Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170616


Dossier : IMM-3099-16

Référence : 2017 CF 602

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

DIDACE SHIRAMBERE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Ce dossier a pris une allure inattendue et, dans une bonne mesure, inappropriée. Une demande de contrôle judiciaire de la nature d’un mandamus a été transformée par le demandeur en une enquête sur son inadmissibilité au Canada. Cette tentative n’a pas sa pertinence par rapport au seul recours judiciaire qui soit devant cette Cour.

[2]               Il est donc essentiel de situer de façon très précise la demande de contrôle judiciaire dont la Cour doit traiter exclusivement. Conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR], ce demandeur s’adresse à la Cour dans une demande de contrôle judiciaire recherchant les conclusions suivantes en mandamus :

         Annuler la saisie de son passeport émis par le Burundi, son pays de citoyenneté, pour qu’il lui soit remis dans les trente jours du jugement;

         Ordonner la fermeture du dossier d’enquête entreprise par le défendeur relativement à des allégations de fausses déclarations.

I.                   Faits

[3]               Les faits sont simples. Marié depuis 2003 et père de deux enfants, le demandeur se disait victime de menaces et de chantage. Il a donc choisi de quitter femme et enfants au Burundi le 12 février 2007 en direction des États-Unis dont il avait reçu un visa. Il traversait la frontière canadienne le 2 mars de la même année et sollicitait l’asile.

[4]               La Section sur la protection des réfugiés [la SPR] refusait sa demande le 9 décembre 2008. Essentiellement, la décision porte sur la crédibilité du demandeur. On lit au paragraphe 11 :

[11]      D’entrée de jeu, le témoignage du demandeur a été vague et général en plus d’être totalement incohérent, voire invraisemblable, lorsqu’il fut question de son prétendu commerce.

Ledit commerce serait celui de l’achat et de la revente de vaches que le demandeur aurait exercé au Burundi depuis 1988. La SPR a expliqué comment elle en est venue à ses conclusions.

[5]               L’incohérence était significative puisque, évidemment, la crédibilité d’un témoin est affectée lorsque le travail qu’il dit faire pendant près de 20 ans est complètement incohérent et décousu (para 19), mais aussi parce que le demandeur prétendait utiliser les services d’un employé qui allait être la source des problèmes allégués avec le Front National de Libération qui ont fait en sorte, dit le demandeur, qu’il a cherché refuge au Canada. En fin de compte, “(l)e tribunal ne croit pas cette histoire de persécution et de menace à la vie”.

[6]               Malgré cela, la demande pour l’obtention de résidence permanente a été accueillie grâce à des considérations d’ordre humanitaire et il est devenu résident permanent en 2012 (carte de résidence permanente émise le 12 décembre 2012).

[7]               Le 3 décembre 2014, le défendeur convoquait le demandeur à une entrevue qui devait se tenir le 15 décembre. La convocation précisait qu’un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR pourrait être rédigé alléguant que le demandeur devrait être interdit de territoire pour avoir fait de fausses déclarations, contrevenant ainsi au para 40(1) de la LIPR. Je reproduis ces deux textes :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile ou de protection;

(c) on a final determination to vacate a decision to allow their claim for refugee protection or application for protection; or

(...)

...

Rapport d’interdiction de territoire

Preparation of report

44 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

44 (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

[8]               La lettre ajoutait que si un rapport est rédigé, un délégué du Ministre pourrait décider de déférer le tout à la Section de l’immigration pour enquête. Cette étape est le fruit du paragraphe 44(2) de la LIPR.

[9]               À cette rencontre du 15 décembre 2014, le fonctionnaire s’est présenté comme faisant partie de l’unité de sécurité et crime de guerre au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada. Alors que le demandeur disait être un commerçant dans son pays d’origine, le fonctionnaire alléguait qu’en fait, le demandeur aurait fait partie des forces armées au Burundi. Dès cette entrevue, le demandeur a suggéré qu’il pourrait y avoir erreur sur la personne. Il a maintenu n’avoir jamais fait partie de l’armée. Le fonctionnaire a invité le demandeur à présenter ses observations dans les 15 jours suivants. Le fonctionnaire a prétendu avoir des « documents officiels » venant des autorités burundaises, mais il a refusé de permettre à l’avocate du demandeur qui était présente à l’entrevue de les voir, indiquant qu’ils seront divulgués à l’enquête (présumément l’enquête de la Section de l’immigration).

[10]           Le passeport burundais du demandeur a été saisi lors de l’entrevue. Le fonctionnaire expliquera plus tard qu’il s’agit d’une pratique courante. La personne interdite de territoire pourra faire l’objet d’une mesure de renvoi. Pour effectuer la mesure de renvoi, la possession de documents de voyage est évidemment essentielle.

[11]           Le lendemain, était envoyé au demandeur un avis de saisie de document, que le demandeur prétendait ne pas être l’avis qui aurait dû être utilisé. Cet avis contenait non seulement les motifs de la saisie mais aussi la façon de demander la restitution de l’objet saisi. Par ailleurs, la copie certifiée conforme du passeport ne lui a pas été remise.

