellement inspecté à pied la zone de glace sur laquelle l’hélicoptère devait glisser pour s’assurer qu’il n’y avait aucune crête ni aucun trou dans la glace;

(f)          deux des hockeyeurs étaient eux-mêmes pilotes professionnels d’hélicoptère et avaient avec eux des appareils radio bidirectionnels portatifs pour agir à titre de coordonnateurs;

(g)         un exposé détaillé des mesures de sécurité et une révision structurée de l’événement ont été menés sur place, et les positions des hockeyeurs ont été déterminées de manière à laisser un « petit espace libre » entre eux;

(h)         puis, alors qu’il était aux commandes de l’hélicoptère, M. Friesen a amorcé lentement la descente de l’hélicoptère sur la glace, à une vitesse de 15 nœuds, puis l’a fait glisser en direction de l’espace libre entre les hockeyeurs;

(i)           les deux autres pilotes d’hélicoptère étaient positionnés du côté du rotor, à gauche, afin que les autres hockeyeurs en soient le plus éloignés possible;

(j)           après avoir complètement dépassé la rangée de hockeyeurs, M. Friesen a attendu deux secondes supplémentaires avant de remonter dans les airs et de tourner l’appareil;

(k)         trois hélicoptères de secours étaient prêts à intervenir, en cas d’incident, et du personnel qualifié en secourisme était présent sur place.

[10]           Plusieurs autres témoins ont aussi été appelés à témoigner au nom de M. Friesen, notamment un des hockeyeurs présents sur la glace durant la cascade, qui a déclaré n’avoir jamais craint pour sa sécurité. De plus, un ancien pilote de l’Aviation royale canadienne, qui comptait 15 000 heures d’expérience de vol, dont 5 000 heures comme pilote d’hélicoptère, a été appelé comme témoin expert. Cet ancien pilote, ainsi que le coordonnateur des cascades sur place qui avait 21 années d’expérience dans l’industrie cinématographique, a témoigné qu’il n’y avait aucune autre mesure de sécurité que M. Friesen aurait pu prendre, à part s’abstenir d’exécuter la cascade.

[11]           Après avoir examiné les éléments de preuve présentés durant l’audience, le conseiller chargé de la révision a formulé et examiné les trois questions suivantes aux fins de son analyse :

(1)         La manœuvre a-t-elle mis en danger, ou risqué de mettre en danger, la vie des participants?

(2)         Si la manœuvre a mis en danger, ou risqué de mettre en danger, la vie des participants, M. Friesen a-t-il fait preuve d’imprudence ou de négligence, ou des deux?

(3)         Si la manœuvre a mis en danger, ou risqué de mettre en danger, la vie des participants, ce danger a-t-il été atténué par la diligence raisonnable dont M. Friesen a fait preuve?

[12]           Le conseiller a estimé que faire glisser l’hélicoptère dans l’espace libre entre les hockeyeurs mettait en danger ou risquait de mettre en danger ces personnes. Il a accordé moins d’importance au témoignage du témoin expert, principalement parce que celui-ci avait entièrement basé son rapport sur ce que M. Friesen lui avait dit et que cela allait quelque peu à l’encontre de ce que l’on voyait sur la vidéo.

[13]           Après avoir visionné la vidéo, le conseiller a conclu qu’il aurait été « fort possible » que les hockeyeurs soient frappés par les patins de l’hélicoptère s’ils ne s’étaient pas déplacés. Et, même sans être touchés, les hockeyeurs n’auraient été qu’à une distance de deux à trois pieds du rotor de queue en marche. Or, de l’avis du conseiller, cette distance n’était pas suffisante pour écarter tout risque.

[14]           Le conseiller a conclu que M. Friesen n’avait pas été imprudent, compte tenu des mesures de sécurité qu’il avait prises. Il a toutefois estimé que M. Friesen avait été négligent, car il n’avait pas utilisé son hélicoptère comme l’aurait fait un [traduction] « pilote raisonnable et prudent », puisqu’il s’en est remis aux hockeyeurs pour assurer le déroulement sécuritaire de la manœuvre. En d’autres termes, bien que commandant de bord, M. Friesen n’était pas maître de la situation, car d’autres personnes ont dû se déplacer pour maintenir une marge de sécurité suffisante.

[15]           Le conseiller a également cité l’article 8.5 de la Loi sur l’aéronautique, LRC (1985), ch. A-2 [Loi sur l’aéronautique], pour rappeler qu’une personne est tenue de prendre toutes les précautions voulues. Le conseiller a indiqué que M. Friesen aurait pu demander une dispense de l’application du Règlement s’il avait obtenu un COAS. Il a également conclu que M. Friesen aurait pu laisser un plus grand espace entre les joueurs afin qu’ils n’aient pas à se déplacer pour éviter un possible danger. Il a conclu que M. Friesen ne pouvait invoquer une défense fondée sur la diligence raisonnable, puisqu’une conclusion de négligence avait été formulée à son endroit.

B.                 TATC – Décision d’appel

[16]           Le comité d’appel a limité la portée de l’appel aux questions suivantes : (1) la manière dont le conseiller a traité la preuve d’expert; (2) les questions liées à la norme de diligence et à la négligence et (3) la défense fondée sur la diligence raisonnable. Le comité a indiqué que toutes ces questions constituaient des questions de droit qui commandaient l’application de la norme de la décision correcte.

