Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170615


Dossier : IMM-4152-16

Référence : 2017 CF 599

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2017

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

G.S.

C.S.

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]   Les demandeurs, qui forment un couple de même sexe, demandent un contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) concluant qu’ils disposeraient d’une protection adéquate de l’État en Hongrie. Ils affirment que la SAR a appliqué le critère erroné relativement à la protection de l’État. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SAR a appliqué le critère approprié, et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Contexte

[2]   Les demandeurs sont des citoyens de la Hongrie. Ils demandent l’asile au Canada en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) par crainte de persécution en Hongrie en raison de leur orientation sexuelle. Plus précisément, ils font valoir qu’ils ne peuvent vivre ouvertement comme un couple de même sexe en Hongrie et affirment ne pas pouvoir demander la protection de la police.

[3]   La Section de la protection des réfugiés (SPR) reconnaît que les demandeurs sont homosexuels et les juge crédibles. Toutefois, la SPR a déterminé que la protection de l’État serait assurée aux demandeurs en Hongrie.

II.                Décision de la SAR

[4]   En appel, la SAR a tenu compte de la disponibilité et du caractère adéquat de la protection de l’État pour les demandeurs en Hongrie. Citant Canada (Procureur général) c. Ward, 1993 2 RCS 689, la SAR a souligné la présomption de la protection de l’État et le fait qu’il incombe aux demandeurs de produire des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que l’État ne peut pas fournir une protection adéquate.

[5]   Citant également Graff c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 437, la SAR a souligné son obligation de tenir compte de la pertinence opérationnelle de la protection de l’État plutôt que de la simple volonté ou des efforts déployés par l’État.

[6]   La SAR a fait remarquer qu’en Hongrie, [traduction] « des lois sont en vigueur pour accuser et faire reconnaître coupable les auteurs d’actes criminels et que les forces policières sont capables de mettre en application les mesures législatives du pays en matière de criminalité et disposées à le faire » (paragraphe 52).

[7]   La SAR a souligné que bien que les personnes LGBT subissent du harcèlement et de la violence de la part d’individus ou de groupes d’individus en Hongrie, la preuve documentaire a montré que les demandeurs auraient des recours pour obtenir la protection adéquate de l’État.

[8]   Au paragraphe 72, la SAR a souligné que [traduction] « plusieurs sources contenues dans la preuve documentaire et la preuve objective concernant les conditions actuelles dans le pays suggèrent qu’une protection adéquate, sans être nécessairement parfaite, est assurée par la Hongrie aux membres de la communauté LGBTI et des autres minorités qui sont victimes de crimes, d’abus policiers ou de discrimination. La preuve documentaire montre que la Hongrie déploie des efforts importants pour résoudre ces problèmes en mettant en application des mesures par le biais de lois ou de programmes gouvernementaux, et que les forces policières et les autorités gouvernementales sont capables de protéger les victimes, sont en mesure de le faire et agissent à cet égard. »

[9]   En conséquence, la SAR a convenu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

III.             Questions en litige

[10]                       Deux questions sont soulevées par les demandeurs :

  1. Est-ce que la SAR a appliqué le critère approprié pour évaluer la protection de l’État?
  2. La conclusion de la SAR concernant la protection de l’État est-elle raisonnable?

IV.             Norme de contrôle

[11]                       La norme de contrôle applicable à l’application par la SAR du critère approprié pour évaluer la protection de l’État est la décision correcte (Kina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 284, au paragraphe 24). En ce qui concerne la norme de la décision correcte, la Cour n’acquiesce pas au raisonnement de la SAR si un critère erroné a été appliqué (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50).

[12]                       Pour ce qui est de l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État, la norme de contrôle est le caractère raisonnable (Kina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 284, au paragraphe 24.) Selon cette norme, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

V.                Analyse

A.                Est-ce que la SAR a appliqué le critère approprié pour évaluer la protection de l’État?

[13]                       Les demandeurs font valoir que bien que la SAR ait appliqué le critère approprié d’» efficacité opérationnelle », ils soutiennent qu’elle a appliqué le critère d’» efforts importants ».

[14]                       Le critère relatif à la protection de l’État sous-entend un examen visant à déterminer si une protection adéquate de l’État est opérationnelle. En d’autres termes, les efforts de l’État doivent avoir déjà donné lieu à une protection adéquate sur le terrain (voir Majoros c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 421, au paragraphe 12).

[15]                       Dans ses motifs, le membre de la SAR énonce explicitement son obligation de tenir compte du caractère adéquat de la protection de l’État sur le plan opérationnel, plutôt que simplement la volonté de l’État ou les efforts déployés pour lutter contre la discrimination. Ce faisant, le membre de la SAR a déterminé le critère juridique applicable pour déterminer la protection de l’État.