[12]           On apprendra plus tard que le demandeur a prétendu, dans les jours qui ont suivi l’interview (lettre de son avocat du 29 décembre 2014) qu’il devait s’agit d’erreur sur la personne. Prenant cette allégation au sérieux, le fonctionnaire continuera son enquête au cours deux années qui ont suivi. Le temps requis serait à cause des délais inhérents à l’obtention d’information pertinente de la part d’autorités étrangères. En l’espèce, le fonctionnaire recherchait une confirmation officielle de l’appartenance du demandeur aux forces armées du Burundi.

[13]           Essentiellement, le 11 janvier 2017, le rapport en vertu de l’article 44 était conclu, le fonctionnaire prétendant avoir reçu de l’Ambassade du Burundi au Canada les documents qu’il a jugé satisfaisants. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire était déposée le 11 août 2016. De nombreux incidents procéduraux ont suivi, incluant le contre-interrogatoire sur affidavit du fonctionnaire le 9 mai dernier. Les parties ont produit cinq mémoires des faits et du droit.

II.                Arguments

A.                Le demandeur

[14]           Le demandeur prétend remplir les conditions pour l’obtention d’une ordonnance de mandamus. Le demandeur s’en remet aux conditions telles qu’exposées dans Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCF 742 [Apotex]. Le demandeur, dans son premier mémoire, a choisi de ne reproduire que 7 des 8 conditions énoncées, ne reproduisant pas la condition 4; je préfère toutes les présenter telles qu’apparaissant aux pages 766 à 769, sans toutefois les références à une jurisprudence abondante :

1.         Il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public; (...)

2.         L’obligation doit exister envers le requérant (...)

3.         Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a)     le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation; (...)

b)     il y a eu (i) une demande d'exécution de l'obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable; (...)

4.         Lorsque l'obligation dont on demande l'exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s'appliquent:

a) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d'une manière qui puisse être qualifiée d'"injuste", d'"oppressive" ou qui dénote une "irrégularité flagrante" ou la "mauvaise foi"; (...)

b) un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est "illimité", "absolu" ou "facultatif"; (...)

c) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire "limité" doit agir en se fondant sur des considérations "pertinentes" par opposition à des considérations "non pertinentes"; (...)

d) un mandamus ne peut être accordé pour orienter l'exercice d'un "pouvoir discrétionnaire limité" dans un sens donné; (...)

e) un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est "épuisé", c'est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l'exécution de l'obligation. (...)

5.         Le requérant n'a aucun autre recours (...)

6.         L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique (...)

7.         Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé (...)

8.         Compte tenu de la "balance des inconvénients", une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue. (...)

[Soulignements dans l’original]

[15]           C’est dans son premier mémoire des faits et du droit que le demandeur a présenté ses prétentions à cet égard. En effet, son attention à l’audience et dans ses deux autres mémoires s’est portée sur le rapport émis en vertu de l’article 44, malgré que le recours se veuille en mandamus. Alors que le recours recherche la remise du passeport et la fin d’une enquête, le tout a mué en une attaque à l’égard des procédures entamées pour faire déclarer le demandeur interdit de territoire.

[16]           Le demandeur déclare satisfaire les sept conditions qu’il tire de la décision Dragan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, [2003] 4 CF 189. Personne n’a soulevé la quatrième condition provenant d’Apotex.

[17]           Prétendant avoir été convoqué en entrevue pour défaut à son obligation de résidence à titre de résident permanent, le demandeur dit avoir répondu à la question soulevée en entrevue. Il y aurait donc une obligation légale à lui remettre son passeport et à fermer un dossier qui ne peut être maintenu ouvert indéfiniment. Ce droit serait clair, d’autant qu’il prétend qu’il n’y avait aucun besoin de poursuivre l’enquête après le 15 décembre 2014. Il se plaint que le défendeur n’avait pas justifié son retard. En fait, la réponse du défendeur sera qu’il a dû poursuivre son enquête au Burundi parce que le demandeur a nié à l’entrevue, et par la suite grâce à une lettre de son avocate, les prétentions du défendeur et a allégué qu’il y ait eu usurpation de son identité au Burundi. Cela aura donné lieu à de nombreuses démarches en 2015 et 2016. Le demandeur a tout simplement déclaré n’avoir aucun autre recours et que l’ordonnance aura une incidence sur le plan pratique.

[18]           La contestation du défendeur porte uniquement sur l’obligation légale d’agir vu le droit clair à l’exécution de l’obligation en faveur de ce demandeur. Le Ministre argue que le droit du demandeur n’est pas clair, ce qui suffit à rejeter la demande en mandamus. Le défendeur propose aussi que la balance des inconvénients le favorise étant donné qu’une enquête doit être tenue devant la Section de l’immigration. Si le renvoi est ordonné, le gouvernement voudra garder le passeport pour éviter que la personne sujette à renvoi ne puisse éluder le processus d’expulsion.

[19]           M. Shirambere argue plutôt que ses droits ont été bafoués alors que le défendeur ne subirait aucun inconvénient.

[20]           Dans son deuxième mémoire des faits et du droit préparé après avoir appris que le rapport sous l’article 44 avait été rédigé, le demandeur fait une série d’allégations relatives à ce qui est présenté comme des manquements à l’équité procédurale, précisant en cela des allégations générales au premier mémoire, et s’attaque au maintien de la saisie illégale du passeport.