[17]           Au moment de rendre sa décision, le comité d’appel a d’abord défini la norme de contrôle devant s’appliquer dans le contexte d’un appel prévu par la loi devant un tribunal administratif. S’appuyant sur la décision rendue par la Cour fédérale dans Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, [2014] ACF no 845 [Huruglica CF], le comité d’appel a indiqué que la norme qui devait s’appliquer en pareilles circonstances allait de pair avec l’esprit de la loi habilitante. Le comité a ajouté qu’un appel devant le TATC est une procédure qui permet la révision, par un comité d’appel possédant la même expertise que le conseiller, d’une décision rendue par ce dernier.

[18]           Le comité d’appel a conclu que la norme de contrôle devant s’appliquer aux décisions du conseiller était d’une part la norme de la décision raisonnable pour les questions de fait, y compris les questions de crédibilité et les questions mixtes de fait et de droit et, d’autre part, la norme de la décision correcte pour les questions de droit.

[19]           En ce qui a trait à la preuve d’expert présentée durant l’étape de la révision, le comité d’appel a estimé qu’elle n’avait pas été contredite. Selon le comité d’appel, la seule différence entre la preuve d’expert et celle présentée par le ministre (c.-à-d. les éléments de preuve de M. Bertram) tient du fait que M. Bertram a présenté des éléments de preuve sous forme d’opinion et qu’il n’a pas été qualifié d’expert durant l’audience de révision.

[20]           Citant la décision de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Molodowic, 2000 CSC 16, [2000] ACS no 17 [Molodowic], le comité d’appel a déclaré qu’il pourrait être déraisonnable de rejeter la preuve d’expert s’il n’existe pas de témoignages contradictoires et que l’opinion de l’expert n’est pas sérieusement contestée. Or, comme la preuve d’expert présentée au nom de M. Friesen n’avait pas été mise en doute, le comité d’appel a conclu qu’il n’était pas raisonnable pour le conseiller dans cette instance de rejeter la preuve ou d’en réduire l’importance.

[21]           Le comité d’appel a conclu que la norme de diligence qui devait s’appliquer en l’espèce est celle attendue d’un pilote d’hélicoptère expérimenté exécutant une manœuvre spécialisée en présence de personnes au sol, et non celle d’un « pilote prudent ». Cet aspect n’a pas été pris en compte dans les éléments de preuve présentés par le ministre durant l’audience de révision. De plus, le ministre n’a formulé aucune observation quant à la norme qui devrait s’appliquer lorsqu’un pilote d’hélicoptère exécute une manœuvre unique, mais non interdite, en présence de personnes au sol.

[22]           Le témoin du ministre a mentionné un certain nombre de choses qui « auraient pu » se produire pendant que l’hélicoptère glissait sur la glace. La question principale pour le comité d’appel était de savoir si le libellé « auraient pu » équivalait au libellé « risque de constituer un danger » de l’article 602.01 du RAC. Comme la preuve d’expert concernant l’absence de risque de blessure n’a pas été contredite, le comité d’appel a déclaré qu’on ne pouvait conclure à un « risque de constituer un danger » et, donc, que le ministre n’avait pu prouver cet élément essentiel de l’infraction.

[23]           L’article 8.5 de la Loi sur l’aéronautique permet d’invoquer une défense fondée sur la diligence raisonnable en cas d’accusations d’infractions à la Loi ou à ses règlements. Comme il a été indiqué précédemment, le conseiller a estimé que M. Friesen n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour réduire au minimum les dangers possibles, car il aurait pu présenter une demande de COAS ou prévoir un plus grand espace entre les hockeyeurs avant d’exécuter la manœuvre.

[24]           Le comité d’appel n’était pas de cet avis. Eu égard aux faits présentés en preuve sur les précautions prises par M. Friesen, et eu égard à la preuve d’expert indiquant que les mesures de sécurité mises en place par M. Friesen ont donné lieu à un scénario « sans risque », le comité d’appel a conclu que M. Friesen avait satisfait à l’exigence de diligence raisonnable prévue à l’article 8.5 de la Loi sur l’aéronautique.

IV.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[25]           Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’aéronautique, LRC (1985), ch. A-2, de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, LC 2001, ch. 29 et du Règlement de l’aviation canadien sont jointes en annexes de la présente décision.

V.                QUESTIONS EN LITIGE

[26]           Ayant pris en considération les arguments des deux parties, je formule les questions en litige comme suit :

A.                Quelle est la norme de contrôle que doit appliquer la Cour pour la révision de la décision du comité d’appel du TATC?

B.                 Quelle est la norme de contrôle que doit appliquer le comité d’appel du TATC pour la révision de la décision du conseiller?

                                               i.         Le comité d’appel du TATC a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a traité la preuve d’expert?

                                             ii.         Le comité d’appel du TATC a-t-il commis une erreur en indiquant que la norme de diligence devant s’appliquer était celle d’un « pilote d’hélicoptère expérimenté exécutant une manœuvre spécialisée en présence de personnes au sol »?