[16]                       La SAR a examiné les efforts déployés par la Hongrie pour assurer une protection. L’utilisation du terme « efforts importants » pour décrire les initiatives de l’État ne signifie pas que la SAR n’a pas tenu compte de la disponibilité de la protection pour les demandeurs sur le plan opérationnel ou que la SAR n’a pas compris les principes régissant la protection de l’État. Les conclusions de la SAR n’étaient pas fondées sur l’hypothèse selon laquelle les « efforts importants » déployés par un État sous-tendent l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État pour un individu.

[17]                       La SAR a tenu compte de l’applicabilité, de l’efficacité et des effets des efforts déployés par la Hongrie pour protéger la communauté LGBT dans ce pays sur le plan opérationnel (voir le paragraphe 46 des motifs de la SAR et les documents consultés). La SAR n’a pas simplement déduit que la « démocratie fonctionnelle » et les initiatives législatives en Hongrie constituent une protection de l’État pour les demandeurs. Après avoir examiné le dossier de la preuve, la SAR a déterminé que les forces policières étaient en mesure de mettre en application les mesures législatives au pays relativement à la criminalité (paragraphe 52) et qu’elles étaient capables de protéger les victimes (paragraphe 72).

[18]                       La SAR a souligné que l’homosexualité n’était pas illégale en Hongrie, bien que les mariages entre personnes de même sexe ne soient pas permis et que les unions entre personnes de même sexe ne puissent être légalement enregistrées. La SAR a reconnu que dans sa nouvelle constitution, la Hongrie ne reconnaît pas l’orientation sexuelle comme un motif de discrimination.

[19]                       La SAR a également reconnu à juste titre que la protection doit être assurée par l’État, plutôt que par des sources non étatiques. Toutefois, elle a déterminé la disponibilité d’organismes dirigés ou financés par l’État capables d’assurer une aide pertinente pour déterminer l’existence d’une protection de l’État, puisque ces organismes font partie du « réseau de protection » (paragraphe 61). Par conséquent, la SAR a déterminé que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que les demandeurs pouvaient avoir recours à ces organismes et organisations.

[20]                       En l’espèce, la SAR a énoncé et appliqué le critère de la décision correcte concernant la protection de l’État.

B.                 La conclusion de la SAR concernant la protection de l’État est-elle raisonnable?

[21]                       Les demandeurs prétendent sur la SAR a omis de tenir compte de l’efficacité opérationnelle de la protection de l’État. Ils font valoir que la simple possibilité d’une protection de l’État n’est pas suffisante. Les demandeurs soutiennent que la SAR a ignoré la preuve du harcèlement précis qu’ils ont subi alors qu’on les a forcés à montrer leurs cartes d’identité dans un parc de Budapest connu pour être fréquenté par des membres de la communauté LGBT.

[22]                       La présomption est qu’un État est capable de protéger ses citoyens. En l’espèce, les demandeurs ont le fardeau ultime de réfuter cette présomption à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que l’État n’est pas disposé ou n’est pas en mesure d’assurer une protection adéquate (voir Cosgun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 400, au paragraphe 52).

[23]                       Plus un pays est « démocratique », plus la charge incombe au demandeur de réfuter la présomption de protection de l’État (voir Sow c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 646, au paragraphe 12).

[24]                       En l’espèce, la SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour réfuter la présomption. L’incident dans le parc n’était pas suffisant pour démontrer leur affirmation que la protection de l’État ne serait pas disponible.

[25]                       La SAR a tenu compte de la documentation sur la situation dans le pays et du fait que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils ont subi des préjudices en Hongrie pour conclure qu’ils auraient droit à une protection adéquate de l’État s’ils devaient retourner en Hongrie.

[26]                       Un demandeur « ne peut pas simplement évoquer sa propre conviction que la protection de l’État ne lui sera pas offerte » (Moya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315 [Moya] au paragraphe 75).

[27]                       Ce n’est pas le rôle de notre Cour d’analyser de nouveau la preuve et, plus particulièrement, l’importance accordée à la preuve par le décideur (voir Samad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 30, au paragraphe 32).

[28]                       La conclusion de la SAR relativement à la protection de l’État est raisonnable et a droit à la déférence.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4152-16

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR est rejetée.

2.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4152-16

INTITULÉ :

G.S., C.S. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 avril 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 15 juin 2017

COMPARUTIONS :

Luke McRae

Aisling Bondy

Pour les demandeurs

Saranjana Bhattacharyya

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bondy Immigration Law

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.