[21]           D’abord, quant aux manquements à l’équité procédurale, ils seraient :

a)      convoqué à l’entrevue du 15 décembre 2014 sous de fausses représentations, à savoir que la lettre du 3 décembre aurait laissé croire au demandeur qu’il était convoqué par rapport à son obligation de résidence, on l’aurait plutôt interrogé sur autre chose;

b)      l’équité procédurale est atteinte lorsqu’à l’entrevue pour connaître la version du demandeur avant la rédaction d’un rapport, le fonctionnaire ne révèle pas la preuve qu’il dit avoir;

c)      on allègue manquement à l’équité procédurale du fait que le fonctionnaire a choisi d’ignorer la prétention du demandeur qu’un dénonciateur voudrait se venger du demandeur;

d)     on allègue un autre manquement parce que le fonctionnaire refuse ou néglige de soupeser la preuve; dans un même souffle, on dit que « la corruption de contrefaçon de documents [est] rampante au Burundi », ce qui justifierait le demandeur à prétendre qu’il y a violation de l’équité procédurale en négligeant de montrer cette preuve au demandeur;

e)      un autre manquement à l’équité procédurale serait de garder nébuleux le dossier;

f)       le fait allégué que l’entrevue avait eu lieu dans une atmosphère d’animosité serait un autre manquement à l’équité procédurale;

g)      serait un manquement à l’équité procédurale le fait d’avoir remis au demandeur un avis de saisie de son passeport sur un formulaire plutôt qu’un autre, en contravention d’un guide opérationnel; la même équité procédurale est violée lorsque le demandeur ne reçoit pas une copie conforme du passeport saisi. Le demandeur invoque la doctrine des attentes légitimes.

Ces manquements, argue le demandeur, ne peuvent être remédiés que par la remise du passeport.

[22]           Le demandeur s’est aussi attaqué « au maintien de la saisie, même illégale, du passeport. » Ici, il semble que le demandeur s’attaque à la saisie, mais aussi au rapport fait selon l’article 44. Ainsi, le rapport qui aurait été rédigé le 11 janvier 2017 aurait été fait en réaction à la demande de contrôle judiciaire, 5 mois plus tôt. De plus, le demandeur prétend que le fonctionnaire avait une obligation de lui soumettre ce qu’il avait reçu des autorités burundaises entre sa prétention exprimée par écrit le 29 décembre 2014 que son identité avait été usurpée au Burundi et le rapport sous l’article 44. S’inspirant de jurisprudence où le décideur administratif rend une décision, le demandeur prétend qu’il avait droit à la preuve extrinsèque recueillie contre lui. Par ailleurs, le demandeur n’explique pas en quoi il pourrait s’attaquer au rapport, au sein d’une demande de la nature d’un mandamus aux conclusions toutes autres, alors même que le rapport ne fait pas l’objet d’un contrôle judiciaire.

[23]           Dans un autre volet de son argument relatif à la rétention du passeport, le demandeur prétend que la durée de la rétention est déraisonnable, notamment parce que la rétention n’était pas nécessaire pour faire progresser l’enquête. Le demandeur ne mentionne pas que la preuve est plutôt à l’effet que la rétention du passeport était requise pour permettre l’exécution d’une mesure de renvoi advenant qu’une telle mesure soit ordonnée à la suite de l’enquête de la section de l’immigration.

[24]           Un troisième mémoire a été déposé au profit du demandeur le 18 mai dernier. Cette fois encore, le demandeur prétend à des manquements à l’équité procédurale. Essentiellement, le demandeur revient sur un terrain piétiné, celui du guide opérationnel qui n’aurait pas été suivi par le fonctionnaire. On revient sur les mêmes 3 éléments :

                         i.                   le fonctionnaire a utilisé un formulaire différent pour aviser le demandeur de la saisie;

                       ii.                    une copie conforme du passeport saisi n’a pas été remise au demandeur;

                     iii.                   la doctrine des attentes légitimes commande le respect minutieux du guide opérationnel.

Le demandeur s’est aussi intéressé, à nouveau, aux documents recueillis après qu’il ait prétendu à usurpation d’identité. Le demandeur se plaint de la qualité de ces documents. Le demandeur n’explique pas en quoi la qualité de la preuve au soutien du rapport émis en vertu de l’article 44, qui sera certes débattue devant la Section de l’immigration, pourrait avoir quelque incidence sur une demande de contrôle judiciaire relativement à la saisie et rétention d’un passeport. Que la preuve à être soumise à la Section de l’immigration soit suffisante ou pas est une question toute différente de la possibilité d’obtenir la remise d’un passeport.

B.                 Le défendeur

[25]           La Couronne, de son côté, a soumis deux mémoires des faits et du droit. Dans son premier mémoire, elle s’est appliquée à argumenter que quatre des conditions au recours en mandamus n’étaient pas rencontrées en l’espèce :

         obligation légale d’agir à caractère public

         obligation envers le demandeur

         droit clair d’obtenir l’exécution de l’obligation

         balance des inconvénients

Elle a aussi argumenté quant à l’absence d’atteinte à l’équité procédurale.