VI.             ANALYSE

A.    Quelle est la norme de contrôle que doit appliquer la Cour pour la révision de la décision du comité d’appel du TATC?

[27]           Le demandeur fait valoir que la question à savoir si le comité d’appel a choisi la bonne norme de contrôle est une question de droit qui ne fait pas appel à l’expertise spécialisée du comité d’appel dans les domaines de l’aéronautique et de la sécurité aérienne. La Cour doit donc revoir la décision du comité d’appel en regard de la norme de la décision correcte : Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), [2004] 3 RCS 152, 2004 CSC 54, au paragraphe 6 [Monsanto]; Billings Family Enterprises Ltd. c. Canada (Transports), 2008 CF 17, [2008] ACF n17, aux paragraphes 26 et 27 [Billings].

[28]           Le défendeur soutient, au contraire, que la norme devant être appliquée par la Cour est celle de la décision raisonnable : Gabila c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 574, [2016] ACF no 560, au paragraphe 19, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] ACF no 313, au paragraphe 35 [Huruglica CAF].

[29]           Il convient de préciser que les jugements Monsanto et Billings sont tous deux antérieurs aux arrêts Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9 [Dunsmuir] et Huruglica CAF. Dans l’arrêt Monsanto, la Cour suprême a appliqué la méthode pragmatique et fonctionnelle pour conclure que la norme de contrôle devant s’appliquer à la révision d’une décision du Tribunal des services financiers de l’Ontario était celle de la décision correcte.

[30]           L’arrêt Billings, quant à lui, concerne de multiples contraventions au RAC liées à l’utilisation d’hélicoptères. Le comité d’appel du TATC a maintenu les contraventions mais réduit les sanctions pécuniaires imposées. Pour définir la norme de contrôle judiciaire selon la méthode pragmatique et fonctionnelle, le juge Sean Harrington a conclu, au paragraphe 27, que les questions de fait ne devaient être révisées que si elles étaient manifestement déraisonnables, que les questions mixtes de fait et de droit devaient être révisées selon la norme de la décision raisonnable et que la Cour n’avait aucun devoir de retenue envers le TATC sur les questions de droit.

[31]           L’arrêt Huruglica CAF s’inscrit dans le contexte des contrôles judiciaires à l’encontre de décisions rendues par la Section d’appel des réfugiés en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR]. Comme l’a déclaré la juge Gauthier au paragraphe 30, il existe désormais une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les questions de droit découlant de l’interprétation de la loi constitutive d’un organisme administratif : McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 RCS 160 et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 RCS 135.

[32]           Plus récemment, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont confirmé, dans l’arrêt Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., [2016] CSC 47, 2016 ACS no 47, au paragraphe 22 [Edmonton East], que la cour de révision doit d’abord se demander si elle est en présence d’une question portant sur l’interprétation par un organisme administratif de sa propre loi constitutive ou d’une loi étroitement liée à son mandat. Le cas échéant, on présume alors que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

[33]           Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 57, la Cour suprême a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle, car « la jurisprudence peut permettre de cerner certaines des questions qui appellent généralement l’application de la norme de la décision correcte ».

[34]           Dans une affaire consécutive à l’arrêt Dunsmuir, le juge James O’Reilly a déclaré que le contrôle judiciaire de décisions rendues par un comité d’appel du TATC « est généralement effectué selon la norme de la raisonnabilité » : Canada (Procureur général) c. Annon, 2013 CF 5, [2013] ACF no 8, au paragraphe 13 [Annon], car on considère que le comité d’appel a une expertise en matière de transport et que ses décisions sont essentiellement fondées sur des conclusions de fait ou sur des questions mixtes de droit et de fait. Le juge O’Reilly a conclu que la même règle devrait s’appliquer aux décisions rendues par un seul membre du TATC, en précisant toutefois que les questions de compétence doivent être examinées au regard de la norme de la décision correcte (voir Annon, au paragraphe 14).

[35]           La Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux formulé une mise en garde contre les interprétations larges des questions de compétence ou de chevauchement de compétences : voir Huruglica CAF, précité, au paragraphe 33. Aucune question de compétence ne se pose en l’espèce.

[36]           Le demandeur fait valoir que la Cour n’a pas de devoir de retenue à l’égard des décisions du comité d’appel du TATC portant sur la norme de contrôle devant s’appliquer, car il s’agit d’une question de droit qui ne fait pas appel à l’expertise spécialisée du comité d’appel dans les domaines de l’aéronautique et de la sécurité aérienne. Comme il a été mentionné précédemment, le défendeur, s’appuyant sur l’arrêt Huruglica CAF, soutient que la norme de contrôle que la Cour devrait appliquer à la décision du comité d’appel du TATC est celle de la décision raisonnable.

[37]           Le demandeur soutient au contraire que l’arrêt Huruglica CAF ne s’applique pas au présent contrôle judiciaire au motif que cet arrêt n’a aucune valeur de précédent à l’extérieur du cadre de la LIPR. Le demandeur renvoie à cet effet à des commentaires dans l’arrêt Huruglica CAF, aux paragraphes 31 et 66, où la Cour d’appel fédérale indique « qu’il n’est pas utile d’examiner la jurisprudence portant sur le rôle des organismes administratifs d’appel autres que ceux créés en vertu de la LIPR », car le libellé des lois varie. Le demandeur est d’avis que le libellé des articles 67, 110 et 111 de la LIPR qui définissent les pouvoirs de la Section d’appel des réfugiés (SAR) diffère du cadre législatif du TATC et de ses règlements.