[26]           Quant aux conditions nécessaires à l’émission d’un mandamus, le défendeur avance :

a)      la saisie est légale; elle était faite en vertu du paragraphe 140(1) de la LIPR parce que nécessaire en vue de l’application de la loi. En effet, dans l’éventualité de la prise d’une mesure de renvoi, on veut éviter que la personne n’élude le processus; le passeport est nécessaire à l’exécution de la mesure de renvoi. Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement] est satisfait par l’avis de saisie envoyé au lendemain de l’entrevue qui contenait les motifs de la saisie et la façon de demander le retour de l’objet saisi. Ayant été saisi légalement, le défendeur est justifié de le garder alors que son enquête n’est pas complétée; d’ailleurs, celle-ci s’est soldée par le rapport en vertu de l’article 44 de la LIPR une fois l’information complémentaire reçue du Burundi. Le défendeur n’a donc pas fait défaut à une obligation légale d’agir à caractère public de par sa rétention du passeport et la continuation d’une enquête qui aura abouti en janvier dernier.

b)      le défendeur prétend ainsi n’avoir aucune obligation envers le demandeur. Son argument revient à celui du paragraphe a) ci-devant. La saisie était légale et aucune disposition ne le force à rendre le passeport ou à fermer une enquête entamée.

c)      il n’y aurait pas non plus un droit clair à l’exécution d’une obligation car le délai de rétention, en l’espèce, est raisonnable. Si tant est qu’il y ait une obligation légale d’agir à caractère public, le défendeur prétend que la rétention du passeport n’était pas déraisonnable parce que le délai de rétention était justifié (Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999] 2 CF 33[Conille]) : il n’y a pas de droit clair à l’exécution d’une obligation. Pour justifier le délai, le défendeur prétend avoir agi avec diligence pour confirmer l’information qui avait été mise en doute par le demandeur à son entrevue de décembre 2014 et par la lettre de suivi de son avocate deux semaines plus tard. Il indique aussi ne pas avoir reçu la collaboration du demandeur; mais le défendeur n’indique aucunement pourquoi le demandeur aurait dû l’aider dans sa quête de confirmation que le demandeur aurait fait une fausse déclaration ce qui, en soi, peut se solder par l’interdiction de territoire.

d)     selon le défendeur, la balance des inconvénients le favorise. L’argument se résume à prétendre que le gouvernement doit pouvoir conserver le passeport au cas où il soit nécessaire pour exécuter une mesure éventuelle de renvoi, alors même que le demandeur n’a pas démontré de préjudice de ne pouvoir bénéficier de son passeport d’autant que la famille de celui-ci l’a rejoint au Canada. De façon incongrue, le défendeur, qui craint que le demandeur puisse éluder le processus de renvoi si le passeport lui est remis puisque l’obtention d’un passeport du Burundi est un exercice difficile (para 39 du mémoire), déclare deux paragraphes plus loin que le demandeur n’est pas préjudicié puisque rien ne l’empêche de faire une demande auprès de son pays d’origine pour « se faire réémettre un nouveau document de voyage. » (para 41) On aurait pu penser que s’il était difficile d’obtenir un document de voyage avec l’aide du gouvernement canadien, il ne serait pas plus facile d’en obtenir un sans cette aide alors même qu’il est connu qu’un passeport valide existe.

[27]           Selon le Ministre, il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale, contrairement à ce qui est allégué par le demandeur. Le demandeur savait pertinemment que les allégations à son égard étaient relatives à son identification. D’ailleurs, il a soulevé à deux reprises en cours d’entrevue, lorsque confronté à des allégations d’avoir fait partie des forces armées de son pays (numéro de matricule, nom, année de naissance, nom du père et de la mère), qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre et que quelqu’un avait peut-être donné de fausses déclarations. De plus, la saisie était légale et l’avis de saisie remis fournissait les motifs de la saisie et la façon de demander le retour de l’objet (le passeport étant aux dires du Ministre un objet plutôt qu’un document). Le choix du formulaire, dont se plaint le demandeur, n’a aucune incidence sur l’équité procédurale.

[28]           Dans son second mémoire, le défendeur réitérait dans une bonne mesure ce qui était présenté dans son premier. Deux arguments méritent mention :

a)      sans autorité à l’appui, le défendeur prétend que le recours en mandamus serait devenu « théorique » parce que le rapport sous l’article 44 de la LIPR a maintenant été émis et que l’affaire  a été acheminée à la Section de l’immigration. De toute façon dit le défendeur, le passeport pourrait être saisi à nouveau, dès qu’il aurait été remis en vertu d’une ordonnance de cette Cour. La Cour a rejeté cette prétention séance tenante. Dans Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 [Borowski], la Cour statuait qu’il doit exister un litige actuel ou un différend concret. La raison d’être de l’action a-t-elle disparue? Dans Borowski, la question portait sur la constitutionnalité de dispositions du Code criminel (LRC (1985), ch C-46) qui étaient abrogées avant que l’affaire n’atteigne la Cour suprême du Canada. Nous sommes bien loin en notre espèce d’une question hypothétique ou abstraite. Tout ce que le défendeur propose est que, s’il perd, il recommencera. Outre qu’une pareille action pourrait elle-même générer de nouveaux recours, il m’apparaît plutôt évident que de procéder à une nouvelle saisie, s’il pouvait s’agir là d’une décision sage, n’a aucun lien avec le litige dont la Cour est saisie. S’attaquer à la constitutionnalité d’une disposition abrogée transforme le litige en question hypothétique ou abstraite : vouloir reprendre son passeport parce qu’on y aurait doit n’a rien d’abstrait ou hypothétique. Qu’on prétende pouvoir le saisir à nouveau ne rend pas la question de la saisie initiale théorique. La Cour suprême écrivait dans Borowski que « (l)e principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties » (page 353 ). Il se pourrait bien que le défendeur confonde la résolution du dossier visant l’interdit de territoire impliquant le demandeur et la résolution du présent litige. D’ailleurs, rien n’empêchera la poursuite du dossier (si l’enquête n’est pas arrêtée par mandamus) même si le passeport est remis au demandeur au terme de ce litige.