[38]           Le demandeur soutient en outre que l’expertise du comité d’appel du TATC porte sur l’aéronautique et la sécurité aérienne, mais pas nécessairement sur la sécurité des hélicoptères. Le demandeur estime donc que le comité d’appel n’est pas mieux habilité que la Cour, en l’espèce, pour décider de la norme de contrôle à appliquer à la décision du comité de révision. De plus, dans l’arrêt Billings, précité, aux paragraphes 26 et 27, la Cour a déjà tranché que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[39]           Les motifs invoqués par la juge Gauthier dans l’arrêt Huruglica CAF s’appuient sur le régime et le libellé de la LIPR. La juge Gauthier s’est dite d’accord avec l’observation du ministre selon laquelle le juge de la Cour fédérale dans cette affaire (et dans d’autres où le même raisonnement a été appliqué) a mal interprété les exceptions limitées à l’égard desquelles la norme de la décision correcte peut être appliquée.

[40]           Le demandeur invoque à l’appui la déclaration suivante de la juge Gauthier au paragraphe 31 :

[...] je ne peux tout simplement pas conclure qu’une question de droit touchant l’interprétation de la loi constitutive d’un organisme administratif déterminant son rôle en tant que juridiction d’appel fasse autorité au-delà du régime administratif particulier en question [...].

[41]           Je note toutefois que cela découle d’un énoncé plus général formulé au paragraphe 30 selon lequel la « présomption portant que la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les questions de droit découlant de l’interprétation de la loi constitutive d’un organisme administratif ». Puis, au paragraphe 32, la juge Gauthier déclare ce qui suit :

32  Tout comme les principes de droit en matière d’attribution des dépens et des délais prescrits relèvent de l’expertise des organismes administratifs visés dans les décisions Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 43, au par. 25, [2011] 3 R.C.S. 471 et McLean au par. 21, la définition de la portée de sa fonction d’appel (ou sa norme de contrôle) doit relever de la compétence de la SAR. [Je souligne]

[42]           Le demandeur s’appuie également sur Monsanto, précité, pour prétendre que la Cour devrait corriger l’erreur lorsqu’un comité d’appel applique la mauvaise norme de contrôle. Je suis d’avis que le demandeur fait fausse route en invoquant Monsanto, compte tenu des décisions rendues par la CAF dans Huruglica et par la Cour suprême dans Dunsmuir, ainsi que des décisions ultérieures qui ont été rendues, notamment dans la cause Edmonton East.

[43]           Dans Monsanto, la seule question en litige dans l’appel en Cour suprême était de décider si le Tribunal des services financiers avait bien interprété le paragraphe 70(6) de la Loi sur les régimes de retraite de l’Ontario concernant la répartition de l’excédent actuariel au moment de la liquidation partielle d’un régime de retraite. L’interprétation du paragraphe 70(6) constituait une pure question de droit liée à la définition des droits conférés par la loi. À ce titre, la Cour suprême a jugé nécessaire de faire une interprétation stricte de la loi pour établir l’objet de cette disposition.

[44]           La présente affaire se distingue facilement de la question en litige dans Monsanto. Il ne fait aucun doute que la décision du comité d’appel du TATC, en sa qualité de juridiction d’appel, constitue une question de droit, mais que celle-ci est étroitement liée à l’interprétation de la loi constitutive de l’organisme. Un tribunal administratif détermine son rôle en tant qu’instance d’appel en interprétant sa loi constitutive et ses règlements : Huruglica CAF, précité, au paragraphe 31. Par ailleurs, on présume que la déférence est habituellement de mise lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie : Dunsmuir, précité, au paragraphe 54. La Cour a donc un devoir de retenue à l’égard de la décision rendue par le comité d’appel du TATC en qualité de juridiction d’appel.

[45]           Durant l’audience, le demandeur a fait valoir que le type de libellé utilisé aux articles 67, 110 et 111 de la LIPR ne se retrouve pas dans le cadre législatif du TATC. Selon le demandeur, l’absence d’un tel libellé signifie que le TATC n’a pas les mêmes pouvoirs que la SAR.

[46]           Cependant, un examen des dispositions pertinentes de la LIPR, de la Loi sur le TATC et de la Loi sur l’aéronautique suggère que les cadres législatifs de la SAR et du comité d’appel du TATC sont comparables. Lorsqu’on compare par exemple le libellé de l’article 110 de la LIPR et celui de l’article 14 de la Loi sur le TATC, on constate que la SAR et le comité d’appel du TATC sont tous deux habilités à faire un examen sur le fond de l’ensemble du dossier qui a été présenté au tribunal inférieur. Le comité d’appel du TATC est également habilité à trancher un appel en vertu du paragraphe 8.1(3) de la Loi sur l’aéronautique, au même titre que peut le faire la SAR en application de l’article 111 de la LIPR.