 

b)      La Cour est invitée par le défendeur à garder l’affaire devant cette Cour circonscrite. La prétention est que le demandeur tente de faire évoluer son recours en mandamus en une requête sur la suffisance des motifs du défendeur d’émettre le rapport en vertu de l’article 44. Ces questions n’ont rien à voir avec la demande de contrôle judiciaire en mandamus.

III.             Norme de contrôle

[29]           Le demandeur rencontre les conditions d’une demande de contrôle judiciaire de la nature d’un mandamus, ou non. Il est loin d’être clair en quoi les allégations de manquement à l’équité procédurale ont une pertinence quant à l’émission d’un mandamus pour la remise d’un passeport saisi. Un tel  manquement donnerait généralement lieu à une demande de contrôle judiciaire de la nature d’un certiorari à l’encontre d’une décision de l’administration, soit la saisie d’un objet ou document. Mais alors, il pourrait falloir considérer ce recours comme étant hors délai. En effet, la saisie effectuée en décembre 2014 ne serait contestée qu’en mai 2016, bien plus que les 30 jours prévus expressément au para 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales (LRC (1985), ch F-7).

[30]           D’ailleurs, le demandeur a présenté son recours comme recherchant une ordonnance ne mandamus, mais demandant aussi « Y a-t-il eu manquement à la justice naturelle, à l’équité procédurale ou à tout autre procédure justifiant l’intervention de la cour sous la forme de l’ordonnance demandée? » (Partie II – Les questions en litige, mémoire des faits et du droit #1). Jamais n’a-t-on articulé comment de tels « manquements » pouvaient justifier une intervention de cette Cour en mandamus.

[31]           Une autre difficulté causée par l’imbroglio procédural généré par le demandeur est qu’il pourrait y avoir conflit avec la règle 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, qui prohibe la recherche de plus d’une ordonnance par contrôle judiciaire. Son texte se lit ainsi :

Limites

Limited to single order

302 Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302 Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

[32]           Or, le défendeur n’a pas soulevé ces questions, se contentant de plaider, en fin de compte, que sa saisie était légale, que sa rétention du passeport est appropriée, que certaines des conditions d’émission d’un bref de mandamus ne sont pas respectées et que, de toute façon, le dossier administratif doit suivre son cours avec l’enquête de la Section de l’immigration.

[33]           Les questions relatives à l’équité procédurale sont contrôlées en fonction de la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au para 79). Je les ai donc examinés sur cette base.

IV.             Analyse

[34]           Le défendeur a bien raison de faire remarquer qu’il y a lieu de circonscrire le débat judiciaire. Comme le rappelait la Cour suprême dans Saadati c Moorhead, 2017 CSC 28, « chacune des parties a le droit de connaître les arguments qu’on entend présenter contre elle et d’y répondre » (para 9). Les actes de procédure ont leur raison d’être. Les règles de procédure et de cour existent pour permettre un débat ordonné ce qui, croit-on, favorise des résultats justes et équitables pour les parties impliquées.

[35]           Ici, le demandeur s’est pourvu en mandamus, un recours qui vise à enjoindre l’accomplissement d’un acte ou un devoir public. Mais à cause de sa nature coercitive, le recours est encadré de règles strictes (D.J.M. Brown & J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, (feuilles mobiles), Thomas Reuters Canada, §1:3100(mis à jour en avril 2017)). Ce n’est pas par hasard que l’obligation légale d’agir soit claire.

[36]           Les conclusions de la requête en autorisation sont un amalgame non autorisé en ce que, présentée comme « une demande en mandamus », le demandeur a aussi des conclusions qui ne correspondent pas au mandamus. En effet, le demandeur recherche aussi à ce que son dossier soit fermé alors même qu’il prétend satisfaire aux conditions pour l’obtention d’un remède en mandamus. Où se trouve le droit clair à l’exécution d’une obligation légale de fermer un dossier?

[37]           De fait, le demandeur aura passé le plus clair de son temps à l’audience à attaquer le rapport en vertu de l’article 44 de la LIPR. Or, ce rapport n’existait même pas lorsque la demande en mandamus a été faite. Plus important encore, la décision d’émettre un rapport, qui implique que l’agent soit d’avis que le demandeur est interdit de territoire (para 44(1) de la LIPR), n’est pas et ne peut pas faire l’objet du présent recours. On pourrait à la rigueur penser qu’une demande qu’une décision soit rendue pourrait faire l’objet d’un mandamus; mais de s’attaquer à une décision rendue ne relève pas de ce recours. C’est pourtant ce que le demandeur a tenté de faire.