[47]           Par conséquent, je ne peux conclure que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica diffère de la décision en l’espèce en raison des dispositions législatives uniques de la LIPR. Je suis d’avis que le raisonnement exposé dans l’arrêt Huruglica CAF peut s’appliquer en l’espèce et que, par conséquent, la Cour doit examiner la décision du comité d’appel du TATC au regard de la norme de la décision raisonnable.

[48]           Et même si je devais faire erreur sur ce point, j’ajouterais que l’on arrive au même résultat en appliquant les facteurs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 55. Selon l’article 21 de la Loi sur le TATC, la décision rendue par un comité d’appel est définitive et lie les parties. Comme le prévoit l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 52, l’existence d’une clause privative « milite clairement en faveur d’un contrôle suivant la norme de la raisonnabilité », car elle atteste la volonté du législateur que la décision du décideur administratif fasse l’objet de plus de déférence et que le contrôle judiciaire demeure minimal.

[49]           Bien que l’existence d’une clause privative ne constitue pas un facteur déterminant, les autres facteurs militent également en faveur de l’application de la norme de la décision raisonnable. En vertu du régime qui le sous-tend, le TATC a pour mandat d’examiner les questions liées à la sécurité aérienne, rapidement et sans formalisme : voir la Loi sur le TATC, au paragraphe 15(1). Le comité d’appel du TATC est considéré comme une instance possédant une expertise dans les questions de transport, qui est appelée à prendre des décisions visant à protéger la sécurité du public : Billings, précité, au paragraphe 27; Annon, précité, au paragraphe 13. La déférence est de mise lorsqu’un tribunal administratif a acquis une expertise particulière dans l’application des règles liées à un contexte législatif précis : Dunsmuir, précité, au paragraphe 54.

[50]           Bien que la question sous-jacente à la décision du comité d’appel du TATC concernant la norme de contrôle devant s’appliquer constitue une question de droit, cela ne donne pas automatiquement lieu à l’application de la norme de la décision correcte. De fait, dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 55, la Cour suprême a déclaré que la nature de la question de droit doit aussi être prise en compte. En l’espèce, la question de droit en litige ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique et elle n’est pas étrangère au domaine d’expertise du comité d’appel du TATC. Or, une question de droit qui ne revêt pas une telle importance peut justifier l’application de la norme de la décision raisonnable lorsque les deux autres facteurs appellent aussi l’application de cette norme : Dunsmuir, précité, au paragraphe 55.

[51]           Lorsqu’on considère la clause privative, la nature des régimes définis par la Loi sur le TATC et la Loi sur l’aéronautique, ainsi que la nature de la question de droit en cause, je conclus que la norme que la Cour doit appliquer pour la révision de la décision du comité d’appel du TATC est celle de la décision raisonnable.

B.     Quelle est la norme de contrôle que doit appliquer le comité d’appel du TATC pour la révision de la décision du conseiller?

[52]           Le comité d’appel du TATC a conclu que les questions de crédibilité, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit commandent l’application de la norme de la décision raisonnable, alors que les questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte : Huruglica CAF, précité; Farm Air Ltd c. Canada (Ministre des Transports), 2011 TATCF 20; Nav Canada c. Canada (Ministre des Transports), 2010 TATCF 28 (appel), au paragraphe 11; Air Saguenay (1980) Inc. c. Canada (Ministre des Transports), 2015 TATCF 13 (appel), aux paragraphes 8 à 11; Annon, précité, au paragraphe 16.

[53]           Le demandeur ne conteste pas la conclusion du comité d’appel selon laquelle les questions de droit portées en appel devant le TATC doivent être examinées en regard de la norme de la décision correcte. Il soutient plutôt que le comité d’appel a commis une erreur en qualifiant les questions en litige de questions de droit. À son avis, toutes les questions dont le comité d’appel a été saisi sont plutôt des questions mixtes de fait et de droit, assujetties à la norme de la décision raisonnable.

[54]           Le défendeur prétend pour sa part que le comité d’appel a appliqué la bonne norme conformément aux règles énoncées dans l’arrêt Huruglica CAF, précité. Il s’appuie en outre sur le jugement de la Cour suprême du Canada dans Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235 [Housen], au paragraphe 27, pour prétendre que l’on commet une erreur de droit lorsqu’on applique la mauvaise règle de droit. Il fait également valoir que « ce qui peut paraître une question mixte de fait et de droit peut, après plus ample examen, se révéler en réalité une pure erreur de droit » : Housen, précité, au paragraphe 27.

[55]           Le défendeur affirme en outre qu’il était loisible au comité d’appel de dégager une pure question de droit d’une question mixte de fait et de droit : Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, [2014] 2 RCS 633, au paragraphe 53 [Sattva].

[56]           Le comité d’appel a relevé des erreurs de droit concernant (1) la norme de diligence devant s’appliquer et l’existence ou non d’éléments de preuve attestant d’un manquement à cette norme, (2) les règles de droit devant s’appliquer à la preuve d’expert et (3) le critère de diligence raisonnable. Le défendeur soutient qu’il appartient au comité d’appel de décider si ces questions constituent de pures erreurs de droit, ou des erreurs de droit découlant de ce que l’on aurait pu initialement caractériser comme erreurs mixtes de fait et de droit, et que la Cour a un devoir de retenue à l’égard de la décision rendue à l’issue du contrôle judiciaire.

[57]           Je suis d’avis que le comité d’appel a commis une erreur en caractérisant le traitement de la preuve d’expert par le conseiller comme une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte. En réduisant l’importance de la preuve d’expert, le conseiller a pris en compte les faits qui sous-tendaient ces éléments de preuve. Le traitement de la preuve d’expert constituait donc une question mixte de fait et de droit, qui aurait dû être examinée par le comité d’appel au regard de la norme de la décision raisonnable. Je note toutefois que certains éléments de l’analyse du comité d’appel indiquent qu’il pourrait avoir appliqué la bonne norme. Au paragraphe 59, le comité d’appel note ainsi [traduction] « qu’il était déraisonnable pour le conseiller de rejeter le témoignage d’opinion de M. Swallow ou d’en réduire l’importance ».

[58]           En revanche, le comité d’appel n’a pas commis d’erreur en qualifiant de questions de droit la norme de diligence et la défense fondée sur la diligence raisonnable. Et, comme il se doit, le comité a examiné les questions de droit découlant des questions en litige au regard de la norme de la décision correcte, comme le prévoit la jurisprudence.

(i)   Le comité d’appel du TATC a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a traité la preuve d’expert?

[59]           Le comité d’appel a conclu qu’il était déraisonnable pour le conseiller de rejeter la preuve d’expert ou d’y accorder une moindre importance, car il n’y avait pas eu de témoignage contradictoire et que l’opinion de l’expert n’avait pas été sérieusement contestée : R. c. Molodowic, 2000 CSC 16, [2000] 1 RCS 420 [Molodowic]. Ce faisant, le comité d’appel a reconnu que le témoignage d’opinion d’un expert est admissible tant que cette opinion s’appuie sur des éléments de preuve admissibles. Citant R. c. Abbey, [1982] 2 RCS 24, le comité d’appel a déclaré que le défaut de prouver quelque aspect des faits sur lesquels se fonde une opinion contribue à déterminer l’importance que l’on doit accorder à cette opinion.

[60]           Le demandeur est d’avis que le conseiller a fourni des motifs clairs et convaincants pour justifier la réduction de l’importance de l’opinion de l’expert. Le conseiller a notamment estimé que la conclusion de l’expert, selon laquelle la cascade n’avait posé aucun risque, était exagérée, car elle n’était pas corroborée par un instantané d’écran de la vidéo. Il est du seul ressort du juge des faits de décider de l’importance à accorder à la preuve d’expert, et la juridiction d’appel a un devoir de retenue envers cette évaluation, notamment lorsque le conseiller et le comité d’appel possèdent le même niveau d’expertise en matière de sécurité aérienne. En dernier ressort, il appartient uniquement au juge des faits de trancher la question fondamentale en se basant sur l’ensemble de la preuve : R. c. Sekhon, 2014 CSC 15, [2014] ACS no 15, aux paragraphes 45 à 48 [Sekhon], citant R. c. Mohan, [1994] 2 RCS 9 [Mohan].

[61]           De l’avis du défendeur, le conseiller a commis une erreur de droit en substituant sa propre opinion à celle d’un expert qualifié : R. c. Lavallee, [1990] 1 RCS 852 (QL) [Lavallee], au paragraphe 74. Le défendeur soutient en outre qu’un expert peut fonder son opinion sur les faits présentés en preuve sans avoir à mener sa propre enquête : Sopinka et Lederman, The Law of Evidence in Canada, au paragraphe 12.34.

[62]           Dans l’arrêt Molodowic, précité, au paragraphe 8, la Cour suprême a établi, comme principe général, qu’un jury peut rejeter l’opinion d’experts, même lorsque leur témoignage est unanime et qu’il n’est pas contredit par celui d’autres experts, tout en précisant qu’il doit y avoir un fondement rationnel dans les éléments de preuve pour que le jury puisse raisonnablement rejeter l’opinion des experts.

[63]           En l’espèce, il était donc loisible au comité d’appel d’évaluer les éléments sur lesquels le conseiller s’est fondé pour rejeter la preuve d’expert. Le comité d’appel a conclu que le conseiller avait commis une erreur parce que le rapport de l’expert n’avait été réfuté par aucun élément de preuve présenté par le ministre. Ce faisant, le comité d’appel semble avoir accordé une importance appréciable à la preuve d’expert, puisqu’il a conclu (1) que les faits sur lesquels s’est basé l’expert ont été présentés en preuve et que la preuve d’expert (2) n’a pas été contredite et (3) n’a pas été sérieusement contestée.

[64]           Le comité d’appel s’est intéressé principalement aux éléments de la preuve d’expert portant sur « l’absence de risque » et sur les mesures prises par M. Friesen pour atténuer le risque. Le comité d’appel a estimé que le conseiller avait fait une évaluation trop restrictive de la question fondamentale de la sécurité et de la conclusion concernant « l’absence de risque ». En parvenant à cette conclusion, le comité d’appel semble avoir accepté le témoignage d’opinion de l’expert sur la question fondamentale de « l’absence de risque » tout en contestant la propre évaluation ou l’évaluation différente que le conseiller a faite de la preuve vidéo présentée durant l’audience.