[38]           J’ai entretenu des doutes sur l’à-propos du recours en mandamus pour les conclusions exprimées de remise de passeport et de fermeture de dossier qui me semblent impliquer un débat sous-jacent sur la légalité d’actions prises par l’état. Puisque le demandeur a choisi de procéder comme il l’a fait en mandamus, j’ai donc examiné les conditions requises et j’ai conclu que les conditions ne sont pas toutes rencontrées.

[39]           Ainsi, la difficulté insurmontable à laquelle ce demandeur fait face est l’absence d’une obligation légale d’agir à caractère public, alors même que cette obligation doit être claire. Le demandeur n’a pas été en mesure de satisfaire la Cour de son droit clair dans une bonne mesure parce qu’il a été bien davantage déclaratoire qu’analytique, se contentant de rechercher des anicroches participant davantage de la forme que du fond. Le dilemme était peut-être que si on doit démontrer l’illégalité, on peut difficilement prétendre à un droit clair.

[40]           Le point de départ doit être la saisie. Elle a été effectuée en conformité avec le paragraphe 140(1) de la LIPR qui se lit :

Saisie

Seizure

140 (1) L’agent peut saisir et retenir tous moyens de transport, documents ou autres objets s’il a des motifs raisonnables de croire que la mesure est nécessaire en vue de l’application de la présente loi ou qu’ils ont été obtenus ou utilisés irrégulièrement ou frauduleusement, ou que la mesure est nécessaire pour en empêcher l’utilisation irrégulière ou frauduleuse.

140 (1) An officer may seize and hold any means of transportation, document or other thing if the officer believes on reasonable grounds that it was fraudulently or improperly obtained or used or that the seizure is necessary to prevent its fraudulent or improper use or to carry out the purposes of this Act.

Ainsi, le demandeur n’a jamais été en mesure de prétendre à l’absence de motifs raisonnables de croire que la saisie n’est pas nécessaire en vue de l’application de la loi, soit la nécessité d’avoir un passeport pour exécuter une mesure éventuelle de renvoi.

[41]           À l’égard de cette saisie, le demandeur a prétendu qu’il s’était présenté à l’entrevue sur la foi de fausses représentations selon lesquelles les autorités ne voulaient que contrôler sa présence physique au Canada pour ainsi satisfaire aux conditions de sa résidence permanente. Cette prétention doit être fermement rejetée. Il est vrai que la lettre requiert que le demandeur soit muni de son passeport pour vérifier son obligation de résidence mais la lettre convoquant le demandeur est sans équivoque sur l’objet essentiel de la rencontre. Est clairement exprimé que l’agent considère la rédaction d’un rapport où serait allégué qu’il est interdit de territoire pour avoir fait de fausses déclarations. De façon décisive, la lettre précise que le rapport pourra être déféré à la Section de l’immigration; on réfère nommément à l’article 44. Rien n’est dissimulé. Or, l’avocate qui accompagnait le demandeur savait, ou aurait dû savoir, que le déféré ne peut avoir lieu dans le cas « d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence », aux termes mêmes du paragraphe 44(2) :

Suivi

Referral or removal order

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

[42]            Dit simplement, du seul fait que le rapport puisse être déféré, comme la lettre de convocation le précise, ne laissait aucun doute que la raison de la convocation n’était pas le défaut à l’obligation de résidence. Le défaut à l’obligation de résidence n’entraîne pas un déféré à la Section de l’immigration. Enfin, dans son introduction à l’entrevue, le fonctionnaire déclare que « (l)e but de la présente est de vérifier certaines déclarations que vous avez faites quant à votre passé au Burundi » (transcription de l’entrevue du 15 décembre 2014).

[43]           Le fondement de la demande en mandamus, l’existence d’une obligation légale d’agir qui entraîne un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation est que cette affaire est relative à l’obligation de résidence. Tel n’est pas le cas. À sa face même le demandeur a failli. Mais il y a plus.

[44]           Le demandeur a fait grand état, référant abondamment au guide opérationnel, que l’avis de saisie qui lui a été remis n’était pas sur le support approprié à cette époque. En effet, il appert que le fonctionnaire aurait utilisé le formulaire qu’il avait à ce moment, formulaire qui avait été changé depuis peu. Cet argument est sans valeur car il privilégie la forme au fond. Le guide opérationnel n’est pas d’aucun secours au demandeur. Il ne déclare pas un cadre procédural clair, net et explicite pour la prise de décision.  Il ne fait que signifier les formules sur lesquelles les informations dont la divulgation est requise par un règlement qui, lui, est opposable au Ministre. On est loin de Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile, 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559 (paras 94-98) et bien davantage près de Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319 (paras 26-28). Comme le disait le juge De Montigny, « ce genre de ligne directrice gouvernementale ne saurait lier les tribunaux ». La partie 16 du Règlement renferme les règles prévues relativement aux saisies. L’avis doit être écrit et motivé, selon l’alinéa 253 (1)(b). L’avis donné rencontre pleinement ce qui est requis, personne ne l’a contesté. J’ajoute que le formulaire utilisé reproduisait les dispositions du Règlement portant sur la remise d’un objet saisi.