[65]           Il fut un temps où un témoignage d’opinion portant directement sur la question fondamentale en litige aurait été exclu pour ce seul motif. Il n’en est plus ainsi : R. c. R. (D.), [1996] 2 RCS 291, aux paragraphes 38 et 39 (QL). Cependant, plus la preuve se rapproche de la question en litige, plus elle doit faire l’objet d’un examen rigoureux : R. c. J.-L.J., 2000 CSC 51, [2000] ACS no 52, au paragraphe 37. Il n’était pas déraisonnable pour le conseiller, une personne spécialisée dans les domaines de l’aéronautique et de la sécurité des transports, de faire un examen plus rigoureux de la preuve d’expert, en particulier en ce qui a trait à sa conclusion finale concernant le « risque » pour la sécurité. Je conclus donc que le comité d’appel du TATC a commis une erreur dans la manière dont il a traité la preuve d’expert.

(ii)     Le comité d’appel du TATC a-t-il commis une erreur en indiquant que la norme de diligence devant s’appliquer était celle d’un « pilote d’hélicoptère expérimenté exécutant une manœuvre spécialisée en présence de personnes au sol »?

[66]           Selon le demandeur, les questions visant à déterminer si M. Friesen a satisfait à la norme de diligence et s’il a fait preuve de diligence raisonnable sont intimement liées. Et ces deux questions exigent une évaluation du caractère raisonnable des actions prises par M. Friesen dans toutes les circonstances de l’espèce.

[67]           Le demandeur soutient notamment que l’on doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision du conseiller selon laquelle M. Friesen a été négligent, le conseiller étant d’avis que M. Friesen a cédé un degré inacceptable de contrôle de la situation en exécutant une cascade qui exigeait que les autres participants se tassent pour assurer le maintien d’une marge de sécurité. Le conseiller a également conclu que M. Friesen n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable en omettant de présenter une demande de COAS, un processus qui lui aurait permis de profiter de l’expertise et des conseils de Transports Canada au sujet des questions de sécurité inhérentes à la cascade en hélicoptère.

[68]           Le défendeur allègue pour sa part que le conseiller a appliqué la mauvaise norme de preuve pour établir qu’il y a eu négligence en vertu du RAC, puisqu’il a conclu à une contravention en se basant sur une « possibilité » de danger. Selon l’article 602.01 du RAC, « [i]l est interdit d’utiliser un aéronef d’une manière imprudente ou négligente qui constitue ou risque de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personne ». Selon le défendeur, il doit y avoir un réel danger ou risque de danger pour que cette disposition s’applique.

[69]           Le défendeur soutient en outre que le conseiller a commis une erreur de droit en concluant que le ministre avait établi qu’il y avait eu négligence sans présenter quelque élément de preuve indiquant la norme de diligence exigée d’un pilote d’hélicoptère. Le défendeur fait valoir que le conseiller a appliqué la norme exigée d’une « personne raisonnable », plutôt que la norme de négligence qui s’applique à un pilote d’hélicoptère expérimenté.

[70]           Le défendeur s’appuie sur un courant jurisprudentiel des tribunaux de la Colombie-Britannique pour faire valoir qu’il faut présenter des éléments de preuve indiquant la norme de diligence qui doit s’appliquer, lorsque les circonstances requièrent des compétences ou des connaissances spécialisées : Qureshi v Nickerson, [1988] BCJ No 1659, au paragraphe 2 [Qureshi]; Gadsby v MacGillivray, [1997] BCJ No 1564, au paragraphe 96.

[71]           Ce courant jurisprudentiel découle d’une décision de la Queen’s Bench Division de la High Court of England and Wales qui a défini ce qui est convenu d’appeler le critère Bolam : Bolam v Friern Hospital Management Committee [1957] 2 All ER 118 [Bolam]. Ce critère Bolam a été adopté par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Qureshi, précité, à la page 2 et dans Gadsby, précité, au paragraphe 96 :

[traduction] Cependant, lorsque vous êtes dans une situation qui exige l’utilisation de compétences ou d’aptitudes spéciales, le critère servant à déterminer s’il y a eu ou non négligence n’est pas celui qui s’applique au type de l’omnibus de Clapham, car cette personne ne possède pas ces aptitudes spéciales. Le critère est celui du professionnel moyen qui possède ces aptitudes spéciales ou prétend les posséder.

[72]           Au paragraphe 62 de ses motifs, le comité d’appel a invoqué le critère Bolam pour conclure que l’examen d’un comportement faisant appel à des compétences spécialisées doit se faire au regard d’une norme spécialisée, et non d’une norme générale. Le comité d’appel a toutefois omis d’expliquer pourquoi la norme du « pilote prudent » constitue une norme générale et non une norme spécialisée. La norme du « pilote prudent » reconnaît pourtant que la personne possède des aptitudes spéciales qui vont au-delà de celles exigées par la norme générale applicable à la « personne raisonnable » ou à la « personne de l’omnibus de Clapham », comme il est indiqué dans Bolam.