[45]           Ce demandeur n’a que déclaré dans ses prétentions écrites que le Ministre détenait son passeport pendant trop de temps. Pourtant, la LIPR ne fixe pas de délai de péremption. De fait, le Règlement aux articles 255 et 256 ne prévoit pas de limite :

255(4) L’objet est restitué si cela ne compromet pas l’application de la Loi.

255(4) A thing seized shall only be returned if its return would not be contrary to the purposes of the Act.

(...)

...

256(3) La décision sur la demande, accompagnée de ses motifs, est notifiée au demandeur par écrit. Si la notification est faite par courrier, elle est réputée faite le septième jour suivant la mise à la poste.

256(3) An applicant shall be notified in writing of the decision on the application and the reasons for it. If the applicant is notified by mail, notification is deemed to have been effected on the seventh day after the day on which the notification was mailed.

[46]           Je reste convaincu que la rétention de ce qui a été saisi par l’état devrait être limitée dans le temps. Une saisie pourrait ainsi devenir abusive. Je partage l’avis de la Juge Tremblay-Lamer dans Conille qui écrivait :

[20]      Il est trop facile d'alléguer comme le fait le défendeur qu'il n'y a pas d'obligation légale d'agir pour le greffier tant que les enquêtes ne sont pas terminées. À ce compte-là, une enquête pourrait se poursuivre indéfiniment et le greffier n'aurait jamais le devoir d'agir. La difficulté repose essentiellement sur le fait qu'il n'y a aucun délai de prévu au règlement pour la conclusion de ces enquêtes. En fait, cette problématique s'inscrit dans un cadre législatif déficient. D'une part, les pouvoirs du greffier de commander une enquête en vue de s'assurer que les conditions de la Loi sont remplies ne comportent aucuns paramètres, temporels ou pragmatiques, outre l'obligation d'attendre la fin des enquêtes prévue à l'article 11 du Règlement, et d'autre part, les pouvoirs des enquêteurs, SCRS en l'espèce, ne sont circonscrits par aucunes limites de temps. Sur cette base, le délai de traitement des demandes peut se prolonger bien au-delà du temps nécessaire pour la tenue des enquêtes. À quel moment peut-on considérer que le délai est déraisonnable?

[47]           En l’espèce, il n’y a pas eu démonstration que le délai est déraisonnable. En alléguant que l’identité du demandeur aurait pu avoir été usurpée, le demandeur a forcé la main des autorités de confirmer leur croyance quant à la carrière militaire de celui-ci. Il n’est pas question pour cette Cour de confirmer dans cette affaire cette carrière militaire : ce sera la tâche de la Section de l’immigration. Il suffit plutôt de constater la diligence des autorités dans l’obtention d’information. De plus, le demandeur n’a pas contesté les dispositions du Règlement qui n’imposent pas une limite précise à la rétention.

[48]           Quoiqu’il en soit, le fardeau qui reposait sur les épaules du demandeur en mandamus est de démontrer un droit légal clair. Non seulement n’a-t-on pas établi l’obligation claire relative à la saisie, mais aucune telle obligation légale claire n’existe quant à l’enquête entreprise par les autorités fédérales. S’il doit y avoir une limite, elle n’est certes pas claire au sens des conditions d’émission d’un mandamus. On cherche en vain le lien entre la remise d’un passeport et l’arrêt d’une enquête sur de possibles fausses déclarations. Il ne faut pas confondre des obligations précises en vertu de la Loi sur la citoyenneté (LRC(1985), ch C-29), par exemple, et l’absence d’obligation légale en matière de saisie sous la LIPR (Conille, Platonov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 569, Murad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1089). Les décisions sur mandamus sous la Loi sur la citoyenneté procèdent d’un régime législatif qui met en exergue les différences avec celui sous étude par la précision de certains délais.

[49]           Cela suffit à disposer de la demande de contrôle judiciaire. Un mandamus ne peut être obtenu quant à la saisie du passeport et l’arrêt d’une enquête. Le droit clair d’obtenir l’exécution d’une obligation légale d’agir n’a aucunement été établi. Puisque le demandeur aura consacré beaucoup de temps à ce qu’il a présenté comme des manquements à l’équité procédurale, je me permets quelques commentaires.

[50]           Le demandeur se doit de préciser à quelle obligation d’équité il y aurait eu atteinte; l’équité procédurale est à géométrie variable, selon les décisions prises par l’administration (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, paras 22 et 28). La liste de soi-disant manquements à l’équité procédurale présentée par le demandeur est le résultat de qui tire au mousquet. Il y a lieu de rappeler que ce demandeur n’a pas attaqué le rapport sous l’article 44 dont il est l’objet; il ne pouvait le faire puisque sa demande de contrôle judiciaire est antérieure au rapport. Pourtant, la liste de manquements soumise dans son mémoire en réplique est dans une très large mesure une attaque contre ce rapport.

[51]           S’il est vrai que le défendeur invoquait dans son mémoire en réponse à la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qu’un rapport avait été émis, c’était pour faire échec à la demande d’autorisation comme étant devenu théorique, allant jusqu’à suggérer dans son deuxième factum que le passeport pourrait être saisi à nouveau. La Cour a déjà disposé de l’argument que la demande en mandamus était devenue théorique; par ailleurs, le rapport du 11 janvier 2017 ne peut être utilisé pour transformer une demande en mandamus pour la remise d’un passeport et l’arrêt d’une enquête en une attaque du rapport sous l’article 44 qui est le résultat de cette enquête. La remise du passeport à l’aide d’un mandamus est régie par certaines règles et la rédaction du rapport l’est par d’autres règles très différentes. Cela explique l’existence de la règle 302. La confusion des genres aura compliqué inutilement cette affaire.

[52]           Au stade de l’émission du rapport, le devoir du fonctionnaire est de permettre à la personne de donner sa version des faits si elle le veut. Le demandeur savait de par la lettre de convocation du 3 décembre 2014 qu’on le soupçonnait d’avoir fait de fausses déclarations et, dès le début de l’entrevue, il a été établi que c’était relativement à son emploi allégué au Burundi. On lui a clairement indiqué qu’il y avait allégation de service militaire, contrairement à ses déclarations.

[53]           Dans Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Cha, 2006 CAF 126, [2007] 1 RCF 409, la Cour d’appel rappelait que la « mission des agents d’immigration et des représentants du ministre ne consiste qu’à rechercher les faits, rien de plus, rien de moins  » (para 35).

[54]           Le demandeur recherchait la possibilité de contester l’authenticité des preuves documentaires sur lesquelles les allégations reposaient. Si je comprends bien, il aurait voulu le faire avant même l’émission d’un rapport. Or, la Cour d’appel fédérale a déclaré dans Sharma qu’il n’existe aucune obligation de communiquer le rapport pour permettre de répondre avant que l’affaire ne soit déférée en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR. Les exigences en matière d’équité procédurale sont satisfaites « (d)ans la mesure où la personne est informée des faits qui ont déclenché le processus, a la possibilité de présenter des éléments de preuve et de faire des observations, obtient un entretien après qu’on lui a fait part de l’objet de cette mesure et des conséquences possibles, a la possibilité de demander l’assistance d’un avocat et reçoit un exemplaire du rapport avant la tenue de l’enquête » (para 34). Le demandeur, malgré ses nombreuses allégations de manquements à l’équité procédurale, n’en a démontré aucun. Les obligations restreintes en fonction du mécanisme de l’article 44 ont été remplies. Si tant est que ces allégations eurent pu avoir une certaine pertinence, ce dont je doute, elles n’ont, de toute manière, pas été démontrées comme faisant partie des obligations qui lui étaient dues.

V.                Question grave de portée générale

[55]           Le demandeur a proposé la certification d’une question dans son mémoire en réplique :

45.       Ainsi, si la Cour autorisait la présente demande, le Demandeur présente à la Cour une question certifiée qui serait la suivante :

Quels sont les critères devant encadrer le maintien d’une saisie illégale d’un document d’identité valide lorsque l’identité n’est pas remise en question?

Il  ne s’agit manifestement pas d’une question qui puisse être certifiée aux termes de l’article 74 de la Loi. Cette disposition vise à contrôler l’accès à un appel devant la Cour d’appel fédérale et les conditions doivent être présentes.

[56]           Dans Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, la Cour d’appel fédérale précisait les conditions à remplir :

[9]               Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l'issue de l'appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d'instance inférieure, et elle doit découler de l'affaire, et non des motifs du juge (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. no 1637 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 4; Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Zazai, 2004 CAF 89, aux paragraphes 11 et 12; Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 145, [2010] 1 R.C.F. 129, aux paragraphes 28, 29 et 32).

La question proposée ne transcende pas les intérêts des parties. Elle est limitée aux faits particuliers qui tournent autour de l’identité du demandeur; cela n’est pas de portée générale. La question, qui est enchevêtrée, ne porte pas vraiment sur l’affaire puisque le demandeur a fait dévier son recours sur l’émission du rapport sous l’article 44. Si l’on s’en tient à son libellé, il faut bien convenir que, contrairement à la question proposée, l’identité du demandeur est remise en question dans la mesure où il s’est présenté comme étant marchand de vache, ce qui est évidemment contesté. De plus, il n’est nullement établi que la saisie est illégale. En fait, la question proposée semble procéder d’une croyance que la saisie du passeport était à des fins d’enquête alors que la saisie est permise et faite parce que nécessaire en vue de l’application de la Loi. La saisie du passeport visait à s’assurer que ce document de voyage soit disponible si une mesure de renvoi doit être exécutée : il s’agit là d’une mesure nécessaire en vue de l’application de la Loi. Enfin, on ne comprend pas comment des critères pourraient encadrer le maintien d’une saisie illégale. Cette question proposée n’est pas de celles qui peuvent être certifiées.

VI.             Conclusion

[57]           La demande de contrôle judiciaire en mandamus doit donc être rejetée, le demandeur ayant failli à démontrer que les conditions d’exercice sont remplies. Le défendeur n’a pas demandé des dépens, contrairement à ce qu’avait fait le demandeur. Aucuns dépens ne sont donc adjugés. Il n’y aura pas de question certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3099-16

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens. Il  n’y a aucune question à certifier en vertu de l’article 74 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3099-16

 

INTITULÉ :

DIDACE SHIRAMBERE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 juin 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 juin 2017

 

COMPARUTIONS :

Patricia Gamliel

Alexandre Fournier

Pour le demandeur

 

Caroline Doyon

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dunton Rainville

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.