[73]           Il ne fait aucun doute que M. Friesen est un pilote d’hélicoptère expérimenté. Il pilote des hélicoptères depuis environ 25 ans et il compte jusqu’à 3 500 heures d’expérience de vol à son actif. Il ne fait également aucun doute que M. Friesen a mis en place d’importantes mesures de sécurité avant d’exécuter la cascade. Cependant, aucun élément de preuve n’appuie la proposition voulant que M. Friesen possède des aptitudes ou des compétences spéciales pour l’exécution de manœuvres ou de cascades comme celles décrites en l’espèce.

[74]           Le comité d’appel du TATC a commis une erreur, dans les circonstances particulières en l’espèce, en concluant que la norme de diligence qui devait s’appliquer en l’espèce était celle attendue d’un pilote d’hélicoptère expérimenté exécutant une manœuvre spécialisée en présence de personnes au sol, et non celle d’un « pilote prudent ». Le comité d’appel est parvenu à cette conclusion en l’absence d’éléments de preuve établissant que M. Friesen était un pilote expérimenté dans l’exécution de manœuvres spécialisées en présence de personnes au sol.

[75]           En l’absence d’éléments de preuve permettant d’établir une norme spécialisée allant au-delà de celle du « pilote prudent » devant s’appliquer aux circonstances en l’espèce, la conclusion du comité d’appel concernant la norme de diligence n’est pas raisonnable.

[76]           Ma conclusion concernant la norme de diligence et la preuve d’expert est déterminante. J’estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la manière dont le comité d’appel a traité la défense fondée sur la diligence raisonnable, car cet élément est intimement lié à ces deux questions. Le comité d’appel a reconnu que M. Friesen avait fait preuve de diligence raisonnable, sur la base des éléments de preuve indiquant que les mesures qu’il avait prises ont donné lieu à un scénario « sans risque ». Je suis d’avis que cette conclusion devra être revue après que les deux erreurs principales que j’ai relevées auront été traitées.

[77]           J’accueille donc la présente demande et renvoie la question au TATC pour réexamen par un autre comité d’appel. Des dépens seront accordés au demandeur au tarif normal.


JUGEMENT dans l’affaire T-1793-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est accueillie;

2.      La question est renvoyée pour réexamen par un autre comité d’appel;

3.      Des dépens seront accordés au demandeur au tarif normal.

« Richard G. Mosley »

Juge
ANNEXE

Loi sur l’aéronautique, LRC (1985), ch. A-2

Aeronautics Act, RSC, 1985, c A-2

Sort de l’appel

Disposition of appeal

8.1 (3) Le comité du Tribunal peut rejeter l’appel ou y faire droit et substituer sa propre décision à celle en cause.

8.1 (3) The appeal panel of the Tribunal assigned to hear the appeal may dispose of the appeal by dismissing it or allowing it and, in allowing the appeal, the panel may substitute its decision for the determination appealed against.

Moyens de défense

Defence

8.5 Nul ne peut être reconnu coupable d’avoir contrevenu à la présente partie ou aux règlements, avis, arrêtés, mesures de sûreté et directives d’urgence pris sous son régime s’il a pris toutes les précautions voulues pour s’y conformer.

8.5 No person shall be found to have contravened a provision of this Part or any regulation, notice, order, security measure or emergency direction made under this Part if the person exercised all due diligence to prevent the contravention.

Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433

Canadian Aviation Regulations, SOR/96-433

Utilisation imprudente ou négligente des aéronefs

Reckless or Negligent Operation of Aircraft

602.01 Il est interdit d’utiliser un aéronef d’une manière imprudente ou négligente qui constitue ou risque de constituer un danger pour la vie ou les biens de toute personne.

602.01 No person shall operate an aircraft in such a reckless or negligent manner as to endanger or be likely to endanger the life or property of any person.

Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, L.C. 2001, ch. 29

Transportation Appeal Tribunal of Canada Act, SC 2001, c 29

Nature de l’appel

Nature of appeal

14 L’appel porte au fond sur le dossier d’instance du conseiller dont la décision est contestée. Toutefois, le comité est tenu d’autoriser les observations orales et il peut, s’il l’estime indiqué pour l’appel, prendre en consideration tout élément de preuve non disponible lors de l’instance.

14 An appeal shall be on the merits based on the record of the proceedings before the member from whose determination the appeal is taken, but the appeal panel shall allow oral argument and, if it considers it necessary for the purposes of the appeal, shall hear evidence not previously available.

Audiences

Nature of hearings

15 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le Tribunal n’est pas lié par les règles juridiques ou techniques applicables en matière de preuve lors des audiences. Dans la mesure où les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent, il lui appartient d’agir rapidement et sans formalisme.

15 (1) Subject to subsection (2), the Tribunal is not bound by any legal or technical rules of evidence in conducting any matter that comes before it, and all such matters shall be dealt with by it as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1793-16

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. BRADLEY FRIESEN

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 mars 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

Le 9 juin 2017

COMPARUTIONS :

Lisa Laird

Pour le demandeur

Murray Smith

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Murray Smith

Avocats

Smith Barristers

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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